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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 35

20/6/1996

  1. DR. SEYFETTIN KIZILKAN CONDAMNÉ À 3 ANS 9 MOIS DE PRISON
  2. LE MANDAT DE PROVIDE COMFORT NE SERA PROLONGÉ QUE D'UN MOIS
  3. LE GÉNÉRAL GURES BRANDIT LA MENACE D'UNE INTERVENTION MILITAIRE SI "LES CIVILS NE S'ENTENDENT PAS"
  4. MOUVEMENT DE TROUPES À LA FRONTIÈRE SYRO-TURQUE
  5. LA CONFÉRENCE DE L'ONU "HABITAT II" S'EST TENUE À ISTANBUL DU 3 AU 14 JUIN
  6. QUELQUES SCÈNES D'HABITAT II LANCEMENT DU LIVRE "LA LIBERTÉ DE VIVRE EN TURQUIE"
  7. UN RAPPORT DE L'UNION DES CHAMBRES DES INGÉNIEURS ET DES ARCHITECTES DE TURQUIE (UCTEA) SUR DIYARBAKIR
  8. UN RAPPORT DE HUMAN RIGHTS WATC/HELSINKI TIENT LA TURQUIE RESPONSABLE DE LA DESTRUCTION DES VILLAGES KURDES
  9. ARRESTATION DE PLUS DE 1500 MANIFESTANTS À ISTANBUL


DR. SEYFETTIN KIZILKAN CONDAMNÉ À 3 ANS 9 MOIS DE PRISON


Le président de la Chambre des médecins de Diyarbakir, arrêté le 5 mai 1996, a été condamné le 17 juin à 3 ans 9 mois de prison par la Cour de Sûreté de l'État de Diyarbakir pour "aide et soutien au PKK". Ce médecin chef de l'hôpital d'État de la sécurité sociale à Diyarbakir, connu par son humanisme et ses idées pacifiques a rejeté les accusations policières à son encontre et dénoncé la parodie d'une justice qui le condamne sans avoir apporté aucun élément de preuve. Ce médecin qui exerce depuis 23 ans dans des hôpitaux d'État se voit en outre condamné à 3 ans d'interdiction de tout emploi public. En attendant la confirmation de sa peine par la Cour d'appel turc, le docteur Kizilkan a été remis en liberté par les juges de service commandés qui par ce procès ont voulu intimider les derniers et courageux représentants de la société civile kurde.

LE MANDAT DE PROVIDE COMFORT NE SERA PROLONGÉ QUE D'UN MOIS


Les négociations turco-américaines sur l'avenir de l'opération alliée Provide Comfort pour la protection des Kurdes irakiens ne semblent guère satisfaire les Turcs. Cependant, ceux-ci en cette période où des décisions concernant l'aide économique et militaire américaine à la Turquie doivent être débattues au Congrès ne veulent pas trop irriter Washington. C'est donc une "recommandation" d'entente que le puissant Conseil de Sécurité nationale turque, à dominante militaire, a formulé, le 17 juin, en se prononçant pour une prolongation d'un mois de l'autorisation donnée à l'aviation alliée d'utiliser le territoire turc pour ses vols de protection des Kurdes d'Irak. Le Parlement turc devra entériner cette "recommandation" comme il a jusqu'ici entériné toutes les recommandations de ce Conseil institutionnalisant la mainmise des 5 principaux généraux turcs sur la vie politique du pays. Ce Conseil élabore également un projet de "loi du Drapeau" qui prévoit entre autres que les bâtiments publics, les mosquées et les lieux de culte du pays doivent en permanence arborer le drapeau turc. Ce "projet de loi" des militaires destiné à ranimer artificiellement la flamme du nationalisme devrait être bientôt adressé au Parlement pour qu'il l'entérine.

En ce qui concerne l'aide américaine, sa partie civile, puisée dans le Fonds de Soutien économique semble rencontrer de sérieuse difficultés au Congrès. Celui-ci a rejeté le 5 juin par 301 voix contre 118 la proposition de l'Administration d'accorder en 1997 une aide économique de $ 25 millions à Ankara. Nombre de législateurs américains souhaitent conditionner l'octroi de cette aide d'un corridor humanitaire pour l'acheminement de l'aide à l'Arménie et à la reconnaissance par la Turquie du génocide arménien. L'ambassadeur turc à Washington a réagi très vivement contre ces deux amendements déclarant que si ceux-ci étaient adoptés son gouvernement refuserait une telle aide conditionnelle. Cependant, la Turquie aura de toute façon de quoi se consoler car l'aide militaire américaine sous forme de prêts et de dons, qui est autrement plus substantielle, ne sera pas soumise à des conditions politiques. Même en cette période électorale, pour plaire aux lobbies grec et arménien, l'Administration a décidé de "suspendre" la livraison de 3 frégates à la marine turque ainsi que toute décision sur la vente de nouveaux hélicoptères aux forces turques.

LE GÉNÉRAL GURES BRANDIT LA MENACE D'UNE INTERVENTION MILITAIRE SI "LES CIVILS NE S'ENTENDENT PAS"


L'ex-chef de l'état-major des armées, actuellement député affilié au DYP de Mme. Çiller, a donné le 16 juin une interview retentissante à l'agence semi-officielle Anatolie dans laquelle il appelle notamment les politiciens civils à s'entendre: "Qu'ils tirent bien les leçons du passé. On sait par l'Histoire ce qui s'est passé lorsqu'ils n'ont pu s'entendre et qu'ils ne pleurent pas lorsque ce sera trop tard" faisant une allusion limpide aux interventions militaires de 1960, 1971 et 1980. Et pour être plus claire le général a ajouté: "Quand la Turquie fait face à un grand péril, l'armée accomplira bien sûr le devoir que lui confèrent les lois et c'est naturel". Et bien sûr, ce sont les généraux qui décident si la Turquie est en danger ou non. Pour sortir de la crise, le général Gures propose un gouvernement de concorde nationale et il se dit prêt à se dévouer pour diriger un tel gouvernement. Les médias turcs ont accordé une très large place à cette interview. Quelques voix, comme celle du président Demirel, ont exprimé "leur malaise" face à ces menaces et affirmé qu'une solution serait bientôt trouvée à la crise politique "dans le cadre de la démocratie parlementaire". Pour l'heure, le premier ministre pressenti, l'islamiste Ncemettin Erbakan, n'a encore trouvé aucun partenaire pour former une coalition.

MOUVEMENT DE TROUPES À LA FRONTIÈRE SYRO-TURQUE


La tension monte dangereusement entre la Syrie et la Turquie qu'opposent de nombreux litiges: le partage de l'eau du Tigre et de l'Euphrate, le soutien de la Syrie au PKK, la revendication par la Syrie du Sandjak d'Alexandrette aujourd'hui en territoire turc (Cette province a été cédée en 1939 par la France alors puissance mandataire en Syrie). Durant le week-end, la Syrie a massé des troupes en plusieurs secteurs de sa frontière avec la Turquie en y déployant 40 000 soldats. Du côté turc de cette frontière longue de 877 km, l'armée turque est omniprésente dans le cadre de son interminable guerre contre le PKK. Dans ce climat de plus en plus tendu , de nombreuses explosions ont eu lieu en Syrie depuis début juin, dont la dernière visait le frère du président syrien. Les Syriens attribuent ces attentats aux services d'intelligence turcs et à l'arrivée de la nouvelle équipe au gouvernement en Israël. A la recherche des "coupables", les autorités syriennes ont procédé à l'arrestation de 600 personnes au sein de la minorité turkmène, une minorité jusqu'à présent paisible mais que désormais la Syrie semble considérer une 5ème colonne turque. Damas va porter son contentieux avec Ankara au sommet arabe du Caire qui se tient cette fin de semaine dans l'espoir d'obtenir le soutien des États arabes face à "l'alliance turco-israélienne". Les observateurs n'excluent pas que cette tension finisse par dégénérer à terme en cas de conflit régional si l'on ne la désamorce pas à temps.

LA CONFÉRENCE DE L'ONU "HABITAT II" S'EST TENUE À ISTANBUL DU 3 AU 14 JUIN


La conférence onusienne sur les établissements humains s'est achevée vendredi 14 juin, après deux semaines de discussions ayant pour thème principal "l'homme dans la ville du XXIème siècle". La nouveauté de cette conférence sur l'Habitat était la participation aux discussions officielles des collectivités locales et des organisations non-gouvernementales de la société civile. Il n'en demeure pas moins que "le sommet" de chefs d'États et de gouvernements n'a pas atteint les espoirs des organisateurs. Celui-ci a été boudé par les principaux chefs d'États développés et n'a pu réunir qu'une quinzaine de participants de rang modeste.

Le choix du lieu de la conférence a dès le départ suscité une polémique; il a été contesté par plusieurs États et par la plupart des ONG. Deux choix s'offraient aux candidats au départ pour Istanbul: Boycotter une conférence axée sur les établissements humains alors que le pays hôte, la Turquie, mène une campagne massive d'évacuation et destruction de villes et villages kurdes dans sa guerre au Kurdistan, ou participer à la conférence et montrer sa désapprobation en dénonçant sur place la politique turque envers le peuple kurde. Ou encore, comme firent une trentaine d'ONG locales, de tenir "une conférence alternative" en marge de la conférence officielle, qui a été dispersée rapidement et violemment par la police turque.

On aura remarqué que la Conférence Habitat II s'est tenue dans une atmosphère extrêmement tendue. Déjà, lors du discours inaugural du Secrétaire général de l'ONU, M. Boutros Boutros Ghali, les médias turcs ont réagi violemment et crié au scandale, parce que M. Ghali qui, par deux fois, dans son discours officiel d'ouverture a désigné le pays hôte par "La République fédérale de Turquie". Lapsus révélateur? ou une méconnaissance de M. Ghali de la structure étatique de la Turquie? Ce qui reste évident c'est que tout au long de la conférence l'accent a été mis sur la décentralisation et le rôle à jouer par les collectivités locales dans la gestion d'un environnement permettant à "la personne humaine" de s'épanouir. Est-ce que le Secrétaire général a tenu, par ce "dérapage linguistique", à communiquer sa pensée intime sur la Turquie de demain? Hypothèse d'autant plus plausible que son discours a dû être rédigé, lu et relu par plusieurs conseillers de M. Ghali. Les politiciens turcs ont en tout cas crié au scandale et attribué à M. Ghali "l'intention de diviser la Turquie", car c'est un "anti-musulman". Les médias turcs qui avaient mené des campagnes outrancières contre Mme. Mitterrand, Nelson Mandela et Eduard Kennedy pour leur défense des Kurdes se sont cette fois-ci déchaîné contre le Secrétaire général de l'ONU.

QUELQUES SCÈNES D'HABITAT II LANCEMENT DU LIVRE "LA LIBERTÉ DE VIVRE EN TURQUIE"


Toute la matinée du vendredi 7 juin a été dominée par la présentation et le lancement du livre "La liberté de vivre en Turquie". Livre dédié à la conférence de l'ONU Habitat II et co-édité par une centaine de parlementaires, d'avocats et d'organisations non-gouvernementales dont notre Comité. L'idée d'origine était d'un collectif d'ONG norvégiennes visant à "défier la censure turque": en publiant des articles déjà saisis en Turquie et y mentionnant dans son introduction un aperçu sur la politique systématique et massive de destruction et d'évacuation de villages kurdes par l'armée turque dans sa guerre au Kurdistan. Dans son introduction on peut lire: " Dans les quatre dernières années, la Turquie a détruit et/ou évacué environ 3000 villages kurdes. Très souvent avec la destruction de villages, les champs, les forêts et les biens sont aussi brûlés. Les villageois ne sont pas dédommagés et la plupart d'entre eux vivent aujourd'hui dans les bidonvilles autour d'Istanbul, Izmir, Adana, Mersin et Diyarbakir. En plus de l'article 8 de la loi dite anti-terreur, les articles 311 et 312 du Code pénal turc sont les plus utilisés pour limiter la liberté d'expression en Turquie." Lors de la conférence de presse de présentation de ce livre, M. Erik Sauar, au noms de tous les éditeurs a tenu à souligner que " Nous croyons que les Turcs et les Kurdes seront à mieux de pouvoir diriger leur pays et de choisir leurs leaders s'ils sont informés par ce qui se passe dans leur pays que s'ils ne l'étaient pas". Cette conférence de presse a donné lieu à un débat houleux; plusieurs ONG fabriquées de toutes pièces par les autorités turques à l'occasion de la conférence ont essayé par tous les moyens d'empêcher la tenue de cette conférence en voulant monopoliser le débat et en insultant les organisateurs.

UN RAPPORT DE L'UNION DES CHAMBRES DES INGÉNIEURS ET DES ARCHITECTES DE TURQUIE (UCTEA) SUR DIYARBAKIR


Un atelier, organisé par UCTEA au Forum des ONG d'Habitat II le vendredi 7 juin, a été consacré à l'émigration forcée et au déplacement de la population kurde. A cette occasion un rapport intitulé "une recherche sur les questions sociales issues de l'émigration inter-régionale à l'échelle de la ville de Diyarbakir" a été rendu public. Pour analyser la situation démographique et les retombées sociales sur la population émigrée/déplacée dans la ville de Diyarbakir, le rapport se base sur les données statistiques du recensement de 1990 et de celui de 1996. Selon le rapport, la ville de Diyarbakir compte aujourd'hui 822 837 habitants dont 327 957 personnes déplacées, arrivées depuis 1990. En 6 ans, si les données des recensements turcs sont fiables, la population de la ville a accru de 116%.

Quelques chiffres analytiques : - Le taux de chômage au sein de la population active est de 70, 91% - Le taux d'analphabétisme est de 35, 85% - 64,3% des habitants n'ont pas de sécurité sociale - 43,63% parmi les nouveaux arrivés à Diyarbakir ont indiqué qu'ils ont émigré à cause de la situation générale de la région tandis que 58% ont "émigré" à la suite de "la destruction et l'évacuation de leurs villages" - 99% ont indiqué qu'ils ne pouvaient retourner dans leurs villages en raison "d'absence de sécurité pour leurs biens et leurs vies".

Évolution de la situation sanitaire en chiffres
Maladies chez les enfants (âgés de 0-4 ans) 1990 1994-95 Taux de croissance
Diarrhée 15000 enfants/an 20 000/an 33 %
Typhoïde 1000 pers/ an 5000/an 400%
Malaria 1732 pers/ an 27 498 pers/ an 2500 %
Dysenterie 1000 pers/ an 3000 pers/ an 200 %
Hépatite 180 pers/ an 320 pers/ an 20%
Tuberculose 200 pers/ an 495 pers/ an 149 %
Choléra 2 pers/ an 14 pers/ an 200 %


UN RAPPORT DE HUMAN RIGHTS WATC/HELSINKI TIENT LA TURQUIE RESPONSABLE DE LA DESTRUCTION DES VILLAGES KURDES


Un autre rapport intitulé "La politique erronée de la Turquie dans son aide aux déplacés forcés du Sud-Est", a été rendu public le 11 juin à la Conférence d'Habitat II, par l'organisation humanitaire américaine basée à New York Human Rights Watch sur la destruction des villages kurdes par l'armée turque. Ce rapport est plus centré sur les conséquences des déplacements forcés et les aspects juridiques que cela comporte du point de vue du droit international et du droit international humanitaire. Tous les soi-disant plans gouvernementaux d'aide à la population kurde déplacée sont arrivés soit "trop tard" soit ils sont "complètement insuffisants" au regard des besoins. En outre, le rapport critique la politique de la Turquie qui consiste d'empêcher les organisations internationales d'aide humanitaire, comme l'UNHCR ou le CICR, de venir en aide aux déplacés. Par ailleurs, le rapport contient quelques recommandations à l'armée turque dans sa guerre au Kurdistan :"a. Le gouvernement turc doit respecter le droit international dans ses opérations militaires, limitant ses décisions d'évacuation forcée de civils à des nécessités militaires explicites; b. dédommagement adéquat dans le rétablissement des déplacés dans le leur statut quo ante; c. La mise en place d'une commission d'investigation indépendante pour enquêter sur l'évacuation des villages et bourgades; d. Indemniser financièrement tous les déplacés; f. Poursuite judiciaire et condamnation des militaires et des forces de police qui en connaissance de cause ont violé les dispositions gouvernementales."

ARRESTATION DE PLUS DE 1500 MANIFESTANTS À ISTANBUL


La police turque a procédé à l'arrestation de plus 1500 manifestants y compris des participants à la conférence d'Habitat II, le samedi 8 juin. Les manifestants ont voulu marquer leur solidarité avec les mères des Kurdes "disparus" dans leur rassemblement hebdomadaire tous les samedis sur la place de Taksim. Cette manifestation a été violemment réprimée par la police en dépit de la présence de plusieurs dizaines de journalistes et d'observateurs étrangers. Parmi les manifestants arrêtés se trouvait un membre de la délégation officielle de Norvège à la Conférence d'Habitat, Mme. Nita Kapoor, qui a été retenue durant plusieurs heures dans un commissariat de police. Le lendemain, dimanche 9 juin, une manifestation spontanée pour la liberté d'expression et le droit de manifester a rassemblé près d'un millier de personnes dans l'enceinte du Forum des ONG. Au cours d'une conférence de presse, Mme. Nita Kapoor, a témoigné qu'en accord avec son travail "qui consiste à s'occuper des femmes victimes des guerres et des conflits, elle avait souhaité s'informer sur la situation de ces femmes qui se rassemblaient chaque samedi pour que l'on n'oublie pas leurs enfants". "Le rassemblement était parfaitement pacifique" a-t-elle précisé. "J'était parmi elles, tranquillement assises depuis seulement 1 ou 2 minutes lorsque les forces de police ont chargé avec une violence inouïe"

Déjà vendredi 7 juin, une cinquantaine de militants des droits de l'homme et de syndicalistes avaient été arrêtés manu-militari à la poste d'Istanbul alors qu'ils s'apprêtaient à envoyer au président de la République turque une lettre attirant son attention sur la grève de la faim entamée par environ 10 000 détenus politiques à majorité kurde.