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avec revues de presse

Bulletin N° 464 | Novembre 2023

 

 

IRAK : LE PRÉSIDENT DU KURDISTAN REÇU À l’ÉLYSÉE

Le président de la Région du Kurdistan Nechirvan Barzani a effectué le 3 novembre une visite officielle en France à l’invitation du président français.

Au cours de leur entretien en tête-à-tête au palais de l’Élysée les deux présidents ont évoqué la situation au Kurdistan, la guerre commune contre Daech, la situation politique en Irak, les relations entre Erbil et Bagdad et le contexte régional. La France est un membre important de la coalition internationale contre Daech et l’organisation djihadiste constitue encore une menace sérieuse. Elle multiplie ses actions terroristes tant en Irak qu’en Syrie. Le 20 novembre le CENTCOM (US Central Command) a annoncé que les forces de la coalition avaient mené en deux mois 79 opérations contre Daech en Irak et en Syrie, tuant 13 djihadistes et arrêtant plusieurs leaders de Daech. La France, comme les autres alliés de la coalition, compte sur les Peshmergas kurdes irakiens et sur les combattants des Forces démocratiques syriennes pour endiguer cette menace et neutraliser les milliers de djihadistes qui opèrent à partir des foyers de guérilla éparpillés en Irak et en Syrie. La lutte des forces kurdes contre Daech est entravée par les incursions et bombardements turcs et les interventions iraniennes par le biais des milices irakiennes qui déstabilisent la région. La France n’a guère de moyens de pression sur Ankara et Téhéran mais elle a joué et elle continue de jouer un rôle de médiation entre Bagdad et Erbil afin de parvenir à un règlement par le dialogue des litiges qui les opposent. Elle veut un Kurdistan fort et prospère dans un Irak démocratique, stable et souverain, libre des ingérences de ses voisins.

Le président Barzani a informé le président français de la crise économique qui sévit au Kurdistan à la suite de l’arrêt de ses exportations du pétrole et du versement par intermittence de sa part du budget irakien, malgré des accords signés et maintes fois réitérés. Cela a pour conséquence le non-paiement des salaires et des pensions des employés et fonctionnaires parfois pendant plusieurs mois. Cette situation nuit à l’autorité du gouvernement du Kurdistan et à la motivation des Peshmergas, régulièrement privés de leur solde, dans la guerre contre Daech. Les deux présidents se sont félicités de l’excellence des relations franco-kurdes.

Au cour de sa courte visite, le président du Kurdistan a également été reçu par le ministre français de la Défense, Sébastien Lecornu. Leurs entretiens ont porté sur la question de coopération militaire. Le ministre français s’était d’ailleurs rendu à Erbil, en octobre, pour préparer la visite à Paris de Nechirvan Barzani.

Le président français avait envisagé de se rendre ensuite à Bagdad courant novembre mais l’embrasement du conflit israélo-palestinien l’a amené à ajourner cette visite ainsi que la conférence régionale sur la stabilisation de l’Irak.

La guerre de Gaza a eu des conséquences dans l’ensemble du Moyen-Orient, y compris en Irak et au Kurdistan, voisin d’un Iran et d’une Turquie engagés dans la défense du Hamas et critiquant avec véhémence le soutien des États-Unis et des autres pays occidentaux à Israël.

Si le président turc en est resté à des gesticulations tonitruantes tout en poursuivant ses fructueuses relations commerciales avec l’État hébreu, l’Iran a mobilisé l’ensemble de son vaste réseau de milices contre les intérêts américains y compris en Irak. D’après une statistique rendue publique le 15 novembre par la porte-parole du Pentagone, Sabrina Singh, depuis le 17 octobre, il y a eu 27 attaques par drones ou par roquettes des milices pro-iraniennes contre les bases américaines en Irak et 28 attaques en Syrie. 60 soldats américains ont été blessés. Une dizaine de ces attaques ont visé les bases de la coalition internationale au Kurdistan (Erbil) Harir. Le 9 novembre, un dépôt de carburant de l’aéroport militaire de Harir a pris feu à la suite d’une attaque d’un drone suicide. Une milice pro-iranienne, s’appelant pour l’occasion « Résistance islamique », a revendiqué cette attaque. Les Américains ont montré du doigt l’Iran et promis que les agresseurs seraient punis.

Le 23 novembre, quelques jours après des représailles contre un dépôt de munition et des camps d’entrainement des milices pro-iraniennes en Syrie, l’aviation américaine a bombardé un important centre de commandement et de fabrication de roquettes de la puissante milice pro-iranienne Kataib Hezbollah, situé au sud de Bagdad faisant 8 morts. La veille, les Américains avaient tiré un drone contre un véhicule de la milice Hachd as-chaabi dans la région d’Abou Ghraïb, près de Bagdad, faisant 1 mort et plusieurs blessés. Le gouvernement irakien et l’Iran ont protesté contre cette « violation flagrante de la souveraineté irakienne » mais le commandement américain à répliqué qu’il s’agissait d’une action de précision, d’auto-défense. Lors de sa brève visite à Bagdad, le secrétaire américain Antony Blinken avait demandé, à nouveau, au gouvernement irakien d’arrêter les auteurs des attaques contre les bases américaines et d’assurer la protection de celles-ci. Les promesses faites par le Premier ministre irakien restent vaines car il n’a aucune autorité sur ces milices.

Il y a actuellement, dans le cadre de la coalition internationale de lutte contre Daech, 2500 soldats américains en Irak et 900 en Syrie. L’Iran et les milices à son service réclament le départ de ces forces et se livrent à des actions de harcèlement incessants contre elles. Pour éviter un conflit généralisé avec l’Iran, le président Biden ordonne à ses forces de répondre de manière proportionnée et précise aux attaques qui les visent.

Au cours du mois, le Premier ministre irakien s’est rendu à Erbil où il a rencontré les principaux dirigeants kurdes ; il était accompagné par le ministre du pétrole qui, après avoir rencontré son homologue kurde, a annoncé « la reprise dans quelques jours des exportations du pétrole du Kurdistan ». Déclaration restée sans suite comme celle du Premier ministre de débloquer la partie du budget revenant au Kurdistan afin de régler les salaires et les pensions. Fin novembre, une délégation du Gouvernement kurde s’est rendue à son tour à Bagdad où elle a rencontré le Premier ministre et les ministres concernés pour discuter pour la énième fois du budget du Kurdistan.

A signaler aussi la visite remarquée à Erbil de l’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson venu apporter son soutien au peuple kurde.

 

TURQUIE : LE SYSTÈME JUDICIAIRE SE DÉCHIRE

Les deux plus hautes instances judiciaires turques, la cour constitutionnelle et la cour de cassation s’affrontent publiquement sur le sort réservé à un opposant emprisonné Can Atalay, élu député alors qu’il était derrière les barreaux.

Le 25 octobre, la cour constitutionnelle turque avait ordonné la libération de Can Atalay, incarcéré depuis plus d’un an et condamné à 18 ans de prison pour « tentative de renversement de la République », en fait pour délit d’opinion, élu député en mai dernier sur la liste du Parti des travailleurs de Turquie (TIP). Selon les hauts magistrats de la Cour constitutionnelle « le droit constitutionnel de voter et d’être élu » et « le droit à la sécurité et à la liberté » du député ont été violés. Le pouvoir reproche à cet avocat de 47 ans sa participation aux manifestations pacifiques du parc Gezi de 2013. Les défenseurs de ce rare espace vert au cœur d’Istanbul, voué à disparaître au profit d’un projet immobilier du pouvoir, sont accusés d’avoir tenté de renverser le régime, un régime hanté par le syndrome des « révolutions de couleur » qui ont provoqué la chute de plusieurs autocraties en Europe orientale. Parmi les autres accusés du procès Gezi, l’homme d’affaires et philanthrope turc Osman Kavala condamné à une peine de « perpétuité aggravée » et incarcéré depuis2016 malgré deux arrêts de la cour européenne des droits de l’homme ordonnant sa libération immédiate. Arrêts non respectés par la Turquie qui de ce fait risque d’être suspendue voire exclue du Conseil de l’Europe. Le dossier turc est depuis des mois devant le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, seul habilité à prendre des sanctions contre un Etat contrevenant. Le Comité ne semble guère pressé de prendre une décision.

La commission électorale avait autorisé Can Atalay à se présenter depuis sa prison en tant que candidat d’un parti turc légal (TIP) de gauche. Elu dans la province de Hatay (Antioche), récemment en partie détruite par le tremblement de terre, M. Atalay a demandé sa libération du fait qu’il bénéficiait en tant que député de l’immunité parlementaire selon l’article 83 de la Constitution turque. Une requête rejetée le 13 juillet par la cour de cassation. Saisie en dernier recours, la cour constitutionnelle a, le 23 octobre, statué et ordonné la libération du député emprisonné. En droit turc les décisions et arrêts de cette cour suprême sont définitifs et doivent être respectés par tous. Mais la cour de cassation, contrôlée par des juges proches du Parti de l’Action nationaliste (MHP) d’extrême droite associé au pouvoir, est passé outre de l’arrêt en décidant, le 8 novembre, en toute illégalité, le maintien en détention de Can Atalay. Elle est même allée plus loin en déposant une plainte pénale contre les juges de la cour constitutionnelle.

Pourtant, d’après l’article 153 de la Constitution turque « les décisions de la cour constitutionnelle sont contraignantes pour les organes législatifs, exécutifs et judiciaires, pour les autorités administratives ainsi que pour les personnes physiques et morales ».

Tel n’est pas l’avis du juge suprême du pays, le président turc, qui le 10 novembre a déclaré « personne ne peut mettre de côté une décision de la cour de cassation qui est une haute juridiction. Malheureusement, à ce stade la cour constitutionnelle commet des erreurs ». Quid donc des règles déjà fortement ébranlées de ce qui reste de l’État de droit en Turquie. Pour le président de l’Union des barreaux turcs, Erinc Sagkan, cet imbroglio « n’est pas une simple crise judiciaire. Il s’agit d’une crise d’Etat de la violation manifeste de la constitution par la justice ». Pour le nouveau chef du CHP, principal parti de l’opposition, Ozgur Ozel, il s’agit d’un « coup d’État » (Le Monde, 17 novembre). Cet ancien président de l’Union des pharmaciens turcs, qui a remplacé Kemal Kiliçdaroglu, n’a pas précisé contre qui était dirigé ce coup d’État vu que l’Etat c’est déjà le président Erdogan qui a le dernier mot sur les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires.

La justice turque, qui refuse la libération d’un député détenu pour délit d’opinion, a ordonné le 15 novembre celle de l’assassin du journaliste Hrant Dink, fondateur du journal bilingue turc-arménien Agos. Au cours d’un procès, très médiatisé de ce journaliste emblématique, 17 co-accusés avaient été acquittés et aucun des commanditaires de cet assassinat politique n’avait été inquiété. Le jeune tireur ultranationaliste Ogun Samast avait été condamné à une peine à perpétuité. Il vient d’être libéré pour « bonne conduite » après 16 ans de détention.

Les journalistes qui s’obstinent à critiquer le pouvoir continuent d’être poursuivis par la justice turque. Celle-ci a décidé le 1er novembre l’arrestation d’un journaliste d’investigation du site d’information en ligne T24, Tolga Sardan, qui s’intéressait de trop près aux réseaux de corruption au sein de la justice (La Croix 3 novembre). Il va rejoindre des dizaines d’autres de ses collègues dans les géoles turques.

Une autre affaire de corruption a frayé la chronique, cette fois-ci aux États-Unis. Celle du maire de New-York Eric Adams soupçonné par la justice américaine d’être corrompu par la Turquie. Les dons des hommes d’affaires turcs proches d’Erdogan à la campagne de M. Adams, les nombreux voyages de ce dernier en Turquie éveillent des soupçons de corruption et font l’objet d’une enquête judiciaire (New York Times, 14 novembre).

Plus que les affaires de corruption, endémiques et généralisées en Turquie, ce qui inquiète surtout les citoyens turcs est la cherté excessive de la vie. Officiellement l’inflation annuelle n’est que de 65% mais en réalité elle dépasserait largement les 100%. Le coût des denrées de base, des transports, des logements bat des records et les gens ordinaires luttent pour leur simple survie. Dans les métropoles les loyers, souvent payés en dollars, sont devenus inabordables même pour les classes moyennes désormais en voie de paupérisation. La nouvelle directrice générale de la banque centrale de Turquie qui vient de porter à 40% le taux directeur de crédit ne parviendrait pas à trouver pour elle-même une location abordable à Istanbul. En attendant, depuis son retour des États-Unis, cette « wonder woman » appelée au secours pour mettre de l’ordre dans les comptes de la nation, logerait chez ses parents lors de ses séjours à Istanbul. Mais, tout comme le président turc, elle promet un avenir plus radieux avec un taux d’inflation à un seul chiffre dans un an et le tout le monde est prié de la croire sur parole.

 

IRAN : PLUS DE 600 EXÉCUTIONS EN 2023

Selon un bilan établi et rendu public le 2 novembre par l’ONG Iran Human Rights (IHR), basée en Norvège, l’Iran a procédé à plus de 600 exécutions depuis le début de l’année, soit « deux meurtres d’État par jour ». Ce bilan qui ne porte que sur 10 mois constitue déjà un record depuis 2015, année noire avec un score effrayant de 972 exécutions. En 2022 le bilan était de 592 exécutions. De nombreux condamnés attendent encore dans les couloirs de la mort du régime iranien dont un militant lié à la contestation du mouvement « Femme, vie, liberté »(AFP 14 novembre) ou un couple condamné à mort par un tribunal de Téhéran pour adultère (Libération 3 novembre).

Dans un communiqué publié à l’occasion de la Journée internationale de la violence à l’égard des femmes, l’ONG kurde des droits de l’homme, Hengaw, indique que depuis le début de l’année 2023 16 femmes ont été exécutées et 128 militantes ont été condamnées à de peines variées. Les défenseurs des droits humains s’indignent du manque de réaction de la communauté internationale. A la suite de l’exécution, le 24 novembre, d’un jeune homme de 17 ans et d’un homme de 22 ans, un porte-parole du Bureau des droits humains de l’ONU, Elisabeth Throssell a rappelé « à Téhéran son obligation, en vertu des conventions internationales d’interdire des condamnations à mort et leur application pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans » (AFP 29 novembre). Elle est s’est dite « préoccupée par l’exécution d’une huitième personne, le 24 novembre, dans le cadre des manifestations de septembre 2022 ». L’ONU « déplore ces exécutions » tout en laissant l’Iran présider le Forum social de son Conseil des droits de l’homme qui s’est tenu les 2 et 3 novembre à Genève (Le Figaro, 2 novembre). Parfois la réalité dépasse la fiction a réagi la LICRA et « ce n’est pas une plaisanterie » a commenté de son côté l’ONG UN Watch qui a lancé une pétition de de protestation.

Tout au long du mois la répression « ordinaire » contre les contestataires et opposants s’est poursuivie avec une grande brutalité. La « guerre du hidjab » continue de faire rage. Les autorités iraniennes ont refusé de conduire « sans foulard » à l’hôpital la prix Nobel de la Paix Narges Mohammadi à l’infirmerie de la prison d’Evin où elle est incarcérée (Libération, 2 novembre). Finalement, une équipe médicale composée de femmes a dû se rendre dans la section réservée aux femmes de cette sinistre prison pour lui prodiguer des soins urgents.

Selon l’ONG kurde des droits de l’homme Hengaw le régime iranien a arrêté plusieurs civils kurdes, dont Hamza Pirozi et Soran Sahragard à Marivan, Saman Mohammedi et Woria Ibrahimi à Senna, Mohammed Kadakhoda à Bokan, ainsi que Ramin Wali Najad et Hamid Himati à Ilam. De son côté, le tribunal révolutionnaire islamique de Jiwanro a condamné un militant écologiste kurde nommé Yasser Noori à quatre mois de prison pour « propagande contre l’État ». Le tribunal révolutionnaire islamique de Senna a condamné à dix ans de prison deux membres de l’organisation Nojîn, qui se concentre sur les questions culturelles et linguistiques. Enfin, les gardes-frontières iraniens ont tué deux porteurs frontaliers kurdes (kolbar) lors d'incidents distincts près de Baneh et de Marivan. Les forces du régime ont également blessé au moins dix kolbars près de Nowsud. Selon Hengaw, les gardes-frontières iraniens ont tué trois kolbars et en ont blessé 23 en octobre.

Un Kurde, Qasem Abasteh, qui avait été initialement condamné à mort en 2015 pour « avoir mené une guerre contre Dieu », a été exécuté. Abatesh était accusé d’entretenir des convictions salafistes, une accusation qu’il a niée. En octobre, le régime iranien a exécuté au moins 78 personnes selon le bilan des ONG.

Par ailleurs, le président iranien Ebrahim Raïsi s’est rendu dans la ville kurde de Senna pour la deuxième fois en un an, au milieu de la grave crise économique que la politique du régime a infligée au Kurdistan iranien. Raïsi a supervisé l’ouverture d’une nouvelle voie ferrée entre Senna et Hamadan, mais les militants ont dénoncé la visite et publié des slogans protestant contre Raïsi et la politique du gouvernement iranien envers les Kurdes. La visite de Raïsi a coïncidé avec l’arrestation de militants kurdes à Salas-e Babajani, Mehabad, Awdanan, Senna, Jiwanro et Saqqez.

Selon Hengaw, trois kolbars ont été tués et 40 autres blessés depuis la récente visite du président iranien Ebrahim Raisi à Baneh. Parallèlement, les forces de sécurité ont poursuivi leur répression contre les militants et les civils. Parmi les personnes arrêtées un imam, une femme et un civil à Bokan ; deux civils kurdes à Khoy ; un militant syndical à Kamyaran ; deux hommes kurdes à Saulawa ; un professeur de langue kurde, Siarous Abbasi, à Dewalan ; un musicien à Senna; et un activiste politique à Marivan. À Piranshahr, les forces de sécurité ont arrêté cinq adolescents. En outre, le tribunal révolutionnaire islamique de Senna a condamné un Kurde nommé Kaywan Zandagi à cinq ans de prison pour son implication et son rôle dans les soulèvements de Jîna Amini l'année dernière.

Par ailleurs, un membre du Parti démocratique du Kurdistan iranien (PDKI), Sorhab Rahmati, a échappé de peu à une tentative d'assassinat dans la capitale du Kurdistan irakien, Erbil. Rahmati, un avocat dévoué connu pour représenter les victimes des attaques terroristes du régime iranien, a été blessé lorsqu'un agresseur lui a tiré dessus à deux reprises avec une arme à feu silencieuse. Dans un communiqué, le PDKI a accusé « l’agence terroriste » du régime iranien d’être à l’origine de cet assassinat (Rudaw, 16 novembre).

Plusieurs manifestations ont eu lieu dans diverses villes, dont la ville kurde de Kermanchah, ainsi qu'à Ispahan, Ahwaz et Shush, dénonçant les lois sur la sécurité sociale et les conditions de vie lamentables. Les manifestations étaient coordonnées par des syndicats représentant diverses industries, notamment les métallurgistes, les employés du secteur public, les infirmières, les employés des compagnies pétrolières et les employés municipaux. Parallèlement, les forces de sécurité, en particulier les gardes-frontières, ont intensifié leur répression contre les porteurs frontaliers kurdes (kolbar), entraînant la mort de deux personnes, dont un adolescent, et la blessure d'une douzaine d'autres près de Baneh, Nowsud et Urmia. De plus, deux kolbars ont tragiquement succombé aux températures glaciales à Piranshahr et Urmia.

Le Département d’État américain a condamné le processus d’exécution trompeur de l’Iran visant le chanteur kurde Saman Yasin. Yasin, qui a été emprisonné par le régime iranien pendant plus d’un an après le soulèvement de Jîna Amini l’année dernière, a été confronté à une fausse exécution dans le cadre de tactiques de pression psychologique en raison de ses chansons contre le régime. Le compte Twitter en persan du Département d’État américain a souligné : « Le recours à des simulacres d’exécutions, à la torture et à des condamnations à mort sans procès équitable viole non seulement les droits de l’homme, mais va également à l’encontre du respect fondamental de la dignité humaine. » Yasin risque désormais une peine d'emprisonnement à perpétuité suite à l'annulation de sa peine d'exécution, dans l'attente d'un nouveau procès.

A signaler aussi la condamnation à 5 ans de prison de Louis Arnaud le 8 novembre par un tribunal de Téhéran sans la présence de ses avocats. Ce Français de 36 ans, détenu depuis plus de trois ans, est accusé de “propagande et atteinte à la sécurité de l’État iranien” accusations floues et sans fondements qui font de lui un “otage d’État” à monnayer dans de futures tractations avec la France (Libération, 9 novembre).

 

ROJAVA : PILLAGE DES OLIVERAIES D’AFRIN

Le mois de novembre a été marqué par des affrontements militaires tous azimuths entre la coalition internationale et Daech et les milices pro-iraniennes, entre Daech et les forces gouvernementales syriennes, entre celles-ci et les forces démocratiques syriennes (SDS), à dominante kurde, ainsi que par les bombardements aériens les attaques par drones de l’aviation turque contre des cibles kurdes civiles (infrastructures) et militaires dans les provinces administrées par les Kurdes.

Dans les territoires sous occupation turque, où la Turquie se vante d’avoir déjà installé plus de 500.000 déplacés arabes syriens sur des terres vidées de leurs populations kurdes, l’épuration ethnique avance à grands pas dans le silence ou l’indifférence de la communauté internationale. Dans la ville de Serê Kaniyê (Ras al-Ayn), qui avait, avant l’invasion turque de 2019, une population de 175.000 habitants dont 85.000 Kurdes, il n’y aurait plus que 50 Kurdes. A Girê Spî (Tell Abyad) également sous occupation turque la situation est tout aussi dramatique.

Dans le canton d’Afrin, occupé depuis 2018 par l’armée turque où la grande majorité de la population kurde a été chassée et remplacée par des familles de milices syriennes au service de l’occupation turque, le processus d’épuration ethnique se double du pillage des richesses du pays et de la confiscation des biens et des commerces des habitants kurdes qui ont dû fuir la terreur de l’occupation. Ceux qui malgré tout sont restés, notamment dans les villages, pour s’occuper de leurs oliveries, symbole d’Afrin, sont confrontés aux actions de prédation des milices syriennes supplétives de l’armée turque.

Plusieurs factions de l'Armée nationale syrienne (SNA), une coalition hétéroclite des milices pro-turques, se sont violemment affrontées à propos des revenus provenant des prélèvements sur les récoltes d'olives et de l'huile d'olive volées aux Kurdes locaux. Des groupes soutenus par la Turquie ont volé de nombreux oliviers de la région, extorqué des agriculteurs locaux. Le conflit concernant les revenus du commerce des olives découlerait notamment de différends entre deux commandants de la Division Sultan Murad dans le village de Qornah, dans le district de Bobol, à Afrin, bien que d'autres factions et groupes soient susceptibles de s'impliquer dans les semaines à venir.

De nombreux habitants d’Afrin n’ont désormais plus les moyens d’acheter de l’huile d’olive en raison de l’implication croissante des mercenaires turcs dans le commerce des olives. La contrebande d'huile d'olive par des groupes soutenus par la Turquie vers le territoire contrôlé par le régime d'Assad et vers la Turquie a fait grimper le prix d'un seul conteneur de plus de cent pour cent depuis 2022. En outre, certains habitants ont exprimé leur inquiétude quant à l'Armée nationale syrienne (SNA), soutenue par la Turquie, et l'exploitation du commerce des olives par d'autres groupes pourraient ruiner l'avenir de l'industrie oléicole d'Afrin. L'huile d'olive exportée vers la Turquie est souvent reconditionnée et vendue dans d'autres pays sans aucune indication qu'elle provient d'Afrin.

Les déplacés d’Afrin qui se sont réfugiés dans la province d’Alep subissent eux des agressions de la part des forces gouvernementales syriennes. En effet, la Quatrième Division de l’Armée arabe syrienne maintient un blocus sur la zone à majorité kurde de la campagne nord d’Alep, gouvernée conjointement par l’administration autonome du nord et de l’est de la Syrie et le régime d’Assad. La Quatrième Division a l’habitude d’imposer des blocus et de prélever des frais sur les marchandises entrant dans la zone, y compris le carburant. Le blocus a entraîné la fermeture des transports publics et des écoles en raison de pénuries de carburant et des inquiétudes subsistent quant à d'éventuelles perturbations des sources d'eau et des boulangeries. Le blocus affecte particulièrement environ 100 000 personnes déplacées d’Afrin qui ont fui après l’invasion du nord-ouest de la Syrie par la Turquie en 2018.

Tout au long du mois, les combattants du régime pro-Assad et les milices soutenues par l'Iran ont continué de tenter d'attaquer et de saper l'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie (AANES) dans le gouvernorat de Deir ez-Zor. D'autres attaques de mortier et d'artillerie, partant de la rive ouest de l'Euphrate, ont visé la ville de Dhiban contrôlée par les Forces démocratiques syriennes (FDS), tuant une femme et sa fille de quatre ans et blessant un homme et son enfant. Le conflit a commencé lorsque les FDS ont démis et arrêté l’un de leurs commandants, Abu Khawla, accusé de contrebande, trafics divers et collaboration avec le régime d’Assad. L’arrestation de Khawla a conduit à un soulèvement tribal parmi ses partisans, que Damas et Téhéran ont exploité pour tenter de renverser l’AANES et de récupérer tout le nord-est de la Syrie.

Le 19 novembre, les Forces démocratiques syriennes (FDS) dans l'est de Deir ez-Zor ont connu une deuxième journée consécutive d'attaques perpétrées par des hommes armés non identifiés, à la suite d'assauts d'artillerie et de mortier lancés par les forces pro-Assad depuis l'autre côté de l'Euphrate vers le territoire contrôlé par les FDS. Divers groupes d’hommes armés, probablement affiliés à des milices pro-Damas et pro-Iran, ont attaqué le personnel des FDS à plusieurs endroits de Deir ez-Zor, utilisant des mitrailleuses, des roquettes et même des motos pour leurs attaques. Selon un rapport de l'agence de presse Nord, ces hommes armés feraient partie de l'insurrection anti-SDF initiée par des factions pro-gouvernementales et pro-iraniennes, visant à renverser l'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie (AANES).

Les FDS ont annoncé que leurs unités antiterroristes (YAT) avaient arrêté un haut commandant de Daech nommé Muhammad Sakhr al-Bakr, alias Khaled al Shami, à Raqqa. Al Shami a été commandant militaire adjoint de Daesh pour la wilayat al Sham, qui fait référence à l’ensemble du territoire revendiqué par l’organisation en Syrie. Les FDS ont affirmé qu'al Shami avait participé à la planification et à l'organisation du raid dans la prison d'Al Sina'a à Hassaké en janvier 2022. Al Shami a également joué un rôle majeur dans la planification et la facilitation d'attaques terroristes et d'opérations militaires visant à renverser l'administration autonome du Nord et l’est de la Syrie (AANES) et restaurer le contrôle territorial de Daech sur la région.

Par ailleurs, le ministère américain de la Défense a signalé 60 attaques perpétrées par des milices pro-iraniennes au cours du mois dernier contre du personnel militaire américain stationné en Syrie et en Irak. Ces attaques ont fait 59 blessés. Le groupe « Résistance islamique », parmi d’autres milices pro-iraniennes, a revendiqué ces attaques répétées de drones et de roquettes contre des bases américaines. En réponse, l’armée américaine a mené plusieurs frappes aériennes ciblant les installations des milices pro-iraniennes et du Conseil des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) en Syrie.

Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a confirmé que des frappes aériennes américaines visaient le CGRI à Deir ez-Zor et les groupes soutenus par l'Iran en Irak et en Syrie, en réponse aux récentes attaques de l'Iran contre le personnel américain. Austin a également averti que les États-Unis n’hésiteraient pas à frapper d’autres cibles iraniennes si l’Iran et ses mercenaires ne cessaient pas leurs attaques contre le personnel américain dans la région. L’ OSDH affirme que les frappes ont tué au moins huit combattants pro-iraniens et a estimé que le nombre de morts devrait augmenter. Les frappes ont détruit un important entrepôt de munitions et un lanceur de missiles.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), les attaques de l’EI (Daech) dans le désert syrien au cours du mois dernier ont entraîné la mort de 67 membres des forces gouvernementales pro-Assad. Treize militants de l'Etat islamique auraient également été tués, apparemment à cause d'attaques aériennes russes. Les principaux foyers de violence sont Homs, Deir ez-Zor, le sud de Raqqa et Alep. Ces attaques suivent un modèle d'incursions réussies de l'Etat islamique contre les forces pro-Damas, représentant une menace persistante malgré la défaite territoriale de l'Etat islamique face aux Forces démocratiques syriennes (FDS). Le groupe djihadiste continue de mener une insurrection pour restaurer son « califat » et prendre le contrôle de la région.