tags: N° 136-137 | juillet-août 1996
L’armée iranienne a pénétré le 27 juillet dans le Kurdistan irakien, officiel-lement pour (…) accusé par Téhéran de lancer à partir de ces bases des actions militaires contre des objectifs iraniens. Une force de 2000 à 3000 gardiens de la révolution, équipés d'armes lourdes, a d'abord séjourné dans une caserne de Souleimanieh, puis, après avoir au total parcouru environ 200 km sur le territoire kurde irakien cette force a pris position sur les monts dominant la ville de Koy Sandjak, située à 80 km d'Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Le 29 juillet au petit matin l'artillerie lourde iranienne a commencé, à partir de ses positions, à soumettre à un pilonnage intensif les camps des Kurdes iraniens et un hôpital géré par Médecins duMonde et Aide médicale internationale situés dans la plaine de Koy Sandjak. Au terme de 48h de pilonnages plusieurs centaines de maisons des réfugiées kurdes iraniens ont été détruites. Informée de l'intervention militaire iranienne, ceux-ci avaient pu à temps fuir leurs foyers, de sorte qu'il n'y aurait qu'un mort, une vielle femme, à déplorer. 2500 de ces réfugiés sont allés camper devant les bureaux de l’ONU à Erbil demandant à la communauté internationale d'inter-venir d'urgence pour mettre un terme à l'agression iranienne commise sous le regard des avions de la force alliée Provide Comfort supposée assurer la protection de cette (safe haven) kurde. Une zone qu'après les fréquentes incursions de la Turquie, l'Iran viole à son tour, pour la deuxième fois, et en toute impunité. Les média occidentaux ont également souligné cette aberration et plusieurs États occidentaux ont appelé l'Iran à retirer ses troupes. Celles-ci, leur mission accomplie, ont finalement à partir du 31 juillet regagné le territoire iranien.
Au-delà des dégâts matériels occasionnés, l'intervention iranienne a grandement contribué à la détérioration des relations entre les deux principaux partis kurdes irakiens, le PDK et l'UPK, qui observaient depuis plusieurs moins une fragile trêve. Le PDK de Barzani, pour avoir interdit aux Iraniens de transiter par les territoires qu'il contrôle a été menacé d’un . L'UPK de Talabani qui a laissé les troupes iraniennes emprunter les territoires sous son contrôle a été critiqué à la fois par M.Barzani et par le PDK iranien, cible principale de l'agression iranienne. Ce climat de plus en plus empoisonné, alourdi d'accusations et menaces réciproques, devait conduire à la reprise massive des affrontements entre les deux factions kurdes à partir du 17 août.
LE samedi 17 août à l'aube, quelques heures à peine après le méga-concert du chanteur Sivan Perwer devant plusieurs dizaines de milliers de personnes à Dohouk qui devait couronner les festivités marquant le 50ème anniversaire du PDK, le Kurdistan irakien s'est réveillé au son des canons. Tandis que l'artillerie iranienne à longue portée pilonnait les localités de Haj Omran et de Choman, des affrontements violents éclataient en plusieurs endroits de la province d'Erbil entre les forces du PDK et de l'UPK.
Dans des déclarations à la presse (voir notre Revue de presse) les responsables des deux bords ont affirmé qu'il s'agissait des .
Se rejetant mutuellement la responsabilité de la reprise des hostilités, les deux factions kurdes s'accusent aussi d'agir de concert avec . Ainsi, un porte-parole du PDK, cité par une dépêche d'A.F.P. du 18 août, accuse l'UPK d'utiliser dans les combats . De son côté l'UPK, dans un communiqué du même jour, accuse le PDK de avec le régime de Saddam Hussein, affirmant que Bagdad avait offert aux forces de M. Barzani . Le 16 août, intervenant longuement sur la chaîne de télévision de son parti, J. Talabani avait annoncé et avait demandé à la population d'aller .
Le 21 août, au 4ème jour des combats, un représentant du PDK indiquait à l'A.F.P. qu'au moins cent personnes, des civils et des combattants, avait été tuées dans des affrontements avec l'UPK. affirme un communiqué de ce parti diffusé ce même jour, estimant que l'intervention de Téhéran équivalait à . Tandis que l'UPK rejette à nouveau ces accusations, la Grande Bretagne se déclare devant . Londres appelle instamment les deux partis kurdes à cesser leurs affrontements.
Cependant sur le terrain la guerre fait rage. Le 22 août, le PDK, cité par l'A.F.P., appelle . "L'agression de l'Iran (...) et son appui militaire à l'UPK visent à torpiller les arrangements humanitaires et de sécurité mis en place par la communauté internationale et l'opération ‘Provide Comfort’ et à contrecarrer les efforts américains de paix dans la région" précise le communiqué de ce parti cité par l’A.F.P. qui avertit: les membres de la coalition alliée n’interviennent pas pour dissuader l’intervention iranienne, les répercussions seront très graves pour toutes les parties et les gouvernements concernés par la stabilité et la sécurité de la région. Le PDK affirme, dans le même texte, que "les autorités iraniennes ont facilité, mercredi 21 août, le mouvement de milliers de combattants de l'UPK sur son territoire pour leur permettre d'attaquer les positions arrières du PDK et fourni à ces combattants des armes, des munitions et des véhicules de transport. Des officiers de liaison iraniens et des instructeurs militaires pour les mortiers et les mini-katiouchas escortent les forces de l'UPK".
Washington qui, le 15 août, était entré en contact avec les dirigeants des deux partis kurdes pour mettre les dernières touches à devant régler le conflit inter-kurde s'inquiète sérieusement de cette escalade qui, selon le porte-parole du département d'État . Sans prendre ouvertement à son compte les accusations concernant , Washington demande aux deux factions kurdes d'arrêter immédiatement leurs hostilités. Le 23 août, sous la pression américaine, un cessez-le-feu est conclu. Son artisan, le secrétaire d'État adjoint chargé du Proche-Orient Robert Pelletreau qui s'est entretenu au téléphone avec les chefs kurdes M. Barzani et J. Talabani, les invitant à se rendre en septembre à Washington afin d'y signer en sa présence un accord global de paix.
Cependant ce cessez-le-feu est passé sous silence par les radio-télévisions de l'UPK et du PDK. Dès le 25 août des affrontements sont à nouveau signalés par des responsables de l'ONU autour de Choman et de Qasri. Le 26 août, un responsable de l'UPK, cité par l'A.F.P., déclarait que sa formation était prête à accepter une trêve sans condition préalable mais qu'aucun accord n'a encore été conclu. De son côté, un dirigeant du PDK affirme que son parti n'accepterait pas une trêve si Washington ne condamnait pas l'UPK pour avoir les derniers affrontement et l'Iran pour son soutien militaire à l'UPK.
Le 27 août, un pas de plus est franchi dans l'escalade. Le chef de la diplomatie iranienne, Ali Akbar Velayeti, déclare qu'il ne croit pas au succès des initiatives américaines pour mettre fin aux combats dans le Kurdistan irakien et que son pays est le mieux placé pour ramener la paix dans cette région. Le même jour, l'UPK, dans un communiqué cité par l'A.F.P., affirme que car . Interrogé au sujet de l'Iran, le représentant de l'UPK à Londres a indiqué que son parti soulignant que . Le département d'État exprime ses inquiétudes face à l'intervention de Téhéran dans le conflit, affirmant sans nommer l'Iran, qu'une . Plus explicite, le PDK accuse l'Iran d'agir de concert avec l'UPK . Pour sa part Bagdad qui avait, le 25 août accusé l'Iran d'intervenir dans les combats aux côté de l'UPK, a dénoncé les propos de M. Velayeti comme .
Le 28 août, Washington annonce avoir obtenu la veille un accord de cessez-le-feu qui doit entrer en vigueur dans la matinée à 4h00 GMT. Cet accord a été signé grâce, une nouvelle fois, à la médiation de M. Robert Pelletreau. a indiqué Glyn Davies, porte-parole du département d'État. Les factions kurdes se sont mises d'accord sur d'une conférence de paix à Londres, mais aucune date précise n'a encore été fixée pour la tenue de cette conférence, a encore indiqué M.Davies. , a-t-il ajouté.
Les deux partis kurdes ont annoncé qu'ils respecteraient ce cessez-le-feu et qu'ils enverraient leurs représentants à devant se tenir le 30 août à Londres afin de . Cette réunion, confirmée le 29 août par Washington, sera présidée par M.Robert Deutsch, directeur des affaires iraniennes et irakiennes du département d'État. Les factions kurdes devraient ultérieurement se retrouver pour une à Londres sous la présidence de M. Pelletreau.
Le 30 août, une délégation du PDK composée de Hoshyar Zebari et Mohsin Dizayee rencontre à l'ambassade des États-Unis à Londres, la délégation de l'UPK formée de Latif Rashid et Adnan Mufti. Ahmad Chalabi, président du Congrès national irakien (CNI) et un observateur du gouvernement britannique assistent également à cette réunion présidée par Robert Deutsch et destinée à définir des mesures de consolidation de cessez-le-feu. La réunion dure jusqu'environ minuit. Une nouvelle séance est prévue pour le lendemain. Dans la soirée le Pentagone a annoncé que et que . Au même moment à Bagdad, le ministre irakien de l'Information a réclamé .
Le 31 août, un corps expéditionnaire irakien composé de 40.000 soldats de Gardes républicaines et de 300 chars entre dans Erbil après quelques heures d'affrontements avec les milices de l'UPK. Pour la première fois depuis 1991 le drapeau irakien est hissé sur le Parlement kurde. Des maisons et des commerces sont pillés. À Qushtepe, près d'Erbil, 96 membres du Congrès national irakien sont arrêtés et passés par les armes. D'autres sont portés disparus.
Cette agression irakienne, intervenue en pleine campagne électorale américaine, est perçue comme une nouvelle provocation de Saddam Hussein et suscite de vives réactions. Cependant, le vice-Premier ministre irakien Tarek Aziz a déclaré que l'offensive de l'armée irakienne visait à contrecarrer . Selon lui, M. Barzani a demandé le 22 août le soutien de Saddam Hussein dans une lettre faisant état d'une . a ajouté T. Aziz. Selon lui, M. Barzani a affirmé dans sa lettre: .
Dans la soirée du 31 août, tandis que le PDK se vantait d' et affirmait que l'Irak annonçait un de ses troupes à leurs positions antérieures. L'UPK et le CNI appelaient .
Londres a été la première capitale européenne à et à exprimer son . a déclaré un porte-parole du Foreign Office.
Paris s'est contenté de . Washington passait en revue les diverses options de représailles.
La guerre civile qui depuis mai 1994 sévit par intermittence au Kurdistan irakien, qui a paralysé les institutions du pays et ruiné les espoirs d'auto-détermination kurde, marque un tournant en cette fin août 1996. Mais rien ne permet d'affirmer qu'elle va bientôt toucher à sa fin. Craignant un retour en force du régime irakien et un retrait de la protection occidentale, la population vit dans la peur du lendemain et dans l'incertitude.
LE gouvernement de coalition formé entre le parti islamiste de la Prospérité (RP) de Necmettin Erbakan et le parti conservateur de la Juste Voie (DYP) de Tansu Çiller a réussi à franchir le difficile cap du vote d’investiture en obtenant le 8 juillet 278 voix contre 265. La majorité requise étant de 276 voix, le nouveau cabinet obtient son investiture d’extrême justesse grâce notamment aux 7 voix du parti de l’extrême droite religieuse de la Grande Union (BBP). 10 députés du DYP, dont Emre Gönensoy, ex-ministre des Affaires étrangères, Ismet Sezgin, ex-ministre de l’Intérieur, ont voté contre, . (Huit d’entre eux ont, le 16 juillet, présenté leur démission collective de la formation de Mme. Çiller). Quatre autres députés de cette formation, dont le général Güres, ex-chef d’état-major des armées et Hayri Kozakçioglu, ex-super gouverneur des provinces kurdes, ont préféré ne pas assister à cette séance du Parlement qualifiée d’historique par les médias turcs.
L’événement est en tout cas sans précédent dans l’histoire de la République turque. En effet, c’est la première fois dans les 74 ans d’existence de cette république qu’un islamiste déclaré va diriger le gouvernement. Cela avec seulement 21% des voix obtenues dans les élections législatives de décembre. Ironie du sort: c’est une femme politique qui, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, s’est présentée Comme qui sert de tremplin à l’accession au pouvoir des islamistes, simplement pour sauver sa tête, pour éviter d’avoir à répondre de lourdes charges de corruption devant la Haute cour de Justice. Ceux qui en Turquie et en Occident ont soutenu jusqu’au bout Mme. Çiller, y compris dans sa cruelle campagne de destruction des villages kurdes, doivent aujourd’hui s’en mordre les doigts !
Habile tacticien et calculateur, Necmettin Erbakan, ex-professeur à l’Université technique d’Istanbul, a toutes les raisons de savourer sa victoire. Il a d’abord mis en accusation pour corruption Tansu Çiller pour provoquer l’éclatement de la coalition des partis conservateurs, puis offert à Çiller de passer l’éponge en échange d’une alliance gouvernementale. La capitulation de Tansu Çiller et des promesses mirifiques faites aux députés hésitants ont fait le reste pour sa .
L’argent a été largement décisif dans le vote des députés turcs. Le quotidien Milliyet annonçait à la de son édition du 6 juillet le tarif pratiqué: Sur ce marché extraordinaire 1 voix de député pour l’investiture vaut $2 millions, 1 abstention ou absence vaut $ 1 million. Un député d’opposition qui démissionne de son parti et rejoint le DYP de Tansu Çiller est payé $3 millions. Le petit parti de la Grande Union (BBP) se serait vu offrir $20 millions de dollars et divers postes lucratifs en échange de ses 7 voix.
Dans un pays où un professeur émérite des universités gagne, en fin de carrière, à peine 750 dollars par mois, ces sommes considérables semblent avoir joué un rôle autrement plus décisif que les dans le vote du Parlement turc. Exprimant son devant le député conservateur kurde Mehmet Sagdiç (ANAP) déclare au Milliyet du 6 juillet que .
Quelles que soient ses conditions d’investiture, le cabinet Erbakan pourrait bien durer un certain temps, faute d’alternative. La fragilité de sa majorité ne lui permettra pas de mettre en pratique les options fondamentales de son programme islamiste mais, en tacticien habile, le chef du Refah va d’abord essayer d’asseoir la légitimité de son parti, de placer ses cadres dans l’appareil de l’État et tirer pour les siens le meilleur profit financier possible de son passage au pouvoir. Le programme assorti d’une loi d’amnistie de délits économiques pour mettre à l’aise tout comme nombre de financiers occultes du Refah pourra être toléré par la haute hiérarchie militaire qui reste maître suprême du jeu politique en Turquie et qui pourrait à tout moment mettre un terme à ce si elle estime que le gouvernement est allé trop loin.
Les porte-feuilles de sécurité (intérieur, défense et affaires étrangères) restent dans les mains du parti de Tansu Çiller. Au sein du Conseil de sécurité nationale (CSN) qui décide de la politique extérieure, des alliances militaires et des questions de sécurité intérieure, le Premier ministre Erbakan ne pourra compter que sur 1 voix sur 10, sa propre voix. Les 5 principaux commandants militaires membres de ce Conseil savent qu’à l’heure des décisions ils peuvent compter sur leurs voix et sur celles de Mme. Çiller, ministre des affaires étrangères, des ministres de l’Intérieur et de la Défense, tous deux membres du DYP ainsi que sur celle du président Demirel dont le seul souci semble désormais de et de ne pas connaître un troisième coup d’État militaire. Et si le Conseil de sécurité nationale ne leur donne pas entièrement satisfaction, les généraux turcs peuvent toujours jouer leur rôle traditionnel de et refaire un Coup d’État.
Dans ce contexte, il ne faut pas s’attendre à ce que le cabinet Erbakan remette en question les alliances extérieures de la Turquie avec l’OTAN, les accords avec les États-Unis, Israël ou l’Union européenne. On peut tout juste prévoir quelques changements dans les relations d’Ankara avec l’Iran, la Syrie et certains États arabes et certaines mesures à caractère populiste pour réconforter l'électorat islamiste turc et kurde.
Ainsi, après avoir décidé le 9 juillet une hausse de 50% des salaires des fonctionnaires, le Premier ministre islamiste, à l’issue de son entretien avec le chef d’état-major des armées, a cru pouvoir annoncer le 11 juillet . Erbakan a affirmé que c’est le général Karadayi, chef d’état-major, qui l’avait autorisé à faire cette annonce spectaculaire. Cependant, l’effet d’annonce et les manchettes de journaux passés, l’armée a fait une mise au point en précisant que le chef militaire avait simplement indiqué que . Il n’y a pour l’instant aucun calendrier ni mesures concrètes pour le retour dans ces trois mille villages, non seulement évacués mais détruits et rendus impropres à l’habitation. Les vignobles, les potagers, les vergers qui assuraient la subsistance de ces paysans ont été brûlés par l’armée, le bétail abattu ou pillé. Cette région qui par ses ressources agricoles nourrissait la Turquie et lui permettait même d’exporter de la viande et des céréales est aujourd’hui dévastée. Les correspondants de presse accourus dans la région n’ont pas manqué d’évoquer la difficulté de faire repartir la vie dans ces champs de ruines et de demander l’élaboration d’un véritable plan économique de reconstruction si le gouvernement est sérieux dans ses promesses de retour de paysans. En attendant, l’armée continue d’évacuer et de brûler de nouveaux villages. Ainsi, au cours de la deuxième semaine de juillet, 3 villages du district de Hazro de la province de Diyarbakir, ont été brûlés avec leurs récoltes. D’autres villages sont évacués dans le district Gürpinar de Van. De même, l'idée d'un avancée début août par l'écrivain islamiste Ismail Nacar se prévalant du soutien du Premier ministre a été écartée par M. Erbakan, sans doute à la suite des réactions virulentes de l'armée, du président Demirel et de Mme. Çiller qui lui ont rappelé que .
Autre acte symbolique, la décision du ministre islamiste de la justice d’abroger les circulaires répressives de son prédécesseur. Cependant elle n’a pas eu les effets escomptés sur les grèves de la faim dans les prisons; la plupart des autres revendications des grévistes restant sans réponse, ceux-ci ont poursuivi leur mouvement . Erbakan n’a eu d’autre parade que d’user de sa prérogative de Premier ministre pour interdire aux télévisions d’évoquer les suites de ces grèves, interdiction qui a été enfreinte dès la mort du premier grèviste de la faim. Jusqu’ici les seules mesures concrètes de la coalition à direction islamiste concernent la décision de construire une mosquée géante sur la place Taksim, au coeur de Péra, district européen d’Istanbul, la transformation éventuelle de la basilique Sainte-Sophie en mosquée et l’élaboration d’un décret portant sur les mutations d’environ 1600 juges et procureurs considérés comme par les islamistes. Ceux-ci cherchent à placer à des postes-clé leurs propres partisans mais la partie semble particulièrement difficile tant cela ressemble à une OPA islamiste sur l’État et ses institutions.
Sur le plan extérieur, l'initiative la plus spectaculaire du nouveau cabinet turc a été la visite de N. Erbakan à Téhéran. Au cours de cette visite de 3 jours, achevée le 12 août, le Premier ministre turc a signé un contrat gazier d'un montant de 23 milliards de dollars sur 20 ans faisant de l'Iran le deuxième fournisseur de la Turquie en gaz naturel. Les États-Unis ont critiqué cet accord qui selon eux et pourrait tomber sous le coup de la loi D'Amato qui prévoit des sanctions financières contre les États investissant en Iran, accusé de soutenir le terrorisme. De son côté Mme. Çiller a défendu la signature de ce contrat gazier qui selon elle serait en discussion depuis des années. Alors qu'elle s'évertuait à rassurer Washington, son partenaire islamiste dépêchait une délégation ministérielle turque en Irak, autre bête noire des Américains. Entre-temps M. Erbakan poursuivait sa tournée diplomatique dans les États musulmans; Pakistan, Malaisie et Indonésie où il a notamment affirmé que le XXIème siècle serait dominé par le monde musulman. A la suite d'un son Airbus a failli tomber. Incident ou avertissement ? Les commentateurs turcs n'ont pas fini de gloser sur le sujet.
LE mouvement de grèves de la faim dans les prisons turques, déclenché le 20 mai dernier, s’est achevé le samedi 27 juillet par la signature d’un protocole mis au point par la mission de médiation des intellectuels et des juristes, conduite par Yachar Kemal. Ce protocole qui a été signé par des représentants des grévistes et par les membres de la mission comporte notamment les mesures suivantes: "1- Fermeture de la prison de haute sécurité d’Eskisehir pour les prisonniers politiques et le transfèrement vers d’autres prisons des 102 prisonniers qui s’y trouvaient. 2- Abandon de l’usage des pressions physiques et de la violence lors du transport des prisonniers vers l’hôpital et vers les tribunaux. 3- Élaboration d’un règlement pénitentiaire unique compatible avec le respect de la dignité humaine et applicable dans toutes les prisons. 4- Abandon des pratiques de garde-à-vue, de répression et de torture contre les familles des prisonniers. 5- Abrogation des dispositions relatives au transfert des prisonniers de la circulaire du 9 juillet du nouveau ministre de la Justice, qui sur ce point résume et reconduit les circulaires de mai de l’ancien ministre Agar. 6- Ne pas empêcher les relations sociales et culturelles entre les prisonniers. 7- Ne pas empêcher la réception par les prisonniers de lettres, de journaux et de livres".
Peu après la signature de ce protocole, un autre gréviste a succombé, portant à 12 morts le bilan de ce mouvement de grève le plus meurtrier de l’histoire de la Turquie. Plusieurs voix se sont élevées en Europe face au durcissement du mouvement et à l’intransigeance des autorités turques. Le Parlement européen, s’inquiétant de la situation dans les prisons turques, avait intensifié ses pressions pour qu’une solution soit trouvée à la crise. L’institution européenne a menacé de bloquer, étape par étape, toute aide financière de l’Union européenne à la Turquie si Ankara n’améliore pas les conditions de détention des prisonniers politiques. De son côté, le gouvernement allemand avait demandé à la Turquie de . Le ministre français des Affaires étrangères avait, quant à lui, écrit à son homologue, Mme. Çiller, lui rappelant que Paris souhaitait . Ces réactions gouvernementales sont intervenues après que des actions et des appels ont été lancés par des représentants de la société civile et des organisations non-gouvernementales. En France, une dizaine d’organisations non-gouvernementales, dont la FIDH et la fondation France-Libertés, ont lancé un appel pour faire pression sur la Turquie. Le secrétaire national du Parti communiste français, M. Robert Hue, a de son côté adressé une lettre au président de la République, M. Chirac, lui demandant d’intervenir auprès des autorités turques afin qu’une amnistie générale soit décrétée et que cessent l’usage de la torture et de mauvais traitements ainsi que la libération de Leyla Zana et de ses collègues parlementaires emprisonnés.
Quant aux autorités turques, dans une déclaration au quotidien Hürriyet, du 29 juillet, le ministère de la Justice confirme que le procureur général d’Istanbul et des députés ont, au nom du ministère, participé à des négociations avec les grévistes mais qu’ils n’ont signé aucun texte. Ce litige risque de réduire la crédibilité du gouvernement et il pourrait être lourd de conséquences pour l’avenir. En attendant, 179 grévistes de la faim ont été hospitalisés dans une douzaine d’hôpitaux turcs. 18 d’entre eux sont dans un état critique. 20 prisonniers incarcérés à la prison d’Eskisehir devaient être transférés à la prison d’Umraniye d’Istanbul, les 82 autres à la prison de Gebze, située à environ 30 km à Istanbul.
LE représentant en France du Parti démocratique du Kurdistan irakien (PDK), Jaffar Hasso Guly, a été découvert assassiné à son domicile parisien le 5 août par la police. Alertés par la compagne de M. Guly qui n'avait pas eu de ses nouvelles depuis le 31 juillet, les policiers de la brigade criminelle ont découvert le corps de la victime sur un canapé de son appartement, le crâne fracassé. Selon les premiers éléments de l'enquête, le militant kurde aurait été étranglé dans la nuit du 31 juillet au 1er août par au moins deux hommes. Son appartement a été fouillé et, selon la police, des documents relatifs à ses activités politiques auraient disparu. Les tueurs n'ont pas emporté d'autre objets ni une somme d'argent dont J. Guly disposait chez lui sans doute en prévision de son départ imminent pour le Kurdistan où il devait participer aux festivités marquant le 50ème anniversaire de son parti.
L'enquête sur ce meurtre presque parfait semble d'autant plus difficile que J. Guly était un homme très discret laissant même son proche entourage dans l'ignorance de son emploi du temps et de ses fréquentations.
Âgé de 42 ans, Jaffar Guly résidait en France depuis une vingtaine d'années. Après des études d'architecture à Paris, ce militant de longue date du PDK est devenu le représentant officiel de ce parti. A ce titre, il faisait connaître auprès des media, des O.N.G. et des autorités l'action du PDK et organisait les contacts en France de ce parti. En 1992, le gouvernement régional kurde l'avait nommé comme son représentant-adjoint à Paris où avec son collègue de l'Union patriotique du Kurdistan il assurait les relations des autorités kurdes irakiennes avec le gouvernement français.
L'assassinat de ce militant connu pour son patriotisme a été douloureusement ressenti par la communauté kurde de France qui lui a rendu un hommage émouvant le 13 août à l'Institut kurde de Paris en présence des membres de sa famille venus du Kurdistan, de sa compagne et de son fils ainsi que des dirigeants de son parti. Son corps a été rapatrié au Kurdistan où dans sa ville de Zakho des milliers de personnes ont participé à ses funérailles.
LA procédure d’appel devant les juridictions européennes de Strasbourg, instruite en urgence, progresse. Statuant sur une première requête, la Commission européenne a adopté le 23 mai à l’unanimité un rapport déclarant recevables, . Après avoir transmis son rapport au Comité des ministres du Conseil de l’Europe, la Commission a saisi le 10 juillet la Cour européenne de cette affaire. Celle-ci sera donc plaidée dans les mois à venir devant cette Cour dont les décisions sont sans appel. Par ailleurs la Commission poursuit sa procédure d’examen des requêtes en appel relatives au fond de l’affaire, à savoir la condamnation à de lourdes peines de prison des députés kurdes pour délit d’opinion.
Cependant, les institutions démocra-tiques occidentales continuent leurs pressions sur Ankara pour la libération des députés kurdes. Ainsi à l’issue de sa cinquième session annuelle qui s’est tenue du 5 au 9 juillet à Stockholm, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE a adopté une nouvelle résolution sur cette question. Elle demande . Elle appelle "le Gouvernement turc à établir des mécanismes consultatifs avec des organisations kurdes non violentes qui reconnaissent l’intégrité territoriale de la Turquie, à dissiper les sources de conflit et à proposer des stratégies pour résoudre la crise dans le sud-est de la Turquie". Elle demande aussi à Ankara et "d’agir d’urgence pour stopper l’usage général de la torture par la police et les autres officiels et de mettre un terme à la persécution des professionnels de médecine et des ONG qui soignent les victimes de la torture et exposent les abus des droits de l’homme". Enfin, pour faire bonne mesure, la résolution de l’OSCE condamne aussi.
Par ailleurs, le 4 août à Genève, la Turquie a été mise sur la sellette à la réunion de la Sous-Commission des droits de l’homme pour la lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités. Le représentant de la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’homme FIDH a affirmé que "152 lois ont pour unique objet la de la liberté d’opinion et d’expression. La situation ne cesse de d’empirer. Le recours abusif à l’état d’urgence et aux lois d’exception a pour effet de restreindre gravement les libertés, notamment celle d’expression". Par ailleurs, le représentant de l’Association turque des droits de l’homme IHD a dressé un bilan accablant de la situation en Turquie .
UNE délégation occidentale formée des représentants de Médecins du Monde, American Association for the Advancement of Science, Association Médi-cale de Berlin, US. Helsinki Commission et Physians for Human Rights a effectué du 1er au 6 juillet une mission en Turquie. Après avoir assisté à Adana au procès de Tufan Köse, médecin, et de Mustafa Kiliç, représentant de la Section d’Adana de la Fondation turque des droits de l’homme, la délégation s’est rendue à Diyarbakir notamment pour y rencontrer Dr. Seyfettin Kizilkan, président de l’Union des chambres de Médecins, récemment condamné à 3 ans 9 mois de prison à la suite d’une machination policière. Elle a également rencontré des officiels turcs, des avocats, des représentants de la société civile et des victimes de la politique de terre brûlée pratiquée par l’armée turque dans les campagnes du Kurdistan. Au terme de cette visite la mission a publié un communiqué commun où elle dit notamment: "La Délégation a vu et entendu des preuves des conséquences graves pour la santé et les droits de l’homme de la destruction de plus de 3000 villages kurdes et du déplacement massif de la population dans le Sud-Est de la Turquie. La Délégation appelle le gouvernement turc à poursuivre des moyens politiques pacifiques pour résoudre le conflit armé, qui a abouti à une tragédie humaine ainsi qu’à des déplacements massifs de population et qui ne peuvent qu’accroître le mécontentement". Cette délégation se dit par ailleurs et invite la Turquie à "soutenir les efforts de la Fondation des droits de l’homme visant à soigner et à réhabiliter les victimes de la torture, pas seulement pour remplir ses obligations légales internationales découlant de la Convention de l’ONU contre la torture mais aussi au bénéfice de la société turque".
Par ailleurs, une importante ONG islamiste turque, Mazlum-Der, dans un rapport de mission rendu public le 10 juillet à Istanbul, accuse l’État de . Mazlum-Der appelle les forces de sécurité et les responsables turcs . Les 5 membres de cette mission, dont 3 femmes, ont enquêté principalement dans les villes de Semdinli, Yüksekova, Van, Diyarbakir, Elazig, Palu, Pertek, Tunceli, Adana et Mersin particulièrement touchées par les déplacements des populations. Ils affirment que . souligne le rapport qui parle d’une .
En conclusion, la mission attire l’attention sur , évoque la situation des villes comme Diyarbakir, Adana, Mersin et Antalya . Le rapport indique aussi qu’à la suite des déplacements de populations, les villes de la côte méditerranéenne comme Adana, Mersin et Antalya sont devenues des villes à majorité kurde et que de ce fait de vives tensions opposent les habitants originels de ces villes qui n’acceptent pas que leurs cités soient devenues des . Dans chacune de ces villes, Kurdes, Arabes et Turcs vivent désormais dans des quartiers séparés où on ne vend pas de logement à des gens . Voici, selon ce apport, le nombre de Kurdes déplacés installés dans les principaux sites d’accueil, qu’il estime au total à 4.185.000 personnes: Diyarbakir, 1.150.000; Adana, 1.200.000; Sanliurfa, 450.000; Gaziantep, 400.000; Van, 350.000; Mardin, 250.000; Batman, 230.000; Elazig, 70.000; Hakkari, 50.000 et Malatya, 35.000.
Au cours de leur conférence de presse du 10 juillet (cf. Milliyet du 11 juillet), peu répercutée par les médias turcs, les membres de cette mission ont appelé l’État à "renoncer aux solutions militaires du problème kurde, à supprimer le système de milices locales dites protecteurs de village, à aider les populations déplacées en leur fournissant notamment des emplois et des logements et en payant aux chômeurs une indemnité de survie, à mettre fin à la pratique routinière de gardes à vue et d’arrestations arbitraires, d’exécutions sans jugement, de tortures et de disparitions et à donner à l’identité kurde des moyens de s’exprimer librement".
La cour de sûreté de l’État d’Ankara a décidé, le 5 juillet, l’incarcération des 39 principaux dirigeants du parti pro-kurde légal HADEP. Ces dirigeants sont collectivement tenus responsables de . Ce jour-là un individu cagoulé avait décroché le drapeau turc accroché sur le mur de la salle du Congrès et l’avait remplacé par un drapeau du PKK. Plusieurs dirigeants du Parti avaient parlé de et exprimé . Les médias nationalistes ont développé une vaste campagne demandant . Les principaux dirigeants nationaux et régionaux du Hadep ont été arrêtés à la sortie même de la salle du Congrès par l’imposant dispositif policier déployé. Après 12 jours de garde-à-vue, la Cour de sûreté de l’État d’Ankara a décidé d’incarcérer 39 responsables de ce parti, dont son président Murat Bozlak. Les chefs d’inculpation évoqués sont: () et . Ces responsables kurdes sont passibles de 3 à 15 ans de prison et leur parti risque d’être interdit. Leur procès aura lieu en septembre.
L’Association turque des droits de l’homme (IHD) a rendu public le 12 juillet un décompte des violations perpétrées au cours des 5 premiers mois de l’année où on dénombre notamment 10.434 arrestations, 40 villages kurdes évacués, 77 disparus, 39 exécutions sommaires sans procès, 8 morts sous la torture ou au cours de manifestations. Les femmes et les enfants fournissent un fort contingent de ces victimes. Rien qu’en mai et juin 1996, sur 4861 personnes arrêtées, on comptait 1776 femmes et 100 enfants. Le rapport d’IHD fait état de 369 prisonniers d’opinion et se montre très pessimiste pour l’avenir car malgré maintes promesses publiques aucun changement significatif n’a eu lieu dans la pratique routinière turque de violations des droits de l’homme.
Par ailleurs, l’IHD affirme que 44 écrivains et journalistes ont été condamnés pendant les 6 premiers mois de l’année. 14 de ces condamnations ont été prononcées par des cours de sûreté de l’État et des tribunaux militaires. Au cours du premier semestre 1996 au total 73 écrivains et journalistes ont été gardés à vue et détenus. Certains d’entre eux ont été gardés à vue à plusieurs reprises. 33 procès impliquant des écrivains et des journalistes pour leurs écrits sont actuellement en cours devant les tribunaux qui ont, en 6 mois, prononcé 33 saisies de journaux et de revues et 12 interdictions définitives de publication. 22 journalistes ont subi des agressions physiques.
En 1994 la Turquie a été la sixième importatrice d’armes dans le monde. C’est ce qui ressort des données officielles de l’US Arms Control and Disarmement Agency (ACDA) citées par le Turkish Daily News du 5 juillet. Les cinq premiers importateurs d’armes en 1994 étaient : Arabie Saoudite ($ 5,2 milliards); Égypte ($ 1,5 milliards); États-Unis ($ 1,1 milliards); Israël ($ 1 milliard) et Corée du Sud ($ 1 milliard). Avec un montant total de $ 950 millions d’armes importées, principalement des États-Unis, la Turquie arrive en 6ème position. Selon le même rapport, dans la période 1992-1994, la Turquie a acheté pour plus de $3 milliards d’armes à l’étranger, les achats d’armes turcs représentent 23% des achats d’armes de l’ensemble des pays européens pendant cette période. Les importations turques proviennent pour $ 2,5 milliards des États-Unis; $ 220 millions de France; $ 120 millions de Russie; $ 90 millions d’Allemagne et $ 70 millions du Royaume-Uni. Avec des effectifs de 811.000 soldats, l’armée turque est la septième armée la plus nombreuse du monde. Selon le rapport d’ACDA, Ankara consacre 4,1% de son PNB aux dépenses militaires. Cependant avec un revenu annuel per capita de $ 2075, la Turquie arrive au 78ème rang dans le palmarès mondial du développement, souligne ce rapport qui indique par ailleurs qu’en 1994 les États-Unis ont fourni 50% de toutes les livraisons d’armes à travers le monde, dont $ 17 milliards de ventes au Moyen Orient seulement.
Se conformant aux "recommandations" du Conseil de Sécurité nationale, à dominante militaire, le Parlement turc s’est prononcé le 30 juillet en faveur de la prolongation jusqu’au 31 décembre 1996 de l’autorisation donnée à la force aérienne alliée dite Provide Comfort d’utiliser la base turque d’Incirlik. Après un débat sans surprise, où Mme. Çiller, chef du Parti de la Juste voie et ministre des Affaires étrangères, a tenu à être absente et où les parlementaires de l’opposition et de la majorité ont échangé leurs arguments habituels, on est passé au vote à main levée. Pour justifier son abstention attendue, le Parti de la Mère-Patrie (ANAP) de Mesut Yilmaz a proposé un amendement demandant installé depuis juin 1991 dans la ville kurde irakienne de Zakho. Cet amendement ayant été rejeté, car inacceptable pour les États-Unis, la Grande Bretagne et la France associées dans la force alliée Provide Comfort, qui pensent qu’un tel geste risque d’envoyer un message erroné à Saddam Hussein, les députés de l’ANAP se sont abstenus. Ceux de la Gauche démocratique (DSP) de Bulent Ecevit, fidèles aux engagements pro-Saddam de leur leader ont, comme d’habitude, voté en bloc contre la prolongation. Ils ont été rejoints dans leur opposition par la poignée de députés du Parti de la Grande Union, extrême droite islamiste, et par ceux du Parti républicain du peuple (CHP) de Deniz Baykal. Pendant ses quatre années de participation à la coalition gouvernementale, le CHP avait pourtant à chaque fois voté pour la prolongation du mandat de Provide Comfort tandis que le Refah islamiste votait systématiquement contre. Arrivés au pouvoir, les Islamistes du Refah, tout comme l’ensemble des députés du DYP de Mme. Çiller, ont voté en faveur de la prolongation de 5 mois. Le Département d’État américain s’est félicité du "sens de responsabilité" et de "l’esprit coopératif" du gouvernement Erbakan.
Le vote du Parlement a été précèdé d’un long débat sur la prolongation du mandat de l’opération Provide Comfort. A quelques jours de l’expiration du mandat de cette force aérienne alliée, chargée de la protection des Kurdes irakiens contre les attaques éventuelles du régime irakien, la classe politique turque a une nouvelle fois brandi l'épouvantail de "la création d’un État kurde" sous l’aile protectrice des Occidentaux. Les marchandages entre Turcs et Américains ont duré un certain temps. Le chef-adjoint d’état-major conjoint des armées américaines s’est rendu à Ankara pour y évoquer cette question avec les chefs militaires turcs. Puis Mme. Madeleine Albright ambassadrice des États-Unis à l’ONU, a également effectué une visite en Turquie où elle a pu s’entretenir avec les principaux dirigeants turcs. L’armée turque est partisane de la prolongation du mandat de l’opération Provide Comfort au moins pour trois raisons:
Mais dans un partage des rôles traditionnels dans la politique turque, des partis de l’opposition se livrent à des surenchères nationalistes sur le thème de la "menace de la création d’un État kurde" et le gouvernement évoque ces "difficultés au Parlement" pour essayer d’obtenir périodiquement des concessions politiques et économiques de ses partenaires occidentaux. Et régulièrement les chefs des partis qui dans l’opposition s’opposaient à Provide Comfort, finissent par l’approuver une fois qu’ils sont au pouvoir, "dans l’intérêt de l’État" et après avoir été dûment "briefés" par l’état-major des armées. L’islamiste Erbakan, "ami de la Syrie et de l’Iran, opposant de la première heure à cette force d’intervention chrétienne en terre d’Islam" a dû, à son tour, de sacrifier à ce rite classique de la politique turque.
Convoqué le 23 juillet à l’état-major des armées, le Premier ministre Erbakan, qui a la réputation d’arriver toujours en retard à ses rendez-vous, même avec les chefs d’État (Demirel, Moubarak) a fait preuve d’une ponctualité toute militaire pour ne pas faire attendre le chef d’état-major, le général Karadayi. Entouré de Mme. Çiller et des principaux ministres du Cabinet, M. Erbakan a eu droit à un long "briefing" donné par les chefs militaires sur "les menaces extérieures et intérieures pesant sur la sécurité nationale". Outre "la menace séparatiste kurde" et les contentieux avec les pays voisins "le péril intégriste musulman" a été évoqué au cours de ce "briefing". Les chefs militaires ont profité de cette occasion pour rappeler (plus précisément à la conception bien singulière et martiale que les généraux turcs ont de la démocratie !) Ils ont également recommandé .
Après ce briefing, tel un collégien rappelé à l’ordre, le Premier ministre s’est rangé aux raisons des militaires, y compris pour l’opération Provide Comfort. Seulement, pour ne pas donner l’impression d’opérer un virage en U, il a essayé de faire endosser la décision de prolongation du mandat de la force alliée par le Parlement. Celui-ci pour la première fois de son histoire, a décidé de procéder à l’audition des ambassadeurs des États-Unis, de Grande-Bretagne et de France, MM. Marc Grossman, Kieran Prendergast et François Doppfer. Ceux-ci ont bien voulu se prêter à cet exercice devant la commission des Affaires étrangères du Parlement turc, tout en affirmant "l’attachement de leurs pays à l’intégrité territoriale de l’Irak et leur opposition à la création d’un État kurde indépendant", les trois ambassadeurs n’ont pas manqué de souligner que Provide Comfort servait largement les intérêts de la Turquie. "Sans la présence de cette force alliée, il y aura un vide qui sera rempli par l’Iran et la Syrie. Et l’Irak qui dispose toujours de missiles à têtes nucléaires et chimiques capables d’atteindre le territoire turc pourrait être tenté de s’en servir" ont notamment affirmé les envoyés occidentaux.
Enfin à la question des dommages matériels subis par la Turquie en raison de l’embargo des Nations-unies contre l’Irak, ils ont répondu qu’ils "comprenaient les doléances turques dans ce domaine et que d’ailleurs c’est pour cette raison que leur pays ferment les yeux sur les trafics illicites de pétrole irakien avec la Turquie et diverses autres infractions à l’embargo et qu’ils étaient prêts à examiner les demandes turques d’indemnités financières". Ankara, après avoir réclamé en 1994, par la voix de Mme. Çiller, avec plomb, "un préjudice économique de 20 milliards de dollars" se contenterait finalement de 1 milliard 50 millions de dollars à prélever sur le fond d’indemnisation des Nations-unies pour les victimes de la guerre du Golfe. Les 3 ambassadeurs ont indiqué que cette question relevait du Conseil de Sécurité de l’ONU et que la Turquie pourrait faire valoir ses revendications auprès de cette instance.
Après cette audition, la Commission des Affaires étrangères a, comme convenu, décidé de recommander au Parlement de voter la prolongation du mandat de Provide Comfort et le Parlement a entériné sans surprise la du Conseil de sécurité nationale de prolonger le mandat de Provide Comfort.
Après le vote sur l’opération Provide Comfort, les députés turcs ont, le même jour, entériné à une forte majorité "la recommandation" du Conseil de Sécurité nationale en faveur d’une nouvelle prolongation de 4 mois de l’état d’urgence dans les 10 provinces kurdes. Outre les députés des deux partis de la coalition gouvernementale, le DYP et le Refah , ceux de l’ANAP et du Parti de la Grande Union ont également tous voté en faveur du maintien de l’état d’urgence. Les députés de DSP et du CHP ont voté contre. Ces provinces kurdes sont pratiquement depuis 1979 soumises à l’état de siège et à l’état d’urgence. Comme le faisait remarquer récemment le maire islamiste de Diyarbakir, les jeunes Kurdes âgés de moins de 20 ans n’auraient de leur vie connu que ces régimes arbitraires et répressifs dérogatoires au droit commun. Le Refah qui a mené sa campagne dans le Kurdistan avec les promesses de "mettre fin à la guerre fratricide" et "d’abroger l’état d’urgence" se trouve en porte à faux vis-à-vis de son important électorat kurde. Les fédérations de ce parti islamiste dans les provinces kurdes connaissent de ce fait une vive effervescence où nombre de militants crient à la trahison. Ce débat interne risque de s’envenimer au cours des semaines à venir où le gouvernement Erbakan ne pourra qu’endosser la politique kurde de l’armée basée sur la guerre, la répression aveugle et la destruction. Depuis la création en 1923 de la Turquie moderne, les provinces kurdes auront, au total, vécu pendant 50 ans sous des régimes de loi martiale, d’état de siège et d’état d’urgence, c’est à dire sous l’administration arbitraire de l’armée et de la police.
La police turque a fait une descente dans le domicile du président de l’Association turque des droits de l’homme, M. Akin Birdal, le 2 septembre, à 20h 30, à Ankara. M. Birdal a été arrêté et gardé à vue dans les locaux de la police d’Ankara. Cette arrestation est intervenue immédiatement après le retour de M. Birdal du Kurdistan d’Irak où, accompagné d’un député islamiste du parti Refah d’Erbakan et du vice président d’une autre association des droits de l’homme Mazlum-Der, il s’était rendu pour intervenir auprès du PKK afin qu’il libère les soldats turcs prisonniers qu’il détient. M. Birdal est accusé par la police turque d’avoir eu "des entretiens avec les représentants d’une organisation terroriste séparatiste".
"Selon nous, ce genre d’attaques sont en vain. Nous avons toujours enduré toutes sortes de persécution dans notre lutte pour la paix, pour la pleine jouissance et amélioration des droits de l’homme. Et nous sommes toujours décidés à continuer. Nous défendrons nos opinions" a déclaré le secrétaire général d’IHD, M. Hüsnü Öndül à la suite de cette arrestation. "Nous croyons que les solutions à la question kurdes par d’autres moyens que militaires sont possibles" a-t-il ajouté. Par ailleurs, le procureur de la Cour de sûreté d’Ankara a ouvert une enquête contre le député islamiste, Fethullah Erbas, membre de cette mission humanitaire. Mais il ne peut être arrêté car il bénéficie de l’immunité parlementaire. M. Birdal ainsi que le vice-président de Muzlum-Der ont, fina-lement été libérés le vendredi, 6 septem-bre, après une garde à vue de 4 jours.
Selon le quotidien Turkish Daily News du 2 août qui cite cette statistique, les procureurs des 8 cours de sûreté de l'Etat ont, du 1er janvier au 31 décembre 1995, enregistré 2401 nouvelles affaires de meurtres non élucidés qui s'ajoutent au 11.264 affaires des années précédentes. La Cour de Diyarbakir, avec 11 699 meurtres non élucidés, arrive de loin première dans ce triste palmarès, suivie de celles de deux autres villes kurdes, Malatya, 879 meurtres, et Erzincan, 695 meurtres. Les affaires de meurtres non élucidés représentent eu moyenne 56,4 du travail des cours de sûreté (75,2% de celle de Diyarbakir). En 1995 la Cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakir n'a pu élucider que 100 dossiers de meurtres. Ceux-ci, pour la quasi-totalité d'entre eux, sont liés à la guerre et sont la plupart du temps perpétrés par les unités spéciales ou les multiples polices parallèles. Dans une région soumise à l'état de siège où l'armée et la police sont assurées d'une impunité totale, la probabilité d'identifier et de poursuivre les auteurs de ces meurtres généralement politiques est très faible.