|
Liste
NO: 191 |
17/1/2001 29 ENFANTS ARRÊTÉS AU KURDISTAN PAR LA POLICELa police turque a arrêté 29 enfants âgés de 9 à 16 ans dans la province kurde d’Urfa, pour avoir " manifesté leur soutien au parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) ", a annoncé l'Association de défense des droits de l'Homme. Les enfants ont été interpellés le 9 janvier à Viransehir après avoir lancé des slogans favorables au PKK et ont été formellement arrêtés le 11 janvier, selon un communiqué de l'Association (IHD) à Diyarbakir. Plusieurs familles ont dénoncé à l'IHD de mauvais traitements infligés à leurs enfants par la police. " Le fait que les enfants aient été emmenés par la police en pleine nuit, menottés, pour être interrogés est déjà un traitement inhumain", a déclaré l'IHD. " Nous appelons les autorités à enquêter sur les accusations de torture et à libérer immédiatement les enfants ", a-t-elle ajouté. Le 16 janvier, seuls 14 de ces enfants, écroués dans la prison d’Urfa, ont été libérés. DÉBAT SUR L’INFLUENCE DE L’ARMÉE EN TURQUIELe poids excessif de l’armée dans la vie politique turque fait ces derniers jours l’objet d’une vive polémique entre les dirigeants civils et les généraux turcs. Le détonateur a été le lancement d'une campagne anti-corruption au sein du ministère de l'Energie, dont un responsable militaire anonyme a revendiqué la paternité en début de semaine, sous-entendant que l'armée était l'institution qui luttait sérieusement contre la corruption bien connue des civils. Le Premier ministre Bulent Ecevit a ouvert la voie au flot de critiques en exprimant son agacement, trouvant cette intervention "surprenante et dérangeante". Il a été suivi, en des termes plus directs, par son ministre d'Etat aux Affaires européennes, Mesut Yilmaz, qui a, le 9 janvier, accusé les "milieux anti-démocratiques" de vouloir "pousser le pays vers un régime militaire" dont la Turquie a une longue tradition. L'état-major de l’armée, furieux, a répliqué, le 11 janvier, par un communiqué en faisant part de son "grand malaise". De nombreux journalistes libéraux en ont profité pour souligner à l'unisson que l'influence de l'armée sur la vie politique était incompatible avec le bon fonctionnement d'une démocratie. Ainsi, l'éditorialiste du quotidien libéral Milliyet, Taha Akyol, souligne, le 12 janvier, que "les frontières entre les soldats et leur rôle en politique sont ambiguëes". L'intervention de l'armée en février 1997, qui avait obligé le Premier ministre islamiste de l'époque Necmettin Erbakan à démissionner, "a rendu cette frontière encore moins claire et accru l’aile militaire de l'Etat", ajoute-t-il. "En démocratie, les soldats ne fonctionnent pas comme un parti, comme un " Etat au sein de l'Etat "", rappelle un autre éditorialiste, Hasan Cemal, dans le journal Milliyet du 12 janvier. "Dans des régimes démocratiques, le soldat fait son devoir, est assujetti à l'autorité civile élue, il exprime ses vues dans les plate-formes ad hoc, pas en face de l'opinion publique". Pour Huseyin Bagci, professeur en relations internationales, "c'est un fait que les militaires, depuis la guerre du Golfe (en 1991), ont progressivement augmenté leur rôle sur les questions de politique étrangère". Au plan intérieur, "l'armée a été le fer de lance de la lutte contre le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) et les groupes islamistes radicaux, et elle continuera à l'être dans le futur, ce qui signifie qu'elle gardera son influence et son statut", prédit-il dans le quotidien anglophone Turkish Daily News du 12 janvier. La réduction de ce rôle est l'une des demandes de l'Union européenne pour une adhésion à terme de la Turquie, déclarée candidate en 1999. Ce rôle est officialisé par la domination de l'armée sur le Conseil national de Sécurité (MGK), qui réunit chaque mois les plus hauts responsables civils et militaires, et trace les grandes lignes sur les questions de fond. Le débat précède de peu la publication, attendue ce mois-ci, du "programme national" dans lequel la Turquie va définir les mesures qu'elle entend prendre pour adhérer à l'UE. La suppression du MGK n'est certainement pas à l'ordre du jour. Mais selon le journaliste Mehmet Ali Birand, le programme devrait déclarer le MGK un "organe consultatif", et interdire que ses réunions soient photographiées pour rendre moins manifeste la présence des militaires en politique. "Une phrase et une interdiction de photos peuvent-elles vraiment réduire le poids des militaires en démocratie? Nous ne trompons que nous-mêmes!", s'exclame-t-il dans les colonnes du Turkish Daily News du 12 janvier. MESUT YILMAZ CRITIQUE l’ARMÉELe vice-Premier ministre turc, chargé des relations européennes et chef du parti de la Mère patrie (ANAP), Mesut Yilmaz, a, le 9 janvier, stigmatisé le pouvoir militaire au cours de la réunion de son groupe parlementaire en déclarant que les plus graves corruptions ont été réalisées durant les régimes militaires. " Croyez-vous qu’avec l’instauration d’un régime militaire, il n’y aura plus de corruption. Tout au contraire il y en aura beaucoup plus car cela sera plus obscur. Les corruptions augmentent avec les ténèbres. La meilleure lutte possible contre les corruptions est la transparence " a-t-il déclaré. L’état-major turc a, dès le lendemain, répliqué qu’il s’agissait " d’une grande calomnie " et qu’il ne fallait pas attirer l’armée dans " un débat politique dangereux ". Le quotidien turc Milliyet du 17 janvier titre sa Une " Il est le seul à Ankara : Yilmaz a été le premier homme politique à demander un contrôle des dépenses militaires ". " Il faut enquêter sur toutes les corruptions sans voir si c’est bleu, vert ou violet [ndlr : référence à l’uniforme dans l’armée]… Transmettez toutes les informations que vous avez en main aux responsables… " IL Y A TROIS ANS LA TURQUIE A INVENTÉ " UN COUP D’ÉTAT POST-MODERNE "Les généraux turcs à la retraite s’épanchent dans les médias sur leur intervention énergique du 28 février 1997 qui a abouti à la démission du gouvernement de N. Erbakan. Selon l’ancien secrétaire général du puissant état-major turc, le général Özkasnak, il s’agissait d’un " coup d’Etat post-moderne ", car il était impossible de faire " un coup d’Etat classique " [cf. : Milliyet 16-01-01]. Il ajoute : " Le 28 février a été réalisé en considération de cette période. À l’époque, au vu de la situation nationale et mondiale, on ne pouvait pas entreprendre une intervention classique comme le 12 mars 1970 ou 12 septembre 1980. La menace rencontrée par la République, a été écartée, par l’action des mécanismes démocratiques, sans qu’une balle soit tirée. C’est pour cette raison et dans cet objectif que nous utilisons la notion des forces non armées ". Le général Özkasnak poursuit : " Dans le contexte de l’époque, nous avons abouti à cette conclusion : Comme la réalité du 31 mars [ndlr : date d’une émeute religieuse contre le régime d’Atatürk], le pays fait face à une tentative réactionnaire planifiée sans précédent, depuis l’établissement de la République il y a 75 ans. À partir de cette conclusion, il a été décidé d’écarter la menace par l’action des mécanismes démocratiques. Il a été décidé d’organiser une série de briefings dans cette optique ". Le général ajoute : " Le début du processus du 28 février est le 11 janvier 1997. À cette date, le président en fonction, Süleyman Demirel, a été convié à l’état-major et les informations relatives au 28 février lui ont été présentées dans un briefing. Après le président, les informations ont été répétées pour l’éclaircissement de l’opinion publique, à la presse, à la justice et aux universités ". Il n’a pas manqué de souligner que : " ceux qui entreprennent d’amoindrir l’importance du 28 février aujourd’hui, devraient savoir que si ce processus n’avait pas été couronné de succès, les résultats des élections du 18 avril 1999 n’auraient pas été les mêmes ". La presse a été à nouveau pointée du doigt lorsque le général a déclaré que certains journalistes venaient volontiers à l’époque dénoncer leurs collègues. La députée islamiste Nazli Ilicak avait, il y a quelques semaines, dénoncé le complot ourdi par Çevik Bir, numéro deux de l’état-major à l’époque des faits, contre des journalistes non alignés sur les thèses officielles. Le parti islamiste, par l’intermédiaire de son président, Recai Kutan, déclare que " c’est un aveu " de déstabilisation d’un gouvernement légitime, alors que ces collègues soutiennent que " ce n’est pas un coup mais une pression ". Au sens de l’armée, certains désireraient mettre une sourdine à cette affaire tandis que d’autres, hormis quelques désaccords sémantiques, confirment la version de l’ancien général. L’ANCIEN PREMIER MINISTRE TURC, NECMETTIN ERBAKAN, SAISIT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMMELe parti islamiste Refah, dissous en 1998, et trois de ses ex-dirigeants, dont l'ancien Premier ministre turc Necmettin Erbakan, mettent le gouvernement turc en accusation, le 14 janvier à Strasbourg devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Les requérants accusent Ankara d'avoir violé leurs droits à la liberté de pensée, de conscience et de religion, à la liberté d'expression et d'association, l'interdiction de la discrimination et leurs droits à des élections libres et à la protection de la propriété. Premier chef de gouvernement islamiste de Turquie, pays musulman mais Etat laïque, M. Erbakan avait dû démissionner en juin 1997 sous la pression de l'armée après avoir dirigé le pays pendant un an à la tête d'une coalition avec le chef du parti de la Juste Voie (DYP), Mme Tansu Ciller. Son parti Refah (la Prospérité) avait été dissous en janvier 1998 et plusieurs dirigeants, Sevket Kazan et Ahmet Tekdal, tous deux députés et vice-présidents du Refah, avaient été déchus de leurs mandats de députés. La Cour européenne a examiné lors de son audience du 14 janvier, la première de quatre plaintes déposées à Strasbourg par M. Erbakan. Les autres plaintes devant la Cour européenne, en cours d'examen, concernent notamment une condamnation de l'ex-Premier ministre à un an de prison pour incitation à la haine raciale et religieuse et remarques jugées pro-kurdes, confirmée en octobre 2000. M. Erbakan, 74 ans, n'a cependant jamais purgé cette peine: il a d'abord bénéficié d'une suspension de l'exécution de sa sentence, puis fin décembre de la loi d'amnistie qui a permis de libérer près de 20.000 détenus. LA RECONNAISSANCE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN ADOPTÉE EN COMMISSION À L’ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE RAVIVE LA COLÈRE DE LA TURQUIELa commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale a, le 10 janvier, adopté la proposition de loi du Sénat sur la reconnaissance du génocide des Arméniens de 1915. La commission a adopté à l'unanimité moins une voix la proposition de loi votée par le Sénat le 8 novembre 2000, qui dispose que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915". Les députés devraient donc entériner le jeudi 18 janvier dans la matinée le texte sénatorial, qui serait ainsi définitivement adopté. Une délégation de parlementaires turcs en visite en France a vivement dénoncé le texte le 9 janvier, accusant la France "d'arrogance coloniale" et la menaçant de "représailles" si la proposition de loi était définitivement adoptée. Le Parlement turc a lancé le 9 janvier un avertissement à la France sur la question du génocide arménien, un dossier qui a déjà "jeté une ombre" sur les relations entre Paris et Ankara selon les députés turcs. Selon une déclaration du Parlement turc, cette " proposition de loi s'appuie sur une falsification des faits historiques ". Si elle devait être définitivement adoptée, les décisions et initiatives de la France à l'égard de la Turquie seraient considérées sous un jour défavorable, menacent les parlementaires. L'Assemblée nationale avait adopté à l'unanimité le 29 mai 1998 une proposition de loi socialiste, qui, elle aussi, disposait que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915". Mais l'Elysée et Matignon s'étaient montrés hostiles à ces propositions de loi et le gouvernement avait refusé d'inscrire le texte de l'Assemblée à l'ordre du jour du Sénat. Après plusieurs tentatives, Jean-Claude Gaudin, sénateur-maire de Marseille, a réussi néanmoins à l'aide des différents groupes sénatoriaux - et malgré l'opposition de certains de ses amis politiques - à présenter une nouvelle proposition de loi. Le ministère français des Affaires étrangères avait tenu à préciser après l'adoption du texte par le Sénat que ce vote, " intervenu à l'initiative du pouvoir parlementaire et qui relève de sa responsabilité, ne constitue pas une appréciation sur la Turquie d'aujourd'hui ". Le patriarche orthodoxe d'Istanbul, chef spirituel des 70.000 Arméniens de Turquie, a, le 14 janvier, dénoncé la proposition de loi française. " Les Arméniens de Turquie ne sont pas contents " de cette initiative, a ainsi lancé le patriarche Mesrob II en expliquant que cette question devait uniquement être réglée entre la Turquie et l'Arménie. Il est toutefois vrai que la communauté arménienne de Turquie, pour d’évidentes raisons de survie, se dissocie souvent de la diaspora qui, elle, ne cesse de se battre pour que la communauté internationale reconnaisse ce génocide. La communauté arménienne de France, qui compte environ 300.000 personnes, soutient fermement ce texte et a organisé de nombreuses manifestations au cours des dernières semaines, notamment devant le Sénat. L'Arménie et la diaspora arménienne accusent les Turcs d'avoir délibérément massacré plus de 1,5 millions d'Arméniens en 1915 au moment de la désintégration de l'Empire ottoman. La Turquie conteste ce chiffre et affirme que des pertes ont été déplorées de part et d'autre lors d'affrontements partisans orchestrés par la Russie. |