3/3/2000
NEUF MORTS LORS DES COMBATS À SIRNAK L’armée turque a abattu six combattants kurdes et perdu trois soldats lors d’un affrontement dans la nuit du mercredi 1er à jeudi 2 mars sur la montagne Gabbar dans la province de Sirnak. Ce sont les premières pertes en vies humaines dans le conflit depuis six semaines.
RAPPORT DU DÉPARTEMENT D’ETAT AMÉRICAIN SUR LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE Le département d’Etat américain a publié le 25 février 2000 son rapport 1999 réalisé par le bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail, sur la situation des droits de l’homme en Turquie. Extraits :
Dans un premier temps, le rapport souligne que " les militaires exercent une influence substantielle, mais indirecte sur les actions – la politique– du gouvernement, estimant qu’ils sont les protecteurs constitutionnels de l’Etat (…) Les forces armées, appuyées par la police et particulièrement la gendarmerie, effectuent des opérations contre le PKK dans la région sous état d’urgence (…) Bien que les autorités civiles et militaires se soient publiquement engagées au respect de la loi et des droits de l’homme, des membres des forces de sécurité, comprenant les " équipes spéciales " de la police, des personnels de la police nationale, des gardiens de villages, et des gendarmes se livrent à de sérieux abus des droits de l’homme "
" (…) Le gouvernement Ecevit a adopté des mesures destinées à améliorer les droits de l’homme et certains responsables ont participé à de larges débats publics sur la démocratie et les droits de l’homme. Des exécutions extrajudiciaires, comprenant les décès dus à l’utilisation excessive de la force et ceux en détention dues à la torture, continuent. Il y a quelques rapports sur les meurtres mystérieux et disparitions des activistes politiques ; cependant, les autorités ont échoué à mener des investigations adéquates pour les disparitions dans le passé. Torture, passage à tabac, et autres abus, de temps en temps conduisant à la mort, pratiqués par les forces de sécurité demeurent répandus. La police et la gendarmerie emploient souvent la torture et abusent des détenus lors des détentions et interrogations tenues au secret. L’absence d’accès universel et immédiat à un avocat et de longues périodes de détention pour ceux qui sont détenus pour des crimes politiques sont des facteurs majeurs dans la réalisation de la torture par la police et autres forces de sécurité. Avec la diminution des opérations et détentions dans le sud-est, il y a eu peu de cas d’abus enregistrés ; cependant, la proportion des cas dans lesquels des abus se sont produits restent à un niveau important. "
" La rareté des condamnations et la légèreté des sentences infligées à la police et autres forces de sécurité pour meurtres ou bien torture continuent d’encourager le climat d’impunité qui reste l’obstacle majeur (…) Des investigations et procès d’officiers suspectés d’abus continuent d’être prolongés et sans équivoque (…) "
Le rapport continue en dénonçant les atteintes portées à la liberté d’expression : " Les autorités ont interdit et confisqué de nombreuses publications et effectué des descentes de police dans des locaux de journaux, encourageant l’autocensure sur les reportages sur le Sud-est. La police et les tribunaux ont continué à limiter la liberté d’expression en ayant recours aux restrictions contenues dans la Constitution de 1982 et plusieurs autres lois comprenant la loi anti-terreur de 1991 (diffusion de propagande séparatiste), l’article 159 du code pénal (injurier le Parlement, l’armée, la République, ou le système juridique), l’article 160 (injurier la république turque), l’article 169 (soutien à une organisation illégale), l’article 312 (incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse), la loi de protection d’Atatürk, et l’article 16 sur la presse (…) "
Concernant les partis politiques, le département d’Etat note que " le HADEP et le parti islamiste Fazilet, qui ont vu tous deux leurs prédécesseurs dissous, font l’objet de demandes d’interdiction pour activités anticonstitutionnelles ". Il souligne également que " le PKK a continué de commettre des abus durant ses 15 ans de violentes campagnes contre le gouvernement et des civils, à majorité des Kurdes. Dans la première moitié de l’année, les terroristes du PKK ont commis des meurtres et attaques au hasard en Turquie pour protester contre la capture d’Öcalan (…) Ces dernières années la pression militaire a réduit de façon significative l’efficacité du PKK, et ses membres–bien que pas dans la totalité – ont noté l’appel d’Öcalan pour mettre fin à lutte armée et le retrait du PKK de la Turquie (…) Selon la déclaration de fin d’année du Président Demirel, depuis 1984, 25 139 membres du PKK, 5 882 membres des forces de sécurité, et 5 424 civils, ont perdu la vie dans les combats (…) "
" Le nombre exact des personnes déplacées de force de leurs villages dans le Sud-est depuis 1984 est inconnu (…) Les statistiques du gouvernement tendent à minimiser le nombre des personnes qui ont quitté la région malgré elles. Les observateurs s’accordent à dire qu’entre 3 000 et 4 000 villages et hameaux ont été dépeuplés. Le gouvernement a chiffré 362 915 personnes évacuées en 1999 pour 3 236 villages et hameaux, 26 481 ont été réinstallés avec l’assistance du gouvernement dans 176 villages et hameaux (…) Cependant, les observateurs dans la région estiment que le nombre total des personnes déplacées est approximativement 800 000, et certaines ONG donnent des chiffres aussi importants que 2 millions le nombre de déplacés ".
Vous pouvez vous procurer entièrement le rapport sur le site : http://www.state.gov/www/global/human_rights/1999_hrp_report/turkey.html
ALATON : LA TURQUIE SUBIT LE DIKTAT DES MILIEUX OPPOSÉS À LA DÉMOCRATIE QUI REPRÉSENTENT 5 % DE LA POPULATION Ishak Alaton, un des plus influents hommes d’affaires en Turquie et PDG de la société ALARKO, interrogé par le quotidien turc anglophone Turkish Daily News, donne son sentiment sur la situation en Turquie. Voici de larges extraits de cette interview publiée le 2 mars :
Interrogé sur l’arrestation des maires HADEP, M. Alaton répond : " Depuis le matin du 21 février jusqu’à maintenant, mes téléphones n’ont pas arrêté de sonner, le fax a constamment marché…J’ai reçu des appels téléphoniques et des faxes de la Suède, et d’ailleurs en Europe et même de la Grèce (…) Tous pensent que le placement en garde-à-vue des maires HADEP constitue manifestement une provocation et que le but est de séparer la Turquie de l’Europe. L’opinion générale est que, certaines personnes veulent envoyer le message suivant, " nous soutenons une Turquie non unie à l’Europe et nous le soutiendrons toujours ", et ils ont réussi (…) Ces incidents montrent que 95 % de l’opinion publique en Turquie veut être membre de l’UE pour accéder à un pays développé et plus démocratique. Mais les 5 % opposés à cela sont plus puissants que les 95 % (…) À l’étranger, l’attitude des représentants du gouvernement reste largement indéterminée. Ce qui veut dire que le monde extérieur ne va pas plus loin que de proposer de garder les têtes froides des deux côtés. Cela montre que les 5 % sont réellement importants, autrement ils auraient pu être questionnés à propos de leur position hostile (…). Mais ceux qui soutiennent l’ancien système à cause de leurs revenus qui en dépendent, ceux qui profitent de la continuité des combats dans le Sud-est, ne représentent peut-être que 3 à 5 %, mais ils sont vus comme des puissants car ils disposent de certains pouvoirs et parfois ils le démontrent (…). Ce qui veut dire qu’ils ont trouvé le moyen de se rendre maître des 95 %, et malheureusement l’administration d’Ankara est insérée à l’intérieur de cette section limitée (…) "
" La persistance de cette opposition peut conduire à deux voies. D’une part, ce pouvoir pourrait s’imposer par la force, (…). La société ne réagirait pas courageusement, mais garderait le silence, et serait enterrée en silence. Ainsi, le système anti-démocratique de la Turquie d’aujourd’hui continuerait. La seconde voie serait pour une grande société civile et pour ceux qui soutiennent la paix (…) Celle-ci serait ouverte pour la Turquie si le président Süleyman Demirel se souvenait que lorsqu’il s’est rendu dans le Sud-est comme Premier ministre en 1991 avec Erdal Inönü qui était alors vice-premier ministre, il a déclaré " Nous reconnaissons la réalité kurde ". Mesut Yilmaz devrait se souvenir de ses propres mots prononcés il y a deux mois ; " le chemin de l’UE passe par Diyarbakir " et le ministre des affaires étrangères Ismail Cem devrait également se rappeler qu’il a déclaré que, " il est temps pour l’éducation en kurde ".
" Je ne crois pas que le Premier ministre et le président soient parmi ceux qui ont donné l’ordre de les [ maires du HADEP] placer en garde-à-vue, mais après l’incident — on doit prendre en considération que ni le Premier ministre et ni le président n’a dit, ou ne peut dire : " Que font mes hommes ? C’est une honte. " La voie qu’ils ont choisie n’est pas déterminée. Ils veulent que les choses soient dissipées, oubliées et ensuite continuer comme si rien ne s’était passé. Mais le monde extérieur demande des explications pour la perte de prestige et de respect. Mais personne ne prend la responsabilité pour cela, personne ne veut payer le prix. Malheureusement, la Turquie dans son ensemble paye pour cela "
Concernant les élections présidentielles qui devront avoir lieu dans quelques mois, M. Alaton souligne que " (…) Le système électoral en Turquie est loufoque. Cinq leaders de partis politiques forment une liste selon leurs propres considérations. Ils mettent qui ils veulent dans cette liste (…) Nous allons aux élections comme un troupeau de moutons et élisons un des leurs et appelons ceci la démocratie. Je me moque de cela et je n’ai pas voté depuis quelque temps (…) je ne veux pas participer à cet étrange système. Je sais que ceci n’est pas la démocratie et je peux résolument dire qu’à moins que le système change, je ne voterai pas. En fait nous devons changer la Constitution au complet. La Constitution de 1982 n’est rien d’autre qu’une chemise usée "
" En Turquie, il y a une société qui doit servir l’Etat, ou bien c’est ce qui est attendu (…) La Turquie croit qu’elle a toujours raison dans toutes les situations et que les autres ont toujours tort. C’est pour cette raison qu’elle ne voit pas la necessité de s’asseoir à la table pour négocier un accord. Mais les autres ne pensent pas comme cela (…) Nous avons observé cette attitude pendant 50 ans et 25 ans pour le problème chypriote. Cependant, les problèmes n’ont pas été résolus (…) Comme résultat d’une mauvaise gestion, aujourd’hui nous sommes le pays le plus pauvre d’Europe. La Turquie a toujours été mal gérée à travers son histoire à l’exception de la période d’Atatürk "
LU DANS LA PRESSE TURQUE Réagissant à l’arrestation des trois maires kurdes, Hasan Cemal, l’éditorialiste au quotidien turc Milliyet, dénonce dans ses colonnes du 23 février 2000, la politique de l’Etat vis-à-vis de ses citoyens kurdes et appelle Ankara à plus de cohérence pour accéder à la démocratie et à l’Union européenne. Voici de larges extraits de son article intitulé " l’aliénation encourage le séparatisme ".
" Une chaîne de télévision a été fermée en réaction à une question posée sur ses écrans, à savoir si oui ou non Öcalan [ le leader du PKK] pouvait devenir un second Mandela.
Ainsi, des millions de téléspectateurs ont été sanctionnés par le RTUK [ndlr : l’équivalent turc du Conseil supérieur de l’audiovisuel] à cause de la question précédente posée par Mehmet Ali Birand.
Aller expliquer une telle sanction à partir de la perspective de la démocratie ! Aller soutenir que la liberté de l’expression n’est pas censurée dans ce pays ! Laissez-nous observer qui va vous croire ou bien vous prendre au sérieux.
Ce n’est rien qu’une censure absolue. C’est une mentalité qui porte totalement atteinte à la liberté de l’expression. Le RTUK agit maintenant comme une institution de censure.
Est-ce que cette censure s’applique dans le cadre des lois du pays ? (…) Le Parlement devrait agir pour ramener le RTUK au niveau des institutions opérant dans de nombreux pays démocratiques. C’est le moyen d’atteindre la démocratie ou de s’assurer l’adhésion à l’UE. Pour cela, nous devons éliminer nos défaillances dans les domaines de la démocratie et des droits de l’homme…
Les dirigeants du pays sont conscients de nos déficiences à cet égard. J’ai trouvé l’opportunité de parler avec le Président Süleyman Demirel, le Premier ministre Bülent Ecevit, le ministre des affaires étrangères Ismail Cem, et des figures proéminentes du ministère des affaires étrangères, aucun d’entre eux n’a affirmé que notre démocratie marchait sans à coup.
Au contraire, ces responsables m’ont déclaré que l’adhésion à l’UE était l’objectif primordial et que tout ce qui est nécessaire sera accompli pour atteindre ce but. Tout le monde est conscient de ce qu’est nécessaire. Ce sont les critères de Copenhague que nous avons embrassés en décembre dernier lorsque la Turquie a été acceptée en tant que candidat à l’UE au cours du sommet de Helsinki…
L’abolition de la peine de mort, l’émission de programmes en kurde, de même qu’établir l’éducation kurde, constitue certains points de ce critère.
Accorder à nos citoyens d’origine kurde certains droits dans le même cadre que ce qu’ils en disposent en France et les traiter comme des citoyens égaux ne contusionnera pas notre Etat unitaire. L’unité du pays ne sera pas rompue si nos citoyens d’origine kurde étaient autorisés à établir des radios, à émettre des programmes de télévision dans leur propre langue ou d’implanter des écoles dispensant des cours en langue kurde. Dans un article publié hier dans le quotidien Hürriyet, l’ancien ministre des affaires étrangères et diplomate d’expérience, Ilter Türkmen a déclaré : " L’Union européenne attend de notre part que nous reconnaissions à nos citoyens d’origine kurde le droit de parler leur langue maternelle et de sauvegarder leurs traditions culturelles " (Hürriyet, 22 février 2000, page 26)
D’Ankara, j’ai eu l’impression que l’Etat était ennuyé de se pencher sur le sujet. Et pourtant, il n’y a aucune raison à ce désarroi, car le terrorisme a été mis sous contrôle, le PKK a été vaincu, et les combattants du PKK ont abandonné leurs armes.
Dans une déclaration concernant le sujet, le Président Süleyman Demirel a indiqué : " Le temps est venu de panser les blessures dans le Sud-est…Le temps est également venu de normaliser la situation, y compris le retour des déplacés à leurs foyers… "
Toutefois, cette normalisation ne peut être réalisée par la seule thérapie des plaies économiques et sociales. Comme Demirel l’a souligné, les problèmes impliquant des identités culturelles devront également être résolus. L’aliénation entre l’Etat et le peuple vivant dans le Sud-est, spécialement ces 15 dernières années, devrait être abolie. Ceci peut être réalisé en solutionnant les problèmes liés aux identités culturelles. Sommes-nous sur la bonne voie pour évaluer le sujet ? (…) La tentative de mettre les maires HADEP [parti de la démocratie du peuple] de Diyarbakir, Siirt, Bingöl sous surveillance a mis la question dans l’agenda. Cette surveillance a créé une tension dans la région. Le peuple du sud-est a réagi à l’incident (…)
L’incident fait référence au système judiciaire. HEP (…) a été le premier (parti pro-kurde légal), et puis il a été interdit. Ensuite le DEP (parti de la démocratie) a été créé. Et maintenant, nous avons le HADEP (…) Le HADEP a recueilli le plus de voix dans le Sud-est au cours des dernières élections. Recueillant 1,3 million des voix et, il aurait obtenu encore plus de voix, si les élections s’étaient déroulées dans des circonstances normales. Que va-t-on faire maintenant ? Allons-nous nous réconcilier avec le système ou bien nous aliéner nous mêmes à celui-ci ?
Est-ce que le séparatisme va se renforcer ou bien s’affaiblir si nous continuons à maintenir une politique d’aliénation malgré le fait que le terrorisme a été mis sous contrôle et que le PKK a été vaincu ? cette politique ne va-t-elle pas aider à atteindre leurs buts ceux qui veulent créer un noyau séparatiste dans le Sud-est et le nord de l’Irak ? Nous devons évaluer toutes les questions.
Je voudrais vous présenter un extrait de l’article d’Ilter Türkmen : " Le problème découle de notre manque à maintenir une politique conséquente et réaliste dans une atmosphère critique créée par les développements suite à l’aliénation d’Öcalan. Nous ne pouvons rien récolter en évitant les problèmes ou ajournant les décisions difficiles. Si nous continuons ainsi, nous allons perdre une grande opportunité à obtenir la paix interne et, en même temps, nous allons mettre en échec le début des pourparlers pour l’accession à l’UE. "
Oui, il est temps pour nous de réfléchir profondément. Nous allons rencontrer une impasse si nous interdisons une chaîne de télévision en riposte à une simple question posée ou si nous manquons à comprendre l’enjeu du peuple dans le Sud-est ".
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