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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 111

25/9/1998

  1. LEYLA ZANA CONDAMNÉE A DEUX ANNÉES DE PRISON SUPPLÉMENTAIRES
  2. AVERTISSEMENT DU GÉNÉRAL ATILLA ATES A LA SYRIE : «NOTRE PATIENCE EST À BOUT»
  3. REMISE EN LIBERTÉ DE CINQ DIRIGEANTS DU HADEP
  4. LE MAIRE D'ISTANBUL CONDAMNÉ À PRISON ET INTERDIT À VIE DE POLITIQUE POUR QUELQUES VERS
  5. LA TURQUIE PROTESTE CONTRE L'ACCORD DE PAIX SIGNÉ À WASHINGTON PAR LES CHEFS KURDES IRAKIENS


LEYLA ZANA CONDAMNÉE A DEUX ANNÉES DE PRISON SUPPLÉMENTAIRES


Le jour même où le Parlement européen lançait un nouvel appel aux autorités turques demandant la libération immédiate de Leyla Zana, la Cour de sûreté de l'État n° 1 d'Ankara l'a condamnée à une nouvelle peine de deux ans de prison pour un article paru dans le bulletin du HADEP sur le Newroz, le nouvel an traditionnel kurde. Selon la Cour dans son texte en parlant de l'identité distincte des Kurdes, de leurs traditions ancestrales de lutte contre l'oppression et pour la liberté Mme. Zana aurait commis «le crime d'incitation à la haine raciale». 16 autres prévenus kurdes, dont le vice-président du Hadep, Güven Özata, ont été condamnés à des peines allant de 1 à 2 ans de prison dans le même procès. Leurs avocats ont aussitôt décidé de faire appel de ce verdict auprès de la Cour de cassation. Le même jour, la Cour de sûreté de l'État n° 5 d'Ankara a condamné un autre ex-député kurde, Hatip Dicle à 1 an 11 mois 10 jours de prison et à une amende de 6.777.777.000 LT (environ 147.400 FF) pour un article intitulé " Nous saluons Eva " paru dans le numéro du 14 avril 1998 du quotidien pro-kurde Ülkede Gündem. La Cour considère ce texte comme de " la propagande par voie de presse contre l'unité indivisible du pays ".

L'Eva saluée par H. Dicle, est la militante allemande Eva Juhmke capturée en octobre 1997 au Kurdistan irakien par l'armée turque et emprisonnée depuis à Van. Son procès qui durait depuis 6 mois devant la Cour de sûreté de l'État de Van s'est conclu, le 17 septembre, par une condamnation à 15 ans de prison pour " appartenance au PKK dans la période de 1993-1997 ". La Cour n'a apporté aucune preuve de la participation de cette jeune Allemande à des actions violentes sur le territoire turc.

· Le Parlement Européen réaffirme la nécessité d'une solution politique au problème Kurde en Turquie et demande à celle-ci de "cesser d'être une plaque tournante du commerce international des stupéfiants". Le Parlement européen,après avoir débattu du rapport du conservateur britannique Edward H.C. Mc Millan-Scot sur " les rapports de la commission concernant l'évolution des relations avec la Turquie depuis l'entrée en vigueur de l'Union douanière" a, le 17 septembre, adopté une nouvelle résolution sur la Turquie dont voici les principaux extraits :

"Le Parlement européen , (.)

- considérant qu'il a donné son avis conforme sur l'union douanière à la condition que la Turquie engage une réforme politique qui lui permettrait de mieux satisfaire aux critères d'adhésion de l'Union européenne, (.)

- considérant que, selon la Commission, "aucun progrès significatif n'a été accompli en Turquie dans le domaine des droits de l'homme et de la réforme démocratique", (.)

- considérant que la mise en place d'un Etat de droit démocratique en Turquie se heurte à des problèmes structurels ardus, (.)

- rappelle qu'il approuve les propositions émanant de la société civile turque et visant à améliorer la démocratie et la situation des droits de l'homme en Turquie, de façon que ce pays réponde aux critères communautaires en la matière et tienne les engagements qu'il avait pris lors de la signature de l'accord sur l'union douanière, y compris la garantie constitutionnelle des droits de l'homme et des minorités, le respect des libertés fondamentales et de la liberté d'expression pour tous et le contrôle des forces armées par les autorités politiques du pays, conformément aux traités internationaux qu'il a signés et à la Convention européenne des droits de l'homme, à laquelle il est partie; (.)

- souligne bien qu'il examinera la candidature de la Turquie, comme celle de tous les autres pays candidats, à la lumière des critères de Copenhague; (.)

- fait entièrement sienne l'importance attachée par la Commission aux points suivants :

-la poursuite de la démocratisation, la protection des droits de l'homme et le renforcement du contrôle politique sur les forces armées,

-l'établissement de relations de bon voisinage entre la Turquie, d'une part, et la Grèce et tous ses autres voisins, d'autre part,

-le respect des principes de droit international en ce qui concerne le règlement des différends en mer Egée, s'agissant plus spécialement de l'îlot rocheux d'Imia et de la délimitation du plateau continental,

-le règlement de la question chypriote selon des modalités qui respectent l'identité culturelle et politique des deux communautés, par l'adhésion de la Turquie aux résolutions des Nations unies et l'acceptation des offres de médiation. (.)

réaffirme le point de vue selon lequel le conflit dans le sud-est ne peut être réglé que par des moyens politiques et souscrit aux propositions visant à reconnaître juridiquement l'identité kurde, ainsi que les initiatives nationales et internationales susceptibles de faciliter le dialogue et la négociation entre les parties; souligne la nécessité d'un cessez-le-feu et demande aux autorités turques de chercher une solution politique, pacifique et négociée à la question kurde (.)

condamne l'invasion du nord de l'Irak et estime que la solution au problème posé par les activités terroristes du PKK ne peut se fonder sur une violation des frontières internationales et doit respecter l'Etat de droit et les accords internationaux auxquels la Turquie est partie.

Cette résolution réitère la demande de "la libération immédiate de Leyla Zana, lauréate du prix Sakharov du Parlement européen et des autres prisonniers politiques".

Enfin, pour la première, le Parlement européen se penche sur le rôle de la Turquie dans le trafic de drogue et "appelle le gouvernement turc à exercer toutes les pressions voulues pour que la Turquie cesse d'être une plaque tournante du commerce international des stupéfiants et invite la Turquie à coopérer intensivement avec l'Union européenne pour lutter contre ce phénomène".

La prise de conscience de la gravité et de l'ampleur de ce phénomène jusque là tu par les alliés occidentaux de la Turquie intervient après la parution dans le Monde Diplomatique de juillet 1998 d'un article très documenté de Kendal Nezan. Ce texte paru en huit langues, a eu un large retentissement y compris en Turquie. Les autorités turques n'ont pas pu démentir ses informations.

AVERTISSEMENT DU GÉNÉRAL ATILLA ATES A LA SYRIE : «NOTRE PATIENCE EST À BOUT»


En visite d'inspection dans la province de Hatay (ex-sandjak syrien d'Alexandrette cédé à la Turquie par la France en 1939), le chef des forces terrestres turques, le général Attila Ates a lancé un avertissement ferme à la Syrie :»En tant que l'État turc nous essayons d'établir de bonnes relations avec nos voisins. Malgré notre bonne volonté et nos efforts, certains de nos voisins, et je précise spécialement son nom, des voisins comme la Syrie, mésinterprètent notre bonne volonté. En soutenant le bandit appelé Apo ils nous ont confrontés au fléau de la terreur. La Turquie a fait l'effort nécessaire pour avoir de bonnes relations. Si la Turquie ne reçoit pas de réponse à ses efforts, elle aura le droit de prendre toutes mesures appropriées. Nous n'avons plus de patience». Cette déclaration faite le 16 septembre par l'un des principaux chefs militaires turcs accompagné de plusieurs autres généraux est considérée comme «un avertissement solennel et très sérieux» par les commentateurs turcs. Selon ces derniers, le général Ates s'est exprimé à cette occasion au nom du tout puissant Conseil national de sécurité qui, soulignent-ils, est «l'autorité suprême du pays pour les questions de sécurité intérieure et extérieure du pays».

REMISE EN LIBERTÉ DE CINQ DIRIGEANTS DU HADEP


La cour de Sûreté de l'Etat N° 2 d'Ankara a, au terme de son audience du 21 septembre, décidé de remettre en liberté de cinq dirigeant du Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP), pro-kurde, dont son président Murat Bozlak, en détention provisoire depuis sept mois. Poursuivis pour l'usage de couleurs kurdes et d'une carte du Kurdistan dans un calendrier imprimé au nom du Hadep ces hommes politiques kurdes sont accusés d'appartenance à la direction d'une bande armée constituée contre la sécurité de l'Etat. Ils sont passibles de 22 ans 6 mois de prison et comparaîtront désormais en prévenus libres. La prochaine audience de leur procès a été fixée au 4 novembre 1998.

La remise en liberté de ces dirigeants du Hadep constitue une surprise et est un acte politique tout comme leur arrestation avait été dictée par la conjoncture politique. Pour nombre d'observateurs de la scène politique il s'agit d'un geste politique destiné à remettre en course le Hadep pour les prochaines élections législatives afin qu'il divise l'électorat kurde du Parti de la Vertu (Fazilet) islamiste. Le Hadep n'a guère de chances de franchir la barre fatidique de 10% des suffrages à l'échelle nationale pour avoir des élus au Parlement mais avec un score de 5% à 6% il pourront empêcher le Fazilet de sortir des urnes comme premier parti politique du pays. Toutes les enquêtes réalisées dans les provinces kurdes concordent sur un constat, dans écrasante majorité les Kurdes ne voteront pas en faveur des partis traditionnels de l'Etat, ni de droite ni de gauche (Ecevit, Baykal) tenus pour coresponsables de leurs malheurs. Le vote étant obligatoire ils voteront soit pour le Hadep, soit pour le Fazilet perçu comme un parti opposé à l'idéologie officielle les Kurdes sont niés dans leur identité et persécutés en Turquie. A moins de ne pas tenir d'élections le régime turc n'a donc le chois que de jouer ces deux forces politiques indésirables l'une contre l'autre.

LE MAIRE D'ISTANBUL CONDAMNÉ À PRISON ET INTERDIT À VIE DE POLITIQUE POUR QUELQUES VERS


La Cour de cassation turque a confirmé, le 23 septembre, la condamnation à dix mois de réclusion criminelle du maire islamiste d'Istanbul, Recep Tayyip Erdogan. Cette condamnation met un terme à la vie politique de M. Erdogan, 44 ans, car, en vertu de la loi turque, tous ceux qui sont condamnés pour délit politique sont inéligible à vie pour toutes fonctions publiques. Ils ne peuvent se présenter aux élections locales ou nationales et sont interdits d'emploi public. L'application de cette disposition permet au système turc d'éliminer " légalement " de la scène politique tous les opposants indésirables en les faisant condamner pour une déclaration ou un discours déviant des dogmes officiels.

Dans le système turc actuel, un meurtrier ou un chef mafieux condamné à 15 ou 20 ans de prison pourrait, au terme de sa peine, se faire élire maire ou député mais un député coupable d'une déclaration " séparatiste " ou " islamiste " et condamné à un an de prison est radié à vie de la vie politique.

Le maire d'Istanbul a été condamné pour avoir récité ces vers du poète turc Mehmet Akif Ersoy, auteur de l'hymne national turc: " Les mosquées sont nos casernes, les minarets nos baïonnettes, les coupoles nos casques et les croyants nos soldats ". Ces vers écrits pendant la guerre d'indépendance turque étaient destinés à montrer qu'un peuple uni pouvait, avec la force de la foi, vaincre ses oppresseurs malgré le dénuement matériel. Pour M. Erdogan, il s'agissait de dire à la population que nous sommes contre l'usage de la force pour arriver au pouvoir, la force de notre foi y suffit. Pour ses procureurs turcs ces vers récités dans la ville turque de Siirt constituent une incitation à la haine raciale.

Le 24 septembre, M. Erdogan a donné, dans les salons de sa mairie, une conférence de presse retransmise sur 3 écrans géants à l'intention de plusieurs dizaines de milliers de stambouliotes rassemblés sur la place de la mairie. " Je ne crois pas avoir commis de crime, je suis innocent et victime d'un jugement inéquitable. C'est une tragédie et une honte qui restera dans les annales de la justice turque " a déclaré le maire d'Istanbul qui doit être incarcéré d'ici quelques jours.

LA TURQUIE PROTESTE CONTRE L'ACCORD DE PAIX SIGNÉ À WASHINGTON PAR LES CHEFS KURDES IRAKIENS


La diplomatie américaine a finalement réussi à réunir à Washington les frères ennemis kurdes irakiens et à leur faire signer, le 17 septembre, un accord de paix ayant pour ambition de restaurer la paix et la démocratie dans le Kurdistan irakien. Ce texte contresigné par Massoud Barzani, Jalal Talabani et le vice-secrétaire d'Etat adjoint américain David Welch prévoit notamment la convocation d'ici trois mois du Parlement kurde en session plénière, la constitution d'un gouvernement de coalition de transition chargé de préparer des élections générales au cours de l'été 1999 pour départager démocratiquement les forces en présence et former en fonction des résultats du scrutin un gouvernement régional disposant d'une nouvelle légitimité. J. Talabani reconnaît que son Union patriotique du Kurdistan (UPK) a été devancée par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de M. Barzani et de ce fait lui laisse l'initiative de former le prochain gouvernement de transition. De son côté M. Barzani accepte le partage des revenus des douanes. Les deux leaders kurdes s'engagent également garantir la sécurité des frontières des Etats voisins, notamment la Turquie, en interdisant toute présence du PKK sur leur territoire afin d'enlever à Ankara des prétextes à ses interventions militaires récurrentes dans la région.

Cet accord annoncé au cours d'une conférence de presse des deux chefs kurdes en présence de la secrétaire d'Etat américaine, Mme. Albright a été accueilli avec soulagement et joie dans toutes les régions du Kurdistan. Les Kurdes veulent croire qu'une page sombre de leur histoire récente va être tournée. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui participent à la force alliée de protection des Kurdes d'Irak et qui cherchent à établir une certaine stabilité dans la région accordent un soutien appuyé à cet accord de paix. L'opposition la plus bruyante à l'accord inter-kurdes est venue d'Ankara qui a protesté auprès de Washington. " En Irak, le principe le plus important pour la Turquie est la protection de son intégrité territoriale. Nous ferons ce qui est nécessaire pour que ce principe soit respecté et pour que des actions contre lui ne soient pas entreprises " a déclaré le 23 septembre le porte-parole du Ministère turc des Affaire étrangères, S. Atacanli. Selon Ankara, l'accord kurde de Washington aboutira finalement à la création d'un système fédéral en Irak. Or aucun Etat kurde, même fédéré, n'est acceptable pour les Turcs, car cela donnerait des idées aux 15 à 20 millions de Kurdes de Turquie. Dans le même temps, Ankara qui n'est pas à une contradiction près, ne cesse de revendiquer " une confédération de deux Etats " pour les quelques 150.000 chypriotes turcs.

Washington, qui a d'autres intérêts et impératifs en Irak, semble décidé à passer outre aux protestations turques relatives à l'administration des Kurdes en Irak. Le président américain n'a pas accédé à la demande de rendez-vous du Premier ministre turc, Mesut Yilmaz, en visite à New York.