L’Institut kurde a été fondé dans une période particulièrement sombre de l’histoire kurde. Contentons-nous de quelques faits : après avoir lancé une guerre destructrice contre son voisin l’Iran, Saddam Hussein inaugure une politique exterminatrice à l’encontre des Kurdes ; le meurtre, en 1983, de 8.000 Barzani constitue un signe avant-coureur des répressions à venir. En Iran, où la révolution de 1978-1979 se solde par la victoire du clergé, les villes kurdes deviennent le théâtre d’une répression massive, incluant l’usage de l’aviation militaire contre les civils. En Turquie, le régime militaire instauré en septembre 1980 considère la kurdicité comme une pathologie à soigner par le nationalisme turc et transforme les provinces kurdes en prisons à ciel ouvert. Bien que convoités par le pouvoir d’al-Assad, les Kurdes syriens sont réduits au silence, nombre d’entre eux, dépossédés de leur nationalité, ne jouissent pas d’une existence légale.
Dans ces circonstances, la diaspora kurde en Europe prend la relève pour devenir le centre névralgique, non tant des luttes politiques, mais d’une résistance pour la sauvegarde d’une culture effectivement en péril. La fondation de l’Institut kurde constitue le premier signe majeur d’un renouveau depuis un espace éloigné.
Le quart du siècle écoulé depuis fut riche aussi bien en tragédies qu’en espoirs : les Kurdes irakiens menacés d’une disparition paraissant inéluctable au lendemain des opérations Anfal en 1988-1989, purent, à la faveur de la Deuxième Guerre du Golfe (1991) s’engager dans une expérience d’autonomie politique ; la décapitation du leadership kurde iranien (1989-1992) n’entrava guère le renouveau culturel kurde dans ce pays ; malgré sa politique de terre brûlée, mise en place en réponse à la guérilla du PKK, la Turquie ne parvint guère à «éradiquer» la Kurdicité.
Depuis une décennie, les Kurdes syriens connaissent un renouveau qui passe par l’engagement pacifique dans la lutte aussi bien pour la démocratie que par les droits culturels. Enfin, alors que disparaissent les anciennes figures intellectuelles, souvent collaborateurs actifs de l’Institut (Zaza, Cegerwxin, Güney, Uzun...) sans voir réaliser leurs rêves d’un Moyen-Orient démocratisé où les Kurdes auraient toute place ensemble avec les autres peuples, de nouvelles figures investissent les champs littéraires et artistiques.
Au-delà d’un moment de réflexion sur son propre passé, l’Institut kurde souhaite, à travers ce colloque, faire le bilan de ces 25 dernières années de l’histoire kurde.