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Liste
NO: 96 |
13/5/1998 AKIN BIRDAL, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION TURQUE DES DROITS DE L'HOMME BLESSÉ PAR PLUSIEURS BALLESM. Akin Birdal, président de l'Association turque des droits de l'Homme (IHD) depuis 1992 et vice-président de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'homme (FIDH) a été grièvement blessé mardi 12 mai dans un attentat perpétré dans son bureau par deux personnes non identifiées. Les agresseurs ont tiré treize fois sur M. Birdal qui a été gravement touché à la poitrine et aux jambes. Les assaillants ont pu prendre la fuite à pied. Selon ses médecins, l'état de santé de M. Birdal, qui a subi une importante opération chirurgicale dans un hôpital proche pendant plus de quatre heures, a "tendance à s'améliorer". Ces derniers ne font plus état d'un "danger vital". Mercredi 13, il a pu parler brièvement à la police sur les circonstances de l'attentat. Selon la chaîne d'information en continu NTV, une organisation d'extrême-droite illégale, la "Brigade turque de la Vengeance" (TIT) - qui a fait parler d'elle au début des années 1990, notamment en assassinant plusieurs journalistes et personnalités kurdes- aurait revendiqué l'attentat. L'information n'a cependant pas été confirmée par des sources officielles. Selon Husnu Ondul, l'avocat de M. Birdal, ce dernier a récemment "reçu des menaces anonymes () L'État turc ne lui a jamais donné la protection policière demandée par l'association". Le ministre de l'Intérieur, Murat Basesgioglu, a nié pour sa part ces propos. Agronome engagé de longue date dans le combat pacifique pour la démocratie, M. Birdal, 50 ans, avait purgé une peine de prison d'un an après le coup d'État militaire de septembre 1980. En 1997, il avait été condamné à un an de prison par la justice pour des propos "séparatistes" et "incitation à la haine raciale" . Son cas est actuellement devant la Cour de cassation après un pourvoi introduit par ses avocats. Il fait aussi l'objet d'une vingtaine de procès pour "propagande séparatiste". Accusé à maintes reprises par plusieurs quotidiens et certains dirigeants turcs "d'agir en faveur du PKK", son nom avait été récemment mentionné parmi les personnes qui avaient apporté leur soutien au PKK dans les "aveux" de Semdin Sakik, ancien commandant du PKK en Turquie, arrêté à la mi-avril dans le nord de l'Irak lors d'une opération de l'armée turque. M. Birdal avait cependant rejeté en bloc "ces accusations destinées à discréditer puis à éliminer les troubles-fête". Le fait de discréditer des opposants par des campagnes de presse orchestrées par la police politique (MIT), de les désigner à la vindicte populaire comme des "traîtres" ou des "terroristes" avant de les faire assassiner par des escadrons de la mort est une pratique désormais classique du régime turc. Depuis 1992, plus de 4500 démocrates kurdes et turcs ont été assassinés par des escadrons de la mort. Un rapport rendu public en janvier dernier, de l'inspecteur en chef des services du Premier ministre a établi que ces escadrons associant des éléments de la police, de la gendarmerie et de la mafia avaient agi au vu et au su des plus hautes autorités de l'État et sur instruction du Bureau de la Guerre Spéciale. Le nouveau Premier ministre, M. Yilmaz, avait promis de "châtier les coupables et de purger les services de sécurité de ces gangs criminels". Promesse restée sans lendemain car ces gangs émanent du noyau dur de l'État, ce que les Turcs appellent "l'État profond", équivalent turc du Gladio italien. Les gouvernements civils sont toujours restés impuissants face à ces réseaux de pouvoir puissants protégés par l'état-major des armées. Après chaque attentat spectaculaire ils condamnent "fermement les auteurs" et promettent de "les arrêter rapidement". Mais à ce jour aucun des auteurs de plus de 4500 "meurtres politiques non élucidés" n'a été arrêté. C'est dans ce contexte qu'il convient de situer la déclaration du Premier ministre turc: "Je condamne fermement cette agression et souhaite que les agresseurs soient retrouvés dans les plus brefs délais pour être traduits devant la justice". En Europe, l'émotion a été à la mesure de la notoriété d'A. Birdal et du respect qu'inspire son action. M. Klaus Kinkel, chef de la diplomatie allemande, a été le premier à réagir en "déplorant profondément" l'attentat et en espérant que l'affaire soit "rapidement éclaircie". Il a précisé qu'il connaissait ce défenseur courageux des droits de l'homme pour l'avoir rencontré plusieurs fois, la dernière à Ankara, en mars 1997. La présidence de l'Union européenne, dans un communiqué de presse rendu public à Londres, indique: "Nous avons appris avec stupeur et consternation le lâche attentat contre Akin Birdal". L'UE "condamne cet attentat" et "soutient fortement les déclarations des autorités turques selon lesquelles tous les efforts seront faits pour transmettre ses responsables à la justice". À Paris, une porte-parole du ministre des Affaires étrangères a exprimé "l'émotion de la France" et rendu hommage " au combat mené sans relâche par M. Birdal en faveur des droits de l'homme". "Nous voulons croire que cet événement renforcera en Turquie la détermination de tous ceux qui, y compris au sein du gouvernement partagent cet objectif et ce battent pour la démocratisation" a-t-il ajouté. L'Italie est "indignée" et "déplore" l'attentat perpétré contre M. Birdal a déclaré le ministère des affaires étrangères qui a souligné que pour Rome "l'adoption par le gouvernement d'Ankara de normes européennes en matière des droits de l'homme constitue la condition indispensable pour un rapprochement progressif de ce pays vers l'Europe". De son côté la Grèce a stigmatisé "les mécanismes autoritaires qui terrorisent les citoyens désireux de dire librement leurs opinions en Turquie, qui reste une démocratie grise prisonnière de ces mécanismes". "Cet attentat n'est pas seulement un coup porté contre M. Birdal mais aussi contre la démocratie et les droits de l'homme qui sont en fait vides de contenu en Turquie" a conclu le porte-parole grec. À Paris, dans une lettre ouverte adressée au président turc, Suleyman Demirel, Mme Mitterrand, présidente de la Fondation France-Libertés et du CILDEKT, a exprimé son "indignation" face "à cet attentat atroce qui participe à la vague de persécutions, de menaces et d'assassinats des défenseurs des droits de l'homme" et a ajouté: "nous nous interrogeons sur la capacité de votre gouvernement de rétablir un État de droit en Turquie". A Londres, Amnesty a accusé les autorités turques d'avoir "créé le climat" propice à l'attentat. "Les autorités turques ont tenté avec persistance de discréditer l'Association turque des droits de l'homme (IHD) et n'ont ni mené d'enquête ni condamné les précédentes attaques contre ses représentants" indique le communiqué d'Amnesty qui ajoute: "Plus de 10 membres de l'IHD ont été assassinés depuis 1991() Il apparaît que ces meurtres n'ont pas fait l'objet d'enquêtes correctes, et même que leurs auteurs ont été protégées". Cette opinion est également partagé par de larges secteurs de l'opinion turque. Ainsi, pour Recai Kutan, président du groupe parlementaire du parti islamiste, la Vertu, "il est impossible de parler de la démocratie et des droits de l'homme dans un climat où le président de l'Association des droits de l'homme est accusé sans aucun fondement légal et ouvertement désigné comme cible pour des tueurs". Cet argument a été repris par Aydin Erdogan, avocat à l'IHD: "Birdal a été désigné comme une cible ces derniers jours. C'était une invitation au meurtre". 6 DIRIGEANTS DU HADEP CONDAMNÉS À TROIS ANS ET NEUF MOIS DE PRISONLa Cour de Sûreté de l'État d'Ankara a condamné, mercredi 6 mai 1998, à trois ans et neuf mois de prison six dirigeants du Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP), accusé de "soutenir une organisation armée en toute connaissance de sa nature et de ses caractéristiques". La Cour s'est fondée sur des documents saisis dans les locaux du HADEP au cours d'une perquisition en automne dernier, plus particulièrement sur un calendrier publié par le parti qui mettrait en scène des photos de militants du PKK et sur une affiche de MED-TV, télévision kurde émettant d'Europe, retrouvée dans les locaux. Le procureur avait requis 22 ans et 6 mois de prison à l'encontre des responsables du HADEP, régulièrement accusé d'être la branche politique du PKK. UN POLICIER TURC RECONNU COUPABLE DU MEURTRE D'UN CIVIL KURDE CONDAMNÉ À 13 MOIS DE PRISON AVEC SURSISLundi 11 mai, un policier turc est sorti libre du Tribunal après avoir été condamné à 13 mois de prison avec sursis pour avoir tué un homme dans les provinces kurdes au cours d'un raid chez la victime. La Cour a déclaré que l'officier de police Soner Agbaba, membre des "équipes spéciales" (Ozel Tim), était coupable de la mort accidentelle en 1995 de Mustafa Dolek, un villageois de Kahramanmaras. L'avocat des plaignants, Kazim Genç a déclaré qu' Agbaba avait tiré dans la jambe et la poitrine de la victime après que ce dernier ait tardé à ouvrir sa porte dans la nuit du raid. La Cour avait condamné dans un premier temps l'officier Agbaba à 8 ans de prison ce même lundi 11 mai, puis a immédiatement réduit la peine à 13 mois avec sursis. La raison de ce retournement n'a pas été expliquée. L'EX-MINISTRE DE L'INTÉRIEUR AGAR RENVOYÉ DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLELa Cour de sûreté de l'État (DGM) d'Istanbul a renvoyé lundi 4 mai à la Cour constitutionnelle, après s'être déclarée incompétente, l'affaire de Mehmet Agar, ancien ministre de l'Intérieur, inculpé pour avoir formé une bande illégale et favorisé l'infiltration de la mafia dans l'appareil de l'État. M. Agar et Sedat Bucak, député de Sanliurfa et chef d'un clan kurde allié à l'État pour combattre le PKK, tous deux membres du Parti de la Juste Voie (DYP), comparaissaient lundi devant la Cour pour un crime passible de 15 à 20 ans de prison. Ils étaient impliqués dans le scandale "de Susurluk"- accident de la route en novembre 1996 près de Susurluk dévoilant les relations étroites entre la police (Huseyin Kocadag, policier de haut rang), la mafia (Abdullah Çatli, militant ultra-nationaliste et trafiquant de drogue) et certains hommes politiques dont Sedat Bucak et Mehmet Agar, confirmées par un rapport d'une commission d'enquête publié en janvier dernier- Le parlement avait levé en décembre 1997 l'immunité parlementaire de M. Agar et M. Bucak, ouvrant la voie à leur procès. LE PARLEMENT TURCS DÉCIDE DE CRÉER UNE COMMISSION SUR "LA CORRUPTION" DE MESUT YILMAZUne motion parlementaire demandant l'ouverture d'une enquête à l'encontre du Premier ministre Mesut Yilmaz pour "abus de pouvoir et corruption" dans un appel d'offres public lancé en 1997 pour la construction d'un second aéroport civil dans la partie asiatique d'Istanbul, a été adopté, mardi 12 mai 1998, par le parlement turc. M. Yilmaz avait fait l'objet d'une première enquête le 22 avril 1998 sur sa fortune personnelle dont l'origine serait "inconnue" selon l'opposition. Les députés du parti républicain du Peuple de M. Deniz Baykal (CHP, social-démocrate), qui soutient le gouvernement minoritaire sans y participer au parlement, a voté en faveur de la motion de l'opposition, l'avenir du gouvernement semble compromis, d'autant plus que la coalition connaît de sérieuses dissensions. Certains de ses membres appellent à des élections anticipées dès cette année tandis que M. Yilmaz préfère attendre l'automne 1999. Selon la procédure du parlement, le rapport d'une commission d'enquête doit être remis dans les deux mois de sa formation mais d'après les analystes politiques, M. Yilmaz ne risque guère d'être traduit devant la Haute Cour de justice. Il s'agirait de l'une des manuvres byzantines dont raffolle la classe politique turque. Mise en accusation pour corruption, Mme Çiller et ses alliés islamistes, en montrant à leur tour du doigt le Premier ministre Yilmaz, semblent dire "que celui n'a pas commis le péché de la corruption me jette la première pierre". LES COURS DE KURDE SONT TOUJOURS INTERDITS EN TURQUIEYilmaz Camlibel, président de la Fondation de Recherche et de la Culture Kurde (KURT-KAV) et Mehmet Celal Baykara, membre de la fondation, ont été, mardi 5 mai 1998, acquittés par la Justice turque. Ils étaient accusés de donner des cours de kurde dont l'enseignement et la diffusion sont interdits en Turquie. Les accusés risquaient deux ans de prison s'ils étaient déclarés coupables. La décision de la Cour a été clémente car elle a pris en considération le fait que les cours étaient privés et non ouverts au grand public. Interrogé par l'agence Associated Press, M. Camlibel a déclaré que le procureur n'avait pas l'intention de faire appel de la décision mais qu'il était interdit à la fondation de continuer ses cours de kurde. Il a ensuite ajouté qu'ils étaient déterminés à avoir gain de cause et a rappelé à ce titre que dans une autre affaire la fondation poursuit en justice le ministère de l'Éducation nationale pour que les cours de kurde soient autorisés. |