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Liste
NO: 159 |
3/2/2000 LES CHARNIERS DU HIZBULLAH : 58 CORPS RETROUVÉS À TRAVERS LA TURQUIE TANDIS QUE LA CONNEXION AVEC L’ETAT TURC EST DÉNONCÉELe bilan des victimes du Hizbullah ne cesse d’augmenter depuis que les autorités turques ont décidé de mener des opérations " jusqu’à ce que cette organisation meurtrière soit éradiquée dans tout le pays " affirme le Premier ministre turc Bülent Ecevit. Le quotidien turc Sabah donne au jour le jour en sa Une dans un macabre tableau intitulé " dernière situation ", le nombre de victimes imputées à cette organisation intégriste religieuse. Selon ces chiffres en date du 3 février 2000, 58 corps ont été trouvés sur 17 tombes découvertes. La majorité des victimes ont été exhumées à Istanbul avec 19 corps, suivi de Diyarbakir avec 13 corps, puis Konya 12 victimes, Tarsus 7, Ankara 3, Batman 2, Adana 1 et Antalya 1. La plupart des victimes étaient des Kurdes, dont beaucoup ont été torturés à mort avant d’être enterrés dans des cours de maison. Les policiers de Diyarbakir, capitale du Kurdistan turc, ont mis au jour 12 corps dont deux enveloppés dans des sacs de plastique et les ossements d’un jeune homme de 18 ans. " Hier, vers 9h00 alors que nous étions dans les bureaux de Sabah à Diyarbakir, on nous a informés de la découverte d’un nouveau corps. Deux heures après encore un. À midi, à l’heure du repas, un autre encore " relate l’envoyé spécial du journal Tayfun Devecioglu. À Ankara, le Premier ministre réaffirme sa détermination à anéantir le Hizbullah, en déclarant que cette série de meurtres mettait en évidence le bien-fondé du système laïque officiellement établi dans le pays. Mais cette organisation qui a surtout pris pour cibles les Kurdes est soupçonnée de complicités dans les milieux officiels, bien que les insinuations aient été vigoureusement démenties. M. Devecioglu note à ce titre " Diyarbakir est la plus importante et plus grande ville de la région. La direction de la région sous un régime d’exception (OHAL) s’y trouve d’ailleurs. Aussi, on peut y voir les informations les plus importantes sur les opérations relatives au Hizbullah ". Par ailleurs, le quotidien anglophone Turkish Daily News comme la plupart des journaux turcs s’interroge dans son édition du 31 janvier 2000, sur les " meurtres non élucidés " dans la région kurde et en Turquie. " Hizbullah est le premier exemple de la politique de ‘jouer avec les uns contre les autres’ pratiquée par de l’Etat " s’intitule l’article en question. " Depuis les années 80 jusqu’à la capture du leader du parti des travailleurs du Kurdistan, Abdullah Öcalan au milieu de l’année 1999, l’organisation de terreur islamiste radicale, s’appelant Hizbullah (…) a commis approximativement 2000 meurtres au sud-est de la Turquie. La plupart des funestes attaques contre les sympathisants du PKK aussi bien que contre des membres des partis politiques, comprenant le parti du travail du peuple (HEP), le parti de la Démocratie (DEP) et le parti de la Démocratie du Peuple (HADEP), n’ont pas été élucidées. Au début des années 90, le nombre de meurtres a rapidement augmenté, éveillant les allégations que l’organisation est soutenue par l’Etat. " écrit le journal. " Le journaliste Halit Güngen, la première personne qui a mis du poids dans cette thèse en prouvant le soutien de l’Etat à l’appui de photos a été tué au cours d’une attaque armée alors qu’il travaillait au bureau de Diyarbakir du journal 2000’e Dogru (Vers l’an 2000) (…) Les photos prises par Güngen montraient des militants armés du Hizbullah recevant des exercices de tirs sur le terrain des forces anti-terroristes de la police de Diyarbakir. Le sort de Güngen a également été réservé à Hafiz Özdemir, journaliste au quotidien pro-kurde de Diyarbakir, Özgür Gündem, qui avait suivi la même approche. Et puis, plusieurs autres journalistes ont été assassinés, tous travaillant pour Özgür Gündem ou bien 2000’e Dogru. Au début des années 90, un sommaire " massacre de journalistes " s’est déroulé au Sud-Est, et aucun de ces meurtres n’est élucidés " continue le journal. " Le fait est que la plupart des journalistes assassinés étaient ceux qui menaient des investigations sur le Hizbullah, écrivaient des articles concernant l’organisation terroriste ou publiaient des interviews sur le terrorisme. De plus, aucun des assassins n’a été appréhendé par la police. Cette situation a accru plus encore les soupçons sur le soutien de l’Etat au Hizbullah. " Le journal ajoute que " le soutien ne consistait pas simplement à donner des cours de tirs au Hizbullah au QG des corps expéditionnaires. Selon certaines allégations, les terroristes d’Hizbullah capturés par des habitants locaux au péril de leur vie, étaient libérés par la police en quelques jours. Au milieu de l’année 1992, un homme d’affaires qui possédait une boutique de souvenirs à Nusaybin, province de Mardin, a été assassiné dans son magasin par un terroriste. L’assassin a été capturé par les propriétaires du magasin voisin et délivré à la police. À la surprise générale, il a été libéré après quelques jours. " " Sur la base de l’augmentation des taux de meurtres non élucidés dans la région et de l’importance des allégations affirmant que l’organisation terroriste reçoit l’aide de l’Etat, une commission d’investigation parlementaire a été formée au début de 1993 (…) En réponse à des questions posées par le président de la commission Sadik Avundukluoglu, député du parti de la Juste Voie (DYP) et autres membres de la commission (…) Le chef de la police de Batman, Öztürk Yildiz a admis que les militants du Hizbullah effectuent des exercices de tirs dans leurs camps des villages Sekili, Çiçekli, et Gönüllü de Gercus et que la gendarmerie fournit une aide logistique à l’organisation. Cette conversation, qui a eu lieu dans le bureau du gouverneur adjoint de Batman, a été enregistrée dans une cassette audio par le juge Akman Akyürek, qui est mort d’un troublant accident de voiture en 1997. Suite à sa mort, cette cassette a disparu mystérieusement. Des détails de la conversation entre le chef de la police et les membres de la commission d’investigation ont été publiés dans la presse (…) Cependant, le bureau du chef d’état-major a censuré l’émission ‘Arena’, un célèbre programme de télévision (…) juste avant que l’information sur la cassette audio ne soit annoncée. " Les raisons de démantèlement du Hizbullah sont également dénoncées par le journal " Aujourd’hui, l’Etat n’a plus besoin d’Hizbullah. L’organisation terroriste PKK est d’une part réduite (…) et plus encore (…) les militants du PKK ont commencé à quitter la Turquie. Ce retournement de situation a laissé l’Etat face à la menace du Hizbullah. Sur la base d’informations obtenues par les informateurs du Hizbullah (…) les forces de sécurité turques ont lancé des attaques contre le Hizbullah dans le Sud-Est, causant de lourdes pertes à l’organisation terroriste. Réalisant qu’il ne restait plus de place pour eux pour se cacher et dans l’intention de couvrir leurs pistes, les terroristes ont commencé à migrer dans des villes comme Istanbul, Ankara, Izmir, et Konya et subséquemment ont pris pour cibles des membres qui avaient déserté l’organisation. (…) De nombreuses personnes, y compris des hommes d’affaires accomplis d’origine kurde, ont été kidnappées dans ce but et exécutées après de longues séances de tortures et d’interrogatoire. " ISMAIL BESIKÇI EST PESSIMISTE POUR L’AVENIRDéclaré prisonnier de conscience par Amnesty International depuis son long calvaire dans les geôles turques en raison de ses recherches sur les Kurdes, et libéré récemment à la suite d’une loi ajournant les peines infligées pour les délits commis par voie de presse et de publication, le sociologue turc Ismail Besikçi a répondu aux questions du rédacteur en chef de l’hebdomadaire kurde Roja Teze dans son édition datée 21 janvier 2000. [Faisant allusion à l’affaire Öcalan, N.D.T.] en précisant que les politiciens peuvent bien renoncer à défendre ce qu’ils défendaient dans le passé, il émet "qu’un académicien ne peut se permettre de renoncer à défendre les faits scientifiques. Dans les conditions actuelles, défendre ces faits est un exercice à risque. Il appartient alors à chacun de nous d’en assumer le risque". Il ajoute "que les conditions pour ceux qui s’intéressent aux Kurdes et pour les Kurdes eux-mêmes sont devenues plus difficiles. Alors que l’on devrait, grâce au sacrifice fait jusqu’à présent, s’attendre à ce que cette question [kurde] soit abordée plus facilement, on assiste, au contraire, à un durcissement dans les conditions du traitement de la question. On ne peut toujours pas en parler comme il faudrait. On risque encore d’être condamné à de lourdes peines de prison à cause de la question". Pour Besikçi, qui a passé plus de 16 ans de sa vie dans les prisons turques en raison de ses travaux et publications sur les Kurdes, le régime continue toujours d’avoir des préjugés envers les Kurdes et de les traiter de manière humiliante : "Lorsqu’on évoque les Tchétchènes ou les Bosniaques, on évite soigneusement d’utiliser un adjectif pour les présenter. Quand il s’agit de nommer Fehriye Erdal, qui a tenté d’assassiner l’homme d’affaires turc Sabanci, on se contente de la citer nommément alors que quand il s’agit d’un Kurde de Turquie, on utilisera les adjectifs "terroriste" ou séparatiste". Si c’est un Kurde d’Irak, on dira "chef de tribu" en utilisant toujours des adjectifs humiliants". Se prononçant sur le règlement, à court ou moyen terme, de la question kurde, Besikçi se montre assez pessimiste et indique que le statut de candidat dont la Turquie dispose pour entrer dans l’UE ne changera pas pour autant le règlement de la question kurde. Mettant en avant l’importance de la langue kurde qu’il considère comme étant le seul élément différenciant les Kurdes des Turcs, Besikci ajoute qu’il est, de ce fait, important de maintenir vif l’usage de celle-ci. Quant aux conditions du monde extérieur par rapport à sa vie de prisonnier qu’il a subie, il pense "qu’il existe toujours un état de répression et de siège. Il n’est donc pas possible que des gens comme moi puissent faire des projets à long terme. Il est tout à fait possible qu’un travail qu’on entamerait reste à mi-chemin en cas d’arrestation ou pour des raisons similaires. Ce n’est pas vous-mêmes qui déterminez ce que vous faites, mais ce sont toujours les autres". Les livres qu’il a écrits sur la question kurde sont toujours vus d’un mauvais œil de la part des autorités et n’ont pas droit de cité dans la vente et dans la diffusion alors qu’une large littérature communiste, sujet auparavant tabou en Turquie, circule sans aucune entrave. Malgré cela, il a le projet de publication d’un livre sur la situation des Kurdes jusqu’en 1974, qui a recours à un large usage de notions scientifiques en remettant notamment en cause la négation dont les Kurdes font toujours l’objet. LA POLICE LONDONIENNE CONDAMNÉE À PAYER 55 000£ POUR AVOIR ARRÊTÉ SANS RAISON 11 ACTEURS KURDES EN REPETITIONLa police de Londres a accepté le 2 février 2000 de payer 55 000£ de dommages à 11 réfugiés kurdes, arrêtés alors qu’ils répétaient une pièce d’Harold Pinter avec des armes factices. Alertée par des voisins affirmant que des hommes en armes menaçaient le public dans une salle municipale, la police avait débarqué en force en hélicoptère à Harringay en juin 1996. Les 11 acteurs avaient été arrêtés et embarqués dans une camionnette de la police, où on leur avait interdit de communiquer en kurde. La défense de parler leur langue, faite aux Kurdes par les autorités turques, est justement le thème de la pièce de Pinter, " La langue des Montagnes ". " C’est un cauchemar devenu réalité, où la vie imite l’art " a déclaré l’avocat des Kurdes, Sadiq Khan, " le traitement qu’ils ont subi est exactement ce qu’ils enduraient en Turquie et d’où ils ont fui ". " J’ai été horrifié d’apprendre que ces Kurdes qui avaient été agressés, menottés et emprisonnés, se sont également vus défendre de parler leur langue entre eux " a déclaré l’auteur de la pièce, Harold Pinter. DEUX MOIS DE PRISON POUR SANAR YURDATAPANLe compositeur Sanar Yurdatapan à l’initiative du projet " Liberté pour la pensée " et le journaliste Nevzat Onaran, responsable de la section d’Istanbul de l’association des Journalistes contemporains, ont été condamnés le 1er février 2000 à deux mois de prison et 4,70$ d’amende en vertu de l’article 155 du code pénal turc par la Cour militaire de l’état-major à Ankara. À l’occasion du numéro 38 du bulletin " Liberté de l’expression ", ils avaient apporté leur soutien à la chanteuse Nilufer Akbal et au journaliste Koray Duzgoren, qui avaient été condamnés précédemment à 6 mois de prison pour avoir soutenu Osman Murat Ulke, un objecteur de conscience turc. La peine de ses derniers avait été suspendue en vertu de la loi relative à la presse, radio et télévision. M. Yurdatapan et Onaran ont été jugés et condamnés par une cour composée de trois juges et un procureur, tous militaires. La Cour européenne des droits de l’homme avait condamné dans l’affaire Incal la Turquie pour procès partial du fait de la présence d’un juge militaire dans les cours de sûreté de l’Etat. Or, ces défenseurs de droits de l’homme, bien que civils, ont dû affronter uniquement des juges militaires. 16 ANS APRÈS SA MORT GÜNEY AGITE TOUJOURS L’OPINION TURQUEUne vive polémique agite ces derniers jours les médias turcs autour de la personnalité et de l’art du cinéaste kurde Yilmaz Güney. Tout est parti d’une interview de la scénariste Inci Aral, publiée dans le quotidien Hürriyet du 26 janvier où elle parle du projet d’un film sur la vie de Güney. Le scénario qu’elle a écrit a été présenté au cinéaste Costa Gavras qui l’a lu et aimé. Elle est en train d’y apporter les ultimes retouches. De son côté Mme Güney a pris une série de contacts autorisant à penser que ce projet de film pourrait se réaliser dans un avenir assez proche. L’interview a déclenché une série de réactions véhémente dans les médias nationalistes et conservateurs turcs qui crient à " un nouveau complot contre la Turquie ". Si le Grec Costa Gavras réalise un film magnifiant la vie du cinéaste Güney connu pour être un communiste et un séparatiste kurde, affirment les nationalistes turcs c’est pour internationaliser la question kurde et dénigrer la Turquie. Du coup ils versent sur le cinéaste disparu de tombereaux d’insultes. De leurs côtés, les intellectuels libéraux prennent la défense d’un " artiste exceptionnel " sans partager ses opinions. " Qui a entaché l’image de la Turquie ? Le cinéaste Güney qui a tendu le miroir de son art pour montrer les travers de notre société ou bien ceux qui au nom de la patrie ont détruit des milliers de villages, tué des milliers d’innocents, torturé des enfants ? " demande l’éditorialiste du quotidien Cumhuriyet du 28 janvier. Excédée par cette polémique, Mme Güney a porté plainte pour injure et diffamation contre plusieurs journalistes de droite. Dans le même temps, elle prépare la sortie prochaine dans les salles de deux chefs d’œuvre du cinéaste disparu, Umut (Espoir) et Sürü (le Troupeau), interdits d’écrans turcs depuis le coup d’Etat militaire de 1980. L’auteur de l’inoubliable Yol, qui obtint la Palme d’or au festival de Cannes de 1982, est décédé en 1984 en exil à Paris à l’âge de 47 ans après avoir passé douze années de sa brève vie dans les geôles turques. |