Publications

Haut

POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
 -
Liste
NO: 98

27/5/1998

  1. ARRESTATION DES AUTEURS DE L'ATTENTAT CONTRE A. BIRDAL
  2. 70 157 CITOYENS TURCS SONT INTERDITS DE QUITTER LE TERRITOIRE
  3. LE PARTI REFAH SAISIT LA COMMISSION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
  4. ROBIN COOK REND VISITE À A. BIRDAL
  5. LA TURQUIE BOUDE LE CONSEIL D'ASSOCIATION AVEC L'UNION EUROPÉENNE
  6. TENSION DANS LES RELATIONS FRANCO-TURQUES
  7. LA VISITE À MOSCOU DU GÉNÉRAL KARADAYI


ARRESTATION DES AUTEURS DE L'ATTENTAT CONTRE A. BIRDAL


6 Individus impliqués dans l'attentat perpétré le 12 mai contre le président de l'Association turque des droits de l'homme (IHD) ont été arrêtés le 22 mai par la police turque. Parmi eux, les deux exécutants, B. Eken et K. Deretarla, qui ont tiré 13 coups de feu sur Birdal ; et un sous-officier de la gendarmerie, Cengiz Erserver, en poste à Büyükçekmece, près d'Istanbul, considéré comme l'organisateur de l'attentat, et divers complices. Lors d'une confrontation effectuée le 25 mai à l'Hôpital Sevgi d'Ankara où il est soigné, A. Birdal a reconnu formellement les deux pistolero. Ceux-ci sont d'ailleurs passés aux aveux. Ils ont raconté comment ils avaient été recrutés, présentés au sous-officier Ersever, entraînés "pendant 90 jours dans la forêt de Silivri avec une quinzaine d'autres Ulkucu (militants d'extrême droite) à leurs missions futures". Sur ordre d'Erserver, ils sont venus à Ankara 4 jours avant l'attentat pour faire des repérages. Leur mission était d'enlever Birdal pour l'amener dans le fameux triangle de la mort" autour de Silivri, sur la route d'Ankara - Istanbul pour "l'interroger" avant de l'abattre "dans l'intérêt de la Grande Nation Turque". Selon eux, l'entrevue avec le président de l'IHD ne s'est pas déroulée comme prévue. Quand Birdal a eu des soupçons et cherché à les éconduire sous prétexte d'un rendez-vous, ils ont décidé de l'abattre. Après leur forfait ils ont confié leurs armes à un complice à Ankara puis loué un taxi pour aller rendre compte à leur chef Ersever.

La presse turque présente ce denier comme "le bras droit de Yesil, alias Mahmut Yildirim" dit aussi le "Terminator" ou l'"ange de la mort", l'un des principaux animateurs des escadrons de la mort turcs opérant sous des noms divers et agissant pour le compte et avec la protection du Bureau de la guerre spéciale. Plus de 4500 meurtres de civils sont imputés à ces escadrons. Des preuves des connexions étroites de Yesil avec à la fois les servies de renseignement de la Gendarmerie (JITEM) et de la police politique (MIT) ont été à maintes fois publiées par les journaux turcs à la suite du scandale de Susurluk. L'un des chefs de la police, Hanifi Avci, ancien directeur-adjoint du bureau de renseignement de la Direction Générale de la Sûreté, qui a été à l'origine d'une partie de ces révélations sur les liens entre certains services de l'État, la mafia de l'extrême droite et les gangs, comparaissant le 25 mai devant la Cour de Sûreté de l'État pour "divulgation des secrets d'État" a déclaré au quotidien Hürriyet "Si on m'avait écouté on aurait démantelé et mis hors d'état de nuire tous ces gangs et il n'y aurait pas eu d'attentat contre Birdal. Les gens impliqués dans cet attentat, en particulier Erserver, sont des hommes de Yesil. Des transcriptions d'écoutes téléphoniques établissent que Yesil et Erserver se parlaient parfois une vingtaine de fois par jour. On ne m'a pas écouté. Yesil et ses hommes impliqués dans tant de meurtres, de rackets et de trafics divers se promènent en toute liberté. Et moi, je suis traduit devant les tribunaux, menacé de 15 ans de prison pour avoir dit la vérité et demandé un État propre".

Le sous-officier Ersever a reconnu "avec fierté" avoir organisé l'attentat contre Birdal après "les révélations" attribuées à S. Sakik tendant à accréditer l'idée que le président de l'IHD serait un partisan du PKK. Cependant, pour les observateurs, Erserver lui-même n'est qu'un rouage et la justice turque n'osera pas pousser son enquête jusqu'aux véritables donneurs d'ordre de tuer. Le Premier Ministre turc, M. Yilmaz, qui avait solennellement promis de tirer rapidement au clair l'affaire de Susurluk et les autres scandales des meurtres non élucidés a dû, assez rapidement y renoncer. Interrogé par la presse, le ministre turc de l'Intérieur a affirmé qu'"il ne pourrait pas répondre à la question de savoir où est Yesil, s'il est mort ou vivant".

70 157 CITOYENS TURCS SONT INTERDITS DE QUITTER LE TERRITOIRE


En réponse à une question du député F. Saglar, le ministre turc de l'Intérieur a indiqué que 70157 citoyens turcs sont interdits de sortir de la Turquie. 45678 d'entre eux en raison de leurs dettes envers le Trésor, 22673 sur décisions des tribunaux et 1806 sur ordre du Ministère de l'Intérieur "en raison des inconvénients pour la sécurité générale du pays". En Turquie les citoyens condamnés pour motifs politiques, y compris et surtout pour délit d'opinion, perdent leurs droits politiques. Ils ne peuvent être élus ou occuper des emplois dans la fonction publique et les universités. Souvent, ils sont également privés du droit de voyager à l'étranger.

LE PARTI REFAH SAISIT LA COMMISSION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME


Après son interdiction par la Cour constitutionnelle turque, le parti islamiste turc a officiellement saisi la Commission européenne des droits de l'homme. Dans leur requête les islamistes turcs accusent le gouvernement d'Ankara d'avoir violé les articles 6, 7, 9, 10, 11, 14, et 18 de la Convention européenne des doits de l'homme garantissant les libertés d'expression et d'association. Une délégation du Refah dissous conduite par son vice-président, Sevket Kazan, ancien ministre de la Justice, a, à cette occasion rencontré le président de la Commission, M. Stephan Trechel. Un collectif d'avocats français et britanniques plaidera devant la juridiction de Strasbourg l'affaire du Refah. Verdict dans 2 à 3 ans.

ROBIN COOK REND VISITE À A. BIRDAL


Le ministre britannique des Affaires étrangères lors de son voyage éclair du 21 mai à Ankara, a tenu à rendre visite au président de l'IHD dans sa chambre d'hôtel, pour prendre de ses nouvelles et lui souhaiter un prompt rétablissement. Parlant de Birdal, M. Cook a déclaré: "Nous suivons depuis longtemps l'IHD. Nous appréciions la sensibilité qu'il (Birdal) a montrée sur la question des droits de l'homme et son rythme de travail". Soulignant que l'attentat contre Birdal avait conduit à des réactions adverses dans l'Union européenne, le ministre britannique dont le pays assume la présidence de l'UE a indiqué à Birdal que tous les pays européens avaient condamné cette attaque. "Nous poursuivons le combat honorable que vous avez mené sur la voie de développement d'une culture des droits de l'homme" a assuré M. Cook avant d'ajouter que "les autorités turques doivent retrouver les auteurs de l'attentat".

Remerciant le ministre britannique de sa visite hautement symbolique, le président de l'IHD lui a dit que l'attentat contre sa personne avait été organisé par ceux qui veulent éloigner la Turquie du processus de l'Union européenne et que lui-même et ses collègues s'efforcent de faire de la Turquie un pays démocratique où la paix sociale soit assurée. Rappelant que son association (IHD) était présentée par certains cercles comme "ennemie de l'État", Birdal a souligné qu'elle ne faisait que militer pour la paix et les droits de l'homme. "La Turquie doit être un pays qui respecte les normes de l'Union européenne où la paix sociale est en vigueur et où chaque personne peut s'exprimer librement. L'IHD est ennuyée par la réputation de la Turquie pour les violations de droits de l'homme. Avec ces actions menées contre moi, il y a eu des efforts de pousser la Turquie, qui s'éloigne chaque jour du processus de l'UE, hors de ce processus" a conclu A. Birdal à son illustre visiteur britannique.

Cette visite a donné lieu à des incidents entre la police et les responsables de l'IHD. Malgré les objections de ces derniers, trois policiers turcs, arguant des impératifs de sécurité sont entrés dans la chambre de Birdal et assisté à l'entrevue de celui-ci avec M. Cook, accompagné de l'ambassadeur britannique, David Logan. Selon l'IHD, l'un des policiers aurait enregistré toute la conversation. Outre M. Cook, A. Birdal a reçu la visite d'une délégation d'eurodéputés socialiste et celle du président du Parlement autrichien, M. Fischer en visite officielle à Ankara. Par ailleurs, dans plusieurs villes, notamment à Ankara et Diyarbakir, des milliers de manifestants pacifiques ont protesté contre l'attentat visant le président de l'IHD.

LA TURQUIE BOUDE LE CONSEIL D'ASSOCIATION AVEC L'UNION EUROPÉENNE


La visite à Ankara de R. Cook n'a pas réussi à convaincre le gouvernement turc de participer à la réunion du conseil d'association prévue pour le 25 mai à Bruxelles. "Les conditions requises pour la tenue de cette réunion ne sont pas réunies. Le texte sur la Turquie qui devait être débattu lors de ce conseil prévoyait un approfondissement des relations entre l'UE et la Turquie mais pose certaines conditions politiques. Nous ne pouvons les (conditions) accepter" a déclaré à l'AFP, un porte-parole turc. "Les conditions préalables que l'on nous avance pour l'application du texte de "stratégie européenne pour la Turquie" sont les mêmes que celle formulées par l'Union fin avril" a-t-il ajouté en référence à un communiqué de l'UE du 29 avril dernier appelant Ankara à des améliorations dans ses relations avec la Grèce, dans le conflit chypriote et dans le domaine des droits de l'homme.

Or la Turquie fait l'impasse sur les questions politiques et ne veut discuter que de la coopération économique et financière, en particulier du déblocage d'une aide financière de 375 millions d'écus (412,5 millions de dollars) prévue par l'accord d'union douanière entrée en vigueur en 1996. Chacun campant sur ses positions le dialogue turco-européen est en panne, pour quelque temps.

TENSION DANS LES RELATIONS FRANCO-TURQUES


Le projet du groupe socialiste à l'Assemblée nationale française de déposer cette semaine une proposition de loi affirmant que la Turquie a bien perpétré un génocide contre les Arméniens en 1915, suscite un véritable remue-ménage dans les milieux gouvernementaux turcs. Sur instructions d'Ankara, l'ambassadeur turc à Paris, S. Koksal, s'est entretenu, à sa demande, avec le secrétaire général du Quai d'Orsay et le président de l'Assemblée, Laurent Fabius, pour les alerter que l'adoption d'un tel texte porterait "un coup sévère aux relations franco-turques" réputées "excellentes". On ignore la réaction du Quai d'Orsay mais M. Fabius s'est contenté de rappeler à l'envoyé turc que "l'Assemblée nationale est souveraine".

Cette proposition de loi qui, dans son article unique, disposera que "la France reconnaît le génocide arméniens en 1915" sera soumise à la Commission des Affaires étrangères le 28 mai et examinée en séance publique par la suite.

Plusieurs députés de l'opposition, dont le député-maire RPR d'Antony, Patrick Devedjian, ont déclaré qu'ils voteraient en faveur de cette proposition de loi.

LA VISITE À MOSCOU DU GÉNÉRAL KARADAYI


Les généraux turcs se chargent désormais eux-mêmes des missions diplomatiques qu'ils considèrent comme les plus importantes pour la sécurité du pays. C'est dans cet esprit que le chef d'état major des armées turques, le général Karadayi, a effectué à partir du 18 mai, une visite entourée d'une large publicité à Moscou où il a rencontré son homologue russe, le ministre de la défense ainsi que des responsables des industries d'armement.

Selon le quotidien turc Milliyet qui lui consacre la Une de son numéro du 20 mai, le général turc a indiqué à ses interlocuteurs russes que la Turquie pourrait acheter des hélicoptères russes KA-50 et KA-52, ainsi que des chars T-80 et peut-être des avions MIG-29 et SU-27 si la Russie renonçait à vendre des missiles S-300 à Chypre. Les responsables russes lui auraient répondu que l'annulation de contrat de vente des S-300 n'est pas impossible. En clair, cela dépend du marchandage turco-russe.

Au cours de sa visite, le chef d'état-major turc a également demandé aux Russes de cesser de livrer des missiles et de la technologie nucléaire à l'Iran et à la Syrie et de ne pas tolérer les activités du PKK sur leur territoire. Il a avancé l'idée de la création d'une force d'action rapide turco-russe pour intervenir dans des troubles et crises d'intérêt commun notamment au Caucase, idée qui aurait reçu un bon accueil chez les dirigeants russes. Cependant, les conflits d'intérêt important, et les contentieux historiques entre la Turquie et la Russie rendent difficiles le développement d'une coopération significative entre les deux pays, à supposer que les Américains, qui ont leur mot à dire sur la politique étrangère turque, acceptent une telle coopération.