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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 38

19/7/1996

  1. LA COMMISSION EUROPÉENNE PORTE DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME L'AFFAIRE DE LEYLA ZANA ET DE SES COLLÈGUES
  2. UN NOUVEAU BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME
  3. UNE DÉLÉGATION OCCIDENTALE EN VISITE EN TURQUIE DÉNONCE
  4. SELON MAZLUM DER, ASSOCIATION ISLAMISTE DES DROITS DE L'HOMME, LES MIGRATIONS DES KURDES SONT EN RÉALITÉ DES DÉPORTATIONS
  5. UNE TÉLÉVISION LOCALE POURSUIVIE POUR DIFFUSION DE MUSIQUE KURDE
  6. ERBAKAN PRODIGUE DES PROMESSES
  7. 8 «POIDS LOURDS» DU DYP DÉMISSIONNENT DE LA FORMATION DE TANSU ÇILLER


LA COMMISSION EUROPÉENNE PORTE DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME L'AFFAIRE DE LEYLA ZANA ET DE SES COLLÈGUES


du Parti de la démocratie. La procédure d'appel devant les juridictions européennes de Strasbourg, instruite en urgence, progresse. Statuant sur une première requête, la Commission européenne a adopté le 23 mai à l'unanimité un rapport déclarant recevables, «les griefs des requérants concernant la légalité et la durée de leur garde à vue ainsi que l'absence du contrôle judiciaire et le droit à la réparation». Après avoir transmis son rapport au Comité des ministres du Conseil de l'Europe, la Commission a saisi le 10 juillet la Cour européenne de cette affaire. Celle-ci sera donc plaidée dans les mois à venir devant cette Cour dont les décisions sont sans appel. Par ailleurs la Commission poursuit sa procédure d'examen des requêtes en appel relatives au fond de l'affaire, à savoir la condamnation à de lourdes peines de prison des députés kurdes pour délit d'opinion.

· L'Assemblée parlementaire de l'OSCE appelle la Turquie à libérer les parlementaires kurdes emprisonnés et à trouver un règlement pacifique au problème kurde. A l'issue de sa cinquième session annuelle qui s'est tenue du 5 au 9 juillet à Stockholm, l'Assemblée parlementaire de l'OSCE a adopté une nouvelle résolution. Celle-ci demande «la libération de trois anciens membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie (Leyla Zana et ses deux collègues députés kurdes) et de tous les autres prisonniers détenus seulement pour l'expression non violente de leurs opinions». Elle appelle «le Gouvernement turc à établir des mécanismes consultatifs avec des organisations kurdes non violentes qui reconnaissent l'intégrité territoriale de la Turquie, à dissiper les sources de conflit et à proposer des stratégies pour résoudre la crise dans le Sud-Est de la Turquie». Elle demande aussi à Ankara «de promouvoir des moyens économiques, sociaux, culturels, législatifs et autres pour résoudre les problèmes internes, en particulier ceux concernant la population du Sud-Est de la Turquie» et «d'agir d'urgence pour stopper l'usage général de la torture par la police et les autres officiels et de mettre un terme à la persécution des professionnels de médecine et des ONG qui soignent les victimes de la torture et exposent les abus des droits de l'homme». Enfin, pour faire bonne mesure, la résolution de l'OSCE condamne aussi «le terrorisme dans toutes ses formes, spécialement par des groupes radicaux comme le PKK» et appelle «la fin urgente de tout soutien logistique et financier fourni par certains pays».

· 44 Écrivains et journalistes condamnés pendant les 6 premiers mois de l'année. Selon l'Association des journalistes de Turquie citée par le quotidien Hurriyet du 16 juillet. 14 de ces condamnations ont été prononcées par des cours de sûreté de l'État et des tribunaux militaires. Au cours du premier semestre 1996 au total 73 écrivains et journalistes ont été gardés à vue et détenus. Certains d'entre eux ont été gardés à vue à plusieurs reprises. 33 procès impliquant des écrivains et des journalistes pour leurs écrits sont actuellement en cours devant les tribunaux qui ont, en 6 mois, prononcé 33 saisies de journaux et de revues et 12 interdictions définitives de publication. 22 journalistes ont subi des agressions physiques.

UN NOUVEAU BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME


L'Association turque des droits de l'homme (IHD) a rendu public le 12 juillet un décompte des violations perpétrées au cours des 5 premiers mois de l'année où on dénombre notamment 10.434 arrestations, 40 villages kurdes évacués, 7 7 disparus, 39 exécutions sommaires sans procès, 8 morts sous la torture ou au cours de manifestations. Les femmes et les enfants fournissent un fort contingent de ces victimes. Rien qu'en mai et juin 1996, sur 4861 personnes arrêtées, on comptait 1776 femmes et 100 enfants. Le rapport d'IHD fait état de 369 prisonniers d'opinion et se montre très pessimiste pour l'avenir car malgré maintes promesses publiques aucun changement significatif n'a eu lieu dans la pratique routinière turque de violations des droits de l'homme.

UNE DÉLÉGATION OCCIDENTALE EN VISITE EN TURQUIE DÉNONCE


les déplacements massifs des populations kurdes, les attaques contre l'éthique médicale et les autres violations persistantes des droits de l'homme. Une délégation occidentale formée des représentants de Médecins du Monde, American Association for the Advancement of Science, Association Médicale de Berlin, US. Helsinki Commission et Physians for Human Rights a effectué du 1er au 6 juillet une mission en Turquie. Après avoir assisté à Adana au procès de Tufan Köse, médecin, et de Mustafa Kiliç, représentant de la Section d'Adana de la Fondation turque des droits de l'homme, la délégation s'est rendue à Diyarbakir notamment pour y rencontrer Dr. Seyfettin Kizilkan, président de l'Union des chambres de Médecins, récemment condamné à 3 ans 9 mois de prison à la suite d'une machination policière. Elle a également rencontré des officiels turcs, des avocats, des représentants de la société civile et des victimes de la politique de terre brûlée pratiquée par l'armée turque dans les campagnes du Kurdistan.

Au terme de cette visite la mission à publié un communiqué commun où elle dit notamment: «La Délégation a vu et entendu des preuves des conséquences graves pour la santé et les droits de l'homme de la destruction de plus de 3000 villages kurdes et du déplacement massif de la population dans le Sud-Est de la Turquie. La Délégation appelle le gouvernement turc à poursuivre des moyens politiques pacifiques pour résoudre le conflit armé, qui a abouti à une tragédie humaine ainsi qu'à des déplacements massifs de population et qui ne peuvent qu'accroître le mécontentement». Cette délégation se dit par ailleurs «préoccupé par les attaques (par les autorités) contre les mormes éthique médicale acceptée internationalement» et invite la Turquie à «soutenir les efforts de la Fondation des droits de l'homme visant à soigner et à réhabiliter les victimes de la torture, pas seulement pour remplir ses obligations légales internationales découlant de la Convention de l'ONU contre la torture mais aussi au bénéfice de la société turque».

· En 1994 la Turquie a été la sixième importatrice d'armes dans le monde. C'est ce qui ressort des données officielles de l'US Arms Control and Disarmement Agency (ACDA) citées par le Turkish Daily News du 5 juillet. Les cinq premiers importateurs d'armes en 1994 étaient : Arabie Saoudite ($ 5,2 milliards); Égypte ($ 1,5 milliards); États-Unis ($ 1,1 milliards); Israël ($ 1 milliard) et Corée du Sud ($ 1 milliard). Avec un montant total de $ 950 millions d'armes importées, principalement des États-Unis, la Turquie arrive en 6ème position. Selon le même rapport, dans la période 1992-1994, la Turquie a acheté plus de $ 3 milliards d'armes à l'étranger, les achats d'armes turcs représentent 23% des achats d'armes de l'ensemble des pays européens pendant cette période. Les importations turques proviennent pour $ 2,5 milliards des États-Unis; $ 220 millions de France; $ 120 millions de Russie; $ 90 millions d'Allemagne et $ 70 millions du Royaume-Uni. Avec des effectifs de 811.000 soldats, l'armée turque est la septième armée la plus nombreuse du monde. Selon le rapport d'ACDA, Ankara consacre 4,1% de son PNB aux dépenses militaires. Cependant avec un revenu annuel per capita de $ 2075, la Turquie arrive au 78ème rang dans le palmarès mondial du développement, souligne ce rapport qui indique par ailleurs qu'en 1994 les États-Unis ont fourni 50% de toutes les livraisons d'armes à travers le monde, dont $ 17 milliards de ventes au Moyen Orient seulement.

SELON MAZLUM DER, ASSOCIATION ISLAMISTE DES DROITS DE L'HOMME, LES MIGRATIONS DES KURDES SONT EN RÉALITÉ DES DÉPORTATIONS


Dans un rapport de mission rendu public le 10 juillet à Istanbul, cette importante association islamiste accuse l'État de «ne pas respecter ses engagements internationaux en matière des droits de l'homme et de pratiquer en fait une large déportation des Kurdes sous couvert de migrations devant le terrorisme». Mazlum-Der appellent les forces de sécurité et les responsables turcs «à renoncer à leurs pratiques inhumaines et contraires au Droit envers la population du Sud-Est». Les 5 membres de cette mission, dont 3 femmes, ont enquêté principalement dans les villes de Semdinli, Yüksekova, Van, Diyarbakir, Elazig, Palu, Pertek, Tunceli, Adana et Mersin particulièrement touchées par les déplacements des populations. Ils affirment que «les Unités Spéciales de l'armée leur ont interdit l'accès de certains villages et les ont constamment suivis». «Il serait injuste de qualifier de migration ce qui est vécu dans la région» souligne le rapport qui parle d'une «persécution aux dimensions dépassant l'entendement et toutes sortes de pratiques de déportations». En conclusion, la mission attire l'attention sur «les conséquences effroyables des déportations», évoque la situation des villes comme Diyarbakir, Adana, Mersin et Antalya «qui subissent une véritable invasion de vendeurs à la sauvette, les épidémies de pneumonie, de bronchites, et, le véritable désastre de l'enseignement». Le rapport indique aussi qu'à la suite des déplacements de populations, les villes de la côte méditerranéenne comme Adana, Mersin et Antalya sont devenues des villes à majorité kurde et que de ce fait de vives tensions opposent les habitants originels de ces villes qui n'acceptent pas que leurs cités soient devenues des «villes kurdes». Dans chacune de ces villes, Kurdes, Arabes et Turcs vivent désormais dans des quartiers séparés où on ne vend pas de logement à des gens «d'une autre nationalité».

Voici, selon ce rapport, le nombre de Kurdes déplacés installés dans les principaux sites d'accueil, qu'il estime au total à 4.185.000 personnes. Diyarbakir 1.150.000 Adana 1.200.000 Sanliurfa 450.000 Gaziantep 400.000 Van 350.000 Mardin 250.000 Batman 230.000 Elazig 70.000 Hakkari 50.000 Malatya 35.000

Au cours de leur conférence de presse du 10 juillet (cf. Milliyet du 11 juillet), peu repercutée par les médias turcs, les membres de cette mission ont appelé l'État à «renoncer aux solutions militaires du problème kurde, à supprimer le système de milices locales dites protecteurs de village, à'aider les populations déplacées en leur fournissant notamment des emplois et des logements et en payant aux chômeurs une indemnité de survie, à mettre fin à la pratique routinière de gardes à vue et d'arrestations arbitraires, d'exécutions sans jugement, de tortures et de disparitions et à donner à l'identité kurde des moyens de s'exprimer librement».

UNE TÉLÉVISION LOCALE POURSUIVIE POUR DIFFUSION DE MUSIQUE KURDE


Une chaîne de télévision locale privée CAN TV qui couvre la ville de Diyarbakir, a pris l'initiative de «;diffuser de la musique kurde à la demande de ses spectateurs». Cette initiative largement médiatisée, notamment par les dépêches du 10 juillet de l'agence turque semi-officielle Anadolu voulant apparemment donner un signe d'ouverture de la politique turque, ne semble pas avoir plu aux commandants militaires de la région qui ont actionné la Cour de Sûreté de l'État de Diyarbakir afin qu'elle ouvre une information pour «propagande séparatiste» contre les responsables de CAN TV. Ces derniers affirment qu'«à leur avis l'usage de la langue kurde n'est pas interdit et qu'en tout état de cause la musique est universelle, que la Turquie doit adopter une nouvelle loi pour clarifier la situation, pour dire ce qui est légal et ce qui ne l'est pas afin que les citoyens ne soient pas à la merci des humeurs des cours de Sûreté de l'État». Ce débat intervient au lendemain de la cessation des émissions de MED TV, chaîne de télévision par satellite qui émettait en kurde à partir de ses studios de Londres. L'accusant d'être un outil de propagande du PKK, la Turquie a mobilisé toute sa diplomatie et réussi à convaincre plusieurs pays, dont la France, le Portugal et la Pologne, à interdire à leurs sociétés de télécommunication de conclure tout contrat de diffusion avec MED TV. Après plus d'un an d'émission, en kurde et en turc, cette chaîne a dû «suspendre jusqu'à nouvel ordre» sa diffusion.

ERBAKAN PRODIGUE DES PROMESSES


Après avoir décidé le 9 juillet une hausse de 50% des salaires des fonctionnaires, le Premier ministre islamiste, à l'issue de son entretien avec le chef d'état-major des armées a cru pouvoir annoncer le 11 juillet «la bonne nouvelle du retour prochain des paysans déplacés dans leurs villages et hameaux évacués». Erbakan a affirmé que c'est le général Karadayi, chef d'état-major, qui l'avait autorisé à faire cette annonce spectaculaire. Cependant, l'effet d'annonce et les manchettes de journaux passés, l'armée a fait une mise au point en précisant que le chef militaire avait simplement indiqué que «les progrès dans le domaine de la lutte contre l'organisation terroriste PKK rendaient possible le retour progressif des paysans dans certaines zones où la sécurité est désormais assurée». Il n'y a pour l'instant aucun calendrier ni mesures concrètes pour le retour dans ces trois mille villages (officiellement 2421 villages et hameaux fin 1995, selon le Hurriyet du 12 juillet), non seulement évacués mais détruits et rendus impropres à l'habitation. Les vignobles, les potagers, les vergers qui assuraient la subsistance de ces paysans ont été brûlés par l'armée, le bétail abattu ou pillé. Cette région qui par ses ressources agricoles nourrissait la Turquie et lui permettait même d'exporter de la viande et des céréales est aujourd'hui dévastée. Les correspondants de presse accourus dans la région, n'ont pas manqué d'évoquer la difficulté de faire repartir la vie dans ces champs de ruines et de demander l'élaboration d'un véritable plan économique de reconstruction si le gouvernement est sérieux dans ses promesses de retour de paysans. En attendant, l'armée continue d'évacuer et de brûler de nouveaux villages. Ainsi, au cours de la deuxième semaine de juillet, 3 villages du district de Hazro de la province de Diyarbakir, ont été brûlés avec leurs récoltes. D'autres villages sont évacués dans le district Gürpinar de Van.

La décision du ministre islamiste de la justice d'abroger les circulaires répressives de son prédécesseur n'a pas eu les effets escomptés non plus sur les grèves de la faim dans les prisons; la plupart des autres revendications des grévistes restant sans réponse, ceux-ci poursuivent leur mouvement «jusqu'à la mort». Erbakan n'a eu d'autre parade que d'user de sa prérogative de Premier ministre pour interdire aux télévisions d'évoquer les suites de ces grèves. Jusqu'ici les seules mesures concrètes de la coalition à direction islamiste concernent la décision de construire une mosquée géante sur la place Taksim, au coeur de Petra, district européen d'Istanbul, la transformation éventuelle de la basilique Sainte-Sophie en mosquée et l'élaboration d'un décret portant sur les mutations d'environ 1600 juges et procureurs considérés comme «;hostiles» par les islamistes. Ceux-ci cherchent à placer à des postes-clé leurs propres partisans mais la partie semble particulièrement difficile tant cela ressemble à une OPA islamiste sur l'État et ses institutions.

8 «POIDS LOURDS» DU DYP DÉMISSIONNENT DE LA FORMATION DE TANSU ÇILLER


Après avoir refusé, au nom de la défense de la laïcité, de voter la confiance à la coalition Erbakan-Çiller, 8 députés pro-éminents du Parti de la Juste voie (DYP) de Mme Çiller ont annoncé le 16 juillet leur démission collective de cette formation. Parmi eux on remarque notamment Emre Gönensay, ministre sortant des Affaires étrangères, et Ismet Sezgin, ex-vice premier Ministre, ex-Ministre de l'intérieur. Les démissionnaires resteront pour l'instant «indépendants» avant d'envisager, probablement à la rentrée, de lancer une initiative destinée à regrouper sous le même toit l'ensemble des forces de centre droit. En attendant le parti de Mme Çiller poursuit sa chute dans les sondages qui ne le créditent plus que de 10% des suffrages (contre 19% obtenus en décembre dernier) en cas d'élections anticipées.