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Liste
NO: 220 |
31/10/2001 LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE CONSIDÈRE LA LOI SUR LA LIBERTÉ CONDITIONNELLE COMME UNE “ AMNISTIE LIMITÉE ” : L’INTERDICTION DE LA VIE POLITIQUE DES LEADERS DES PARTIS ISLAMISTES DEVRAIT CONTINUERLa Cour constitutionnelle turque a, le 29 octobre, annulé les dispositions relatives à l’amnistie pour “ les crimes de la pensée ” contenues dans la loi sur la liberté conditionnelle et la prorogation de la sentence. La Cour a statué que cette loi était en fait une loi d’amnistie limitée, susceptible de fonder les interdictions politiques. Le parti islamiste du développement (AK) espérait que son leader, Recep Tayip Erdogan, condamné sur le fondement de l’article 312 du code pénal turc et déclaré inéligible, pouvait bénéficier de la loi sur la liberté conditionnelle, mais la décision de la Cour statuant que cette loi est une loi d’amnistie limitée s’oppose à toute interprétation et donc à l’éligibilité de M. Erdogan. L’ARMÉE TURQUE DÉCIDÉE À EXERCER SA TUTELLE SUR LA VIE POLITIQUE “ SI NÉCESSAIRE PENDANT MILLE ANS ” POUR CONTRER “ LA MENACE RÉACTIONNAIRE ” ISLAMISTELe Conseil de Sécurité Nationale turc (MGK), qui réunit chaque mois la hiérarchie militaire et une partie du gouvernement, a proposé, le 30 octobre, de reconduire l'état d'urgence au Kurdistan, en vigueur depuis 14 ans et qui doit être prolongé de 4 mois dans les provinces de Tunceli, de Diyarbakir, de Hakkari et de Sirnak. Le Parlement turc se prononce tous les quatre mois sur le maintien de ce régime d'exception, suivant à la lettre les recommandations du Conseil de Sécurité Nationale (MGK). À la demande de son chef Abdullah Ocalan, condamné à mort en juin 1999 pour “ trahison et séparatisme ”, le PKK a pourtant mis fin en septembre 1999 à sa lutte armée, lancée en 1984. Depuis, les combats ont quasiment cessé dans la région. Mais l'armée turque s'est déclarée déterminée à pourchasser jusqu'au bout les combattants à moins qu'ils se rendent, et poursuit des opérations dans le nord de l'Irak. La levée de ce régime d’exception fait partie des mesures politiques réclamées à “ moyen terme ” à la Turquie par l'Union européenne si elle veut ouvrir des négociations d'adhésion. Le gouvernement turc s'est engagé à le lever, mais sans donner de date. Invité à la réception présidentielle pour les cérémonies de la fête de la République, le chef d’état-major turc, Huseyin Kivrikoglu, a souligné que le nombre de civils avait augmenté au sein du MGK à la suite des derniers amendements constitutionnels mais que “ cela n’est pas important. Nous aussi, nous enlevons nos grades pour participer à ces réunions. Il y a une démocratie réelle dans ce cadre. Tout le monde est libre de dire ce qu’il veut. L’article 312 [nldr : l’article du code pénal turc sanctionnant la liberté de l’expression et d’opinion] n’y s’applique pas ” (sic). Le général Kivrikoglu a également loué le modèle turc en disant “ tout le monde défend aujourd’hui le modèle turc …Je répète ce que j’ai déjà dit. Tant qu’il y aura une quelconque menace réactionnaire (islamiste), il y aura des 28 février [ndlr : 28 février 1997, réunion militaire au cours de laquelle l’armée turque a décidé de limoger le Premier ministre islamiste Necmettin Erbakan, intervention qualifiée de coup d’Etat déguisé par certains et de “ coup d’Etat post-moderne ” par l’ancien secrétaire général de l’état-major turc, le général Ozkasnak]. Si 150 ans sont nécessaires alors il durera 150 ans, si nécessaire 1000 ans ”. INCITATION À LA VIOLENCE SUR FOND DES SOUVENIRS DE L’AMBASSADEUR-FLINGUEUR TURC À BERNDans une interview accordée au quotidien turc Hurriyet daté des 29 et 30 octobre, l’ancien ambassadeur turc à Bern, Kaya Toperi, revient sur les évènements de 23 juin 1993où l’Ambassade avait été prise d’assaut par des militants sans armes du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui protestaient contre la politique d’Ankara envers les Kurdes et qui avaient coûté la vie à un Kurde tué par des balles tirées par l’ambassadeur et ses gardes du corps. “ L’ambassadeur Rambo raconte comment il a fait fuir le PKK ”, écrit fièrement le quotidien qui, pour la première partie de l’interview, met à sa Une, les souvenirs guerriers de K. Toperi sous le titre de “ Je me suis rué avec deux armes à la main ”. L’ancien ambassadeur qui parle de “ guerre d’honneur ” contre la Suisse et qui n’hésite pas à accuser d’inertie Hikmet Çetin, ministre turc des affaires étrangères à l’époque, continue ainsi : “ Le soir même, la réponse de la Suisse était que toute entrée devait être fouillée. J’ai demandé que l’on proteste mais rien n’a été fait… Le parquet de Bern demandait la levée de mon immunité diplomatique ainsi que de sept de mes camarades …Pourtant ceux qui avaient tiré c’étaient cinq policiers et moi. Je les ai fait donc sortir de Bern un par un, en voiture, et les ai envoyés en Turquie. J’ai appelé Hikmet Çetin…Mon ministère n’a pas bougé d’un poil… ”. Hikmet Çetin, quant à lui, donne sa version le lendemain en déclarant : “ Nous avons prévenu 18 heures à l’avance toutes nos ambassades et nos consulats de l’éventualité d’évènements et nous les avons priés de bien prendre toutes les mesures nécessaires… ” Le journal s’étonne lui-même de la suite des déclarations de M. Çetin qui soutient que “ ce jour-là, notre ambassade à Bern a oublié de fermer sa porte d’entrée à clef ” et ajoute que des preuves découlant des enregistrements vidéo de ce jour démontrent clairement cela. Hikmet Çetin décrit ainsi ce qu’il a vu dans la bande vidéo : “ La majorité des gens qui était venue devant l’ambassade était composée de femmes et d’enfants. Ils n’avaient pas d’armes. Ils essayaient seulement de grimper les hautes grilles en fer de l’ambassade, quand tout à coup en bas, quelqu’un a crié “ la porte est ouverte ”. Par conséquent, la foule a poussé la porte et est entrée à l’intérieur. J’avais pourtant envoyé 18 heures avant un crypto pour qu’ils prennent des mesures, mais la porte du jardin était cassée et ils ne l’ont pas réparée… ” Sur l’évasion organisée des membres consulaires, Hikmet Çetin déclare sans vergogne “ dans cette affaire nous avons fait preuve de beaucoup d’efforts… Et de même avons déclaré persona non grata l’ambassadeur suisse en Ankara… ” L’ancien ministre ajoute également “ Un ambassadeur peut-il utiliser des armes ? Malgré tous les gardes du corps. J’ai mis six mois à rétablir les relations turco-suisses après l’erreur de l’ambassadeur ”. Kaya Toperi n’a pas manqué de riposter le 31 octobre dans les colonnes de Hurriyet : “ Je ne savais pas que les armes achetées par notre ministère des affaires étrangères et envoyées à nos diplomates étaient pour la décoration et non pour notre légitime défense ” Le rédacteur en chef du quotidien Hurriyet, Ertugrul Ozkök, totalement acquis à l’armée et à l’immobilisme politique turc, surenchérit en faisant siens les propos attribués à la population turque sur Kaya Toperi et conclut son éditorial ainsi : “ Que Dieu te bénisse ! ”. Sans oublier de préciser qu’“après tout, personne n’a fait de bruit autant que pour Toperi lorsque les services de sécurité israéliens ont tué quatre membres du PKK qui voulaient faire irruption dans l’ambassade d’Israël à Berlin ” en février 1999. LU DANS LA PRESSE TURQUE : PLAIDOYER TURC CONTRE UN ETAT KURDE EN IRAKL’ancien ambassadeur turc aux Etats-Unis, Sukru Elekdag, dans un article intitulé “ Ceux qui manqueront l’opportunité le regretteront plus tard ! ”, publié le 22 octobre dans le quotidien turc Sabah, enjoint vivement les autorités turques de réagir contre toute entité kurde au nord de l’Irak et de mettre un préalable à la politique américaine dans la région pour faire prévaloir les intérêts turcs : “ Ankara est sérieusement inquiet de la possibilité d’une opération militaire contre l’Irak dans le cadre du processus de la guerre contre le terrorisme mené après le 11 septembre. La semaine dernière sur la chaîne CNN, au cours du programme de Larry King, le Premier ministre Bulent Ecevit a souligné que si cela arrivait, l’Irak serait divisé et cela créerait des problèmes contre l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Turquie. Les remarques d’Ecevit suscitent d’autres questions et nous suggèrent d’analyser des questions utiles : Est-il certain qu’un Etat kurde sera fondé au nord de l’Irak si Saddam était déposé ? De quelle façon la Turquie sera affectée par la création d’un Etat kurde indépendant ? Les Etats-Unis soutiennent-ils la formation d’un Etat kurde ? Quelle sorte de stratégie la Turquie devrait adopter ? L’Irak sera divisé si Saddam était destitué. L’opinion d’Ankara sur la première question est claire. Ankara croit que l’unité de l’Irak ne peut être préservée qu’avec un pouvoir autoritaire ; et que si Saddam venait à être destitué, l’Irak sera divisé. Au cours de la période ottomane, l’Irak a été gouverné sous la forme de trois provinces ou états séparés : La province de Bagdad a été dominée par les Arabes d’obédience sunnite, Basra par des Arabes de confession chiite et Mossoul par des Kurdes et Turcomans. Ankara pense qu’un tel Etat forgera des alliances avec certains voisins de la Turquie aussi bien qu’avec le parti illégal des travailleurs du Kurdistan (PKK) pour formuler des demandes territoriales sur la Turquie, adhérant à la cause du “ Grand Kurdistan ” et alimentant le nationalisme kurde. Ces inquiétudes ne sont pas sans fondement, si l’on prend en considération qu’après 1991 la politique américaine a favorisé l’établissement d’un Etat kurde. En effet, c’est avec le seul soutien de Washington que des élections législatives ont pu avoir lieu en mai 1992 au nord de l’Irak et qu’un gouvernement kurde ait pu se former. Et “ l’Etat fédéré du Kurdistan ” a été proclamé le 4 octobre 1992 à la suite de la visite de Massoud Barzani et de Jalal Talabani (leaders kurdes du nord irakien) aux Etats-Unis. Durant la crise du Golfe, le Président de l’époque Turgut Ozal, a maintenu de contacts intenses avec le Président George Bush pour savoir comment diviser l’Irak. La “ vision ” d’Ozal était la suivante : d’abord un Etat kurde devait être crée au nord de l’Irak et puis l’on devait s’assurer que celui-ci joindrait la Turquie comme “ Etat fédéré kurde ”. Ainsi, un “ Etat fédéré turco-kurde ” serait créé. Une voie aussi dangereuse a été évitée grâce au général Necip Torumtay qui a décidé de démissionner de son poste de chef d’état-major lorsqu’Ozal lui a donné l’instruction d ’ “ occuper ” les régions de Mossoul et de Kirkuk d’Irak. L’Etat kurde et les intérêts américains Néanmoins, l’ “ Etat fédéré d’Irak ” n’a pas eu longue vie car le système tribal qui domine la région est difficile à combiner avec la création d’un Etat. C’est pourtant un fait qu’à un certain point, la politique américaine relative au nord de l’Irak a fait prendre un chemin hasardeux à la Turquie, et que cela est dû pour une grande partie au raisonnement erroné d’Ozal. Par ailleurs, dans les conditions internationales actuelles, les Etats-Unis devront être conscients que ce serait d’aller contre les intérêts américains que de mener une certaine politique aboutissant à l’établissement d’un Etat kurde au nord de l’Irak. Si les Etats-Unis devait créer un Etat kurde enclavé, entouré de quatre coins par des pays hostiles, un Etat qui serait dépendant des Etats-Unis par tous les aspects, Washington devrait alors, de gré ou malgré, “ indexer ” sa politique du Moyen-Orient sur la sauvegarde de cet Etat. Par conséquent, l’Irak, la Syrie et l’Irak, des pays qui ont une minorité kurde, seraient enclins à résoudre leurs différends et de créer un bloc contre l’Amérique et Israël. En d’autres termes, les conséquences d’une telle politique pourraient ébranler les intérêts américains dans la région. Très probablement, au moment où ils décideront que les Etats-Unis a- relativement- atteint ses objectifs en Afghanistan, les “ faucons ” à Washington feront des pressions pour l’ouverture d’un second front et réussiront à engager une opération militaire contre l’Irak. La Turquie devrait se préparer à ce genre de développements. La Turquie ne devrait pas laisser Massoud Barzani et Jalal Talabani avoir le champ libre au nord de l’Irak. Autrement, la Turquie n’aura pas son mot à dire dans la reconstruction de la période post-Saddam de l’Irak. ” TURQUERIE : UN PRÉFET TURC REFUSE DE COUPER UN GÂTEAU À L’EFFIGIE DE LA TURQUIE POUR NE PAS DIVISER LE PAYS !Selon le quotidien turc Milliyet du 31 octobre, le préfet de Bolu, Mehmet Ali Turker, a, au cours de la réception des festivités du 78ème anniversaire de la République, refusé de couper un gâteau représentant la Turquie en déclarant “ C’est un beau travail… Mais je ne peux pas couper un gâteau représentant le territoire turc et avec une photo d’Atatürk au milieu. Je ne peux pas diviser mon pays ! ” Le journal poursuit en disant que “ il a aimé le gâteau mais ne l’a pas coupé par peur de trahison…Le gâteau [sous les applaudissements des convives] est retourné dans la cuisine intacte ”. Le pays est sauvé... |