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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 42

27/9/1996

  1. MASSACRE DE 11 PRISONNIERS DANS LA PRISON DE DIYARBAKIR
  2. LE PARLEMENT EUROPÉEN GÈLE TOUTE AIDE FINANCIÈRE À LA TURQUIE
  3. 11 LIBÉRATIONS DANS LE PROCÈS DU HADEP
  4. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME CONDAMNE LA TURQUIE POUR LA DESTRUCTION D'UN VILLAGE KURDE
  5. DÉCOUVERTE DE 9 CORPS PRÈS DE LA VILLE DE DIYARBAKIR
  6. UNE ÉDITRICE TURQUE EN PRISON
  7. POUR LA DEUXIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE MME. LEYLA ZANA DONNÉE FAVORITE POUR LE PRIX NOBEL DE LA PAIX
  8. LA VILLE DE VARTO INTERDITE D'ACCÈS
  9. LA POLICE TURQUE AUTORISÉE À ÉCOUTER LES TÉLÉPHONES MOBILES ET DE VOITURE DANS L'ENSEMBLE DU PAYS


MASSACRE DE 11 PRISONNIERS DANS LA PRISON DE DIYARBAKIR


11 prisonniers politiques kurdes ont été tués et une vingtaine d'autres grièvement blessés le mardi 24 septembre dans la prison de haute sécurité de Diyarbakir. Selon des témoins, l'émeute a commencé vers 15 h, lors de la visite des familles aux prisonniers. Des éléments présentés par les autorités comme des "repentis" auraient d'abord agressé verbalement ces prisonniers, puis les auraient attaqués à coups de barres de fer et battus à mort. Selon d'autres témoins, dont la section locale de l'Association turque des droits de l'homme (IHD), une vingtaine de véhicules chargés de membres de JITEM (Service d'action et d'intelligence de la gendarmerie) auraient été vus vers 10h du matin dans la cour de la prison. Ce sont ces gendarmes armés de barres de fer qui auraient lancé vers 15h l'attaque meurtrière contre les prisonniers désarmés et perpétré le massacre. Pour Mahmut Sakar, vice-président de l'Association turque des droits de l'homme et président de sa section de Diyarbakir "Sans aucun doute, il s'agit d'un massacre organisé par l'État au moment même où le président Demirel séjournait à Diyarbakir. Excédé par les incessants mouvements de protestation et de grèves de la faim de ces prisonniers politiques déterminés, le gouvernement cherchait depuis plusieurs mois à éparpiller ces prisonniers à travers le pays et à briser leur résistance à tout prix". Les avocats s'attendent à ce que ce scénario d'émeutes suivi de répression meurtrière et de dispersion des prisonniers se répète dans les mois à venir dans d'autres prisons turques. Les prisonniers tués sur le coup sont : Edip Dönekci, Nihat Çakmak, Erkan Perisan, Ridvan Bulut, Hakki Tekin, Ahmet Çelik, M. Sabri Gümüs, Cemal Çan et Aydin Demir. Deux autres prionniers sont morts à l'hôpital des suites de leurs blessures.

De son côté, le PKK, réagissant à la mort de ses militants, rappelle dans une déclaration citée par le quotidien Ozgür Politika du 26 septembre que "dans un souci d'humanité et à la demande des organisations de la société civile, il avait il y a quelques jours remis à leurs familles les soldats turcs qu'il détenait tandis que l'Etat s'en prend, pour la deuxième fois en 6 mois, à des prionniers de guerre kurdes sans défense en violation de toutes les lois de la guerre et de toutes les conventions internationales" et menace l'armée turque de "représailles"

Ce massacre intervient alors que les troupes armées turques appuyées par les chars et l'aviation mènent une opération d'envergure contre les maquisards du PKK à Kinzir, dans la province kurde de Tunceli. 47 maquisards kurdes, 5 soldats turcs et 4 miliciens pro-gouvernementaux ont trouvé la mort suite à cette opération commencée le lundi 23 septembre. Selon le général Ismail Hakki Karadayi chef d'état major des armées turques, le bilan des pertes dans les rangs du PKK s'élèverait à 1000 morts depuis le 15 août. Ce bilan de 6 semaines, s'il était vérifié, serait le plus meurtrier depuis le début de la guerre du Kurdistan qui a, en 12 ans, fait plus de 22 000 morts.

Le massacre de la prison de Diyarbakir a été occulté et signalé en pages intérieures par la presse turque qui préfère consacrer ses machettes à la mort du chanteur Zeki Muren.

LE PARLEMENT EUROPÉEN GÈLE TOUTE AIDE FINANCIÈRE À LA TURQUIE


Le Parlement européen, déçu par les promesses non tenues d'Ankara, vient d'arrêter une série de sanctions financières pour manifester son exaspération. Dans une résolution très critique, adoptée le 19 septembre par 319 voix contre 23, les eurodéputés rappellent les engagements non honorés par la Turquie depuis que le Parlement a donné son avis conforme à l'Union douanière avec la Turquie, le 13 décembre dernier, à savoir "la réalisation des améliorations promises par l'ancien premier ministre Tansu Çiller en matière de démocratisation et de droits de l'homme, la réalisation de progrès dans l'affaire chypriote et un règlement pacifique du problème kurde" Or le constat dressé par les législateurs européens depuis l'entrée de l'Union douanière en vigueur, le 1er janvier, est amer: "la situation en matière de droits de l'homme en Turquie s'est visiblement détériorée et que nul progrès notable s'est enregistré en matière de démocratisation, alors que les tensions extérieures telles que provocations en mer Égée et à Chypre et agression dans le nord de l'Irak, se sont multipliées" et que "malgré les appels qu'il (le Parlement européen) a lancés et les appels venus du monde entier, Leyla Zana, prix Sakharov, et trois autres anciens députés d'origine kurde du DEP soient toujours incarcérés"

Le Parlement européen se dit, par ailleurs, "profondément préoccupé par les opérations militaires récemment menées par les forces turques en Turquie orientale et par leur refus de rechercher les voies d'un règlement pacifique au conflit du Kurdistan" et "inquiet du projet des autorités turques de créer une zone de sécurité dans le nord de l'Irak en violation des accords internationaux"

Les eurodéputés demandent instamment au gouvernement turc, d'expliquer clairement à l'Union européenne son attitude sur les quatre points: "(droits de l'homme, démocratisation, question chypriote et problème kurde), que le Parlement a mentionnés dans sa résolution du 13 décembre 1995, à laquelle il liait fondamentalement son avis conforme sur l'Union douanière". Et déclare donc "que les violations des droits de l'homme qui continuent d'être perpétrées en Turquie contreviennent à la lettre et à l'esprit dudit accord et sont inconciliables avec les instruments spécifiques d'aide financière et le programme MEDA"

Le Parlement européen va donc bloquer la tranche 1997 (53 millions d'écus, 1 écus vaut 6, 45 F) du programme spécial d'aide à l'économie turque (375 millions d'écus, environ $ 470 millions, sur la période 1996-2000). Les députés demandent, en outre, à la Commission européenne de "bloquer, avec effet immédiat, tous les crédits prévus dans le cadre du programme MEDA pour la réalisation des projets en Turquie, à l'exception de ce qui concerne la promotion de la démocratie et des droits de l'homme"

Hormis Le Parti populaire européen (regroupant les députés français du RPR) et Forza Europa, qui ont préféré de s'abstenir, les principaux groupes du Parlement européen ont voté pour cette résolution.

Un eurodéputé, qui s'exprimait au nom du groupe socialiste français, a bien résumé le sentiment de la plupart des députés qui, il y a huit mois, en donnant leur avis conforme à l'Union douanière avec la Turquie, ont aujourd'hui l'impression d'avoir signé un chèque en blanc à un gouvernement peu digne de confiance, en lançant : " Nous nous sommes trompés pour ne pas dire qu'on (les Turcs) nous a trompés "

La réaction de Mme. Çiller, aujourd'hui ministre des Affaires étrangères, nommée expressément dans la résolution, est venue immédiatement après le vote: "Je condamne fortement cette décision qui exprime une vision totalement erronée. Ceux qui attendent de nous d'agir selon des idées européennes erronées se trompent"

Les euro-députés chargent, par ailleurs, le président du Parlement de transmettre cette résolution au Conseil européen, au Conseil, à la Commission, au secrétaire général des Nations unies ainsi qu'aux gouvernements turc, chypriote et irakien.

11 LIBÉRATIONS DANS LE PROCÈS DU HADEP


Arrêtés le 23 juin dernier à Ankara et placés en détention préventive après une garde-à-vue de 12 jours, les 28 dirigeants du Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP) ont comparu hier et avant hier devant la Cour de Sûreté de l'État N° 1 d'Ankara. Lors de ces deux audiences de la Cour, le procureur a requis des peines allant jusqu'à 22 ans et demi de prison contre ce parti légal pro-kurde pour "outrage au drapeau turc" et "appartenance à une bande armée" en vertu de l'article 168-2 du Code pénal turc. Le procureur,Nuh Mete Yuksel, a par ailleurs déclaré qu'"il y a seulement une identité en Turquie, c'est l'identité turque. Les revendications pour la reconnaissance d'une identité culturelle kurde visent à diviser la patrie". Plusieurs observateurs internationaux et diplomates occidentaux étaient présents dans la salle d'audience. 11 membres du HADEP ont été libérés hier 26 septembre, dont l'ancien député de Mus M. Sirri Sakik. Les 17 autres membres, dont 10 membres de la direction du parti et son président M. Murat Bozlak, repasseront en jugement le 23 octobre prochain.

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME CONDAMNE LA TURQUIE POUR LA DESTRUCTION D'UN VILLAGE KURDE


Pour la première fois, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu un jugement, lundi 17 septembre, concernant la destruction d'un village kurde dans une affaire liée à la guerre du Kurdistan et à la destruction des villages kurdes par les troupes turques. La Cour a donné raison aux sept plaignants kurdes du village de Kelekci, dans la province de Diyarbakir, qui accusaient les soldats turcs d'avoir rasé leur village, en 1992-93, en représailles après une attaque contre un poste de la milice pro-gouvernementale. La Cour européenne a estimé que l'incendie délibéré par les forces de sécurité turques des maisons des plaignants constituait une "grave violation de leurs droits à la propriété et à la vie familiale". Elle a en conséquence condamné la Turquie à payer une somme correspondant aux dommages causés par l'attaque des militaires turcs et recommandé d'entamer des négociations pour l'évaluation des réparations pour le préjudice subi.

Le tribunal de Strasbourg a par ailleurs reproché à Ankara d'avoir failli à ses obligations européennes qui l'invitent à ne pas entraver le recours individuel de ses ressortissants devant la Cour européenne. Cette autre accusation devrait toutefois faire l'objet d'une enquête sur place.

DÉCOUVERTE DE 9 CORPS PRÈS DE LA VILLE DE DIYARBAKIR


En une semaine les corps de 9 personnes, tuées par balles après avoir été torturées, ont été découverts au bord de routes aux enivrons de Diyarbakir, capitale régionale du Kurdistan turc. Cette affaire révélée le vendredi 20 septembre, semble, selon la section locale de l'Association turque des droits de l'homme, être liée aux escadrons de la mort. Ces personnes, dont une femme, avaient disparu il y a environ un mois dans le centre de Diyarbakir et à Silvan, Bismil et Cinar, dans la même province. Cinq corps ont été découverts samedi 14 septembre au bord de la route reliant Bismil à Silvan. Les autres corps ont été trouvés un par un les jours suivants à Silvan et dans le village de Soganli. Seulement trois corps ont pu être identifiés, car les victimes avaient été brûlées avant d'être achevées par balles. Il s'agit de Faik Orak, Nasir Alan et Nuri Yigit. Par ailleurs, le 22 septembre le corps d'un autre civil kurde, Nezir Çiçek, 31 ans, employé municipal, a été trouvé dans une rue de Diyarbakir. La victime connue pour son engagement syndical et ses opinions pro-kurdes a été abbatue d'une balle dans la tête.

UNE ÉDITRICE TURQUE EN PRISON


Madame Aysenur Zarakoglu, la première femme à diriger une maison d'édition en Turquie, a été incarcérée, le 29 août, après la confirmation par la Cour de cassation de sa condamnation à cinq mois et à une amende de 42 millions de livres turques (environ $ 540). Le chef d'accusation retenu par la Cour de sûreté de l'État d'Istanbul contre Mme. Zarakoglu est "la propagande séparatiste" suite à la publication d'un livre intitulé "Birakuji: guerre fratricide". A plusieurs reprises les livres publiés par la maison d'édition Belge que dirige Mme. Zarakoglu se sont trouvés sous le coup de l'article 8 de la loi anti-terreur en raison de leur contenu concernant la question kurde ou la question arménienne.

POUR LA DEUXIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE MME. LEYLA ZANA DONNÉE FAVORITE POUR LE PRIX NOBEL DE LA PAIX


Alors que la presse fait des spéculations, à l'approche de la nomination du Prix Nobel de la paix 96, sur les chances du président américain Bill Clinton et de son ancien envoyé spécial en Bosnie, M. Richard Holbrooke, le Comité norvégien du Prix Nobel, fidèle à son habitude, reste discret à ce sujet. Toutefois, selon des analystes, il ne faudrait pas surestimer les chances du président américain car accorder ce prestigieux Prix à un président en exercice et qui est par ailleurs candidat à sa propre succession pour les élections présidentielles du mois de novembre prochain, risqerait fort d'être considéré comme "politiquement incorrect".

Parmi d'autres noms donnés favoris cette année figurent la députée kurde Leyla Zana incarcérée à la prison d'Ankara et condamnée à 15 ans de prison pour délit d'opinion, le dissident chinois Wei Jingsheng, l'ancien président américain Jimmy Carter et le révérend Carlos Filip Ximenes Belo du Timor de l'Est. Les 5 membres du Comité Nobel se réuniront le 2 octobre pour choisir un candidat sur les 120 candidats retenus cette année et la décision sera rendue publique le 11 octobre.

LA VILLE DE VARTO INTERDITE D'ACCÈS


A la suite des affrontements qui ont eu lieu le 21 septembre entre une unité du PKK et des forces turques, la ville de Varto est depuis encerclée par l'armée qui interdit toute entrée et sortie de la ville de Varto, dans la province de Mus. Le centre-ville serait assez largement détruit, les commerces pillés. La population cherchait à fuir pour se mettre à l'abri. Les habitants craignent manifestement que leur ville ne subisse le sort de Sirnak, Lice et Kulp, des villes évacuées et partiellment détruites par l'armée à la suite des accrochages avec des éléments du PKK.



LA POLICE TURQUE AUTORISÉE À ÉCOUTER LES TÉLÉPHONES MOBILES ET DE VOITURE DANS L'ENSEMBLE DU PAYS


La Cour de sûreté de l'État N° 2 d'Ankara a autorisé par une décision secrète du 10. 01. 1995 les écoutes téléphoniques. La Direction générale de la Sûreté a procédé à l'écoute des téléphones mobiles et des téléphones de voiture afin "d'empêcher les activités des forces criminelles menaçant l'unité de la patrie et de la nation". Cette autorisation signée du juge militaire Ülkü Coskun concernait d'abord les 7 départements relevant du ressort de cette Cour. Elle a été ensuite étendue à l'ensemble du pays rapporte le quotidien Turkish Daily News du 20 septembre. Le quotidien Hurriyet du 16 septembre qui confirme cette information et relève que cette pratique "constitue une infraction grave de l'article 22 de la Constitution garantissant la liberté de communication et la confidentialité de celle-ci". Souligne qu'aucun des ministres concernés (Intérieur, Justice, Communication) de l'époque ne semble avoir été mis au courant de cette décision. Celle-ci permet à la police d'enregistrer l'ensemble des communications téléphoniques de qui elle veut car l'autorisation n'est pas nominative, elle donne à la police carte blanche et oblige les PTT ainsi que les opérateurs privés de téléphone mobile à coopérer avec elle. Les citoyens turcs, qui n'ont guère d'illusions sur leur État, se doutaient que leurs téléphones classiques pouvaient être écoutés à tout moment. Ils pensaient cependant que les téléphones mobiles étaient hors de portée de la police et c'était sans doute la raison principale de leur engagement pour cette innovation. Les voilà informés des prouesses techniques de leur police se vantant de pouvoir enregistrer 23 000 communications par minute, et du caractère policier de leur État. Même Mme. Çiller qui, de son bureau de Premier Ministre, préférait utiliser son "mobile" de peur que ses autres téléphones ne soient sur table d'écoutes doit maintenant déchanter en apprenant que les chefs de la police, et leurs commanditaires de l'armée, n'ignoraient rien de ses petits secrets.