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Liste
NO: 24 |
26/2/1996 DEUX MOIS APRÈS LES ÉLECTIONS LA TURQUIE RESTE TOUJOURS SANS GOUVERNEMENTLes politiciens turcs continuent à s'adonner à leurs jeux favoris d'alliances, de contre alliance et de marchandages divers, en vue de la formation d'une coalition gouvernementale. Donnée pour "sûre" il y a 10 jours, l'alliance de l'islamiste REFAH et du parti conservateur ANAP n'a finalement pas abouti. Pour A. Keskin, secrétaire général du Parti Républicain du Peuple (CHP), il s'agit ni plus ni moins de "querelles de groupes sur le partage du pillage de l'État!" . D'autres se demandent ironiquement si la Turquie a vraiment besoin d'un gouvernement civil "puisque l'armée s'occupe de la conduite des affaires sérieuses de l'État et de l'administration de la régulation de l'économie". Le gouvernement intérimaire de Mme. Çiller est toujours en place mais d'après le quotidien Hürriyet du 24 février 8 des 31 portefeuilles de ce cabinet intérimaire sont "de facto vacants" car le Premier ministre est en froid avec leurs titulaires ou ceux-ci n'adressent plus la parole à Mme. Çiller qui ne leur a pas donné de places sur ses listes électorales. Ainsi le ministre de la justice n'a pas signé un seul décret depuis le 6 janvier. Plusieurs députés préparent des dossiers pour faire traduire Mme. Çiller devant la Haute Cour pour corruption et détournements de fonds publics. Pour échapper à un tel sort, Mme. Çiller essaie par tous les moyens de garder le pouvoir en conservant le poste-clé de Premier ministre, ce qui bloque la formation d'une coalition avec l'autre parti de droite, l'ANAP de Mesut Yilmaz. Si cet imbroglio n'est pas résolu d'ici le 22 mars le président Demirel devra, selon la Constitution, dissoudre le Parlement et convoquer de nouvelles élections. Mais le président de ce Parlement affirme publiquement que, Constitution ou pas, "il s'opposera de toutes ses forces à une telle dissolution et qu'il n'y a aura donc pas de dissolution". LA DÉTENTION DE SIX DÉPUTÉS KURDES EST DÉCLARÉE ARBITRAIRE PAR LE GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES SUR LA DÉTENTION ARBITRAIRELe Groupe du Travail des Nations unies, saisi par la FIDH du cas de la députée kurde Leyla Zana et de cinq de ses collègues parlementaires, a adoptée une décision (N° 40/1995-Turquie) concernant la détention des députés kurdes et la déclarant arbitraire, le 30 novembre 1995. Selon cette décision, communiquée officiellement le 7 février au gouvernement turc, le procès a été conduit dans des conditions qui violent les normes internationales acceptées relatives au droit à un procès équitable, et en particulier, celles concernant les droits de la défense et le principe de l'indépendance de la justice. Ainsi la défense n'a pas été en mesure de mettre en cause les preuves apportées par l'accusation, de même qu'elle n'a pas été autorisée à produire des preuves à décharge ni procéder à l'interrogation des témoins. Par ailleurs, bien que le statut de la Cour fixe la durée du mandat des magistrats à quatre ans, l'un des magistrats, qui fait partie des forces armées exerce son mandat depuis 1987 et l'instruction judiciaire est conduite par le bureau du Procureur de la République et par la police et non par un magistrat indépendant. Ces éléments montrent que la Cour de Sûreté de l'État dépend du pouvoir exécutif et qu'elle n'administre pas la justice de manière impartiale, mais selon les intérêts du gouvernement. A la lumière de ces faits constatés, le Groupe du travail déclare la détention de Leyla Zana "arbitraire" car "contraire aux articles 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux articles 14 alinéas 1 et 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (..) et demande au gouvernement turc de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation, de manière à la rendre conforme aux normes et principes contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques". LE QUOTIDIEN TURC HÜRRIYET QUALIFIE LE PARLEMENT EUROPÉEN DE "RAMASSIS D'INSOLENTS"La résolution adoptée le 15 février par le Parlement de Strasbourg par 342 voix contre 21 affirmant l'appartenance de l'îlot non habité d'Imia (Kardak) à la Grèce; exprimant "sa vive préoccupation face à cette dangereuse violation par la Turquie des droits souverains de la Grèce" et soulignant que les "frontières de la Grèce constituent également une part des frontières extérieures de l'Union" a suscité des réactions virulentes dans les médias turcs. Premier quotidien du pays, Hürriyet publie en première page, le 16. 02. 96, un éditorial injurieux intitulé "Ce ramassis d'insolents". Passant en revue les griefs nationalistes habituels des Turcs contre les institutions européennes, l'éditorialiste accuse le Parlement européen de ne pas avoir réagi aux massacres barbares de 300 milles personnes de Bosnie par les Serbes barbares et de chercher maintenant à dicter sa conduite à la Turquie "Un jour ils réunissent pour demander "l'octroi d'une autonomie à la minorité kurde vivant à l'intérieur des frontières de la Turquie", un autre jour ils demandent à la Turquie de s'asseoir avec le PKK, appelant sans vergogne "président" le chef de cette organisation terroriste. Ils poussent la démesure, à vrai dire l'insolence, jusqu'à "exiger" la libération immédiate de telle ou telle personne détenue dans les prisons. A croire que ce pays est la ferme de leurs pères et où ils ont ici des valets. Cette bande d'irresponsables et d'insolents vient de décider dernièrement que l'îlot de Kardak appartient à la Grèce. Regardez-moi ces rigolos, on dirait qu'ils ont déjà réglé tous les autres problèmes du monde et que le tour de tracer la frontière entre la Turquie et la Grèce est venue(..) Ces gens sont-ils des illettrés? Ne lisent-ils pas des journaux, ne suivent-ils pas les radio et les TV(..) Que nous veut donc le Parlement européen?" Qui osera dire à l'éditorialiste en chef de Hürriyet de ne pas en vouloir aux eurodéputés de s'informer grâce à d'autres média que les média ultranationalistes turcs contrôlés par l'État et pratiquant un véritable bourrage de crâne des citoyens turcs? Et puis, le Parlement de Strasbourg si assidûment courtisé il y a quelques semaines par des Turcs désireux d'entrer dans l'union douanière, qui a fait preuve d'une grande indulgence vis-à-vis d'Ankara en ratifiant cette union se voit si mal payé de retour par les médias turcs! LA JOURNALISTE AMÉRICAINE ALIZA MARCUS REÇOIT LE PRIX INTERNATIONAL DE PRESSE DÉCERNÉ PAR LE NATIONAL PRESS CLUB (NPC) DE WASHINGTONCorrespondante de l'agence Reuters, Mlle. Marcus avait été poursuivie pour "incitation à la haine raciale" par la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul pour une dépêche faisant état de la destruction délibérée des villages kurdes par l'armée turque. Menacée de 2 à 6 ans de prison, elle avait finalement été acquittée en novembre 1995 sous les fortes pressions du Congrès et du gouvernement américain. En lui décernant le 22 février ce Prix, Mme. Sonza Hillgren, présidente du NPC a notamment rappelé que "Même écrire des faits concernant un allié de l'OTAN peut de nos jours mettre en danger la vie et la sécurité d'un journaliste" et félicité Mlle. Marcus pour son courage et son parti pris de la vérité. Malgré son acquittement, la journaliste américaine n'est plus autorisée à travailler en Turquie. Les autorités turques ne veulent plus d'elle. Elles ont refusé de prolonger son accréditation et son permis de séjour la forçant ainsi à quitter le pays. Le carton d'invitation à son "Good bye Party" du 20 février lui valu une dernière salve d'attaques de la presse turque parce qu'il est rédigé en anglais, turc et kurde! et on peut y lire "La Turquie est entrée dans l'union douanière et Aliza Marcus est forcée de quitter la Turquie. Nous devons faire quelque chose pour les libertés de presse et d'information". SELON LE PRÉSIDENT DEMIREL "LE PARTI ISLAMISTE N'EST PAS UNE MENACE POUR LA DÉMOCRATIE"Dans un message télévisé marquant la célébration de la fin du Ramadan, M. Demirel, cité par le Herald Tribune du 21 février, a notamment déclaré : "Il n'y a pas de lieu de s'inquiéter au sujet de la laïcité et de la démocratie en mal interprétant les résultats des élections. Ce n'est pas possible de changer le caractère fondamental de la Turquie. La place de notre grand Atatürk, le fondateur de notre République et le sauveur de la Turquie demeure indiscutée dans le coeur et l'esprit de notre peuple". Cette déclaration est pour le moins en contradiction avec "le chantage à la menace islamiste" pratiqué tout au long de l'année 1995 par le président turc, son Premier ministre et les autres dirigeants turcs dans leurs discussions avec les gouvernements européens et les eurodéputés. On ne cessait de leur dire "si vous ne nous acceptez pas dans l'union douanière tout de suite, le pays va basculer vers l'islamisme et avec le parti islamiste au pouvoir ce sera le retour au Moyen âge et la fin de l'alliance de la Turquie avec l'Europe"! Ce chantage ayant réussi voici le président turc qui affirme avec superbe que "le parti islamiste n'est pas une menace". En Turquie l'opinion est habituée aux volte-face de M. Demirel dont la maxime favorite "hier c'était hier, aujourd'hui c'est aujourd'hui" justifie a posteriori tous les retournements. Les Européens s'intéressant à ce pays sont gratifiés ces derniers mois d'un cours intensif de ruses orientales, d'intrigues et des jeux byzantins de la politique turque. VERS UNE NOUVELLE INTERVENTION MILITAIRE TURQUE DANS LE KURDISTAN IRAKIEN ?Depuis environ deux semaines la Turquie procède à d'importantes concentrations de troupes à sa frontière avec le Kurdistan irakien. Ces préparatifs militaires massifs laissent penser que l'armée turque pourrait dans les semaines à venir lancer une opération militaire de grande envergure dans le Kurdistan irakien. Sous prétexte de "nettoyer la région des bases du PKK" ou d'assurer la sécurité de l'oléoduc transportant le pétrole irakien vers le port turc de Yumurtalik" l'armée turque pourrait cette fois-ci chercher à occuper durablement la partie économiquement utile ou militairement stratégique du Kurdistan irakien. Malgré le cessez-le-feu unilatéral proclamé le 15 décembre par le PKK, l'armée turque continue d'ailleurs ses opérations militaires dans le Kurdistan. En prélude à sa désormais "traditionnelle" campagne de printemps, dès la fin des fêtes du Ramadan environ 20. 000 soldats et commandos turcs ont lancé une importante opération dans la province de Tunceli (Dersim). Les opérations de ratissage se poursuivent aussi dans la province de Sivas, située à 400 km d'Ankara. MEURTRE SOUS LA TORTURE D'UN NOTABLE KURDE À YUKSEKOVAArrêté le 17 janvier sur la route de Yuksekova-Hakkari par une unité militaire, porté depuis "disparu", le corps d'Abdullah Canan a finalement été trouvé le 21 février dans un sac déposé dans la décharge militaire de Yuksekova. D'après le rapport d'autopsie de l'hôpital d'Etat de Yuksekova ce notable kurde a eu le crâne fracassé par des objets durs au point d'être méconnaissable, son corps est couvert de brûlures de cigarettes et d'ecchymoses, ses testicules et pieds enflés à la suite de sévices subis. A. Canan a ensuite été achevé de 3 balles dans la tête affirme le rapport médico-légal. A la suite de l'évacuation forcée et de la destruction de son village par l'armée, ce chef de village avait, avec plusieurs habitants de son village, porté plainte devant le Tribunal administratif régional. Les chefs des unités militaires locales l'avaient à plusieurs reprises menacé de "représailles terribles" s'il ne retirait pas sa plainte. A. Canan, jadis propriétaire prospère, avait tellement perdu dans la destruction de son village qu'il devait estimer ne plus rien avoir à perdre. Il a été puni à titre d'exemple par l'armée. Lors de ses funérailles auxquelles plusieurs milliers de personnes ont participé, l'oncle de la victime , Esat Canan, ancien député du parti républicain du Peuple (CHP) , a déclaré que ce meurtre avait été perpétré par l'Etat et il a cité le commandant Mehmet Emin Yurdakul comme auteur de cet acte de terrorisme d'Etat. LE PRIX DU "SCIENTIFIQUE PERSÉCUTÉ" DÉCERNÉ CETTE ANNÉE À UN PROFESSEUR TURCL'Association Américaine pour le Progrès de la Science a décerné son prix de "Scientifique persécuté" à M. Haluk Gerger professeur en relations internationales à l'université d'Ankara. M. Haluk Gerger vient de passer 20 mois de prison pour un message de solidarité au peuple kurde publié dans un journal pro-kurde jugé "séparatiste" par la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara. S'adressant aux journalistes, il s'est exprimé sur la situation en Turquie dans les termes suivants : " Il faut briser les tabous concernant la question kurde, tels que les termes de 'Kurde' et celui du "Kurdistan" qui a une réalité géographique (..) Ces choses changent soit par des moyens pacifiques et démocratiques, soit par la guerre. Pour ma part j'ai choisi la voie de la paix et je ne connais pas une troisième voie." UN ÉDITEUR CONDAMNÉ À UN AN ET DEMI DE PRISONUn livre écrit en 1973 par un intellectuel kurde, Ekrem Cemil Pasha, intitulé "Ma vie, un aperçu du mouvement intellectuel kurde contre le kémalisme" a été réédité en 1992 et saisi la même année. Son éditeur, Ibrahim Küreken, qui se trouvait à l'étranger, a été jugé in absentia par la Cour de Sûreté de l'État pour "offense à la mémoire d'Atatürk" à 1,5 ans de prison et une amende de 600. 000 LT. L'avocat de la défense, Me. Candan qui fut aussi l'un des avocats des députés kurdes du parti de la démocratie, a été assassiné par un escadron de la mort et son client, M. Kureken, sert actuellement sa peine à la prison de Haymana à Ankara. ANKARA RAPPELLE SON AMBASSADEUR À ATHÈNESSi un conflit armé grèco-turc a pu être évité grâce à l'intervention de la diplomatie américaine, les relations entre la Grèce et la Turquie restent toujours très distantes. Ankara a, le 22 février, rappelé "pour consultation" son ambassadeur à Athènes. Dans une interview accordée à la revue Savunma ve Havacilik "Défense et Aviation", le chef d'état-major des années accuse ouvertement la Grèce de " soutenir et de financer le PKK et d'autres organisations terroristes ennemies de la Turquie". Plus cocardière que jamais, Mme. Çiller se vante, à chaque fois qu'elle en a l'occasion, d'"avoir obligé par la force les Grecs de se retirer de Kardak" et préconise "la fermeté" et la menace de la force pour régler les litiges territoriaux opposant son pays à la Grèce en mer Egée. Même les Américains, habituellement indulgents envers Ankara ne cachent plus leur irritation devant les discours belliqueux et cocardiers des dirigeants turcs. Se faisant l'écho de cet agacement, le Washington Post a publié un éditorial intitulé "Turkey's Truculence" où on lit notamment: " Le Premier ministre de la Grèce, Costas Simitis, a agi d'une manière responsable, tenant face aux politiciens et journalistes grecs va-t-en-guerre et soulignant sa préférence pour que la querelle soit réglée sans effusion de sang. Mais le leader de la Turquie, Tansu Çiller, a délibérément tenu cette question enflammée avec une rhétorique belliciste, compliquant la vie à M. Simitis et aux possibles modérés turcs. "Nous avons exprimé notre détermination très clairement et nous avons obtenu le résultat" (que nous voulions)" Mme. Çiller s'est vantée après le retrait mutuel, affirmant effrontément que c'était l'agressivité et les vaisseaux de guerre turcs et non pas la diplomatie du président Clinton qui avaient conduit les Grecs à se retirer, son implication claire est que la Turquie devrait menacer d'user de la force pour appuyer sa revendication sur des milliers d'îlot égéens disputés également (..) Le plus décourageant aspect de ce regain de tension est, cependant, le politicien pro-occidental le plus proéminent de la Turquie est toujours en train d'attiser le feu". CINDORUK TOUJOURS ACERBE ENVERS ÇILLERL'ancien président du Parlement turc, Hüsamettin Cindoruk, évincé du Parti de la Juste Voie dont il fut le fondateur par Çiller continue de critiquer avec virulence "la parvenue". Dans une interview accordée au quotidien Milliyet du 21 février, il déclare notamment : "J'ai fait de la prison pour ce parti, j'ai été torturé. Ce ne sont pas des mannequins de vitrines qui pourraient m'arracher de mon parti (..) Suleyman Demirel a pris Mme. Çiller pour garnir la vitrine. Car Çiller n'est qu'un mannequin. Cette dame posée dans la vitrine s'est emparée plus de la caisse. Ce n'est pas la faute du président Demirel. Il s'est retrouvé avec des conséquences dépassant ses interventions" DU MILITARISME JUSQUE SUR LE CACHET DE LA POSTE TURQUEDepuis bientôt un an, le courrier affranchi par la poste turque porte, à côté d'un cachet indiquant le nom du bureau de poste et la date de l'envoi, un cachet portant l'inscription "Haydi Türkiye Mehmetcikle el ele" (En avant la Turquie, main dans la main avec le petit Mehmet) "le petit Mehmet est le nom affectueux au brave soldat turc symbolisant" la vaillante armée issue du sein de la nation turque". Suit un numéro de compte chèque postal pour les dons à l'armée. Dans nombre de démarches administratives ces «dons» sont prélevés d'office. Des chaînes de télévisions et des journaux sont également mobilisés régulièrement pour ces campagnes de soutien financier à l'armée. |