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Liste
NO: 26 |
18/3/1996 LA TURQUIE EN TÊTE DES PAYS LES PLUS RÉPRESSIFS À L'ÉGARD DE LA PRESSESelon le rapport annuel de la Commission pour la Protection des Journalistes (CPJ), rendu public le 14 mars, 182 journalistes étaient emprisonnés dans vingt deux pays à la fin de l'année 1995. La Turquie arrive en tête du palmarès mondial des gouvernements les plus répressifs à l'égard de la presse avec 51 journalistes, devant l'Éthiopie, le Koweït, le Zaïre, la Chine...etc. Commentant cette répression à l'égard de la presse, le Président du (CPJ) a déclaré que "la Turquie dépasse des régimes totalitaires tels que la Chine et la Syrie. Le nouveau gouvernement turc doit démontrer son engagement en faveur de la démocratie en remettant en liberté les collègues emprisonnés et abolir l'article 8 de la loi anti-terroriste". En effet, en vertu l'article 8 et d'autres articles de l'arsenal répressif turc journalistes, syndicalistes et intellectuels sont régulièrement poursuivis pour avoir exprimé des opinions indépendantes sur la guerre du Kurdistan. Ce fut le cas par exemple d'une journaliste américaine, Aliza Marcus, travaillant pour Reuters qui a été accusée par les autorités turques "d'incitation à la haine raciale" à la suite d'un article sur l'évacuation des villages kurdes par l'armée. Mlle Marcus s'est vu attribuer le jour même de la publication du rapport du (CPJ) le "Prix de la liberté de la presse" par le National Press Club de Washington. ÉTAT D'URGENCE PROLONGÉ DE 4 MOIS DANS DIX PROVINCES KURDESLe Parlement turc a décidé le 14 mars, par 227 voix contre 179 et 51 abstentions de prolonger de 4 mois l'état d'urgence dans les 10 provinces kurdes du Sud-Est. Celles-ci sont de fait placées depuis 1979 à des régimes d'état de siège, de loi martiale et d'état d'urgence de façon ininterrompue. Les jeunes âgés de moins de 20 ans n'auront ainsi connu que l'autorité sans partage ni contrôle de l'armée et de la police dans leur région. Au total depuis la création de la République turque en 1923, les provinces kurdes auront ainsi passé 50 ans sous des régimes d'exception et d'état de siège. "LA QUESTION KURDE NE POURRA ÊTRE RÉSOLUE PAR LA FORCE" AVOUE LE NOUVEAU PREMIER MINISTREInterrogé par le quotidien français Le Figaro du 13 mars, en marge de la 17ème conférence des chefs de partis de l'Union démocratique européenne (UDE), le nouveau Premier ministre, Mesut Yilmaz, déclare que "la question kurde ne pourra être résolue par les seuls moyens militaires. Il y a faudra des moyens administratifs, sociaux et culturels mis en oeuvre simultanément (..) cette question ne peut être résolue ni par le terrorisme, ni par des représailles antiterroristes". M. Yilmaz qui a par ailleurs, le 13 mars, catégoriquement exclu "toute négociation avec la rébellion kurde" et n'envisage pas de donner une suite au cezzez-le-feu unilatéral décrèté depuis le 15 décembre par le PKK, n'a pas précisé la nature "des moyens administratifs, sociaux et culturels" qu'il envisage pour le réglement du problème kurde. Pour l'instant ses déclarations rapellent étrangement les promesses de "réforme", de télévision et d'écoles kurdes faites lors de chaque visite de Mme. Çiller à Paris. Promesses évidemment sans lendemain. LE CABINET TURC OBTIENT L'INVESTITURE DU PARLEMENTLe Parlement turc a, le 12 mars, voté la confiance au gouvernement de coalition ANAYOL (ANAP + YOL) dirigé par Mesut Yilmaz. Sur 544 députés prenant part au vote 257 ont voté la confiance, 207 contre et 80 se sont abstenus. Minoritaire, la coalition n'a pu être investie que grâce à l'abstention du Parti de la Gauche démocratique de Bulent Ecevit. Le Refah islamiste et le CHP de Deniz Baykal ont voté contre. UN RAPPORT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE SUR LA QUESTION KURDELa Commission des Affaires étrangères a confié au député RPR Michel Habig la préparation d'un rapport d'information sur les données du problème kurde, rendu public le 8 février. Après avoir effectué un voyage d'études en Turquie et entamé une série de rencontres et d'entretiens avec les responsables turcs et kurdes, le rapporteur retrace les origines historiques de la question kurde et ses ramifications géostratégiques dans cet ensemble qu'est le Moyen-Orient tout en portant un regard critique sur les positions des parties en présence. Un constat s'impose: l'absence d'une volonté politique réelle de la part du gouvernement afin de résoudre ce problème. "La priorité du gouvernement de Mme. Çiller reste la répression militaire contre l'opposition kurde. L'armée a reçu carte blanche pour tenter de détruire le PKK (...) La brutalité des méthodes employées par l'armée ne fait que radicaliser les mouvements kurdes d'opposition. Cette logique du "tout répressif" fait le jeu du PKK. En refusant de distinguer entre identité kurde et séparatisme kurde, le pouvoir renforce la légitimité d'une organisation qu'il prétend réduire à néant et crée les conditions d'une aggravation du conflit. Ce quasi monopole laissé à l'armée dans la lutte contre le PKK a conduit à des violations flagrantes des droits de l'homme et à des restrictions inacceptables des libertés fondamentales. En juin 1994, le parti du DEP a été interdit et ses députés emprisonnés(..). Le troisième chapitre du rapport est intitulé "pour une solution politique de la question kurde" dans lequel le rapporteur se propose d'examiner les perspectives possibles d'évolution du problème kurde tout en se défendant d'avoir des intentions de "dire" ce qui doit être "la" solution à la question kurde. La première possibilité est "une démocratisation complète du régime turc" et le rapporteur ne cache pas préférence pour cette solution et que sa conviction est "que la solution de la question kurde passe d'abord par la démocratisation totale du régime politique turc". L'autre voie possible c'est "la décentralisation du système politique et administratif" ce qui consiste à accorder des droits collectifs aux Kurdes: une sorte d'autonomie ou de fédéralisme. D'après M. Habig la réorganisation de l'État turc sur une base fédérale est proposée par beaucoup de défenseurs de la cause kurde et il cite parmi ses interlocuteurs le président de l'Institut kurde de Paris, M. Kendal Nezan. Cette solution est désormais acceptée publiquement par le secrétaire général du PKK aussi qui jusqu'en 1993 prônait "un Kurdistan indépendant". Héritier d'une approche jacobine, le rapporteur trouve cette approche ni réaliste ni appropriée; car, selon lui "la Turquie moderne s'est construite autour d'une conception juridique de la citoyenneté et non ethnique. Cette conception est d'ailleurs proche de la nôtre (..) Octroyer le statut de minorité (aux Kurdes) constituerait une véritable régression". Pourtant, si les Kurdes luttent avec tant d'acharnement pour "une telle régression" c'est que la citoyenneté juridique turque actuelle est basée sur la négation même de leur identité et de leurs droits collectifs: c'est une coquille vide qui vise à les faire disparaître en tant que peuple distinct! Le dernier chapitre relatif à la question kurde en Turquie est intitulé "La communauté internationale et la question kurde". Le rapporteur pense que la communauté internationale et en particulier les pays européens ont un rôle à jouer pour créer les conditions d'une solution de la question kurde tout en respectant l'intégrité territoriale de la Turquie. Pour ce faire "la Turquie doit mieux respecter les droits de l'homme et la démocratie" et cela est possible si ce pays se conforme aux instruments internationaux en la matière. Le rapport conclut "qu'une approche politique de la question kurde est nécessaire car elle ne saurait être résolue par le recours à la répression militaire. Elle doit faire l'objet d'une approche politique(..)" SELON LE RAPPORT ANNUEL DU DÉPARTEMENT D'ÉTAT "L'USAGE DE LA TORTURE ET DE LA FORCE EXCESSIVE EST SYSTÉMATIQUE DANS LES PRISONS TURQUES"Dans son rapport annuel relatif aux droits de l'homme en Turquie de 30 pages, rendu public le 6 mars, le Département d'État américain met, cette année, particulièrement l'accent sur l'usage systématique de la force excessive et de la torture durant la mise en garde-à-vue et en détention dans les prisons turques. Le rapport analyse la situation des droits de l'homme en Turquie d'une manière générale et s'arrête plus longuement sur les violations des droits de l'homme dans les provinces kurdes. Désignées par l'appelation turque du "Sud-Est" dans le rapport, ces provinces sont soumises à un régime dérogatoire, en vigueur depuis 1987; l'état d'urgence a été prolongé en octobre 1995 dans dix provinces du Sud-Est et trois autres adjacentes. Un super-préfet (super wali) est en charge d'autorité dans cette région et exerce des "lois quasi martiales"; y compris les restrictions à la presse, la déportation des personnes dont les activités sont jugées hostiles à l'ordre public et le pouvoir de déclarer une partie de ces provinces "zone militaire" comme ce fut le cas dans le Nord-Est de la province de Kars pendant 6 mois l'année dernière. Le Département d'État note que les limites à la liberté d'expression demeure "un sérieux problème" bien que le Parlement ait amendé l'article 8 de la loi anti-terreur: "Le gouvernement a continué (durant l'année 1995) à se servir de la loi anti-terreur qui vise à arrêter toute personne suspecte d'être terroriste mais aussi un large éventail de personnes dont les actes, les paroles ou les idées sont susceptibles de propager la propagande séparatiste". Un autre article liberticide fréquemment utilisé par les procureurs: l'article 312 du Code pénal turc visant à interdire toute "incitation à l'animosité raciale et ethnique". Le rapport relève quelques progrès réalisés dans l'Ouest de la Turquie en matière des droits de l'homme et le fait que "les forces de sécurité capturent les maquisards du PKK vivants, fait très rare dans le passé". Cette organisation est désignée, par ailleurs, comme "une organisation terroriste qui assassine les non-combattants, les protecteurs de villages et commet des assassinats à l'aveuglette dans leur effort d'intimider la population". La destruction et l'évacuation des villages n'ont fait que continuer durant l'année dernière. Plus de 2 millions de personnes ont fui le Sud-Est à la fois pour des raisons économiques et des raisons liées à la guerre dans les régions kurdes. Sans prendre une position sur la détention des députés kurdes, le Département d'État met néanmoins en contradiction les chefs d'accusation qu'a retenus la Cour de sûreté de l'Etat contre les parlementaires et les attendus de la Cour de cassation. Accusés, par la Cour de sûreté de l'État, de "propagande séparatiste" et de la mise en cause du principe de "l'indivisibilité de la nation"; pour des discours prononcés à la tribune du Parlement, les opinions exprimées lors des conférences et colloques ou des interviews; le fait de prêter serment en kurde et en turc et de s'être habillé avec les couleurs kurdes . La Cour de cassation déclare dans ses attendus qu'"il n'était pas un crime de prêter serment en kurde au Parlement, de s'habiller avec les couleurs kurdes et de déclarer que la langue turque est pour eux une langue étrangère" Le rapport note que le cas des députés kurdes est désormais devant la Commission européenne des droits de l'homme et le que gouvernement avait publiquement déclaré qu'il se conformerait à la décision de cette instance. Le rapport note enfin que la violence domestique est exercée à l'égard des femmes et des enfants d'une façon très répandue. EXPULSION DE NUSRET DEMIRAL DU PARTI DE L'ACTION NATIONALISTE (MHP)Le redoutable procureur de la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara qui a envoyé des milliers d'intellectuels kurdes et turcs en prison pour délit d'opinion et qui a fait arrêter et condamner 8 députés kurdes a été expulsé le 16 mars par le Conseil de discipline du MHP du colonel Turkes. Cette formation d'extrême droite fascisante qu'il avait rejoint en octobre dernier estime que l'ex-procureur "par une conception extrémiste du nationalisme a nui aux intérêts électoraux du parti". Elle reproche notamment à Demiral d'avoir publiquement demandé que l'appel rituel à la prière musulmane (ezan) soit lancé en turc alors que depuis le début de l'islam et dans l'ensemble du monde musulman il a toujours été récité en arabe. Cette proposition a choqué une partie de l'électorat conservateur du MHP affirme le Conseil de discipline de ce parti. Celui-ci, ne s'est pas pour autant converti à la modération. Son leader, Turkes vient , dans le Milliyet du 18 mars, d'accuser l'écrivain Yachar Kemal d'avoir choisi "la voie du séparatisme et de l'hostilité à la nation turque après avoir accédé à la gloire grâce l'exploitation de notre belle langue turque et grâce aux ressources de la Grande Nation turque". Il ne faut pas y avoir de simples vitupérations d'un leader extrémiste. Avant le triple meurtre de la Tour Sabanci, Turkes avait sévèrement critiqué le célèbre homme d'affaires Sakip Sabanci qui avait préconisé "le modèle basque espagnol pour le règlement du problème du Sud-Est": "Ne te mêle pas de politique; occupe-toi de tes affaires!" l'avait-t-il gravement menacé. Dans une interview au Milliyet du 18 mars, M.Serdar Çelebi, ex-bras droit du colonel Turkes, affirme que celui-ci cherche à attiser constamment la polarisation et, bien que sans fonction officielle, il joue un rôle important dans l'État turc, ce qui explique les égards dont l'entourent le président de la République et le Premier ministre. REMISE EN LIBERTÉ DE ABDULMELIK FIRATA la suite des appels lancés par divers secteurs de l'opinion turque inquiète de la détérioration de l'état de santé de l'ex-député kurde d'Erzurum A. Firat, celui-ci a été remis en liberté le 8 mars Il comparaîtra devant la Cour de Sûreté de l'État d'Erzincan qui l'accuse d'avoir hébergé des militants du PKK. |