14/8/2002
LE MINISTRE TURC DE L’ÉCONOMIE DÉMISSIONNE FINALEMENT Un mois d'hésitations aura finalement eu raison de la fidélité politique de Kemal Dervis pour le Premier ministre Bülent Ecevit. Alors que les législatives turques sont prévues le 3 novembre, le ministre turc de l'Economie a présenté sa démission en bonne et due forme, de façon à être libre de créer une alliance des forces libérales pro-occidentales. Le 11 juillet déjà, Kemal Dervis avait déclaré son intention de quitter le gouvernement, mais Bülent Ecevit, depuis son lit d'hôpital, était parvenu à l'en dissuader. Masum Turker, un homme, peu connu du public, appartenant à la formation du Premier ministre, le Parti de la gauche démocratique (DSP), a été immédiatement nommé pour le remplacer.
La division des principaux partis - causée en grande partie par des rivalités personnelles entre leurs dirigeants - a permis au parti d'opposition de la Justice et du Développement (AK, islamiste), qui trouve son origine dans un mouvement islamiste interdit, de prendre la tête des sondages, avec 20 % des suffrages.
FATMA BILGIN DÉCÉDÉE DES SUITES DE LA GRÈVE DE LA FAIM ENTAMÉE IL Y A UN AN La grève de la faim des prisonniers turcs pour protester contre le régime d'isolement carcéral a fait le 10 août sa cinquante-troisième victime. Fatma Bilgin, 30 ans, est décédée dans un hôpital d'Ankara un an environ après avoir rejoint le mouvement de grève de la faim. Les protestataires jeûnent à tour de rôle, et n'absorbent que des liquides sucrés et salés ainsi que des vitamines pour se maintenir en vie.
Fatma Bilgin purgeait une peine de douze ans de prison pour appartenance au Front-Parti de Libération du Peuple Révolutionnaire (DHKP-C), à la tête du mouvement de protestation dans les prisons turques. Ce mouvement avait été lancé en octobre 2000 par des centaines de détenus d'extrême gauche contre la mise en service de prisons de haute sécurité où des cellules de une à trois personnes remplaçaient de vastes dortoirs pouvant contenir plusieurs dizaines de prisonniers. Les protestataires avancent que le nouveau système expose les détenus aux mauvais traitements des forces de sécurité et accroît leur isolemen
Le bilan de la grève de la faim inclut aussi des sympathisants extérieurs qui ont rejoint le mouvement par solidarité avec les détenus.
LE PRÉSIDENT RATIFIE LES RÉFORMES DU PARLEMENT TURC Le président turc Ahmet Necdet Sezer a, le 8 août, ratifié des réformes sur les droits de l'homme visant à préparer l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Le Parlement avait approuvé le 3 août le train de réformes abolissant notamment la peine de mort en temps de paix et mettant fin à l'interdiction d'enseignement et de diffusion d'émissions en langue kurde.
Les réformes, qui entreront en vigueur dès leur publication dans le journal officiel turc, sont contestées par le Parti d'action nationaliste (MHP) qui a porté l'affaire devant la Cour constitutionnelle.
LU DANS LA PRESSE TURQUE : BATMAN MEURTRI VEUT DU TRAVAIL ET DES DROITS CULTURELS Pour prendre le pouls de la population, à trois mois des élections anticipées, le quotidien Milliyet a décidé de parcourir la Turquie avec quelques-uns de ses journalistes en vue. L’étape du 13 août les a ainsi conduit dans la province kurde de Batman. “ L’économie ou l’identité ? ”, “ Les habitants de Batman préfèrent le parti HADEP et suffoquent à cause de la violence et des interdictions ”, titre le quotidien.
“ Au cours de la conversation avec la population de Batman, on a entendu dire que des équipes en civil interpellaient des jeunes distribuant des roses aux commerçants. Les jeunes se sont alors indignés en disant : “ Comme vous pouvez le constater, la démocratie ne reste qu’au stade de la parole ”, écrit le journaliste Derya Sazak dans son article. “ Nous voudrions nous réjouir pour le vote des réformes pour l’Union européenne. Il paraît qu’on a aboli la peine de mort, et qu’on autorise l’enseignement et la diffusion en langue kurde. Comment cela s’appliquera concrètement ? Nos voix seront-elles comptabilisées régulièrement aux élections ? ” s’interrogent encore les jeunes.
Le journaliste poursuit en disant qu’ “ en réalité, le HADEP a aussi des problèmes. Par exemple, les maires de Batman et de Siirt, ont dû démissionner à la demande de la direction générale du HADEP… Elu à Batman aux cours des dernières élections municipales, Abdullah Akin, un avocat de Diyarbakir, n’a pas dû totalement s’intégrer dans la population. Cela étant le choix des candidats décidés par la direction même n’est pas un problème propre au HADEP mais se retrouve dans tous les partis. ” Derya Sazak constate d’autre part que les partis islamistes , de la Justice et du développement (AK) comme celui du Bonheur (SP), devraient également y être pris en considération. “ À Batman, le nom du parti SP est aussi souvent évoqué que celui de AK. La raison réside dans la possibilité d’une alliance avec le HADEP… Les journaux locaux ont d’ailleurs titré “ Selamaleykum Heval !” [ndlr : Salam, bonjour chez les musulmans et Heval, ami en kurde]. Le journaliste conclu par le constat suivant “ À Batman, il y a près de 100 000 jeunes, et quelques centaines de cafés-internet. Malheureusement pas une salle de cinéma ! Les jeunes attendent qu’il y ait une université à Batman. Le chômage est le problème numéro un. La raffinerie TPAO [ndlr : société turque de pétrole] ne fait qu’administrer et aujourd’hui le pétrole n’arrive plus à nourrir la population. Le commerce transfrontalier est interdit. La crise économique a ruiné les commerçants et les agriculteurs. On impose un quota sur le tabac et dans les villages qui ont été évacués pour des raisons de terreur, l’élevage est mort. On importe du bétail de l’Iran. La terreur est finie mais la pauvreté sévit à Batman ”.
La journaliste Serpil Yilmaz se penche plus encore sur le volet économique de Batman en écrivant “ c’est la province la plus touchée par le déclin de l’économie publique… Alors qu’il y a deux mois 11 000 personnes étaient employées dans la raffinerie de Batman, aujourd’hui ils sont 3000. Payés 800 marks alors que la moyenne était de 3000 marks. L’agriculture se concentre sur la production de tabac et de coton à Batman. Avec le quota appliqué sur le tabac, les 45 000 familles qui vendaient un à deux tonnes de tabac par an à l’Etat, ne peuvent vendre que 200 kg… Selon les données, sur les 600 000 habitants, 45 000 sont sans emplois…” Taha Akyol, quant à lui, note que “ pendant qu’il est entrain de discuter des problèmes économiques et de la crise, un commerçant se lance : “ L’économie est importante mais notre identité passe avant tout ”.
“ 5000 familles ont envoyé une demande au Parlement turc pour avoir le droit de retourner dans leur village. Les parlementaires ont simplement répondu “ Est-ce que c’est interdit ? ils peuvent retourner ” écrit par ailleurs S. Yilmaz. Le point le plus dramatique à Batman étant le nombre de suicides chez les femmes, elle prend note qu’“ en 2000, il y a eu 33 suicides et que grâce (soi-disant) à l’ouverture des centres de soutien pour les femmes … ce nombre est descendu à 18 ”. Le journaliste Can Dundar déplore également le phénomène du suicide et écrit que le nouveau centre commercial de 4 étages à Batman est équipé de filet de protection pour lutter contre les suicides. “ Que peut expliquer plus que cela l’humeur d’une ville ? ”.
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