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Liste
NO: 213 |
17/8/2001 DEUX VILLAGES KURDES ÉVACUÉS DE FORCE, D’AUTRES SOUMIS À L’EMBARGO ALIMENTAIRE, DES VILLAGEOIS TORTURÉS, EXÉCUTÉS EN TOUTE IMPUNITÉ PAR LES GENDARMES TURCSLes organisations turques de défense des droits de l’homme ont vivement dénoncé l’évacuation forcée des villages kurdes d’Asat et d’Ortali (Bêzal) du district de Beytussebap (province de Sirnak) et l’embargo alimentaire imposé aux villages d’Ilicak (Germav), Dagalti (Tivor) et de Hisarkapi, toujours du même district, après la mort d’un soldat tué par l’explosion d’une mine. Selon les témoignages recueillis par ces organisations, les villageois auraient subi divers sévices et tortures par les forces de l’ordre sur place. Yilmaz Ensaroglu, président de l’association MAZLUM-DER, comparant les deux évènements de la semaine impliquant la responsabilité de la gendarmerie [ndlr : l’intervention de la gendarmerie dans la commune d’Akkise (Konya- centre) et les faits du district kurde de Beytussebap] a dénoncé les réactions à géométrie variable de la presse et des autorités civiles et militaires turques : " Nous avons envoyé des observateurs pour les deux évènements. Pour le premier [Konya], ils ont pu s’y rendre aussitôt et rédiger un rapport alors que pour le second le temps que les observateurs puissent se rendre sur place sains et saufs, nous étions plein d’inquiétudes. Ils sont arrêtés à tout bout de champ et leurs cassettes et documents leur sont confisqués. Cela prouve bien évidemment, les différences manifestes dans les pratiques administratives et judiciaires existantes dans le pays. Les partis et une bonne partie des media ne franchissant pas les frontières tracées par la politique de l’Etat, l’opinion publique ne connaît pas la situation. En fait, le régime d’exception (OHAL) ne veut pas dire un régime sans droit, mais seulement que certains droits sont temporairement limités. Cependant dans notre OHAL, il n’y a ni droit et ni justice ". Les quotidiens nationaux ont totalement ignoré les événements de Betussebap, les observateurs des organisations de défense des droits de l’homme ont été, au cours de leur enquête, bousculés et brutalisés par les autorités sur place. Les villageois, peu loquaces du fait des pressions, ont par l’intermédiaire de leur maire déclaré qu’ils avaient quitté leur terre par leur propre volonté, les seuls dont Cafer Aslan et Rasim Acar, qui se sont risqués à parler ouvertement avec les observateurs se trouvent toujours en détention, accusés d’" incitation de la population à la colère ". Après le témoignage de Rasim Acar, les avocats composant la délégation d’observateurs ayant peur pour sa vie l’avaient pourtant pris sous leur protection mais les gendarmes prétextant que ses papiers d’identité étaient susceptibles d’être des faux, ont réussi à l’arrêter et le placer en garde-à-vue. Ses avocats ont d’ores et déjà dénoncé les tortures (chocs électriques) subies par leur client au cours de sa détention. Contrairement à Konya, les commandants en poste à Sirnak ne semblent nullement inquiétés par les autorités judiciaires turques. Pis encore, le colonel Levent Ersoz, en poste à Sirnak, directement mis en cause pour ses brutalités par Cafer Aslan et par la population de Sirnak, a été récompensé en devenant général (effectif le 30 août) et prendra le commandement de la gendarmerie de Diyarbakir. INTERDICTION DE LA DIFFUSION EN TURQUIE DES EMISSIONS EN TURC DE LA BBC ET DE LA DEUTSCHE WELLELe Haut Conseil de la Radio et de la Télévision (RTUK), l'organe turc de surveillance de l'audiovisuel a, le 9 août, décidé d'interdire en Turquie les émissions en langue turque de la BBC et de la Deutsche Welle. Les autorités craignent que soient diffusées des informations favorables aux mouvements kurdes et autres mouvements dissidents, islamistes ou extrême-gauche. En 1999, une radio locale avait été suspendue pour avoir diffusé un reportage de la BBC en langue turque sur le " Parlement en exil des Kurdes ", aujourd'hui dissous. Le reportage avait été jugé dangereux pour l'unité de l'Etat turc. Nuri Kayis, le président du RTUK a cependant expliqué qu'il ne soutenait pas cette décision, adoptée par le comité exécutif le 8 août. Il a même déposé un recours en justice pour obtenir l'annulation de la mesure. " L'interdiction de ces radios va mettre la Turquie dans une situation très délicate vis-à-vis de l'opinion internationale ", a estimé M. Kayis, parlant de la BBC et de la Deutsche Welle comme de deux des plus prestigieux médias du monde. Le président du RTUK Nuri Kayis a plaidé que ces émissions ne violaient pas la législation et a estimé que cette mesure avait été prise sur la base d'une mauvaise interprétation de la réglementation. Il a cependant convenu qu'il lui était impossible de changer l'avis de ses collègues du Comité exécutif et de les faire revenir sur leur décision d'interdiction. Alors qu'Ankara, qui cherche à rejoindre l'Union européenne, doit améliorer son bilan en matière de droits de l'homme et de libertés, cette décision " pourrait placer la Turquie dans la position d'un pays anti-démocratique, manquant de liberté de communication mais pas de censure ", dit-il dans un communiqué. Le comité exécutif du RTUK a fondé sa décision sur un article de la loi turque sur la télédiffusion qui empêche les médias étrangers de diffuser régulièrement ou en direct en Turquie en utilisant les moyens techniques de chaînes locales. La BBC et la Deutsche Welle avaient récemment commencé à émettre des programmes d'information en langue turque par le biais de NTV, une radio dépendant d'un puissant groupe gérant la principale chaîne de télévision spécialisée dans l'information en continu. La radio privée en continu NTV a donc cessé, le 10 août, de diffuser les programmes des deux radios étrangères, après avoir vu son appel rejeté par le Haut Conseil. Les Turcs peuvent toujours écouter BBC et Deutsche Welle en ondes courtes. Reporters sans Frontières (RSF) a, le 10 août, dénoncé cette décision en la qualifiant d’ " entrave au pluralisme de l'information ", et " un pas en arrière par rapport aux engagements internationaux pris par la Turquie, notamment au sein du Conseil de l'Europe ". PLUS DE 5000 BALLES TIRÉES DANS LA FOULE EN 25 MINUTES PAR LA GENDARMERIE TURQUE POUR " UNE OPERATION DE TRANQUILLITÉ "La commune d’Akkise dans la province de Konya a été, le 11 août, théâtre de violents incidents après l’intervention musclée de la gendarmerie turque sur la place communale où se déroulait une fête organisée à l’honneur des jeunes partant pour leur service national. La commune déplore la mort d’Hasan Gultekin, un jeune appelé de 20 ans et plusieurs blessés dont certains dans une situation critique. Le commandant de la gendarmerie, Ali Çaliskan, relevé de ses fonctions depuis lors, a justifié l’intervention qu’il qualifie d ‘ " opération de tranquillité " par le fait que les villageois aient refusé un contrôle d’identité de routine effectué par une unité de la gendarmerie. Selon Ali Çaliskan, après un premier refus, les forces de l’ordre fortes de 50 gendarmes arrivés sur les lieux, auraient été attaquées par les villageois à coup de chaises, de couteaux et de bâtons… Les premiers éléments d’enquête ont cependant démontré qu’en vingt-cinq minutes d’altercation, plus de 5000 balles ont été tirées à l’aveuglette par la gendarmerie ; des impacts de balles ont été trouvés aussi bien sur la place que sur la mosquée et les maisons aux alentours ont été criblées de balles. Les organisations de défense des droits de l’homme ont dénoncé les troubles et les méthodes du commandant de la gendarmerie qui était auparavant en poste dans la région kurde où tout est permis aux militaires et qui n’est pas à son premier abus de pouvoir. L’ANCIEN MAIRE D’ISTANBUL CRÉE UN PARTI DE LA JUSTICE ET DU DÉVELOPPEMENT (AK PARTI)Une nouvelle formation, issue de l'interdiction par la justice turque du parti islamiste de la Vertu (Fazilet), a été, le 14 août, fondée par Recep Tayyip Erdogan, ancien maire islamiste d’Istanbul. Le parti de la Justice et du Développement (AK parti) voit le jour moins d'un mois après la création de celui du Bonheur (Saadet) par la branche conservatrice, sur les cendres du Fazilet, 3ème force politique du pays, fermée par la Cour constitutionnelle pour " activités anti-laïques ". " C'est le moment le plus heureux de ma vie. Il s'agit de l'ouverture d'une nouvelle page pour notre peuple ", a déclaré M. Erdogan au cours d'une conférence de presse à Ankara après que des membres fondateurs eurent déposé les statuts de la formation au ministère de l'Intérieur comme le veut la loi. Il a assuré qu'une " transparence totale et la démocratie " régneraient au sein du parti, critiquant l' " oligarchie " dans les autres formations. " Rien ne sera comme avant en Turquie, croyez-moi ", a-t-il ajouté. Aucun ex-député Fazilet figure parmi les 73 membres fondateurs composés pour la plupart d'universitaires, d'intellectuels et de juristes, tous inconnus de l'opinion publique sauf M. Erdogan. 51 députés ont rejoint ce nouveau parti alors que le parti du Bonheur dirigé par l'ex-chef du Fazilet Recai Kutan compte 48 députés. Selon ses fondateurs, le parti de la Justice et du Développement (AK parti) souhaite s'adresser à un électorat plus large que le Fazilet dont la rhétorique pro-islamiste séduisait essentiellement des électeurs religieux et irritait les dirigeants de cet Etat musulman mais laïque, notamment l'armée très influente qui se considère comme la gardienne des principes laïques. M. Erdogan a été autorisé le mois dernier à rentrer dans l'arène politique, grâce à une décision de la Cour constitutionnelle levant l'interdiction de politique à vie qui l'avait frappé il y a deux ans pour un discours considéré comme une incitation à la haine raciale ou religieuse. Il avait aussi entre temps purgé quatre mois de prison. Depuis, il affirme avoir " changé " dans le but de rallier les suffrages du centre-droit. Mais ses détracteurs l'accusent de cynisme et d'opportunisme, relevant qu'un homme politique ne change pas en milieu de carrière. Les modernistes ont appelé à une réforme du système politique turc, selon eux foyer de corruption, de népotisme et responsable de la grave crise économique traversée par le pays. Concernant la liberté d'expression, ce nouveau parti est pour des émissions en kurde, a indiqué Abdullah Gul, un responsable du parti. Jeu de mots qui symbolise la volonté de ce changement : AK --sigle de Justice et de Développement (Adalet et Kalkinma)-- veut dire blanc en turc, c'est-à-dire exempt de toute corruption. Le parti est symbolisé par une ampoule électrique. La division officialisée des ailes " traditionaliste " et " moderniste " devrait toutefois affaiblir le mouvement islamiste. Et les deux formations subiront l'épreuve du feu lors des prochaines élections, en principe prévue pour 2003, car chacune devra obtenir au moins 10 % des voix pour siéger au Parlement. Le Fazilet avait recueilli 15 % des suffrages aux législatives de 1999. SELON LES DONNÉES 2000, 64 % DES AFFAIRES NON ÉLUCIDÉES CONCERNENT LA COUR DE SÛRETÉ DE L’ETAT (DGM) DE DIYARBAKIRSelon les données 2000 de la direction générale des statistiques et des casiers judiciaires du ministère turc de la Justice, 64,3 % des dossiers, soit plus de 18 247 dossiers, des 8 parquets des cours de sûreté de l’Etat (DGM) en Turquie restent " non élucidés ". C’est le parquet du DGM de Diyarbakir avec 81,9 % des dossiers (11 523 affaires) non élucidés qui arrivent en tête de cette liste, suivi des villes kurdes de Van avec 75 %, puis d’Erzurum avec 74,4 % et de Malatya avec 68,8 %. À Ankara, le pourcentage est de 39,9 %, à Adana de 18,2 %, à Izmir de 11,7 % et à Istanbul de 1,5 %. L’ARMÉE TURQUE NE DIGÈRE PAS LES DÉCLARATIONS DE MESUT YILMAZ SUR LE " CONCEPT DE SÉCURITÉ NATIONALE "À la cérémonie d’investiture, le 15 août, du général Tamer Akbas au poste de secrétaire général du conseil national de sécurité - organisation au cœur des débats depuis que le vice-Premier ministre Mesut Yilmaz, a dénoncé le " concept de sécurité nationale " de la Turquie s’attirant les foudres de l’armée turque-- les hommes politiques habituellement conviés n’y ont pas été invités. Seul, Burak Erbas, maire adjoint d’Erzincan et membre du parti d’extrême droite de l’Action nationale (MHP), était présent à la cérémonie où cependant même les représentants des sociétés de tourisme étaient conviés. Dans un plaidoyer virulent visant directement les hommes politiques et particulièrement Mesut Yilmaz, plaidoyer que certains n’ont pas hésité à qualifier de plus sévère que celui du coup d’état de septembre 1980 ou du " coup d’état post-moderne du 28 février ", l’armée turque avait déclaré que les propos dénonçant " le syndrome de sécurité nationale " de Mesut Yilmaz " n’étaient pas honorables ". Mesut Yilmaz, appuyé par son parti de la Mère-Patrie (ANAP) a répliqué qu’en cette matière c’était les politiques ses interlocuteurs et non l’armée. Depuis lors, l’armée turque affiche tout particulièrement dans les protocoles sa supériorité en plaçant soit les hommes politiques très en arrière ou soit tout simplement en les mettant totalement à l’écart. |