COLLOQUE INTERNATIONAL
« Où va l’Iran ? »
Organisé par l’Institut kurde de Paris
L'Azerbaïdjan d'Iran
Dr. Zia SADRALASHRAFI (*)
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de remercier les organisateurs de cet important colloque ; important car, à ma connaissance, c'est la première fois en France qu'en parlant d'Iran, on évoque aussi l'importante question des nationalités non — persanes en présence de représentants d'organisations appartenant à ces nationalités qui constituent la majorité dans ce pays, à savoir plus de 65% de la population du pays. Ces peuples sont victimes, surtout depuis 1925, de multiples discriminations. Ils sont victimes d'un vrai apartheid culturel car ils sont privés de leur droit le plus élémentaire, à savoir le droit à l'éducation dans leur langue maternelle. Devant les tribunaux du pays, même dans leur région, ils n'ont pas le droit de se défendre dans leur langue maternelle. Au sein de cette Assemblée Nationale française, symbole du respect des droits de l'Homme, nous sommes réunis pour parler d'un pays où ces droits fondamentaux sont inexistants. En ce qui concerne l'Azerbaïdjan d'Iran, je commencerais par les évènements récents, marqués par de nombreuses manifestations à Tabriz mais aussi dans d'autres villes d'Azerbaïdjan, telles Urmiah, Zangan, Ardabil, Maraga.... et qui ont été interprétées comme la réaction de la population à un article provocateur du Journal Officiel de la République Islamique d'Iran.
Pourtant, pour comprendre comment un article que certains ont réduit au rang de caricature, peut faire descendre dans la rue, tant de monde prêt à affronter les divers groupes et forces armés, au nombre desquels la police, les brigades antiémeute etc., il me semble nécessaire de faire un retour en arrière de quelques années, voire de quelques décennies.
La République Islamique a hérité de son prédécesseur, le régime du Chah, un pays plein d'injustice et en conséquence, rempli de l'espoir d'améliorer la situation. Mais dès ses premiers pas, la R. I. a échoué à répondre à ces aspirations.
La seule réponse apportée à une situation très compliquée dans un pays avec tant de peuples, de langues et de religions différents, était que l'islam et son approche salutaire aiderait à résoudre tous les problèmes. Ce qui ne fut pas le cas. L'islam et les leaders religieux ont failli parce que d'une part aucune religion n'est capable de remédier aux problèmes compliqués d'un monde moderne, et d'autre part, ce qu'ils voulaient c'était diriger le pays, quelle que soit la manière.
considérées comme des langues étrangères et des éléments hostiles à « l'unité nationale ». Et il y a eu entre-temps un énorme investissement pour l'avancée de la langue persane considérée par le pouvoir, avec le shiisme, comme les deux piliers de la société.
Le refus de la langue azerbaïdjanaise qui est pourtant la langue maternelle de plus de 23 millions de personnes (selon des statistiques datant de 1998 sur le site intitulé : «www.ethnologue.com/Iran »), à être acceptée et utilisée comme une langue officielle, vient de la peur de l'élite persanophone – à l'intérieur comme à l'extérieur du pouvoir – de perdre sa position de monopole, et une grande partie de ses clients, car la langue azerbaïdjanaise qui a une grammaire structurée et un vocabulaire très riche, est en vérité une rivale dangereuse ; et ceci peut sérieusement réveiller ceux que l'on appelle le pan – aryenisme, en fait il s'agit de l'idéologie panfarsiste inventée pendant le règne de Reza Shah pahlavi. Les récents désordres en Azerbaïdjan, dus à la publication d'un article offensant dans un journal de Téhéran, ne sont que la partie visible de l'iceberg. Il y a dix ans, la radiotélévision d'Etat avait diffusé un « questionnaire » concernant ceux qui étaient appelés les « Turcs », demandant aux personnes interrogées s'ils accepteraient de vivre, de travailler, d'épouser ou simplement d'avoir des rapports normaux avec eux, ce qui était à l'époque dénoncé. Et le seul « Imam du vendredi » révoqué, fut celui de Tabriz, pour avoir contesté ce questionnaire.
Ainsi, si après 27 ans de république islamique, le peuple constate un déni systématique de ses droits élémentaires, y compris celui d'étudier et de vivre dans sa propre langue, il n'a d'autre choix que d'exprimer son indignation.
Ce n'est ni la première ni certainement la dernière manifestation de mécontentement extrême de l'opinion publique quant au déni de ses droits fondamentaux. Tant qu'il n'y aurapas de solution satisfaisante pour un Etat et une société monolithiques désirés par l'élite dirigeante – qui obéit à la « pan » idéologique malgré sa nationalité – la situation risque d'empirer.Tant que la langue persane, préservée par le chiisme, insistera sur le fait que « l'Iranien est celui qui est shiite et parle le persan », la majorité des peuples vivant dans ce pays ne resteront pas les bras croisés. Ce qu'il nous faut, ce n'est pas un « pan » sous toutes ses formes, mais la liberté.
Ce n'est pas par hasard qu'un obscur journaliste commet une erreur ou s'en réjouit. La longue chaîne de cette idéologie profane remonte à l'époque où Reza Shah avait décidé – prenant exemple sur Atatürk – de construire un pays avec une langue, une race, une religion et une histoire unique. La situation internationale et la géopolitique lui ont permis d'avancer dans cette voie. Son fils et successeur, puis la R.I. générée par la Révolution, ont persévéré cette politique despotique. Malheureusement, cette politique a été soutenue, ou du
Outre les espoirs individuels et l'attente collective, restaient deux problèmes énormes : l'attitude des leaders islamiques envers les conditions de la femme – y compris son droit à choisir ses habitudes vestimentaires – et le problème des nationalités.
Cela, parce que l'Iran était – et reste – un pays multinational compacté en une entité unique ! Le défi du nouveau régime est d'abord venu des régions où les revendications identitaires, longtemps larvées, s'étaient accumulées depuis de longues années, à savoir l'Azerbaïdjan et le Kurdistan. La principale résistance politique à l'ascension du nouveau despotisme est venue d'Azerbaïdjan, alors représentée dans son ensemble par l'ayatollah Shariatmadary qui fut le premier leader religieux de haut rang à prévoir la répression montante. Pourtant, il n'était pas un personnage violent, ce qui n'était pas très efficace face à un homme jusqu'au-boutiste comme l'était M. Khomeiny. Il aurait même pu avoir son mot à dire s'il était resté dans sa ville natale de Tabriz. Ce qu'il ne fit pas et perdit le jeu. Entre-temps, la R.I. qui avait fait des promesses vaines échoua à réaliser les plus réalisables. Qu'un nouveau régime ne puisse pas tout faire tout de suite, est une évidence. Mais on s'attendait au moins à ce qu'il applique sa toute principale loi. En fait, les clauses de la nouvelle constitution liée à la création d'un pouvoir absolu et investi d'aucune responsabilité, ont été rapidement mises en place. Dès les premiers jours, cette république s'est obstinée sur les vêtements des femmes afin que chacun puisse dire que la principale cible de l'Etat, dominé par les religieux, était ce simple problème.
Mais la R.I. a échoué à honorer, ou plutôt, a refusé d'honorer les clauses les plus élémentaires de sa propre constitution, comme l'article 15 concernant les langues non persanes, qui constituent les langues de la majorité des peuples vivant dans ce pays, à savoir : les Azerbaïdjanais, Kurdes, Turkmènes, Arabes et Baloutches...
Là est le point de départ de tous les conflits régionaux et internes dans ce pays.
En fait, le peuple trouve que le pouvoir a menti en ce qui concerne ses droits et en une période de 27 ans, aucune école enseignant dans une langue régionale n'a vu le jour. Les nombreuses pétitions adressées aux autorités n'ont eu aucun écho et à plusieurs occasions l'organe appelé Conseil de discernement des intérêts du régime n'a pas jugé utile d'en prendre acte.
Ce ne sont pas seulement les langues maternelles qui sont bannies des écoles, des universités, des bureaux du gouvernement, des cours, de la presse de la radio et de la télévision ; elles sont aussi, et particulièrement la langue azerbaïdjanaise (l'une des langues turkik) la cible permanentes dans la presse et à la télévision,
moins tolérée, par les puissances occidentales, la raison en était de contrecarrer le communisme. C'est ainsi que les deux gouvernements autonomes formés à l'issue de la deuxième guerre mondiale en Azerbaïdjan et au Kurdistan d'Iran, ont été écrasés dans le sang avec le concours des anglais et américains. Mais depuis le monde a beaucoup changé. Avec l'éclatement de Union Soviétique, l'abrogation en pratique du pacte de Yalta, ainsi que l'émergence du problème des nationalités et la promotion des droits de l'homme, il n'est plus possible de gérer un pays comme l'Iran, mosaïque de peuples, de langues et de religions, avec une idéologie d'apartheid et une politique de crise sur le plan interne comme externe. Dans un tel pays, la solution moderne et responsable, c'est un système décentralisé et fédéral fondé sur le pluralisme, la démocratie, la liberté et la justice ; un système dans lequel l'égalité de droit, dans les domaines politique, économiques, social et culturel, entre les différents peuples, entre les femmes et les hommes, sera respectée. C'est la seule solution responsable pour que l'Iran puisse exister en tant qu'entité politique et géographique avec tous les peuples qui y vivent.
Mesdames, Messieurs, nous, les peuples opprimés d'Iran, qui constituons 65% de la population du pays, c'est-à-dire près de 48 millions de personnes, nous pensons qu'en soutenant ces revendications, les démocraties occidentales contribueront non seulement à l'émergence d'un vrai système démocratique dans ce pays, mais aussi mettront un terme aux crises graves qui affectent l'Iran, la région et le monde entier.
En guise de conclusion, je me permets d'attirer votre attention sur la crise nucléaire iranienne. Malheureusement le régime au pouvoir en Iran, est un régime fauteur de crises et de tensions.Comme vous le savez, sur le plan énergétique, l'Iran constitue le 3ème réserve mondiale de pétrole et de gaz. Par ailleurs, dans ce pays il y a une capacité énorme sur le plan de l'énergie solaire et éolienne. C'est pourquoi chercher de se doter d'une énergie coûteuse et dangereuse comme l'énergie nucléaire, n'est nullement dans l'intérêt de notre pays. De plus, nous avons l'exemple de Tchernobyl dont nous connaissons tous les conséquences désastreuses sur le plan humain et écologique et cette technique de Tchernobyl est en train de se réaliser avec l'aide des Russes.
Pour le mot de fin, permettez-moi d'insister sur le fait que sans l'égalité de droit entre les hommes et les femmes, entre les différents peuples du pays et que sans la liberté de langue, de culture, de presse, d'opinion, il sera illusoire de croire à la paix et à la stabilité dans ce pays et dans la région.
Je vous remercie de votre attention.
Paris, le 16 juin 2006.
(*) Président du Centre pour la culture azérie (Canada), au Colloque : »