Publications

Haut

POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
 -
Liste
NO: 62

5/5/1997

  1. L'AUDIENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
  2. INTERDICTION D'UN COURS PRIVÉ DE LA LANGUE KURDE À ISTANBUL
  3. ATTENTAT CONTRE LES STUDIOS D'UNE CHAINE DE TÉLÉVISION PRIVÉE À ISTANBUL
  4. LE QUOTIDIEN DEMOKRASI SUSPENDU POUR UN MOIS
  5. L'ARMÉE TURQUE AFFIRME AVOIR TUÉ VINGT MILLE "REBELLES KURDES" EN 13 ANS ET MENACE LES PAYS QUI SOUTIENNENT LE PKK
  6. VISITE À ANKARA D'UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE D'OSCE
  7. L'ARMÉE ACCROIT SA PRESSION SUR LE PREMIER MINISTRE ISLAMISTE
  8. LES DÉCLARATIONS DU PRÉSIDENT KIRGHIZE SUR LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN AGACENT ANKARA


L'AUDIENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME


Le 25 avril à 10h la Cour européenne a consacré une audience publique de près de 2h à l'affaire de Leyla Zana et de ses collègues ex-députés kurdes. Présidée par le juge allemand Mr. R. Bernhardt, cette haute juridiction de 9 juges, dont un Turc, de 4 substituts et de 2 assesseurs a d'abord entendu le délégué de la Commission européenne des droits de l'homme, Mr. I. Cabral Barreto. Ce magistrat a d'emblée souligné "la gravité exceptionnelle de cette affaire qui met en cause des députés élus du peuple, leur liberté d'expression, et les libertés parlementaires qui constituent le fondement même de la démocratie". Après avoir rappelé les faits, indiqué que les députés kurdes avaient été arrêté par la police avant même que le décret de levée de leur immunité parlementaire ne soit publié dans le Journal Officiel et avant qu'ils n'aient pu faire usage de leur droit de recours devant la Cour constitutionnelle, le délégué a indiqué que les conditions d'arrestation et de détention au secret pendant une durée de 12 à 15 jours, selon les cas, dans les locaux de la Section anti-terroriste de la police étaient , de l'avis de la Commission, contraires à plusieurs paragraphes de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme dont la Turquie est co-signataire. D'autant que leur levée d'immunité ayant été votée par le Parlement sur la base des dossiers d'accusations du parquet, celui-ci était dès lors supposé détenir toutes les preuves à charge contre les députés et devaient de ce fait les déférer aussitôt devant un juge. Ce qui n'a pas été fait malgré deux demandes explicites des avocats. Quand on sait que pendant les 14 premiers jours de la garde-à-vue il n'y a eu aucun acte d'instruction, le prétexte d'une "durée de garde-à-vue excessive pour les nécessités d'une enquête longue liée au terrorisme" ne tient pas à ajouté le magistrat. Celui-ci a également rejeté l'argument du gouvernement turc tentant de faire accepter que les dérogations aux droits garantis par la Convention notifiées pour les provinces kurdes placées sous l'état d'urgence puissent s'appliquer aussi à Ankara, ce qui reviendrait, de fait, à placer l'ensemble de la Turquie en état d'urgence et y appliquer des lois suspendant les libertés fondamentales: "Cela est tout à fait inacceptable pour la Commission" a conclu le délégué de cette dernière.

A leur tour, les avocats de la défense, Mes Alatas, Charrière-Bournazel et Jacoby, ont évoqué les irrégularités entachant l'arrestation et la condamnation des députés kurdes pour des raisons d'opportunité politique. Me Alatas a indiqué que pendant les deux semaines de la garde-à-vue il n'avait pu voir ses clients que pendant 3 minutes, en présence de policiers, juste pour leur faire signer un recours devant la Cour constitutionnelle sur le problème de la levée irrégulière de leur immunité. "Si la loi turque avait été respectée, les députés ne devaient pas passer une heure en garde à vue car la décision de la levée de leur immunité supposait que le parquet avait déjà suffisamment de preuves de leur culpabilité. Il devait les déférer aussitôt devant un juge. Or, comme il s'agissait d'une décision politique, sans fondement juridique, visant à faire taire des opposants gênants, les députés ont d'abord été arrêtés et mis au secret, puis le parquet a écrit à tous les services de police et de l'armée leur demandant de trouver des pièces à charge pour un procès politique. Parmi ces témoins à charge mobilisés à la sauvette, on trouve le député S. Bucak, chef d'une milice privée, impliqué actuellement dans des affaires de meurtres extra-judiciaires et de trafic de stupéfiants, des repentis auxiliaires de la police et de la mafia" a notamment affirmé Me Alatas. De son côté, Me Daniel Jacoby a procédé à une analyse juridique rigoureuse des faits et des infractions à l'article 5 de la Convention commises par les autorités turques. Rappelant qu'en tant qu'observateur judiciaire international (Me Jacoby a été pendant plusieurs années président de la Fédération internationale des droits de l'homme), il avait assisté à des procès dans nombre de pays, Me Jacoby s'est dit particulièrement choqué par le caractère expéditif et caricatural du procès des députés kurdes. "La démocratie, la liberté d'expression qui en est le fondement, sont touchés dans leur essence même dans cette affaire et une sanction exemplaire doit être signifiée à l'État turc" a-t-il conclu. Dernier avocat de la défense, Me Charrière-Bournazel, a, dans un raccourci saisissant, déclaré "Mes clients élus par la population kurde pour défendre ses intérêts et ses revendications, ne sont coupables que d'avoir parlé. Car on a beau chercher, on ne trouve aucun fait délictueux à leur reprocher. Parler des Kurdes, défendre pacifiquement leurs droits constitue un délit selon la loi turque. C'est pourquoi, ces élus du peuple sont depuis plus de 3 ans derrière les barreaux. Eh bien, nous devons dire que la loi turque est non seulement injuste, mais elle est aussi illégale par rapport à la Convention européenne. Il faut sanctionner d'une manière exemplaire cette illégalité en condamnant l'État turc pour son infraction grave de la Convention et en l'obligeant à indemniser ces élus du peuple atteints dans leur liberté, dans leur dignité d'homme et dans leur honneur de parlementaire. Vous êtes la plus extraordinaire des cours. Si votre Cour existait il y a deux mille ans une petite femme méditerranéenne appelée Antigone n'aurait peut-être pas été condamnée. Vous pouvez aujourd'hui empêcher Leyla Zana et ses collègues de connaître le même sort".

La défense du gouvernement turc était assurée par des juristes turcs qui ont essayé de convaincre que ces députés kurdes défendaient, dans leurs déclarations, les mêmes opinions que le PKK, que cette organisation était qualifiée de terroriste en Turquie et dans plusieurs pays d'Europe et que ces députés devaient de ce fait être considérés comme "l'aile politique du PKK terroriste". C'est pourquoi le gouvernement turc les a jugés d'après les procédures et lois en vigueur dans les régions soumises à l'état d'urgence. Se rendant compte que cette argumentation déjà servie sans succès devant la Commission n'avait guère de chances de convaincre la Cour, la défense turque a consacré une grande partie de son temps à discuter des montants des dommages et intérêts réclamés, affirmant qu'ils étaient "excessifs" dans un pays où le salaire minimum est de 600F par mois et le salaire d'un haut fonctionnaire d'a peine 5.000F par mois. Les avocats turcs n'ont pas indiqué comment avec de tels salaires de misère les ministres turcs, le Premier-Ministre, les chefs de police et bien d'autres hauts fonctionnaires pouvaient, en deux ou trois ans, devenir multi-millionnaires en dollars!

Malgré des grèves dans les transports publics, de nombreux journalistes et simples citoyens, dont une forte délégation de la Fédération démocratique internationale des femmes, ont assisté à cette audience. Les femmes arboraient des portraits de Leyla Zana et elles ont remis à ses avocats 3000 nouvelles signatures de personnalités recueillies en Allemagne en faveur de sa libération. La Cour européenne des droits de l'homme rendra dans quelques mois son verdict concernant cette première partie de l'affaire des députés kurdes.



INTERDICTION D'UN COURS PRIVÉ DE LA LANGUE KURDE À ISTANBUL


La Fondation kurde pour la recherche et la culture (Kürt-Kav), basée à Istanbul et légalement enregistrée et reconnue, vient de recevoir une réponse négative à sa demande d'autorisation d'enseignement d'un cours privé de la langue kurde dans ses locaux. Sollicitée par de nombreux Turcs et Kurdes de seconde génération désireux d'apprendre le Kurde, Kürt-Kav avait présenté le 20 août 1996 une demande d'autorisation à la Direction départementale de l'Éducation nationale d'Istanbul. Celle-ci, par une lettre datée du 20 février mais notifiée deux mois plus tard à Kürt-Kav, indique qu'en raison de la "circulaire n° 0541 du 17-10-1989 du Premier Ministre, il n'est pas possible d'autoriser de tels cours". La fondation kurde dont les statuts, approuvés par l'État, prévoient explicitement l'enseignement de la langue kurde, avait, selon son président Yavuz Çamlibel, dépensé 2 milliards de livres turques (environ 120.000 F) pour aménager des salles de cours. Elle avait engagé des professeurs de langue et inscrit des élèves pour ces cours qui devaient débuter le 26 avril. Le gouvernement turc en a décidé autrement mettant une fois de plus mis à mal sa propagande à usage externe affirmant que "la langue kurde est librement utilisée en Turquie". En fait, dans ce pays on peut apprendre et enseigner toutes les langues que l'on veut, sauf le kurde qui est la langue de près du tiers de la population du pays et qui à l'orée de l'an 2000 reste toujours une langue interdite.



ATTENTAT CONTRE LES STUDIOS D'UNE CHAINE DE TÉLÉVISION PRIVÉE À ISTANBUL


Un groupe de quelque 50 assaillants a fait irruption le 2 mai à Istanbul dans les studios d'une chaîne de télévision privée, Flash TV, où ils ont brutalisé les journalistes, ont tiré en l'air et ont endommagé l'équipement.

Les assaillants, qui ont pris la fuite après l'attaque, sont liés au Parti de la juste voie (DYP, droite) du ministre turc des Affaires étrangères, Tansu Çiller, a déclaré l'AFP, un dirigeant de cette chaîne, Nazmi Baran.

Il a déclaré avoir reçu plusieurs menaces de la part du DYP après les propos du mafieu, Alaatin Cakici, qui accusait le mari de Mme Çiller, Ozer Çiller, d'avoir obtenu un pot-de-vin de 20 millions de dollars pour avoir joué de son influence lors de la privatisation de la Banque Turquie Commerciale (TTB).

Le mafieu qui a participé au programme télévisé en direct est officiellement recherché par la police pour implication dans des scandales politico-financiers et pour l'instigation de plusieurs meurtres.



LE QUOTIDIEN DEMOKRASI SUSPENDU POUR UN MOIS


La cour de Sûreté de l'État n°1 d'Istanbul a suspendu pour un mois la parution de Demokrasi, l'unique quotidien pro-kurde de Turquie. Cette décision est entrée en vigueur le 3 mai. Héritier du quotidien Özgur Gündem dont les locaux avaient été détruits par la police avant qu'il ne soit interdit définitivement, Demokrasi, objet de tracasseries et de menaces incessantes de la part des autorités, était devenu un lieu d'expression critique pour des journalistes kurdes et turcs. Dans cette période de crise politique aiguë et du déballage des crimes des mafias et des polices parallèles, nombre de repentis et de dissidents, interdits d'expression dans les grands media turcs contrôlés par la cellule presse de l'état-major des armées, faisaient régulièrement des révélations très dérangeantes pour les autorités. C'est la raison principale de sa suspension sous l'habituel prétexte de "propagande séparatiste". Depuis 1992, la justice turque a interdit les quotidiens Özgur Gündem, Özgur Ülke et Yeni politika.



L'ARMÉE TURQUE AFFIRME AVOIR TUÉ VINGT MILLE "REBELLES KURDES" EN 13 ANS ET MENACE LES PAYS QUI SOUTIENNENT LE PKK


Dans un briefing de presse donné le 29 avril à Ankara, le général Çetin Dogan, membre de l'état-major de l'armée turque a affirmé que depuis 1984 "32.000 rebelles kurdes ont été neutralisés, parmis lesquels, près de 20.000 ont été tués dans des affrontements". Un autre chef militaire, le général Kenan Deniz, chef du département de sécurité intérieure de l'état-major des armées, a indiqué que près de 1300 militaires avaient été tués en 1995 et 1996, mais il n'a pas communiqué le bilan total des pertes militaires depuis 1981. Selon lui, le coût des opérations militaires contre le PKK s'élève à environ 4 millions de dollars par jour, soit près de 1,5 milliards de dollars par an. (Des estimations tenant compte des salaires versés aux diverses forces paramilitaires, aux polices parallèles, à leurs équipements, et des autres postes de l'économie de guerre évaluaient le coût total de la guerre du Kurdistan à 8 milliards de dollars en 1994). L'armée turque évalue à "près de 2 milliards de dollars par an le revenu annuel du PKK".

Lors de ce briefing, un haut responsable militaire a brandi la menace d'un conflit armé avec les pays voisins. "A moins que les méthodes politiques et économiques ne marchent, la Turquie devrait prendre en considération la possibilité d'user de la force contre les pays qui soutiennent le terrorisme séparatiste", a, selon l'A.F.P., déclaré ce général qui a souhaité garder l'anonymat. Il s'est refusé à nommer les pays auxquels il faisait allusion, mais auparavant, durant le briefing, d'autres chefs militaires turcs avaient cité l'Iran et la Syrie comme États soutenant le PKK. "L'Iran soutient logistiquement le PKK et apporte également son soutien aux organisations musulmanes intégristes" a affirmé le général Deniz. Selon lui, "il y a actuellement 500 à 600 militants armés du PKK en territoire iranien" et "la Syrie abrite le chef du PKK (Abdullah Ocalan) dans ses bases militaires". Le nom de la Grèce a également été cité parmi "les pays soutenant le terrorisme". L'amiral Mustafa Orbey, chef du département Turquie-Grèce de l'état-major, assistait ostensiblement à ce briefing.

L'hypothèse d'un conflit armé avec un pays voisin pour masquer la crise profonde qui mine la Turquie et créer un climat d'union nationale commence à être sérieusement évoquée par des commentateurs de la vie politique turque.



VISITE À ANKARA D'UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE D'OSCE


Une délégation parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a entamé le 28 avril "une visite d'études" à Ankara. Conduite par M. Javier Ruperez, président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, cette délégation composée de représentants suisses, américains, finlandais et du rapporteur de la Commission pour la démocratie les droits de l'homme et les problèmes humanitaires, la délégation a rencontré le président Demirel, le Premier Ministre Erbakan, les leaders des partis politiques turcs, le chef du service des Renseignements (MIT), les ministres de l'intérieur et de la justice. Elle a également été autorisée à rendre, le 29 avril, visite aux députés kurdes emprisonnés à Ankara. Au terme de sa mission la délégation doit présenter un rapport faisant le point sur la situation des droits de l'homme en Turquie.



L'ARMÉE ACCROIT SA PRESSION SUR LE PREMIER MINISTRE ISLAMISTE


La réunion du 26 avril du Conseil de sécurité nationale (MGK) a marqué le point culminant de la tension qui se développe depuis plusieurs mois entre la haute hiérarchie militaire et la coalition gouvernementale à dominante islamiste. Cette réunion marathon qui a duré 8 heures, a fourni aux chefs militaires l'occasion de se faire les procureurs du Premier Ministre et de lui demander des comptes sur l'état d'exécution des décisions du 28 février du MGK, relatives à la répression des mouvements islamistes. Extraits du résumé des minutes de cette réunion paru dans le Milliyet du 28 avril. Le général Karaday, chef d'état-major s'adressant au Premier Ministre . "Les décisions que nous avons adoptées ont été publiées. Vous avez retardé leur signature d'une semaine, puis vous avez mis une autre semaine à réunir le Conseil des ministres. Une semaine de plus pour préparer une lettre demandant leur application, et encore une semaine pour la rédaction des décrets d'application. Nous savons bien que certaines décisions sont à long terme, mais on voit que vous avez du mal à vous résoudre à exécuter les décisions" (..). Le président Demirel intervient non pas pour secourir son Premier ministre admonesté, mais proposer la création d'un comité de suivi de l'exécution des décisions du MGK présidé par M. Erbakan. Alors, l'amiral Erkaya, chef de la Marine, passe à l'attaque. "Les décrets ont paru, c'est bien beau, mais il n'y a aucun résultat. Des hommes enturbannés circulent encore dans les rues. Ils circulent en pleine rue (..). Kadhafi affirme que vous êtes membre du commandement islamique populaire dont il est le chef. Et vous n'avez pas répondu aux questions qu'on vous a posé à ce sujet. Qu'est-ce que c'est que cette histoire? Le Préfet de Nevsehir, Sinasi Kus, déclare qu'il ne pourrait pas appliquer les décisions et ce préfet reste toujours à son poste?" Le Premier Ministre garde le silence, tandis qu'intervient à son tour le général Koksal, chef de l'armée de terre: "Le préfet d'Erzurum n'a pas fait le nécessaire pour la pièce de théâtre (critiquant l'armée)". Le ministre de l'Intérieur, Mme Aksener, se confond en excuses; Le préfet n'a pas commis de faute dans cette affaire, il a saisi le parquet. La même pièce avait été jouée à Amasya aussi. Le préfet d'Amasya est un homme attaché à Ataturk. Notre président de la République le sait bien. Mais même ce préfet partisan d'Ataturk n'a pas remarqué cette pièce. Il n'y a pas d'arrière pensée. Nous serons dorénavant plus vigilants. Nous nous informerons par avance du contenu des pièces. De choses semblables ne se produiront plus. J'ai néanmoins diligenté une enquête contre ces préfets". (NDLR tous les membres de cette troupe théâtrale anti-militariste ont depuis été arrêtés et jetés en prison). Le ministre de la défense, T.Tayan, enfonce le clou : "Les procureurs ne font pas leur boulot". Mme Aksener : "Les décisions seront certainement toutes exécutées. Je me suis beaucoup battue pour que l'exécution de ces décisions ne soit pas perçue comme résultant du diktat de l'armée ou du MGK". Le général Koksal, dévisageant les ministres présents : "Les déclarations de certains députés partis en pèlerinage à la Mecque nous attristent. Nous réprouvons ces images. Ils veulent faire croire que l'armée est athée. Mais nous ne sommes pas l'armée grecque, l'armée algérienne, l'armée iranienne. Nous sommes l'Armée Turque! Monsieur le Premier Ministre, des déclarations affirmant que des augmentations des traitements des militaires ont été accordées pour nous faire taire sont-elles exactes?" Selon le Milliyet à ce moment l'air devint glacial dans la salle de la réunion. Erbakan qui n'avait pas ouvert la bouche jusque-là, comprend qu'il doit répondre à cette interpellation directe et s'efforce de se donner de la contenance : "Ni mon âge, ni mes croyances ne m'autoriseraient à tenir de tels propos. Je poursuis en justice le journal qui m'avait attribué ce genre de propos. Que ne m'avez-vous pas téléphoné pour connaître ma version des faits!" Mme Çiller tout en rassurant les généraux que toutes leurs décisions seront exécutées sans exception ni retard se risque à poser une question sur "les propos d'un de nos pachas" (NDLR il s'agit d'Osman Pacha, général commandant la gendarmerie d'Erzurum qui a récemment publiquement qualifié de "maquereau" le premier Ministre et le roi d'Arabie qui l'avait invité au pèlerinage de la Mecque). "Si ces propos enfreignent vos propres règles, que l'on fasse le nécessaire. S'ils ne les enfreignent pas, qu'on apporte des éclaircissements. Alors soyez, vous aussi, plus tolérants pour les déclarations des politiciens". (NDLR. Malgré la demande du ministre islamiste de la justice aucune poursuite n'a été engagé contre ce général qui a, au contraire, reçu des messages de sympathie et de félicitations de ses collègues).

A l'issue de cette réunion de 8 heures où il n'aura au total parlé que 5 minutes, M. Erbakan croit avoir pour le moment évité de couperet et dit à ses ministres la formule traditionnelle "que cela soit du passé" qu'on utilise pour ceux qui survivent à un accident, ou à une maladie grave ou qui viennent de passer une épreuve difficile. Le sursis semble cependant de courte durée. La démission des deux ministre DYP du cabinet, Y. Erez et Y. Aktuna qui pourrait être suivie bientôt de la défection d'une douzaine de députés du Parti de Mme Çiller, met en péril la survie de la coalition. Certes, Mme Çiller croit encore pouvoir à son tour compenser ces pertes en débauchant une quinzaine de députés des partis d'opposition moyennant fortes compensations financières. Mais un front de tous les opposants semble se dessiner à l'appel conjoint de Bulent Ecevit et M. Yilmaz, pour créer une coalition de tous les partis, à l'exclusion du Refah Islamiste. Celui-ci de son côté se dit prêt à des élections anticipées et réaffirme que "les décisions du MGK seront transmises au Parlement, seule instance habilité à légiférer". Cependant, la crise semble proche de son dénouement provisoire. Elle aura eu au moins le mérite de montrer clairement à l'intérieur et à l'extérieur de pays qui commande en Turquie. Ce que à sa manière résume le président Demirel dans le Milliyet du 28 avril : "Le Conseil de sécurité national n'est pas un organe consultatif. D'après la Constitution il ne conseille pas le gouvernement, il lui notifie ses décisions. Les décisions du Conseil ne peuvent être débattues à nouveau. Une fois qu'elles sont prise, il appartient au gouvernement de faire le nécessaire pour leur exécution. Et on ne peut pas s'en remettre au Parlement. Si vous êtes au gouvernement, cela veut dire que vous disposez d'une majorité au Parlement. A vous de faire le nécessaire pour que les décisions du Conseil soient traduites en lois par le Parlement. Si vous ne voulez pas le faire, laissez la place à ceux qui sont disposés à respecter le système". En somme, dans le système turc, le Conseil de sécurité nationale dominé par les militaires joue le rôle qui était dévolu au Politburo dans le système soviétique.



LES DÉCLARATIONS DU PRÉSIDENT KIRGHIZE SUR LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN AGACENT ANKARA


Les propos tenus par le président Kirghize Askar Akayev à l'occasion du 82ème anniversaire du génocide arménien n'ont pas été appréciés par Ankara. M. Akayev avait affirmé que le gouvernement turc de l'époque (1915) avait ordonné et perpétré le génocide des Arméniens de l'empire ottoman. Les gouvernements turcs qui se succèdent continuent de nier farouchement ce génocide. Pour eux, il n'y a eu que "des déplacements de population nécessités par la guerre". La Turquie publie même assez régulièrement des livres tendant de faire croire qu'en fait "des bandes arméniennes de mèche avec les troupes russes ont massacré des populations musulmanes" sans parvenir à fournir une explication cohérente sur la disparition de 1,5 millions d'Arméniens de cette région du monde où ils vivaient depuis la haute Antiquité. C'est au nom de ce dogme de l'idéologie nationaliste turque que le ministère turc des affaires étrangères a, le 28 avril, officiellement demandé aux autorités kirghizes "des explications et des clarifications sur les déclarations infortunées du président Akayev".

Par ailleurs, le même jour, une cour de Sûreté de l'État d'Ankara a condamné Mme Zarakoglu, à une amende de 101 millions de livres turques pour avoir publié un livre intitulé "Le tabou arménien".