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Liste
NO: 59 |
28/3/1997 AU TERME D'UNE VISITE MOUVEMENTÉE À ANKARA, KLAUS KINKEL AFFIRME QUE "LA TURQUIE NE PEUR ADHÉRER À L'UNION EUROPÉENNE DANS UN AVENIR PRÉVISIBLE"Initialement prévue pour apaiser la crise qui se développe depuis quelques mois dans les relations germano-turques, la visite effectuée les 26 et 27 mars à Ankara par le ministre des Affaires étrangères d'Allemagne s'est déroulée dans un climat très tendu. La veille de son arrivée, le Premier ministre turc avait déclaré que les Européens devaient "avoir la tête basse parce que l'Europe n'a pas tenu ses promesses envers la Turquie" et que "M. Kinkel allait le sentir personnellement lors de sa visite". Ces propos rapportés par la presse turque et les agences internationales ont conduit le ministre allemand à envisager l'annulation de sa visite. A la suite d'un démenti formel publié par le ministère turc des Affaires étrangères, M. Kinkel a finalement décidé de maintenir cette "visite difficile" avec un retard de deux heures sur le programme initial, retard dû aux tractations de dernière minute entre les diplomates des deux pays. Dès son arrivée à Ankara, M. Kinkel a tenu à mettre publiquement les points sur les "i": "Je suis arrivé en Turquie la tête haute. En tant que ministre allemand et responsable de l'Union européenne, j'affirme qu'aucun Européen, et sûrement pas moi-même, ne baissera jamais la tête devant la Turquie". Ces propos, M. Kinkel les a répétés à plusieurs reprises, notamment devant la Commission des Affaires étrangères du Parlement et lors de sa conférence de presse commune avec Tansu Çiller, le 26 mars, et il a invité les dirigeants turcs à renoncer à "la diplomatie du mégaphone" et à "tenir leur langue". Le ministre allemand, visiblement en colère par "l'accueil inamical" de ses hôtes turcs a néanmoins maintenu tous ses rendez-vous, y compris avec le Premier ministre Erbakan. Au terme de ces entretiens, il a tenu avec son homologue turc Tansu Çiller une conférence de presse au cours de laquelle il notamment déclaré : Je ne suis ni sorcier ni apprenti-sorcier. Je suis considéré dans l'Union européenne comme défenseur de la Turquie. Mais il doit être clair pour tout le monde que la Turquie ne peut adhérer à l'Union européenne dans un avenir prévisible car elle doit auparavant régler le problème kurde, la question des droits de l'homme et le problème de Chypre. Elle doit régler aussi son différend avec la Grèce". Enfin prenant les dirigeants turcs à leur propre jeu sur la haute importance stratégique de leur pays, M. Kinkel a indiqué, non sans ironie, "la Turquie est un grand pays occupant une place importante entre les Balkans et l'Asie centrale, entre le Caucase et le Moyen-Orient. Pourquoi donc insistez-vous tant pour l'adhésion à l'Union européenne" avant d'ajouter: "Je dis: la Turquie appartient à l'Europe, sa vocation européenne est légitime mais elle doit d'abord régler ses problèmes pour pouvoir prétendre adhérer à l'Union". Contrairement à M. Kinkel, le chancelier Kohl ne semble pas convaincu que la Turquie appartienne vraiment à l'Europe. Dans son numéro du 24 mars 1997, l'hebdomadaire Der Spiegel rapporte les propos suivants du chancelier "Dans les livres d'histoire et de géographie que nous avons étudié à l'école on n'a jamais dit que l'Anatolie faisait partie de l'Europe". L'un de ses proches, le député conservateur Heinrich Lummer, écrit dans le journal Die Welt du 25 mars que "l'opinion selon laquelle l'inclusion de la Turquie dans l'Union douanière allait stopper les tendances fondamentalistes et islamistes en Turquie s'est révélée inexacte (..) Pour au moins quatre séries de raisons dont la question kurde, la nature corrompue du régime turc, le problème de Chypre et les risques pour notre identité et notre stabilité de la libre circulation de millions d'islamistes turcs. La Turquie n'est pas une candidate acceptable pour l'Union et nous devons résister aux pressions pro-turques des États-Unis". Signe du sérieux de la crise germano-turque, aucun député du CDU du chancelier Kohl et aucun député du SPD, principale formation de l'opposition allemande, n'a accompagné M. Kinkel dans sa visite. Celui-ci a dû se contenter de la compagnie d'un député Vert et d'un député de son petit parti libéral. Côté turc, la mauvaise humeur s'est manifestée par l'absence du Premier ministre et de Mme. Çiller à la réception donnée, le 26 mars, par l'ambassadeur d'Allemagne à Ankara en l'honneur de M. Kinkel. Autre signe de tension: le chef d'état-major turc n'a pas donné suite à la demande de rendez-vous du ministre allemand qui, par réalisme, voulait exposer directement à ce général puissant, détenant l'ensemble du pouvoir en Turquie, les vues de Bonn sur les relations bilatérales. Prétexte avancé: le général Karadayi ne reçoit pas les dirigeants en visite, à l'exception des responsables américains. Il est en effet d'usage que chaque ministre ou ministre-adjoint américain de passage à Ankara rencontre longuement le chef d'état-major des armées turques, lequel lors de sa récente visite en Israël a également rencontré le président et le Premier ministre israéliens. Son adjoint, le général Çevik, Bir vient de son côté recevoir une délégation d'Anti Defamation League, l'une des organisations du lobby juif américain, devenu le principal défenseur du régime turc aux États-Unis. Le camouflet est d'autant plus rude pour M. Kinkel que dans la campagne menée ces dernières années sur la question des droits de l'homme en Turquie il apparaissait comme le ministre européen le plus indulgent vis-à-vis d'Ankara. SELON LE SIPRI, LA TURQUIE EST LE PREMIER IMPORTATEUR MONDIAL D'ARMESSelon une étude du Swedish International Peace Research Institute, la Turquie a été, dans l'ensemble de la période de 1991-1995, le premier importateur mondial d'armes. Avec 8, 096 milliards d'achats d'armes dans cette période elle devance l'Égypte ($ 7, 138 milliards), le Japon ($ 7, 092 milliards), la Grèce ($ 5, 756 milliards), l'Inde ($ 5, 158 milliards), la Chine ($ 4, 747 milliards) et Israël ($ 4, 298 milliards). La Turquie possède la deuxième armée la plus nombreuse de l'OTAN (après celle des États-Unis) et la 9ème du monde. L'armée turque dispose d'environ 5000 chars, de 24 escadrons de bombardiers et 560 000 soldats (800 000 avec la gendarmerie et les forces paramilitaires). Selon le Hurriyet du 24 mars, la Turquie planifie l'acquisition pour 125 milliards de dollars d'armements dans le cadre de son projet de programmation militaire de 25 ans actuellement en cours de réalisation. Le conflit kurde et les tensions avec les pays voisins servent de justification à ce programme de surarmement qui n'a été soumis à aucun débat public. Ce programme bénéficie du soutien appuyé des États-Unis qui fournissent près de 85% des achats turcs d'armements. En 1997, le budget militaire turc s'élève à 5, 286 milliards de dollars. Outre ce budget "ordinaire", l'armée turque dispose aussi des ressources du Fonds de soutien à l'industrie d'armement alimenté par des prélèvements de taxes sur les ventes d'alcool, de tabac, et sur la loterie et autres jeux de hasard. Selon Hurriyet, ce fonds spécial a jusqu'ici rapporté à l'armée turque la somme de 6, 5 milliards de dollars et il devrait rapporter en 1997 environ un milliard de dollars. DEUX DÉLÉGATIONS DU PARLEMENT EUROPÉEN EN VISITE EN TURQUIELes euro-députés continuent de suivre de près l'évolution de la situation en Turquie. Le 20 mars, une délégation du Groupe socialiste, conduite par sa présidente, Mme. Pauline Green, comprenant Peter Dankert, vice-président de la Commission parlementaire mixte Turquie-Parlement européen et les parlementaires Yannis Rutatis et Magdalene Hoff, est arrivée à Istanbul. "Les violations des droits de l'homme continuent en Turquie. Nous allons écouter ce que les autorités turques ont à nous dire à ce sujet. Nous allons essayer de comprendre s'il y a eu des progrès dans ce domaine. Nous allons discuter également de la question kurde avec nos interlocuteurs et examiner les pratiques des forces de sécurité et le respect par la Turquie des droits des minorités" a déclaré Mme. Green. La délégation a rencontré le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères turcs ainsi que le chef-adjoint de l'état-major, le général Çevik Bir. Pour expliquer la rencontre avec ce dernier, Mme. Green a indiqué que son groupe était conscient du rôle important de l'armée en Turquie et qu'elle souhaitait "s'entretenir avec toutes les parties ayant de l'influence sur les questions où nous attendons des changements". De son côté, une délégation du Groupe libéral, formée de son président Gij de Vries et d'Alexander Beels, est arrivée le même jour à Ankara pour des entretiens avec des responsables politiques turcs dont les leaders d'ANAP, du CHP, du DYP et du RP ainsi que le désormais incontournable général Bir. Mme. Çiller a refusé de recevoir la délégation libérale à la suite de déclarations de M. de Vries l'accusant de ne pas avoir tenu ses promesses. ÉCRAN NOIR POUR DEUX CHAÎNES PRIVÉES TURQUESLe Conseil supérieur de radiotélévision turques (RTUR) a, le 20 mars, condamné la chaîne Kanal D à 3 jours d'interdiction d'antenne pour diffusion d'un reportage, filmé par une caméra cachée, sur le harcèlement sexuel d'une jeune femme par un médecin-colonel à l'hôpital de l'Académie médicale militaire Gulhane d'Ankara. Cette émission avait, selon le quotidien Milliyet du 21 mars, avec 42% des parts du marché, battu les records de l'audimat. La chaîne privée Show TV a été condamnée à 24h d'écran noir pour avoir diffusé un reportage avec l'épouse du médecin-colonel incriminé et avec la jeune femme victime de l'harcèlement. Selon le quotidien Hurriyet du 22 mars, le Conseil turc a jusqu'ici prononcé 65 interdictions de diffusion et 247 avertissements. Le journal rappelle qu'en Turquie "la liberté d'expression est prise en étau par 152 lois et 6 décrets" et qu'à la suite de ces interdictions et contraintes, à l'heure actuelle 87 journalistes, dont 28 femmes, sont en prison pour délit d'opinion. L'ÉTAT D'URGENCE A ÉTÉ PROLONGÉ DE 4 MOIS DANS LES PROVINCES KURDESMalgré les promesses du Premier ministre islamiste Erbakan d'abolir l'état d'urgence, en vigueur depuis 1987, son gouvernement vient, pour la deuxième fois, de le prolonger pour 4 mois. En effet, le Parlement turc a voté, le mercredi 26 mars, par 245 contre 176 voix la prolongation de l'état d'urgence dans 9 provinces kurdes de la Turquie. Les promesses électorales étant passées, M. Erbakan l'a appris à ses dépens, lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité nationale, à dominance militaire, que c'est aux militaires que revient le dernier mot quand il s'agit du dossier kurde. DES PAYSANS KURDES EMPÊCHÉS DE CULTIVER LEURS CHAMPSLes autorités turques continuent de harceler les habitants des villages refusant de s'enrôler dans la milice gouvernementale des "protecteurs de village". Ceux dont les villages se trouvant en zone montagneuse ont été punis par l'évacuation et la destruction de plus de 3000 villages "pour des raisons de sécurité". A présent ceux de la plaine sont menacés. Les habitants d'une douzaine de villages de la plaine de Silvan se sont rendus le 11 mars au siège du Régiment de gendarmerie de Silvan, dans la province de Diyarbakir, pour se plaindre de l'interdiction qui leur est faite d'aller s'occuper de leurs champs et leurs vergers. Sous prétexte de "patrouilles de reconnaissance fréquentes dans la région, les militaires nous empêchent depuis 2 mois d'aller dans nos champs" ont déclaré les paysans. "Certains de nos champs sont minés. Avec la fin de l'hiver, nous devons conduire nos bêtes aux pâturages, soigner nos cultures. Si l'interdiction actuelle se poursuit, il n'y aura pas de récolte et la région sera confrontée à la famine" ont conclu les paysans qui avaient estimé superflu d'aller déposer plainte à la sous-préfecture ou au parquet dans une province où l'armée fait la loi. Au siège du Régiment, seul un sergent les a reçus brièvement pour leur dire "si vous voulez vivre comme des êtres humains, vous n'avez qu'à devenir des protecteurs de village". UN PROCUREUR DE LA COUR DE SÛRETÉ D'ÉTAT D'ANKARA POURSUIVI PAR LA JUSTICE DE SON PAYSLors d'un débat consacré, en novembre dernier, au système judiciaire en Turquie par l'émission "Arène politique", de la chaîne privée ATV, le procureur Mete Gokturk s'exprimant sur un domaine qu'il est censé bien connaître, avait déclaré: "Je pense que le système judiciaire en Turquie n'est pas indépendant. Dans un pays où la justice n'est pas libre, vous ne pouvez pas parler de démocratie" et d'ajouter "Des articles dans la Constitution qui entravent l'indépendance de la justice doivent être amendés". A la suite de cette déclaration le parquet a lancé une poursuite judiciaire à l'encontre de M. Gokturk, qui pourrait être condamné à 12 ans de prison. Cette déclaration de la part d'un procureur, a néanmoins encouragé l'un de ses collèguee, le procureur Sami Selcuk, qui a déclaré à la même chaîne de télévision que " l'indépendance de la justice a reçu un vrai coup par le Coup d'État de 1980" qu'"il n'est pas possible pour un pays qui fonctionne de cette façon d'avoir des ambitions sur la scène internationale". Par ailleurs, le procès du rédacteur en chef, Yesim Denizel Beduk, et du propriétaire, Aydin Dogan, de la revue Radikal s'est ouvert lundi, 24 mars, devant la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul pour une interview avec le chef du PKK publiée dans cette revue en décembre dernier. Une amende de 50 milliards de livres turques ($ 394 000) a été requise par la Cour. EN 1996, 2022 CITOYENS TURCS ONT ÉTÉ TORTURÉS À ISTANBULC'est ce qu'affirme le Comité de surveillance de la torture de l'Association des droits de l'homme de Turquie dans une conférence de presse donnée le 26 mars à Ankara. Selon ce Comité, on compte 83 enfants parmi ces victimes recensées de la torture dans la ville d'Istanbul. "6 détenus sont morts en prison sous la torture, 331 des 2022 citoyens torturés ont fait établir des certificats médicaux constatant la réalité et les traces des sévices qui leur ont été infligés" indique le Comité. UNE FONDATION POUR LA DÉFENSE DES DROITS DES FEMMES KURDES CRÉÉE À ISTANBULLa Fondation de solidarité avec les femmes kurdes et de recherches sur les femmes (K. Ka-Dav) a été créée officiellement le 16 mars, à Istanbul. Prenant la parole, à l'occasion de la cérémonie d'inauguration, devant une audience de femmes kurdes, dont la plupart ont émigré à Istanbul à la suite de la politique de destruction et d'évacuation de villages pratiquée par l'armée dans la guerre du Kurdistan, la présidente de la fondation, Mme. Baran, s'est exprimé dans les termes suivants: " les femmes kurdes font l'objet d'une répression et d'une violence accrues, plus particulièrement celles issues du milieu rural dans le Sud-Est". Elle affirme que sa fondation se fixe comme objectif de venir en aide à ces femmes. "Les femmes émigrées kurdes (dans les métropoles turques) sont confrontées à d'autres problèmes dans les grandes villes. Un grand nombre d'entre elles sont privées d'instruction, ont un problème de communication (en langue turque) et de chômage" a encore ajouté Mme. Baran. Parmi les autres objectifs que s'est fixés cette fondation: conduire des recherches sur le sort des femmes en Turquie; mettre sur pied un centre de documentation; assurer une permanence juridique et mener des recherches sur les viols dans les régions kurdes, pratiqués par les troupes turques et les protecteurs de village, comme moyen de guerre. |