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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 172

29/6/2000

  1. NOUVELLE TENSION ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LA TURQUIE
  2. OPÉRATION ANTI-HADEP
  3. LA GUERRE DES RAPPORTS : DÉBAT SUR LA DOSE DE DÉMOCRATISATION EN TURQUIE
  4. DÉCISON DE LEVÉE D’ÉTAT D’URGENCE DANS LA PROVINCE DE VAN
  5. NOUVEAU RAPPORT SUR LA TUERIE DE LA PRISON D’ANKARA
  6. LA FONDATION DES DROITS DE L’HOMME A RECENCÉ 5000 CAS DE TORTURES EN 10 ANS
  7. INÉGALITÉS SCOLAIRES CRIANTES ENTRE LES PROVINCES KURDES ET LE RESTE DE LA TURQUIE


NOUVELLE TENSION ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LA TURQUIE


Le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne réuni à Santa Maria De Feira au Portugal le 21 juin, a décidé d’exclure la Turquie du mécanisme décisionnaire de l’Identité de sécurité et de défense européenne (ESDI), organe qui sera chargé de gérer les futures crises en Europe. Ankara a vivement réagi à l’issue du sommet. Le Premier ministre Bülent Ecevit a déclaré que la décision européenne sera une nouvelle source de tension entre l’Union européenne et la Turquie, ajoutant que celle-ci n’est pas rationnelle. Considérant que la décision était " sévère " et " irrespectueuse " à l’égard de la Turquie, M. Ecevit a menacé d’utiliser son veto au sein de l’OTAN [ndlr : au cours du sommet de Washington de l’OTAN, l’année dernière, les membres avaient convenu de prendre des décisions à l’unanimité lorsqu’une quelconque organisation solliciterait son aide]

Le ministère turc des affaires étrangères a rapidement publié une déclaration pour indiquer qu’Ankara n’était pas satisfait des conclusions de Feira concernant l’ESDI, et que la Turquie allait demander à l’Union européenne de revoir sa décision au prochain sommet prévu en décembre prochain à Nice. Les autorités turques avaient déclaré au préalable qu’elles n’accepteraient pas une position moins avantageuse que celle dont elles jouissent dans le cadre de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO). Reste que la Turquie est le seul pays non-membre de l’Union européenne de l’OTAN à afficher son mécontentement. Son grand allié, les Etats-Unis, apporte son soutien à l’implication plus active de l’Europe dans les questions de sécurité européenne. " Cela ne rendra-il pas la position turque plus difficile ? La Turquie ne s’isolera-t-elle pas au sein de l’OTAN ? " s’interroge l’éditorialiste Ferai Tinc, dans le quotidien turc anglophone Turkish Daily News le 22 Juin.

OPÉRATION ANTI-HADEP


La police d’Istanbul a effectué le 26 juin des perquisitions et des interpellations dans plusieurs locaux du Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP). La police a également confisqué " un grand nombre de documents ", trouvés dans les différents locaux du HADEP " pour enquête ". Kemal Pekoz, président de la direction provinciale du parti, et Mahmut Can, son adjoint, figurent parmi la trentaine de personnes mises en garde-à-vue. Les observateurs notent que ces arrestations tombent paradoxalement à un moment où l’on parle d’une accalmie dans la région kurde, depuis que le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a appelé au cessez-le-feu et au retrait de ses troupes de la région, mais aussi à une semaine de la déclaration de Premier ministre Bülent Ecevit qui pointait du doigt la voie politique choisie par le HADEP.

LA GUERRE DES RAPPORTS : DÉBAT SUR LA DOSE DE DÉMOCRATISATION EN TURQUIE


Voilà déjà six mois que la Turquie est candidate officielle à l’Union européenne et les institutions turques s’affrontent sur les critères de démocratisation à adopter. Sur fond d’avis relatif au rapport préparé par le Haut secrétariat à la coordination pour les droits de l’homme du Premier ministre, le Conseil national de sécurité (MGK), l’état-major des armées turc, et le ministère des affaires étrangères, s’opposent ouvertement. En coopération avec plusieurs ministères, le Haut secrétariat a mis en lumière la nécessité d’entreprendre des changements légaux pour se conformer aux critères de Copenhague. La première version du document, préparée par Gürsel Demirok, demandait la levée des obstacles devant la liberté de l’expression, l’autorisation d’émettre des programmes en langue kurde, l’enseignement de la langue kurde, l’augmentation des membres civils au sein du Conseil national de sécurité (MGK) et la nomination d’un civil au poste de secrétaire général du MGK. Face aux critiques, G. Demirok a dû démissionner et un rapport édulcoré, mijoté par le ministre d’état Rüstü Kazim Yücelen a été préparé. Le document final ne faisant aucune référence à la composition du MGK.

Le quotidien turc Radikal dans son édition du 14 juin 2000 a révélé le rapport du MGK relatif aux critères de Copenhague. Ce texte de cinq pages du Secrétariat général du MGK, daté du 11 mars, affirme, en conclusion qu’" au vu des réalités turques, les demandes et conditions excessives de l’Union européenne ne pourront être réalisées ". Organe exécutif par excellence, composé principalement des chefs de l’armée, le MGK a un rôle prépondérant dans la vie politique turque. " Nous savons que les rapports de l’Union européenne qui soulèvent les lacunes en Turquie en matière de démocratie, de la suprématie du droit, des droits de l’homme, sont, pour une grande part, réalisés par des organes partiaux, ayant des préjugés à l’égard de notre pays, émettant des opinions subjectives. C’est pourquoi, il a été évalué de ne pas se conformer à des exigences excessives et injustes de l’Union européenne portant atteintes à l’intégrité nationale de la Turquie, à sa forme d’Etat unitaire, et à ses réalités propres. Il est préférable d’œuvrer pour que les demandes inconvenantes ne soient plus mentionnées dans les rapports de l’UE ". Le rapport annonce également que " la question des droits des minorités en Turquie a été réglée avec le traité de Lausanne (de 1923). Ainsi, en Turquie, il n’y a que des Rûms (Grecs de Turquie), des Juifs, des Arméniens, et une minorité bulgare. Autrement dit, il a été décidé par un traité international de la paix de Lausanne, que nos citoyens d’origine kurde ne forment pas de minorité (...) Des recommandations conduisant au séparatisme et portant atteinte à notre intégrité territoriale, telles que la reconnaissance de l’identité kurde ou alors l’autorisation d’émettre en kurde, sont considérées comme étant impertinentes. La meilleure chose pour cela est de faire prévaloir le ‘nationalisme d’Atatürk’ (ndlr : qui nie farouchement l’existence même des Kurdes) établi dans la Constitution. ".

Par ailleurs, le Conseil national de sécurité (MGK), suggère que " l’article 143 de la Constitution relatif aux cours de sûreté d’Etat (DGM) soit révisé et que ces cours soient remplacées par des tribunaux spéciaux compétents sur les atteintes portées contre la sécurité de l’Etat. " Le MGK trouve acceptable qu’" en dehors des périodes de loi martiale ou de guerre, les civils ne soient pas jugés par des tribunaux militaires ", et se prononce pour l’abolition de la peine de mort en suggérant la signature du protocole n°6 des Nations Unies.

Le rapport précise également son opposition à toute possibilité d’" appel des décisions du Haut conseil militaire ", qui décide de l’évolution des carrières des officiers supérieurs et qui périodiquement exclut de l’armée les officiers jugés " suspects " pour l’idéologie nationaliste d’Atatürk. Le MGK, tout en se prononçant favorablement pour l’augmentation des membres civils en son sein, déclare qu’" il n’y a aucune violation des droits de l’homme, ni des principes démocratiques dans le fait que le secrétaire général, responsable d’une institution compétente sur la sécurité nationale, soit un militaire ".

Parallèlement à ce rapport, le ministère turc des affaires étrangères a rendu public un autre rapport, toujours sur la même question, mais qualifié de " courageux " par le quotidien Radikal du 19 juin 2000. Le ministère se prononce à l’instar de la France pour l’intégration du " principe de citoyenneté constitutionnelle inclusive ". Il a également déclaré qu’il était favorable à l’enseignement et à la formation des langues maternelles, de même qu’au droit de publication dans la langue désirée et à la levée de tout obstacle devant la liberté de l’opinion. Le rapport aboutit à la conclusion qu’il faut prendre en considération non pas " l’homogénéité des individus composant l’Etat-nation mais leur différence " et ainsi mettre l’accent sur " le droit à la différence ". " Les individus qui jouissent du droit à la différence bénéficient naturellement de la liberté de promouvoir et de sauvegarder leurs différences ethnique, languistique, religieuse, ou alors culturelle, dans la société où ils vivent ". Contrairement au MGK, le ministère des affaires étrangères prend en considération l’article 39 alinéa 4 du traité de Lausanne [ndlr : aucune restriction devrait être imposée à un national turc sur sa liberté d’utiliser une langue dans le cadre de l’enseignement privé, dans le commerce, dans la religion, dans la presse, ou encore dans des publications ou des réunions publiques ].

La presse turque a largement soulevé l’opposition des institutions dans ses colonnes. Sami Kohen (Milliyet 20 juin 2000) relatant les propos d’un diplomate déclarait : " les critères de Copenhague ne sont pas un ‘menu’ dans lequel on peut prendre et choisir certaines matières ". Toujours le quotidien Radikal le 20 juin, titre : " les militaires étaient divisés sur la question de l’Union européenne " et souligne : " l’état-major a adopté une ligne modérée, Contrairement au conseil nationale de sécurité (MGK), le ministère des affaires étrangères et le Haut Secrétariat à la coordination des droits de l’homme se marquent par une attitude libérale ".

DÉCISON DE LEVÉE D’ÉTAT D’URGENCE DANS LA PROVINCE DE VAN


Le Conseil national de sécurité (MGK) a décidé le 26 juin de proposer au gouvernement la levée d’état d’urgence (OHAL) dans la province de Van à partir du 30 juillet, mais de prolonger pour une durée de quatre mois le régime d’exception, dans quatre autres provinces kurdes, Diyarbakir, Hakkari, Sirnak, et Tunceli.

Le régime dérogatoire a été, pour la première fois, déclaré à Van le 19 juillet 1987 pour une période de quatre mois, reconduit par la suite automatiquement.

Ilnur Çevik, éditorialiste au quotidien anglophone Turkish Daily News, écrit dans ses colonnes du 27 juin, à propos de cette décision, qu’à l’heure où " les Américains débattent du génome humain, nous discutons du régime d’état d’urgence à Van " et conclut : " Atatürk nous a demandé d’engager la Turquie à rejoindre le monde contemporain. Et pourtant, nous pouvons remarquer que les cercles conservateurs en Turquie, qui affirment être les gardiens des idéaux atatürkistes, font tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher la Turquie d’une véritable occidentalisation et de créer une société contemporaine. Il nous reste plus qu’à écouter les innovations de l’Ouest avec envie ".

NOUVEAU RAPPORT SUR LA TUERIE DE LA PRISON D’ANKARA


Le rapport relatif aux massacres de la prison d’Ulucanlar d’Ankara [ndlr : opération, au cours de laquelle, le 26 septembre 1999, 10 détenus ont perdu la vie] qui, avec la mise en cause de l’Etat par la commission d’enquête parlementaire des droits de l’Homme, avait jeté le trouble, il y a quelques mois, a été révisé par la sous-commission.

Mécontent du premier rapport, Hasan Macit, président de la sous-commission (DSP) et Mehmet Nuri Tarhan (MHP), ont présenté ‘leur rapport’ à Sema Piskinsüt, présidente de la Commission d’enquête parlementaire des Droits de l’Homme, en adoucissant très largement son langage. Ainsi, certains mots tels que " massacre " et " torture " ont été supprimés, " massacre en prison ", remplacé par " intervention dépassant son but ", et " atteinte au droit à la vie " préféré à l’" agression dans le but de torturer et de tuer ", terme pourtant corroboré par les rapports médico-légaux.

LA FONDATION DES DROITS DE L’HOMME A RECENCÉ 5000 CAS DE TORTURES EN 10 ANS


La Fondation des droits de l’homme de Turquie (TIHV) par la voie de son président Yavuz Önen, a affirmé le 26 juin, qu’un million de personnes ont fait l’objet de torture au cours des 10 dernières années. Y. Önen a dénoncé le fait que les rapports de la commission d’enquête parlementaire des droits de l’homme ne prennent pas en compte la dimension politique de la torture en déclarant : " ils veulent faire croire que la torture ne se pratique que dans les commissariats de police. La torture est également pratiquée dans des directions de sûreté et dans les gendarmeries ".

Par ailleurs, le Pr. Veli Lok, président de la section d’Izmir de la Fondation, a déclaré qu’il n’y avait eu aucune amélioration sur la question : " dans de nombreux cas, nous avons constaté que toutes les méthodes de tortures étaient toujours en pratique au cours des placements en garde-à-vue ". Selon Pr. Lok, plus de 1 354 cas de tortures, dont 44 enfants et 369 femmes, ont été enregistrés par la section depuis sa création, il y a neuf ans. La Fondation, quant à elle, a eu, depuis 1991, plus 4 696 plaintes de tortures. Les responsables de la Fondation ont également souligné que " malgré les preuves apportées, tous les accusés de tortures ont été acquittés par la justice turque ".

INÉGALITÉS SCOLAIRES CRIANTES ENTRE LES PROVINCES KURDES ET LE RESTE DE LA TURQUIE


Un rapport de 76 pages réalisé par Hüseyin Çelik, député de Van, du parti de la Juste Voie (DYP), intitulé " la situation en Anatolie du Sud-est selon des indicateurs socio-économiques " prenant en compte le domaine de l’éducation, de la santé, de l’agriculture, de l’industrie, du tourisme, du commerce frontalier, de la migration et l’initiative de retour dans les villages, a été publié par le Turkish Daily News du 26 juin 2000.

Selon le rapport, à Diyarbakir, la principale ville kurde, 61,4 %, des jeunes filles âgées de 7 à 13 ans ne sont pas scolarisées. Erzurum se situe seconde avec 59,4 %, suivi d’Urfa avec 46,3 % des jeunes filles non scolarisées. Le rapport, établi selon les données de l’Institut d’Etat des statistiques (DIE), de l’Organisation de la planification de l’Etat (DPT), de la Banque mondiale et de l’UNICEF, montre que " dans le domaine de l’éducation et de la culture, aussi bien que dans les autres domaines, l’Anatolie du Sud-Est est la région qui a le moins bénéficié des réformes lancées depuis la fondation de la République de Turquie ".

Le document indique que le taux de scolarisation en primaire est de 68,9 % dans l’Est (kurde) et de 70,94 % dans le Sud-est (kurde), alors que ce taux se chiffre à 89,03 % dans toute la Turquie. Quant au collège, le taux descend jusqu’à 28,27 % dans le Sud-est et n’atteint que 33 % dans le sud, contre 53,14 % de moyenne générale en Turquie. En ce qui concerne le lycée, ce n’est guère plus encourageant pour les régions kurdes, puisque la moyenne nationale de 38,72 % en Turquie, descend à 25,84 % à l’Est et à 18,7 % au Sud-est. Pour les études supérieures, le taux atteint 3,88 % de fréquentation pour le Sud-est et 10,95 % à l’Est, alors que la moyenne nationale est de 22,87 % en Turquie.

En terme de nombre d’enfants inscrits à l’école, les provinces kurdes viennent également en dernier. Le rapport montre qu’Antalya (ville turque sur la côte méditerranéenne) arrive en premier, alors que Diyarbakir est le dernier. Diyarbakir se singularise aussi pour son faible taux d’instruction féminine avec 42 % des femmes qui n’ont même pas été scolarisées en primaire, suivi d’Erzurum avec 41,5 % (à Izmir ce taux est de 8,1 %).