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NO: 242 |
30/5/2002 PROCÈS DES PRÉNOMS KURDES : RELAXÉ À DICLE, NOUVELLES MISES EN EXAMEN À IZMIR ET À ARDAHANAlors que le tribunal de Dicle rejetait la veille une demande similaire, un procureur d’Izmir a lancé une poursuite le 23 mai contre neuf autres familles kurdes d’Izmir accusées d’avoir donné des prénoms kurdes à leurs enfants. Les prénoms incriminés sont Zozan (Alpage), Medroj (Soleil de Mèdes), Rojhat (Aurore), Siyar (éveillé), Helin (Nid) et Baran (Pluie), les deux derniers pourtant communément utilisés par les Kurdes aussi bien que les Turcs. Au moment où l’Union européenne demande à la Turquie d’entamer de sérieuses réformes pour le respect des droits culturels des Kurdes, le procureur qualifie de “ désobéissance civile ” le fait de donner des prénoms kurdes aux enfants. Dans la série de la chasse aux noms kurdes, la presse turque annonce le 30 mai qu’une autre famille d’Ardahan de même que l’officier d’état civil responsable, sont également traduits en justice pour le choix et l’inscription du prénom kurde Berivan (trayeuse). L’affaire est si burlesque que Berivan n’est autre que le titre d’une des séries télévisées les plus regardées en Turquie. “ Alors que l’on parle des critères de Copenhague, on régresse au point de poursuivre nos prénoms centenaires. J’ai pitié de l’Union européenne. Il parait qu’ils vont nous accepter parmi eux. À quoi donc serviraient à l’Europe ces têtes? On va tout simplement perturber la tranquillité de ces gens aussi ” écrit Fatih Altayli le 30 mai dans son éditorial du quotidien Hurriyet. L’ARMÉE TURQUE SE PRONONCE POUR L’ABOLITION DE LA PEINE DE MORT, LES AUTORITÉS CIVILES DEVRAIENT SUIVRELa puissante armée turque s'est dit prête à accepter l'abolition de la peine de mort en Turquie à condition que le Parlement vote une loi assurant que le chef de l'ex-PKK, Abdullah 0calan ne puisse jamais sortir de prison, rapporte le 29 mai la presse turque. Ainsi, le quotidien turc Hurriyet annonce en sa Une que l’armée turque se prononce pour l’abolition de la peine de mort en Turquie. Sous le titre de “ Ce pas courageux est venu de l’armée ”, le quotidien explique qu’alors que le Premier ministre turc sollicitait des “ pas courageux ” de la part de Devlet Bahçeli, son principal partenaire de la coalition et leader du parti ultra nationaliste de l’Action nationaliste (MHP), c’est l’armée turque qui s’est enfin décidée à rompre le silence sur le sujet en se déclarant pour l’abolition de la peine de mort et pour la suppression de l’amnistie. L’armée turque, qui jusqu’alors déclarait publiquement qu’étant “ partie ”, elle ne pouvait pas se prononcer sur le sujet, opterait selon le quotidien pour une formule qui abolirait la peine de mort et substituerait à la place la réclusion criminelle à perpétuité sans libération conditionnelle ou possibilité de bénéficier d’une quelconque amnistie. Le général de l’armée, resté anonyme, auteur de cette déclaration souligne qu’il faut prendre en considération la sensibilité de l’opinion publique concernant le sort d’Abdullah Ocalan et donc lui “ appliquer le même sort que celui de Rudolf Hess ”. En visite officielle en Chine, Devlet Bahçeli, a, quant à lui, affiché un durcissement en affirmant le 28 mai depuis Pekin que quelle que soit la décision de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’affaire Ocalan, son dossier devrait être envoyé rapidement devant le Parlement turc pour qu’il puisse se prononcer. En réponse à Bulent Ecevit qui avait déclaré “ j’attends des pas courageux de la part de Bahçeli sur la question de l’Union européenne ”, D. Bahçeli a rétorqué qu’il avait cinq conditions pour l’UE : Le transfert d’Abdullah Ocalan à une prison de type-F, le renvoi de son dossier devant le Parlement turc, l’inscription du KADEK (ex-PKK, Congrès pour la liberté et la démocratie au Kurdistan) dans la liste des organisations terroristes de l’UE, capitulation des responsables de l’organisation et déclaration publique convaincante de la part de ces responsables sur l’arrêt de la terreur et sur leur fidélité à la Constitution turque. D. Bahçeli a affirmé que c’est sous ces conditions qu’il prendrait en considération l’élargissement du domaine de la démocratie, des droits et de la liberté des citoyens. L'avis de l'influente armée turque est cependant susceptible d'adoucir les positions de la droite turque. Ainsi, Tansu Çiller, chef du parti de la juste voie (DYP) et ancienne Premier ministre, qui jusqu’alors affichait une position très arrêtée sur la question pour séduire l’électorat du MHP, a fait volte-face en déclarant qu’ “ entre Apo ou l’UE, nous choisirons l’UE ”. Le conseil national de sécurité (MGK), véritable exécutif en Turquie dominé par l’armée, devrait se réunir le 30 mai pour discuter une nouvelle fois de l’éducation et de la diffusion en langue kurde mais aussi de l’Union européenne. La santé du Premier ministre Bulent Ecevit, suivie avec beaucoup d'inquiétude, ne devrait pas lui permettre d’assister à la réunion. Le 28 mai, il a d’ailleurs, pour la première fois, reconnu qu’il était malade, qu’il voullait mais ne pouvait pas se permettre d’abandonner son poste. Le vice-Premier ministre Devlet Bahceli, en visite en Chine, sera également absent de la réunion. Le président turc Ahmet Necdet Sezer a, cependant, convoqué pour le 7 juin un sommet des leaders des partis représentés à l'Assemblée nationale afin d’accélérer les réformes. UN GÉNÉRAL TURC DÉPÊCHÉ AU KURDISTAN IRAKIEN POUR RENCONTRER LES DIRIGEANTS KURDESSelon le quotidien kurde Hawlati (Citoyen) daté du 20 mai, le général Nevzat Bakiroglu, en charge des forces militaires spéciales turques, serait en visite au Kurdistan. Il aurait ainsi rencontré Massoud Barzani à Salahaddin à une date non indiquée, pour ensuite être reçu par Jalal Talabani à Suleimaniyeh le 17 mai. Selon une source locale, la Turquie aurait dépêché son plus haut responsable dans la région, après la récente rencontre des deux dirigeants kurdes avec les responsables occidentaux et américains. Selon la Radio libre d’Irak, Massoud Barzani a refusé plusieurs invitations du gouvernement turc ces derniers temps. Les autorités turques sont également irritées du fait que les deux leaders kurdes n’aient pas transité par la Turquie pour consultation avant leur départ en Europe. LE PATRONAT TURC DEMANDE L’ABOLITION DE LA PEINE DE MORT ET LE RESPECT DES DROITS CULTURELS AUX KURDESLa puissante organisation patronale turque TUSIAD a appelé le 29 mai le gouvernement de coalition à abolir “ dans les plus bref délais ” la peine de mort et à accorder des droits culturels aux Kurdes pour pouvoir ouvrir des négociations d'adhésion avec l'Union européenne (UE). “ Les partis politiques et le Parlement doivent prendre leurs responsabilités dans ce projet vital pour l'avenir du pays et faire les pas nécessaires sur la voie de l'intégration à l'UE ”, souligne l'influente organisation. Elle indique que des réformes pour respecter les critères de Copenhague sur les droits de l'homme, notamment l'abolition complète de la peine de mort et un enseignement ainsi qu'une télévision en kurde, doivent le plus rapidement être adoptées. L'organisation estime que si la Turquie n'entreprend pas ses réformes, les Quinze ne fixeront pas de date pour l'ouverture des négociations d'adhésion, réclamée avec insistance par Ankara. “ Nous serons alors dépassés par les autres pays candidats et resterons seuls ”, souligne la TUSIAD. Elle estime que l'incertitude à laquelle sera alors confrontée la Turquie lui compliquera considérablement la tâche pour atteindre ses objectifs économiques, en référence à la grave crise qu'elle traverse depuis février 2001, avec l'aide massive du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE ANNULE LA NOUVELLE LOI D’AMNISTIE VOTÉE MALGRÉ LE VETO PRESIDENTIEL PAR LE PARLEMENTPassant outre un premier veto présidentiel, le Parlement turc avait voté le 21 mai une loi d'amnistie dont Mehmet Ali Agça, l’auteur de l’attentat manqué contre le pape Jean Paul II en 1981, aurait pu bénéficier mais qui excluait une nouvelle fois les condamnés pour crime d'Etat, comme les combattants kurdes, les gauchistes mais plus largement des prisonniers politiques comme les députés kurdes, des journalistes ou écrivains condamnés pour leurs opinions. Le président turc Ahmet Necdet Sezer avait saisi le 23 mai la Cour constitutionnelle turque arguant que des réductions de peines ne seraient pas décidées en fonction du comportement d'un prisonnier et que la loi n'avait pas non plus recueilli la majorité des trois cinquièmes nécessaire, selon lui, dans les cas d'amnistie spéciale. Plus de 40.000 détenus ont été libérés en Turquie en vertu d'une loi d'amnistie depuis l'an 2000. Quelques 11.500 meurtriers, 11.300 voleurs ou braqueurs, et 1.100 personnes condamnées pour délits sexuels ont ainsi retrouvés la liberté depuis 2000, lorsque la Turquie a adopté une loi qui réduit les peines de 10 ans. Par ailleurs, un communiqué publié le 29 mai, a annoncé la fin de la grève de la faim lancée dans les prisons turques le 20 octobre 2000 pour protester contre les conditions de détention et les transferts dans les prisons de type-F. REPORTAGE À DIYARBAKIR : AU STADE “ UNE DES TRIBUNES HURLE “ KINE EM ? ” (QUI SOMMES-NOUS ?) ET L’AUTRE RÉPOND “ KURDiN EM ! ” (NOUS SOMMES KURDES)Des élections législatives anticipées s’annonçant de plus en plus probables en Turquie, le journaliste turc Hasan Cemal tentent de prendre le pouls de la société à travers une série de reportages publiés dans le quotidien turc Milliyet. Après quelques villes de l’Ouest, le voilà le 28 mai à Diyarbakir, où le premier constat s’annonce clairement dans le titre “ Diyarbakir est déterminé. Il n’y a pas d’indécision à Diyarbakir ! Il n’y a qu’une réalité politique c’est le HADEP ! ”. Voilà de larges extraits de ce reportage publié les 28 et 29 mai consacré à Diyarbakir : “ Les têtes sont confuses dans les neuf villes que je viens de visiter à travers l’Anatolie. Ce n’est pas le cas à Diyarbakir. Il n’y a pas d’indécision dans cette ville. Il n’y a qu’une réalité sur la scène politique à Diyarbakir : le parti de la démocratie du peuple (HADEP). Ils vont voter pour ce parti tels des soldats car ils considèrent le HADEP comme leur parti, comme le parti qui tient tête à l’Etat. Le HADEP recueille la majorité des voix, mais n’arrivant pas à franchir le seuil national de 10 %, il n’est pas représenté au Parlement. Diyarbakir incarne l’exemple même de ce fait. Le HADEP a récolté 46 % des voix aux élections générales de 1999 dans cette ville. Soit 187 000 voix. Mais il n’y a aucun député ! Par contre, le parti de la Vertu (Fazilet - islamiste) a 4 députés avec 59 000 des voix, le parti de la mère patrie (ANAP) et de la Juste Voix (DYP), recueillant 45 000 voix chacun, ont 3 députés pour l’un et l’autre et le parti de la gauche démocratique (DSP) avec 20 000 voix fait élire 1 député à Diyarbakir. Notez que Fazilet, ANAP, DYP et DSP réunis, atteignent au total les 170 000 voix, alors que le HADEP, qui a lui tout seul recueille plus que les quatre partis réunis, n’a même pas un député au Parlement. Peut-on admettre cela ? Il existe une maxime concernant le système électoral : “ Justice dans la représentation, stabilité dans l’administration ! ” Il n’y a pas de justice en cela… Le HADEP critique cette injustice dont il est victime : “ Il faut abandonner cette politique. Il n’y a d’intérêt pour personne. Au début prétextant la terreur, il y avait un rejet. Mais aujourd’hui il n’y a rien de tel. Je suis contre la violence, alors laisses-moi faire de la politique ” Que va donc faire le HADEP dans cette situation ? Un instituteur à la retraite dit : “ Ma voix est pour le HADEP ! C’est une réaction et non pas parce que j’ai un quelconque espoir ”. Un autre ajoute : “ Je ne m’attends ni à des services et ni à la démocratie. Je donne ma voix au HADEP pour prouver mon existence… ” Autre réaction : “ Nous voulons que l’Etat nous envoie ici des gens qui ont un casier plus honnête, que le HADEP ne soit pas exclu car l’exclusion de la scène politique renvoie à plus de radicalisation ”. Une personne poursuit : “ Ici il y a le HADEP et il est suivi de Tayip [Recep Tayip Erdogan, leader du parti islamiste de la justice et du développement (AK)]. La déclaration de Yilmaz “ la route de l’Union européenne passe par Diyarbakir ” a séduit pas mal de gens, mais ils se sont également interrogés sur sa crédibilité et sa volonté réelle… “ L’Union européenne est notre volonté commune. Que l’on adhère pour que tous ensemble nous puissions être traités comme des hommes de première classe ” rétorque un des hommes. Dans la rue des forgerons, on me dit : “ Nous avons besoin de sérénité. Je veux de la démocratie et de la liberté. Lorsque je pars en Occident, je me sens comme un autre homme. Je me sens bien. On ne peut pas faire ces choses-là avec des pansements ”, puis ajoute : “ On parle de l’Union européenne, mais on interdit le kurde. Lorsque l’on avait interdit le turc à ceux qui étaient en Bulgarie, nous avions remué le ciel. Mais ici [le kurde] c’est toujours interdit mon frère. ” Le maire HADEP de Diyarbakir Feridun Çelik a recueilli 104 000 voix en 1999. Il a été élu avec 62,5 % des voix. Cabbar Leygara, le maire HADEP du district de Baglar, a, lui, été élu avec 71% des voix… Ils me précisent que le HADEP représente en fait plus que cela et critiquent particulièrement les pressions exercées dans les zones rurales. Feridun Çelik qualifie de “ grande injustice ” le fait que le HADEP n’ait aucun représentant au Parlement turc malgré 46 % des voix recueillies lors des élections générales de 1999. “ Il faut respecter le choix des électeurs. Il y a une réalité claire et nette qu’il faut accepter. Comment vous pouvez ignorer le HADEP ? Toute une population d’une région donne ses voix à un parti mais n’a finalement aucun représentant au Parlement. Cette exclusion ne pourra-t-elle pas renforcer plus encore l’inégalité ? ” déclare-t-il. Cabbar Leygara poursuit : “ Personne ne réclame quelque chose aux députés. Ils viennent tous nous voir et nous disent qu’ils nous ont choisis nous. Ils nous demandent quand est-ce que leurs enfants reviendront de la montagne ? quand ils sortiront de la prison ? À quand l’amnistie ? Quand est-ce qu’ils peuvent retourner à leurs villages ? Ils nous disent qu’ils nous ont élus pour cela. ” Le maire de Diyarbakir s’interroge “ Où peut-on aller avec le refus ? ”. Il ajoute que leurs relations sont plus faciles avec la bureaucratie civile par rapport à il y a trois ans… mais qu’avec la bureaucratie militaire la distance continue… ” F. Çelik souligne également que “ Leyla (Zana) et ses collègues n’ont pas mérité d’être emprisonnés pendant 11 ans. Les assassins sont libérés… grâce à des amnisties mais eux ils sont encore en prison. S’ils venaient à être libérés, ils pourraient avoir une influence considérable sur la population qui les a élus… ” Feridun Celik souligne que depuis quelques années il n’y a pas d’affrontements dans la région mais “ il n’y a toujours pas de bonne politique appliquée ”. Il voudrait que l’on arrête de taxer de “ séparatisme ” toutes demandes démocratiques : “ L’abolition de la peine de mort, l’éducation en kurde, diffusion audiovisuelle en kurde sont les propos du président Sezer. Ecevit le dit aussi. Yilmaz également. Tayyip aussi. Ils le disent à Ankara eux. Si nous, on disait cela à Diyarbakir, du fait de l’état d’urgence, on encourrerait des poursuites… ” Il poursuit par un exemple : “ la semaine dernière, la préfecture nous a envoyé une note d’information la veille de l’inauguration du festival culturel et artistique. Ils nous ont signifié que s’il y a des slogans contre la peine de mort, pour le retour aux villages, pour l’éducation en kurde, ils annuleraient le festival. Si les responsables à Ankara tiennent ce genre de propos, il n’y a rien, mais si c’est nous, cela constitue une infraction ”. Le responsable du HADEP à Diyarbakir, Ali Urkut, déclare : “ Diyarbakir est aujourd’hui un cimetière de la société civile. Il y a tellement d’organisations interdites. ”… Diyarbakirsport, le football est un sujet important dans la ville. “ Au début ils ont essayé d’utiliser le foot à des fins de dépolitisation… contre le HADEP mais ça n’a pas marché. La société a même politisé le football. Tout naturellement… Lorsque Diyarbakirsport rentre sur le terrain ou marque un but. Une des tribunes hurle “ Kine em ? ” (qui sommes-nous? ” et l’autre répond “ Kurdin em ! ” (Nous sommes kurdes) raconte Feridun Celik. |