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Bulletin N° 140 | Novembre 1996

 

 

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RETOUR EN FORCE DE L’UPK ET CONCLUSION D’UN CESSEZ-LE-FEU SOUS L’ÉGIDE AMÉRICAINE

Tandis que la crise internationale suscitée par les affrontements entre les faction kurdes irakiennes et par l’incursion des chars irakiens à Erbil s’est atténuée dans la deuxième quinzaine de septembre, la situation au Kurdistan irakien a connu, à partir du 10 octobre, de rebondissements spectaculaires se traduisant notamment par le retour en force de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) de Jalal Talabani qui a repris une grande partie des territoires qu’elle contrôlait auparavant, y compris l’importante ville de Souleima-nieh, la capitale régionale, sans toutefois la capitale régionale Erbil que reste aux mains de PDK. Au terme des péripéties sanglantes et destructrices un accord de cessez-le-feu a été finalement conclu le 31 octobre à Ankara sous l’égide des États-Unis, instaurant un calme précaire dans une région meurtrie depuis mai 1994 par des affrontements fratricides.

Voici la chronique des faits marquants de cette période:

Le 21 septembre, à Washington, le président Clinton, dans une interview à la chaîne ABC, déclare que " les États-Unis n’essaient pas de se débarrasser de Saddam Hussein mais il feront respecter la zone d’exclusion aérienne ". Cette déclaration est perçue comme un message d’apaisement annonçant la fin, provisoire, de la crise avec Bagdad.

Le 23 septembre, à New York, rendant compte de la rencontre Christopher-Çiller, en marge des travaux de l’Assemblée générale de l’ONU, N. Burns, porte-parole du Département d’État, déclare que " les États-Unis et la Turquie sont tout à fait d’accord sur la nécessité de minimiser l’influence de Saddam Hussein sur le nord de l’Irak et de s’appuyer sur le PDK de Massoud Barzani et sur les Turcomans pour contrôler la région". Le même jour, à Paris, la France " réaffirme son attachement au dialogue entre les Kurdes et Bagdad et son attachement à la résolution des Nation-Unies qui le prône ".

Le 24 septembre, dans un communiqué à l’AFP,l’UPK affirme avoir repoussé plusieurs offensives du PDK dans le district de Qalat Diza longeant la frontière iranienne et fait état des affrontements dans cette zone depuis le 18 septembre qui auraient fait plus d’une centaine de morts.

Le 25 septembre, le secrétaire d’État-adjoint, Robert Pelletreau, déclare devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants que " les États-Unis ont invité le leader kurde M. Barzani à envoyer des représentants à Washington pour participer à des discussions sur la situation dans le nord de l’Irak. M. Barzani a accepté le principe de cette visite mais aucune date n’a pour l’instant été fixée". " " a ajouté le responsable américain qui a rejeté les allégations selon lesquelles les États-Unis auraient pu faire plus pour éviter l’éruption des combats entre les deux factions kurdes. " " a-t-il conclu.

Le 26 septembre, à Erbil, le PDK annonce la formation d’un nouveau gouvernement régional kurde dirigée par Roj Nouri Shaweyess. Il s’agit d’un "cabinet de coalition de 16 postes ministériels répartis entre le PDK, les chrétiens et les communistes". Le 16 septembre, le Parlement kurde, après plusieurs mois d’interruption avait pu se réunir à Erbil avec la participation de 67 de ses 105 députés: 47 PDK, 17 UPK et 3 Assyriens. Le gouvernement se veut donc l’émanation du Parlement.

Le 1er octobre, dans un communiqué à l’AFP, l’UPK fait état d’attaques du PDK contre ses position à l’est de Souleimanieh, près de la frontière de l’Iran. Le PDK " ".

Le 2 octobre au Caire, le ministre irakien des Affaires étrangère déclare que " l’Irak refuse la création d’une zone de sécurité turque en territoire irakien" car l’"occupation de [son] territoire provoquerait une effusion de sang ". " Nous considérons cela non seulement comme une erreur stratégique mais comme un crime " ajoute le ministre qui dit avoir longuement évoqué ce sujet avec son homologue turc, T. Çiler, la semaine précédente à New York.

Le 10 octobre, dans un communiqué à l’AFP, l’UPK affirme avoir chassé les forces du PDK de " 42 villages et bourgades dans les régions stratégiques de Marga et du Mont-Asos, au sud-est de Qalat-Diza".

Le 12 octobre, l’UPK reprend Souleimanieh, pratiquement sans combat. Après avoir perdu des batailles aux alentours de cette ville importante, le PDK l’a évacuée "pour ne pas exposer la population civile". Barzani accuse l’Iran d’avoir aidé l’UPK et appelle " tous les pays du monde à aide le peuple kurde face à l’invasion brutale de l’Iran ". De son côté Talabani affirme sur CNN que " la population de Souleimanieh s’est soulevée contre les forces de Barzani ".

Au cours des affrontements qui ont suivi la prise par l’UPK de Souleimanieh pendant une huitaine de jours nombre de villes —Ranya, Degama, Koj Sandjak etc. — changent plusieurs fois de mains. La prise d’une ville par l’une des factions jette sur les routes de l’exode des milliers de familles considérées comme proches de la faction vaincue. Des atrocités sont commises contre les civils. Finalement les deux factions répondent à l’offre de médiation américano-britannique lancée le 18 octobre.

Le 20 octobre, le secrétaire d’État-adjoint Robert Peletreau se rend à Ankara pour tenter de réunir les responsables des deux factions kurdes afin de parvenir à un cessez-le-feu.

Le 21 octobre, il rencontre à Silopi, ville kurde située près de la frontière turco-irakienne, M. Barzani qui lui donne son accord de principe pour un cessez-le-feu avec son rival, J. Talabani. M. Pelletreau met solennellement l’Iran et l’Irak en garde contre toute ingérence militaires dans la région.

Le 22 octobre, les délégations du PDK et de l’UPK se réunissent à Ankara sous l’égide de M. Pelletreau. Des diplomates britanniques et turcs assissent également à ces pourparlers qui débouchent sur la conclusion d’un cessez-le-feu signé le 23 octobre par les deux parties. Pour le consolider Washington appelle les deux délégations à se réunir à nouveau à Ankara la semaine suivante.

Le 30 octobre, à quelques jours de l’élection présidentielle américaine, R. Pelletreau réunit à Ankara les représentants du PDK et de l’UPK afin d’élaborer les modalités d’un modus vivendi entre eux.

Le 31 octobre, Mme. Çiller annonce qu’un " accord historique " a été conclu grâce aux efforts des diplomates américains, turcs et britanniques. Cependant, sur la longue liste des articles sur lesquels un accord est annoncé, le PDK affirme ne s’être engagé que sur 5 points, à savoir:

Accord conclu entre le PDK et l’UPK le 31 octobre à Ankara:

1° Les deux parties s’engagent à cesser le feu et à poursuivre des discussions.

2° Les services civils y compris les transports, la fourniture d’eau, d’électricité, du fuel, les fournitures médicales et la nourriture ne doivent pas être interrompus pour des raisons politiques. Les deux parties coopéreront dans le rétablissement des services civils, y compris l’eau, le tout-à-l’égout et l’électricité, dans tout le Kurdistan.

3° Les deux parties s’engagent à échanger les captifs, à libérer les prisonniers et à restituer les restes de ceux tués durant les combats.

4° Les deux parties s’engagent à cesser les attaques dans les média les uns contres les autres.

5° La ligne de démarcation basée sur les lignes du cessez-le-feu le 23 octobre à minuit sera définie par la Force de surveillance de la paix qui sera composée des gardes des Nations-Unies, des partis du Kurdistan qui n’ont participé aux combats, des Turcomans et des Assyriens.

Concernant les autres points indiqués dans le communiqué final du 31 octobre, le PDK indique qu’il attendra le retour de sa délégation et " le résultat de discussion de ces points par le Parlement, le gouvernement régional, les partis alliés et les comités de notre parti ".

Le 15 novembre, les délégations du PDK et de l’UPK se rencontrent à nouveau à Ankara, sous la co-présidence des États-Unis, de la Grande Bretagne et de Turquie. Les questions de fond-partages des revenus des douanes, calendrier électoral, le devenir du camp d’Atrush, où vivent plus de 10.000 Kurdes de Turquie, etc., ne sont pas abordées. Le seul progrès enregistré est, selon le communiqué de la co-présidence, l’" engagement des deux parties de renforcer et de rendre permanent le cessez-le-feu ". Tous les participants à la réunion se sont félicités du "rétablissement des services civils, y compris l’électricité et la libre circulation des denrées alimentaires dans toute la région ". Les deux parties conviennent de " la réunion dans une semaine du Groupe de surveillance de la paix ". Les discussions sur les questions de fond sont remises à " ".

Le 27 nombre, le Comité de surveillance du cessez-le-feu du Kurdistan irakien s’est réuni à Ankara pour discuter des modalités de la mise en place de la Force de maintien de la paix qui doit s’interposer entre les positions des factions kurdes rivales. Une nouvelle réunion est prévue pour janvier 1997 afin de concrétiser les propositions avancées. La Turquie demande la coopération des partis kurdes irakiens pour la fermeture du camp d’Atrush, qui, selon Ankara, serait devenu " un repaire du PKK ".

Le 28 novembre, le bureau d’Ankara du Haut-Commissariat des Nation-Unies pour les réfugiés (HCR) annonce que son organisation a préparé " une notice informant les réfugiés turcs du camp d’Atrush que le HCR et le gouvernement turc fourniront toute l’assistance nécessaire pour leur retour à leurs foyers ". Le gouvernement turc a annoncé que "tous les citoyens turcs à Atrush peuvent retourner en sécurité et sans craînte de récrimination ou de poursuites légales". Cependant, les réfugiés refusent toute rapatriement forcé et affirment ne pas croire aux promesses du gouvernement turc dont ils ont dû fuir la persécution. En tout cas, le HCR, à la demande de Washington et d’Ankara, se prépare à retirer courant janvier sa protection au camp de réfugiés d’Atrush.

MASSACRE DE DIX PRISONNIERS KURDES À DIYARBAKIR

DIX prisonniers politiques kurdes ont été tués et une vingtaine d’autres grièvement blessés le mardi 24 septembre dans la prison de haute sécurité de Diyarbakir. Selon certains témoins, l’émeute a commencé vers 15 h, lors de la visite des familles aux prisonniers. Des éléments présentés par les autorités comme des " repentis " auraient d’abord agressé verbalement ces prisonniers, puis les auraient attaqués à coups de barres de fer et battus à mort. Selon d’autres témoins, dont la section locale de l’Association turque des droits de l’homme (IHD), une vingtaine de véhicules chargés de membres de JITEM (Service d’action et d’intelligence de la gendarmerie) auraient été vus vers 10h du matin dans la cour de la prison. Ce sont ces gendarmes armés de barres de fer qui auraient lancé vers 15h l’attaque meurtrière contre les prisonniers désarmés et perpétré le massacre. Pour Mahmut Sakar, vice-président de l’Association turque des droits de l’homme et président de sa section de Diyarbakir, " sans aucun doute, il s’agit d’un massacre organisé par l’État au moment même où le président Demirel séjournait à Diyarbakir. Excédé par les incessants mouvements de protestation et de grèves de la faim de ces prisonniers politiques déterminés, le gouvernement cherchait depuis plusieurs mois à éparpiller ces prisonniers à travers le pays et à briser leur résistance à tout prix ". Les avocats s’attendent à ce que ce scénario d’émeutes suivi de répression meurtrière et de dispersion des prisonniers se répète dans les mois à venir dans d’autres prisons turques. Les prisonniers tués sur le coup sont : Edip Dönekci, Nihat Çakmak, Erkan Perisan, Ridvan Bulut, Hakki Tekin, Ahmet Çelik, M. Sabri Gümüs, Cemal Çan et Aydin Demir. Deux autres prionniers sont morts à l’hôpital des suites de leurs blessures.

De son côté, le PKK, réagissant à la mort de ses militants, rappelle, dans une déclaration citée par le quotidien Özgür Politika du 26 septembre, que " dans un souci d’humanité et à la demande des organisations de la société civile, il avait il y a quelques jours remis à leurs familles les soldats turcs qu’il détenait tandis que l’Etat s’en prend, pour la deuxième fois en 6 mois, à des prionniers de guerre kurdes sans défense en violation de toutes les lois de la guerre et de toutes les conventions internationales " et menace l’armée turque de " représailles ".

Le massacre de Diyarbakir a suscité de nombreuses protestations. Parmi elles, celle d’un prisonnier kurde qui s’est immolé par le feu dans la prison Bayrambasa d’Istanbul. Il est décédé le 9 octobre à l’hôpital de la Faculté de médecine d’Istanbul où il avait été transféré.

Par ailleurs, les corps de 30 hommes abattus collectivement ont été trouvés à Yüksekova à l’intérieur du territoire kurde de Turquie à la frontière de l’Iran. Les victimes avaient les poings liés et avaient été manifestement passés par les armes. Selon le quotidien Özgur Politika du 22 octobre 1996, il s’agirait des hommes de l’Union patriotique du Kurdistan de J.Talabani empruntant le territoire iranien pour prendre à revers les forces du PDK de M. Barzani. Le détachement est entré par erreur (la frontière irakienne est quelques kilomètres au Sud) sur le territoire turc. Ses 30 hommes ont été fusillés sur place par l’armée turque, sans autre forme de procès, affirme ce quotidien qui cite par ailleurs une déclaration du ministre iranien des Affaires étrangères, A. E. Velayeti, confirmant cette tuerie.

AMNESTY LANCE UNE CAMPAGNE D’INFORMATION SUR LA TURQUIE

LE Secrétariat international d’Amnesty, avec ses sections à travers le monde, a lancé, le mardi 1er octobre, une campagne, de plusieurs mois, de sensibilisation sur la situation alarmante des droits de l’homme en Turquie.

"Trop c'est trop", a déclaré à propos des violations des droits de l'Homme en Turquie le secrétaire général d'Amnesty International Pierre Sané, qui participait au lancement à Istanbul de cette campagne mondiale, intitulée "Pas de sécurité sans droits de l'Homme". " Aujourd'hui, nous disons que trop c'est trop, il est temps de mettre un terme à des décennies de pratique endémique de la torture, aux restrictions à la liberté d' expression et au récent phénomène des disparitions et des exécutions extrajudiciaires", a déclaré M. Sané dans une conférence de presse. Il a accusé les gouvernements turcs successifs d'avoir manqué de courage pour abolir "les mauvaises lois et les mauvaises pratiques" qui nuisent aux droits de l'Homme, et pour n'avoir pas traduit en justice les soldats et policers ayant torturé ou tué des civils.

"Il est temps pour les gouvernements turcs de cesser d' arguer qu'il était nécessaire de violer les droits de l'Homme pour préserver la sécurité nationale", a-t-il dit. "Il est temps de cesser de rejeter la responsabilité de tels abus sur le conflit dans le Sud-Est", a-t-il poursuivi. M. Sané a affirmé que les violations des droits de l'Homme, en augmentation depuis 1990 selon lui, étaient répandues dans toute la Turquie et non limitées au seul sud-est. La campagne d'Amnesty vise à "améliorer la situation des droits de l'Homme en Turquie" et à "rendre service à la Turquie et non à lui nuire", a souligné M. Sané, qui a également reproché aux gouvernements étrangers d'exercer "très peu de pressions sur la Turquie" dans le domaine des droits de l'Homme, "même s'ils savent ce qui se passe" dans ce pays. Il a expliqué cette attitude par la position stratégique de la Turquie, "alliée vitale de l 'Occident".

La campagne d'Amnesty comprend notamment l'envoi au gouvernement turc de messages par télécopie et de cartes postales par les membres d'Amnesty à travers le monde pour appeler les autorités, les resonsables de l'armée et de la police, à "mettre un terme aux violations".

Dans plusieurs pays, notamment aux Etats-Unis, au Canada, en Malaisie, en Slovénie, dans la bande de Gaza et en Pologne, Amnesty organisera des conférences de presse, des séminaires et des manifestations sur ce thème. Les membres d'Amnesty visiteront les représentations diplomatiques de la Turquie pour exposer aux diplomates leurs préoccupations à propos de la situation des droits de l'Homme dans ce pays.

Dans son rapport intitulé "Turquie, quelle sécurité ?" Amnesty rappelle aussi que les groupes armés d’opposition, qui sont tenus de respecter les principes fondamentaux du droit humanitaire, se sont eux aussi livrés à des actions violentes. Selon Amnesty, qui s’appuie sur diverses sources, " les combattants du PKK ont tué au moins 400 prisonniers et civils entre 1993 et 1995. La plupart des victimes avaient rejoint le système des protecteurs de village armés par le gouvernement ".

Cette impartialité n’empêche pas l’organisation humanitaire d’être vivement critiquée par Ankara. Le jour même le ministère turc des Affaires étrangères a accusé Amnesty International d’" encourager le terrorisme" en publiant un rapport sur des violations des droits de l'Homme en Turquie. Le rapport d'Amnesty International est "partial" et contient des "arrières-pensées", a affirmé le ministère dans un communiqué.

"Amnesty International s'est abstenu en particulier de qualifier le PKK d'" organisation terroriste". "Ce rapport, qui tente de montrer le PKK comme une partie belligérante, encourage le terrorisme", ajoute le communiqué.

Toujours au cours de cette journée du 1er octobre, les forces de sécurité ont imputé au PKK le meurtre atroce de 4 instituteurs dans la province de Diyarbakir. Les médias turcs ont réservé leur " une " à cette tuerie et des funérailles nationales en présence de Mme. Çiller et de plusieurs ministres ont été organisées pour les victimes. Le PKK, qui généralement revendique ses actions même les plus sanglantes, a nié toute responsabilité dans la tuerie des instituteurs et l’a imputée aux forces de sécurité " qui ont commis cette tuerie comme une contre-offensive à la campagne d’Amnesty ". De fait, les autorités turques interdisent aux ONG de mener une enquête indépendante sur cette tuerie.

La campagne d’Amnesty n’a cependant guère tempéré l’ardeur de la machine répressive turque. Ainsi, la Cour de Sûreté de l’État d’Istanbul a ratifié le verdict condamnant à un an et huit mois le romancier Yachar Kemal et l’éditeur, Erdal Öz, pour son article " Ciel noir sur la Turquie " paru dans ouvrage collectif intitulé " La liberté de pensée ". La condamnation a été prononcée en vertu de l’article 312 du Code pénal turc pour " incitation à la haine raciale ". L’article 312 est de plus en plus utilisé par les juges turcs en violation du droit à l’expression garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’écrivain et son éditeur restent en sursis pour une durée de 5 ans. Se sentant menacé par des militants d’extrême droite, Yachar Kemal a décidé, le 16 novembre, de quitter la Turquie et de s’établir en Suède pour une durée indéterminée.

Par ailleurs, le 2ème Tribunal correctionnel d’Istanbul a banni de parution le journal pro-kurde Ronahî, un des rares périodiques en langue turque couvrant la situation dans le Kurdistan.

De même, le traducteur Ertugrul Kürkçü, et l’éditrice, Ayse Nur Zarakoglu, du rapport " Transfert des armes et violations des droits de la guerre en Turquie " publié par l’organisation américaine Human Rights Watch HRW ont été déférés à la Cour de Sûreté de l’État d’Istanbul. Ce rapport dénonçant notamment " l’utilisation massive des armes américaines et européennes par les forces armées turques contre les civils kurdes " a été traduit en turc, en mai 1996, par la maison d’édition Belge dont Mme. Zarakoglu est directrice. Ils sont tous deux poursuivis en vertu de l’article 159/1 du Code pénal turc pour " diffamation et dénonciation de la sécurité de l’État et des forces militaires ". HRW a protesté avec force contre " la persécution des individus en Turquie à la suite des recherches et rapports établis par une organisation non gouvernementale basée aux États-Unis. Les intéressés poursuivis par la justice turque n’ont aucun rapport institutionnel avec HRW, ils n’ont ni fait des recherches ni écrit le rapport en question". Le directeur en charge du programme d’interdiction d’armes au sein du HRW, M. Joost Hilterman, a déclaré: " Au lieu de poursuivre des messagers, le gouvernement turc devrait punir les responsables des violations au sein des forces de sécurité " et d’ajouter que " les pays fournisseurs d’armes, qui sont massivement utilisées par les forces de sécurité turques dans le conflit du Sud-Est, doivent reconnaître leur responsabilité et arrêter leurs ventes d’équipements militaires, y compris les hélicoptères ".

Le 18 octobre, le musicien et porte-parole de l’association " Plate-forme de la liberté d’expression ", Sanar Yurdatapan, connu pour son action courageuse en faveur des droits de l’homme et fils d’un général, a été arrêté par la police turque. S. Yurdatapan est inculpé d’"aide à une organisation illégale " par les autorités turques en vertu de l’article 169 du Code pénal parce qu’un film turc utilisant une musique de sa composition a été diffusée par la télévision pro-kurde Med-TV. A la suite d’une vaste campagne d’opinion M. Yurdatapan a finalement été remis en liberté le 11 novembre. Il doit comparaître en prévenu libre devant la Cour de sûreté de l’État d’Istanbul.

Le 19 octobre, 3 habitants de Batman, cité pétrolière kurde, ont été tués par des " inconnus ". Cette ville qui avec Silvan et Diyarbakir, est l’un des principaux théâtres des " meurtres mystérieux " d’intellectuels, syndicalistes et militants nationalistes kurdes, semblait depuis quelques mois avoir trouvé un certain répit. L’assassinat de 3 civils kurdes, Sebahattin Demir, 28 ans, Ihsan Mehmetoglu, 30 ans, et Eyüp Tas, 35 ans, connus et appréciés pour leur patriotisme kurde a suscité de vives inquiétudes au sein de la population sur la relance de " la guerre de l’ombre " visant à éliminer les élites kurdes et qui depuis 1992 a fait près de 4000 morts. Les auteurs de ces " meurtres mystérieux " n’ont été pas arrêtés; et quand ils sont identifiés par les témoins et dénoncés, les tribunaux turcs s’abstiennent de les poursuivre. Après le triple assassinat du 19 novembre, le préfet de Batman, Salih Serman, connu pour ses opinions d’extrême droite, s’est contenté de ce commentaire sans appel: " Nous disposons de documents établissant les liens de ces 3 individus avec le PKK ". A l’heure d’une justice sommaire nul besoin donc d’intenter un procès et d’examiner les " documents " du préfet. Le verdict est prononcé par le préfet et exécuté par " les escadrons de la mort "

Début novembre, l’organisation humanitaire américaine Physicians for Human Rights a publié une étude intitulée " Torture en Turquie et ses involontaires complices ". Cette étude, basée sur deux années de recherches et de missions d’étude sur place, comprend des entretiens avec les personnes victimes de la torture et des organisations locales ainsi qu’avec les médecins détachés du ministère de la Santé dans les prisons, affirme que: " dans les quinze dernières années, de nombreuses organisations internationales et turques de droits de l’homme ont fourni des rapports et documents prouvant la pratique de la torture en Turquie. Mais, malgré le fait que la Constitution turque interdise la torture (article 17), la police et les forces de sécurité recourent systématiquement et d’une façon routinière à la torture durant la période de la garde-à-vue, celle-ci est rendue possible par d’autres lois, celles qui limitent les droits à des procès équitables et la liberté d’expression, ainsi que par l’échec du gouvernement de poursuivre et de punir les responsables. De plus, la coercition gouvernementale à l’encontre des médecins a permis aux autorités turques de nier que la torture est systématiquement pratiquée en Turquie ". A cet égard, le sondage réalisé auprès des médecins turcs en charge de la santé des prisonniers est révélateur: 96% des médecins sondés répondent que " la torture est un problème en Turquie" tandis que 60% affirment que " presque toute personne arrêtée est torturée ". La région la plus affectée par ce fléau est le Sud-Est kurde. Dans les dix provinces kurdes sous le régime des lois d’urgence, les citoyens kurdes victimes de la torture évitent même tout contact avec les établissements sanitaires étatiques, de peur des représailles. La présence des policiers dans les bureaux où les médecins examinent les prisonniers torturés empêche ceux-ci d’exercer leur fonction dûment. L’organisation humanitaire note que " dans certains cas ils trouvent des traces physiques, mais ne mentionnent pas qu’elles sont dues à la pratique de la torture. Dans d’autres cas, ils sont empêchés de rapporter par des menaces directes de représailles ". En outre, " le Droit turc (article 169 du Code pénal turc et article 7/2 de la loi anti-terreur) empêche les médecins de fournir des soins médicaux à des militants suspects, bien que les médecins soient tenus par les normes internationales de l’éthique médicale de fournir des soins à toute personne en besoin, sans distinction de race, de religion, d’origine ethnique et d’affiliation politique ". L’organisation humanitaire conclut que les pressions exercées par les autorités turques sur les médecins, les empêchant ainsi de rapporter la pratique de la torture dans les prisons, font de ceux-ci " des complices involontaires ".

TÉHÉRAN: SELON M. RAFSANJANI, DESCENDANTS DE LA RACE ARYENNE, ALLEMANDS ET IRANIENS DOIVENT MAINTENIR LEURS BONNES RELATIONS

LA mise en cause par la justice allemande des plus hautes autorités iraniennes dans l’assassinat en septembre 1992 à Berlin du leader kurde iranien, Dr. Sadegh Charafkandi et de trois de ses collaborateurs, continue d’empoisonner les relations germano-iraniennes. L’une des manifestations les plus importantes de cette crise a été la procession de plusieurs centaines de religieux et d’étudiants en théologie dans la ville sainte de Qom pour protester contre les accusations du parquet fédéral allemand. Selon ces manifestants religieux, en accusant de complicité de meurtre l’ayatollah Khamenei, guide suprême de la République islamique et le président Rafsanjani, " les procureurs allemands ont insulté l’islam et doivent être punis ". Ils auraient même, selon des informations de presse non confirmées par le gouvernement iranien, adopté une résolution comparant " les insultes des procureurs " aux " Versets sataniques " de Salman Rushdie et demand qu’ils soient condamnées à la même peine (de mort) à moins qu’ils ne présentent leurs excuses.

Le vice-président du Parlement iranien s’est également montré menaçant et affirmé que l’avenir des relations germano-iraniennes dépendait du verdict du procès de Berlin.

Réagissant à ces menaces, le ministre allemand de la justice, Edzand Schmidt-Jortzing, a déclaré que " l’Allemagne ne tolérerait pas des pressions politiques extérieures et des menaces ". " Je rejette fermement ces menaces et les insultes contre les procureurs " a-t-il ajouté, prenant la défense du " parquet fédéral qui a agi dans le cadre strict de la loi ". C’est dans ce cadre que le parquet avait en mars dernier lancé un mandat d’arrêt international contre le ministre iranien des renseignements Ali Fallahian qu’il accuse d’avoir ordonné personnellement l’assassinat des 4 Kurdes avant d’inculper à la mi-novembre l’ayatollah Khamenei et le président Rafsanjani de " complicité de meurtre ".

Cependant, le chancelier Kohl a fait parvenir au président iranien une lettre, dont la teneur a été rendu publique le 21 novembre, dans laquelle il affirme notamment que " l’Allemagne n’a pas l’intention de blesser les sentiments religieux du peuple iraniens et de ses leaders spirituels " et demande la protection des biens allemands et des 500 citoyens allemands en Iran.

Cette missive semble avoir apaisé quelque peu les dirigeants iraniens. L’ayatollah Khamenei a accusé " les États-Unis et Israël d’être les ennemis principaux de l’Iran. Là où il y a un signe d’animosité il procède de ces deux ennemis. Quiconque d’autre entre dans cette arène est considérée comme secondaire et périphérique " a-t-il déclaré doctement sans citer l’Allemagne par son nom.

Le 22 novembre, au cours de la traditionnelle prière de vendredi à l’Université de Téhéran, le président Rafsanjani, dans un sermon retransmis en direct à la radio a longuement évoqué ce sujet. Extraits: " Nous croyons encore que la politique du gouvernement allemand n’a rien à voir avec l’action de la Cour. Nous ne devrions pas oublier que le gouvernement allemand est sous la pression des agents des États-Unis et d’Israël. Les agents de Satan travaillent dur pour transformer la coopération en conflit. La Justice allemande, consciemment ou inconsciemment, est tombée sous des influences extérieures, spécialement celles des États-Unis et du régime sioniste. Les peuples iranien et allemand, qui tous deux descendent de la race aryenne, ont des relations historiques d’amitié. Voilà pourquoi c’est étrange qu’une Cour puisse jouer avec cette amitié de longue date. Mais il n’y a pas de doute que l’Iran et l’Allemagne sont déterminés de continuer leurs relations cordiales et il y a des signes clairs que la plupart des responsables du gouvernement allemands ne sont pas favorables à permettre aux débats de la Cour de gâcher nos relations ".

En son temps le Chah d’Iran se faisait appeler Aryamehr , " lumière des Aryens ". C’est la première fois que l’un des ses successeurs islamistes se prévaut aussi de la " race aryenne " qui selon lui serait l’ancêtre commun des Iraniens et des Allemands; et cela pour plaider en faveur du maintien de " bonnes relations " entre l’Iran et l’Allemagne, son premier partenaire économique occidental.

Son appel semble être entendu par les dirigeants allemands. Répondant à plusieurs députés, dont l’influent Wilfried Penner, président de la Commission des affaires intérieures du Bundestag, demandant "la fin de l’indéfendable dialogue critique" avec Téhéran et la rupture des relations diplomatiques avec un État dont les plus hauts dirigeants sont mis en cause par la justice allemande dans le meurtre de quatre opposants sur le sol allemand, le ministre des Affaires étrangères, Klaus Kinkel, a estimé qu’une telle attitude serait de courte vue. " Une nation aussi importante ne peut tout simplement pas être isolée. Nous devons attendre les conclusions du procès Mykonos et faire alors une nouvelle évaluation. Seulement quatre nations n’ont pas de relations diplomatiques avec l’Iran. Devons-nous nous isoler en Europe? Qu’est-ce que cela va apporter? " a déclaré M. Kinkel dans une interview au journal allemand Neue Osnabruecker Zeitung dont les extrait sont cités par une dépêche de Reuter.

A Téhéran et à Bonn on attend le verdict de la Cour de Berlin qui doit intervenir fin janvier. On verra si la justice allemande gardera jusqu’au bout son indépendance, refusant de se plier, comme son homologue autrichienne dans le procès des assassins du Dr. Ghassemlou, devant les exigences de la raison d’État.

RECEVANT LE PREMIER MINISTRE TURC, M. KADDHAFI DEMANDE LA CRÉATION D’UN KURDISTAN INDÉPENDANT

LA visite tumultueuse de N. Erbakan en Libye risque d’avoir des conséquences durables sur la vie politique turque. " Déconseillée " par le ministre turc des Affaires étrangères, très critiquée par Washington qui n’a pas encore digéré le voyage en Iran du Premier ministre turc et le contrat gazier de $ 23 milliard qui a été conclue à cette occasion, cette visite n’a même pas eu l’heur de plaire à Kaddhafi. Recevant le 5 octobre N. Erbakan sous sa tente, quelque part près de Cyrte, avec 1, 5 h de retard, le leader libyen s’est permis de lui infliger en public, au cours du dîner officiel, une véritable leçon sur la question kurde. Extraits: " Je suis contre le fait qu’on critique les Turcs, mais les Kurdes ont aussi le droit naturel d’être indépendants en Turquie, en Irak, en Iran, partout. Faire la guerre à des nations qui revendiquent leur indépendance n’aboutit à rien. La Turquie a essayé cela dans le passé. Comme les Kurdes, les Arabes ont dû entrer en guerre et ils ont obtenu leur indépendance. Nous sommes cotre la terreur, quelle vienne des Kurdes ou de l’Iran. Moi, je veux parler de la nation kurde. Le Kurdistan, la nation kurde, doit trouver sa place sous le soleil du Moyen-Orient. Les Kurdes sont aussi une nation musulmane et ce sont les frères des Turcs, des Arabes et des Persans (..) La Turquie doit chercher son avenir et sa sécurité non dans l’OTAN et les bases américaines, ou en martyrisant les Kurdes, mais dans sa noblesse et dans son passé. Les véritables alliés des Turcs devraient être ses voisins; les Arabes, les Kurdes auxquels les lient une longue histoire. "

Dans sa réponse, le Premier ministre turc, qualifié par ailleurs par Kaddhafi de " commandant de l’Islam ", s’est contenté de déclarer qu’en Turquie " Il n’y a pas de problème kurde, il y a un problème de terreur (..) L’Occident veut diviser la Turquie et pour cela se sert des droits de l’homme et prétend que nous opprimons les Kurdes "

Venu en Libye officiellement pour obtenir le payement des créances des entrepreneurs turcs (environ $ 380 millions), le Premier ministre turc est reparti économiquement bredouille et avec un lourd fardeau diplomatique. En rappelant que depuis 1974 la Libye avait offert à la Turquie $ 14 milliards de contrats, Kaddhafi a sans doute voulu signifier qu’Ankara a été largement payé et ne devait pas réclamer autre chose.

Quelques jours après le camouflet lybien, le président turc S. Demirel, en visite en Italie, les 8 et 9 octobre, a été critiqué pour la politique répressive de son pays envers les Kurdes. Dans un communiqué, le vice-Premier ministre italien, Walter Veltroni, a exprimé " ses préoccupations sur la situation des droits de l’homme qui inquiète et émeut l’opinion publique et le Parlement en Italie ". Il a ajouté " Rome est convaincu qu’une bonne volonté et une vision à long terme des parties concernées rendront possibles les définitions des solutions équitables respectant les droits de tous quelles que soient les controverses ". Et de conclure: " appartenir à la famille européenne veut dire avant tout partager l’héritage civil, moral et politique des valeurs européennes ". De son côté, le ministre italien des Affaires étrangères a demandé la reconnaissance d’une large autonomie pour les Kurdes en Turquie. Tout ce que S. Demirel a trouvé à dire en réponse aux préoccupations de ses hôtes est que: " des groupes de pressions en Europe travaillent contre la Turquie qui est un pays démocratique unitaire, sans danger, libéral et libre ".

Pendant que le président turc présentait la Turquie comme une oasis de paix, les forces armées turques, ayant fait une incursion au Kurdistan d’Irak, annonçaient le bilan des victimes des affrontements avec les maquisards du PKK de la seule journée du mardi 8 octobre: 64 militants du PKK et 11 soldats tués. Ces affrontements engagés depuis le 5 octobre auraient, en 4 jours, fait environ 300 victimes des deux côtés selon l’agence semi-officielle Anatolie.

Un mois plus tard, lors de sa visite officielle à Bonn, le président turc a eu droit aux mêmes critiques sur la question kurde et la situation des droits de l’homme.

Tout en exprimant leur soutien à la Turquie et à son entrée dans l’Union européenne, le Chancelier Kohl, le président Herzog et M. Klaus Kinkel, ministre des Affaires étrangères, ont souligné la nécessité de trouver rapidement une solution au problème kurde et de mettre un terme aux violations des droits de l’homme qui entachent l’image de l’État turc à l’étranger. " L’Europe n’a pas vocation à être un club chrétien; nous sommes pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne mais pour cela la Turquie doit faire des pas déterminés pour le règlement politique du problème kurde et sur la question des droits de l’homme " a notamment déclaré le président allemand. Son homologue turc lui a répondu: " la Turquie est un pays unitaire menacé par un terrorisme encouragé de l’extérieur. La terreur n’a rien à voir avec des droits socio-culturels innocents. Personne ne peut accepter la partition de la Turquie. La violation des droits de l’homme est un crime dans notre pays et à ce titre sanctionné par les lois ".

Si les visites à Rome et à Bonn de M.Demirel n’ont pas suscité de débat particulier en Turquie, celle de M. Erbakan en Lybie, suvivie d’un voyage au Nigéria, autre pays considéré comme " peu fréquentable " par les alliés occidentaux de la Turquie, a donné lieu à une véritable levée de boucliers de la presse et des partis de l’opposition. Ceux-ci, prenant à parti " ce Premier ministre qui chamboule la politique extérieure du pays et nuit gravement à l’image de la Turquie " ont déposé une motion de censure.

Celle-ci a été soumise au vote le mercredi 16 octobre au Parlement qui l’a repoussée par 275 voix contre 256. L’échec de ce vote contre la politique étrangère du gouvernement peut s’expliquer par le manque de projet politique alternatif des autres partis de l’échiquier politique turc, d’autant plus que l’ensemble de ces partis se sont déjà essayés au pouvoir sans apporter les remèdes promis à une société en panne.

CRI D’ALARME DES DÉPUTÉS DU CHP SUR LA SITUATION DRAMATIQUE DE TUNCELI

QUATRE députés du CHP (Parti républicain du peuple), de retour d’une mission d’information dans la province kurde de Tunceli (Dersim) ont, le 25 octobre, donné une conférence de presse au cours de laquelle ils ont lancé un appel au secours face au sort dramatique de la population. Pour ces députés, dont l’ancien ministre des droits de l’homme, Algan Hacaloglu: " ce qui se passe à Tunceli est une honte pour l’humanité " et " le Parlement doit intervenir d’urgence. L’opposition de l’État suscite le rejet de celui-ci par la population. Face aux pratiques injustes de l’État, la population perd sa résistance vitale. Aujourd’hui alors qu’il y a abondance de nourriture dans le pays, à Tunceli les denrées alimentaires sont vendues par tickets de rationnement comme dans la période de disette des années 1940. 287 des 417 villages de Tunceli ont été évacuées par l’État, 242 écoles sont fermées, les maisons, les étables, les greniers sont détruits et en grande partie brûlés. Les pâturages sont fermés, les citoyens interdits d’accès aux terres dont ils sont propriétaires. Leurs récoltes sont détruites; leurs ruches, leurs noiseraies, leurs bois et leurs jardins leur sont confisqués. L’État n’offre aucune indemnisation, pas même les moyens d’émigrer et d’aller vivre dans l’Ouest du pays qu’il donnait aux habitants de cette province lors de la révolte de Dersim de 1938. L’État cherche à rayer Tunceli de la carte. L’embargo alimentaire est appliqué par une circulaire officielle du préfet de Tunceli et cet embargo porte gravement atteinte au droit de la population à la santé ". Le sous-préfet d’Ovacik, Yücel Yavuz, cité par le quotidien Hürriyet du 25 octobre, confirme officiellement l’existence d’un embargo alimentaire dans cette province. Pour lui ce " contrôle de la vente des denrées alimentaires est pratiqué pour empêcher le PKK de contraindre les citoyens à lui donner de la nourriture ".

En conclusion de leur intervention, les 4 députés ont demandé que l’État cesse de traiter les habitants de cette province comme des criminels potentiels, que l’on mette un terme à leur persécution et à leur détresse et que l’on autorise leur retour immédiat dans leurs villages.

Ces souhaits risquent malheureusement de rester des voeux pieux. On en est au point où les tribunaux refusent même d’enregistrer les plaintes des habitants dont les maisons ont été brûlées. Prétextes avancés: la Justice n’est pas en mesure d’identifier les auteurs de ces actes ! Selon le quotidien Hürriyet du 26 octobre, 444 paysans dont les villages ont été détruits et brûlés par l’armée dans le district d’Ovacik ont déposé une plainte collective auprès du procureur de cette ville. Le maire d’un de ces villages, Gazi Gündogan du village de Sahverdi, rapporte ainsi son témoignage: " Ma maison a été brûlée par les forces de sécurité qui ont mené les 4 et 5 octobre 1994 des opérations dans notre village. Nous avons porté plainte. Le sous-préfet adjoint d’Ovacik, Sebahattin Toprak, nous a répondu: " Comme il ne nous a pas été possible d’établir l’identité du ou des auteurs de ces actes, en vertu de la loi sur les poursuites contre les fonctionnaires, nous ne pouvons pas ouvrir une information judiciaire "

La ville d’Ovacik, chef-lieu de ce district particulièrement touché par la répression de l’armée, connaît des conditions d’hygiène insupportables. Son seul équipement de santé, un dispensaire, est occupé par l’armée qui l’a entouré de barbelés et l’a décrété zone militaire interdite d’accès aux civils. L’unique médecin du dispensaire, Mustafa Abohusoglu, se débat désespérément dans une ville ployée sous le poids des paysans déplacés, sans pharmacie, sans dentiste, sans centre d’hébergement alors que le rude hiver kurde se dessine à l’horizon. Selon lui, la plupart des enfants souffrent des maladies dues à la malnutrition et à des conditions de vie et d’hygiène dramatiques.

WASHINGTON: OUVERTURE D’UN INSTITUT KURDE

LES Kurdes ressentaient depuis longtemps la nécessité d’avoir une présence culturelle régulière dans la capitale américaine. C’est désormais chose faite. Le 14 novembre l’Institut kurde de Washington a ouvert ses portes. Des intellectuels kurdes venant de divers États d’Amérique, du Canada et d’Europe ainsi que de nombreux Américains, journalistes, responsables des ONG, universitaires, membres du Congrès ont assisté à l’inauguration de cet institut qui se donne pour vocation de servir d’ambassade culturelle au service des Kurdes et du public américain.

Outre un service de documentation et la diffusion régulière d’informations sur la situation des droits de l’homme au Kurdistan, l’Institut kurde envisage de mettre en place des cours de kurde, d’organiser des conférences et des expositions dans les universités américaines et de faire du lobbyng au Congrès pour la cause kurde. Alors que les États persécutant les Kurdes dépensent des sommes considérables pour développer des lobbies en leur faveur et désinformer le Congrès et le public américains sur les Kurdes, que d’autres communautés (Juifs, Grecs, Arméniens) disposent depuis longtemps à Washington de puisants outils de lobbyng, l’Institut kurde s’efforcera de répondre au besoin d’une action similaire en faveur des Kurdes.

Présidé par le neuro-chirurgien kurde, Dr. Najmaldin O. Karim, membre du conseil d’administration de l’Institut kurde de Paris et président du Kurdish National Congress of America, l’Institut kurde de Washington est un organisme indépendant de toute affiliation politique. Il est dirigé par un Board of directors (conseil d’administration) de 12 personnalités kurdes originaires d’Irak, d’Iran et de Turquie. Son directeur exécutif est Mike Amitay, ami de longue date de la cause kurde, qui pour remplir ses nouvelles fonctions a démissionné de son poste à la Commission Helsinki du Congrès américain et qui préside aussi une coalition de 17 ONG américaines de droits de l’homme.

Voici les coordonnées de cet Institut:

Washington Kurdish Instiute 605G Street, S.W., Washington, D.C. 20024 / U.S.A.

Tél. : 202-484 01 40 Fax : 202-484 01 42

Site internet: www.clark.net/kurd E.mail: wki.kurd.org

PARIS : UNE EXPOSITION SUR LES RÉFUGIES KURDES IRAKIENS

A l'occasion du bicentenaire de la Révolution française, la France, en juillet 1989, avait décidé d'accueillir environ 350 Kurdes irakiens réfugiés en Turquie à la suite de bombardements aux armes chimiques de leurs villages par l'aviation irakienne au cours de l'été 1988. En avril 1989, Mme Mitterrand avait visité les trois principaux camps turcs regroupant ces réfugiés. Très émue par les témoignages de ces réfugiés et par leurs conditions de vie confinant à l'internement, elle avait décidé de lancer une campagne internationale pour l'accueil de ces réfugiés kurdes dans les pays occidentaux.

Après la France qui a accueilli en un an environ un millier de réfugiés kurdes, les États-Unis et le Canada ont reçu près de 5000 de ces réfugiés. D'autres pays occidentaux ont accueilli des contingents plus limités. Après la Guerre du Golfe la création d'une zone protégée dans le Kurdistan irakien, les Kurdes des camps de réfugiés de Turquie ont regagné leur pays.

L'opinion française a découvert par les médias le grand dénuement matériel et la dignité de ces réfugiés arrivant à bord d'un avion spécial à Clermont-Ferrand avec chacun pour tout bagage un petit colis de 2 kg d'effets personnels. Issus du milieu rural ces réfugiés ont d'abord été installés dans le camp militaire de Bourg Lastic en Auvergne avant d'être répartis entre plusieurs localités du Centre et du Sud-ouest de la France : Vic-le-Comte, Saint-Florine, Clermont-Ferrand, Corent, Auzon, Avrant, Peyrelevade, Mainsat et à Castillon dans l'Ariège.

Que sont devenus ces réfugiés kurdes 6 ans plus tard ? Où en sont-ils dans leurs efforts d'intégration à la société française?

La photographe américaine Krista Boggs (soutenue par la Fondation France-Libertés, le CCFD et l’Institut kurde) est allée vivre pendant plusieurs semaines avec eux, partager leur vie quotidienne, leur loisirs. Une quarantaine de ses photographies viennent dêtre exposées à l’Institut kurde. Cette exposition inaugurée le 24 octobre par Mme.Mitterrand, en présence de la Photographe et de plusieurs centaines d’invités, a durée jusqu’au 16 novembre et reçu un large écho.

Le regard de la photographe américaine extérieur fait ressortir un tableau riche en nuances et en contrastes. Dans leur ensemble, ces réfugiés ont refait leur vie et sont heureux d'être en France. Les plus âgés gardent la nostalgie du pays natal et disent qu'ils vont retourner vivre "dès que la situation sera meilleure". Ils suivent au jour le jour les nouvelles du Kurdistan. Les moins de 30 ans considèrent que leur vie et leur avenir est ici, apprennent des métiers et déploient des efforts pour s'intégrer. Certains, grâce à des stages de formation et de reconversion, sont devenus infirmiers, aides-soignants, éducateurs, charpentiers, en raison de la crise économique, ont encore du mal à trouver un emploi régulier et assurent leur subsistance grâce à des travaux saisonniers ou intérimaires.

Les femmes font un effort particulier d'adaptation. Nombre d'entre elles ont passé leur permis, acheté une voiture, trouvé un travail qui les rend autonomes. On assiste même çà et là à des mariages mixtes.

Les enfants s'intègrent assez bien. La tendance dominante de ces fils et filles des familles éprouvées est de faire de bonnes études pour s'en sortir, pour aider leurs proches et leur peuple. On compte déjà une douzaine de bacheliers dont quelques uns poursuivent des études universitaires. L'équilibre entre le désir d'intégration et l'attachement aux traditions s'établit selon les modalités différentes selon les origines familiales et les individus. A l'extérieur, chacun s'efforce de s'habiller et de se comporter comme les voisins français du même milieu social. A la maison, traditions et coutumes reprennent leurs droits. On se reçoit beaucoup pour de longues veillées dans des intérieurs à la kurde; on sert une cuisine kurde accompagnée souvent de desserts français. Là où ils le peuvent, même lorsqu'ils habitent une HLM, les Kurdes louent un terrain pour se livrer à la joie de cultiver un jardin et d'élever quelques volailles. Le pain et le yaourt faits maison sont davantage prisés de même que l'achat d'un mouton ou d'un veau entier plutôt qu'une pièce de viande achetée chez le boucher.

Autre trait dominant dans la communauté particulière de ces réfugiés kurdes irakiens: Reconnaissants envers leur pays d'accueil ils s'appliquent à en respecter scrupuleusement les lois au point où aucun acte de délinquance n'y a été signalé à ce jour.

UN ACCIDENT RÉVÈLE LES LIENS ÊTRE L’ÉTAT TURC ET LA MAFIA

UN accident de la circulation survenu le 4 novembre à Susurluk, sur la route d’Izmir-Istanbul, a jeté une lumière crue sur la forte imbrication entre la mafia, la police, une partie de l’appareil de l’État et la classe politique. La Mercèdes SEL du député Sedat Bucak, du parti de Mme. Çiller, circulant à 200 km à l’heure, est allée s’écraser violemment contre un camion qui la précédait. Bilan: 3 morts et un blessé, le député Bucak. Les 3 morts sont un important chef de police, Hüseyin Kocadag, ex-directeur général-adjoint de la sûreté générale d’Istanbul, un chef très recherché par Interpol de la mafia d’extrême droite, Abdullah Çatli, et sa maîtresse. A. Çatli. fut, en 1978, vice-président des Foyers de l’idéal (mouvement de jeunesse du Colonel A. Türkes). Il a été jugé par contumace pour le massacre à Ankara de 7 membres du Parti ouvrier de Turquie (POT). Passible de la peine de mort pour ce crime, il est également recherché pour son rôle dans l’assassinat du journaliste libéral Abdi Ipekçi et pour l’organisation de l’évasion de prison et la fuite en Europe de Mehmet Ali Agca, extrémiste poursuivi pour le meurtre d’Ipekçi qui attentera plus tard à la vie du Pape. Il est également poursuivi par la justice helvétique pour trafic de drogue. Au moment de l’accident, il était porteur d’une carte de " chef de police " au nom de Mehmet Özbay et d’un vrai passeport vert de service réservé aux hauts fonctionnaires de l’État et dispensé, comme les passeports diplomatiques, de visa.

Les enquêteurs ont trouvé dans la voiture accidentée un véritable arsenal: 5 revolvers de gros calibre, 2 mitraillettes et 2 silencieuses et des munitions en abondance. Selon les quotidiens Hürriyet et Milliyet du 5 novembre qui donnent tous ces détails, on a également trouvé dans la Mercèdes un laissez-passer spécial et une plaque d’immatriculation au nom de M. Gurkan, vice-président de l’Assemblée nationale turque, ainsi qu’une mallette blanche bourrée de billets récupérée par des agents dépêchés d’Ankara.

Les deux autres protagonistes de cette affaire sont également des personnages très influents. Le commissaire H. Kocadag, qui conduisait la voiture, avait beaucoup fait parler de lui lorsqu’il était l’adjoint de Necdet Menzir, le tout puissant chef de la police d’Istanbul et l’un des personnages-clé des relations entre la mafia et la police turque. Impliqué dans la répression meurtrière des manifestions populaires dans le quartier Gazi d’Istanbul, en mars 1995, et dénoncé par un gros bonnet de la drogue , Alaettin Çakici, il avait été muté à la direction de l’académie de police.

Quant au député Sedat Bucak, il incarne les pires dérives du pouvoir turc au Kurdistan. Chef d’une tribu nombreuse mais pauvre dans le district de Siverek, cet homme s’est vu confier par l’État la mission d’assurer l’ordre et la sécurité dans toute la plaine située entre Diyarbakir et Urfa. Dirigeant une véritable armée privée de dix mille hommes, équipés et financés par l’État, il fait la loi dans sa région, menaçant, faisant enlever et disparaître tous ceux qu’il considère comme " dangereux pour la sécurité de l’État " ou simplement pour ses propres intérêts. Ce seigneur de la guerre a bâti en quelques années une fortune considérable grâce au racket, aux contrats juteux avec l’État et au trafic de drogue. Au cours des derniers mois ce député très spécial, qui fut aussi l’un des principaux témoins à charge dans le procès de Leyla Zana et de ses amis, cherchait à placer une partie de sa fortune dans les sites touristiques de la côte égéenne, notamment autour de Kusadasi et d’Izmir.

Le quotidien Hürriyet du 5 novembre, dans un article intitulé " L’État connaissait ces relations sales " révèle à ses lecteurs un rapport du MIT (service des renseignements turcs) relevant les agissements récents du chef mafiosi A. Çatli. On y apprend ainsi que ce dernier a rencontré, le 24 août 1996, à l’hôtel Sheraton d’Ankara " Une délégation du Brunei " qu’il avait, le 25 mai dernier, organisé l’enlèvement du propriétaire d’une chaîne de télévision locale, Yaprak TV, séquestré celui-ci dans une maison appartenant au député Bucak avant de le faire libérer contre le paiement d’une rançon de 4 millions de deutsche marks. Ce rapport contient même un relevé des appels téléphoniques de Çatli à ses amis de la police et au personnel politique. Le MIT justifie son inaction par les " hautes protections policières d’A. Çatli, porteur d’une carte d’identité de police et d’un passeport de service au nom de Mehmet Ozbay ainsi que de plusieurs autres identités " La conclusion du rapport du MIT est éclairante: " La Direction générale de la Sûreté a formé une équipe criminelle spéciale, en apparence pour des activités contre le PKK et Dev-Sol. Ce groupe qui se livre à des crimes comme menaces, confiscation des biens d’autrui, racket, trafic de stupéfiants et meurtres, est généralement formé d’anciens ülkücü (membres des Foyers de l’idéal d’extrême droite) (..) La Direction générale de la Sûreté leur a donné des cartes d’identité de police et des " passeports verts. Le groupe en question, sous l’apparence d’activités contre les terroristes se déplacent entre l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, la Hongrie et l’Azerbaïdjan et fait du trafic de drogue. Des policiers du Bureau des opérations spéciales de la Direction Générale de la Sûreté collaborent avec ce groupe et assurent leur sécurité ". Le rapport donne l’identité des 6 membres les plus en vue de ce groupe.

Ce que ce rapport ne dit pas c’est que " cette équipe " n’est pas le seul groupe formé de mafiosis et de policiers qui, sous le couvert commode de lutte contre le terrorisme, sévissent en Turquie. Rien qu’au cours de l’année 1996 une demi-douzaine de ces groupes ont, à l’occasion de meurtres et de règlements de comptes, défrayé la chronique. Ainsi le gang de Yuksekova, formé de policiers d’équipes spéciales de protecteurs de villages et d’officiers de la gendarmerie est impliqué dans 16 meurtres, des rapts contre rançon, d’extorsion de fonds et de trafic de drogue. Opérant dans la Province de Hakkari, à la jonction des frontières turco-irano-irakienne, ce gang est allé jusqu’à transporter carrément dans des chars de l’armée d’importantes quantités d’héroïne venant d’Iran. Le gang des Soylemez, formé de 7 officiers, 5 policiers et 11 criminels de droit commun a connu une certaine publicité il y a 2 mois à l’occasion d’une série de meurtres dans l’Ouest du pays et en raison de sa rivalité avec les hommes du député Bucak. Des groupes similaires formés généralement d’une trentaine de membres ont été identifiés à Ankara, Adana, Kocaeli et Kiziltepe.

Pour Bulent Ecevit, président du Parti de la Gauche démocratique, le constat est sans appel: " L’État est livré aux organisations criminelles; des fonctionnaires occupant des postes sensibles au sein des forces de sécurité travaillent main dans la main avec ces organisations criminelles et la mafia au point où même les avertissements des services des renseignements de l’État sont ignorés " (Milliyet du 6 novembre). Deniz Baykal, chef du CHP, parle lui d’un " État spécial au sein de l’État qui pourrit et tel un cancer anéantit l’État ". De son côté, Dogu Perinçek, président du Parti ouvrier, qui avait le premier, dans le numéro du 22 septembre de sa revue Aydinlik, révélé des extraits du rapport du MIT sur la coopération police-mafia a indiqué dans une conférence de presse donnée le 7 novembre que: " ces groupes criminels reçoivent leurs ordres directement du ministre de l’Intérieur Mehmet Agar et qu’ils sont sur le plan opérationnel dirigé par Korkut Eken, conseiller du directeur général de la Sûreté nationale ". Selon lui " le député Bucak est le bras droit de Mme. Çiller pour les basses besognes et le commissaire Kocadag, qui dispose d’une fortune de 100 millions de dollars, est le bras droit du ministre de l’Intérieur M. Agar. Mme. Çiller est tenue informée de ces opérations qui se sont développées depuis son accession au pouvoir, qu’elle est de ce fait " la mère des coupables ", Sans s’attaquer au coeur de cette organisation criminelle, une série de meurtres de personnalités démocratiques et d’hommes d’affaires libéraux ne pourrait être élucidée ". M. Perinçek qui a affirmé qu’il avait écrit au président de l’Assemblée nationale pour lui transmettre les rapports accablants du MIT sur cette organisation criminelle mise en place par Mme. Çiller et M. Agar en lui demandant d’engager des poursuites contre ces deux personnalités, pour constitution de bande armée criminelle et attentant à l’autorité de l’État, conformément à l’article 100 de la Constitution.

Le ministre de l’Intérieur, ancien chef de la police d’Istanbul, dans l’unique commentaire fait sur cette affaire a déclaré avec aplomb qu’" en fait le commissaire Kocadag conduisait le chef mafieux Çatli à Istanbul où il devait le mettre en état d’arrestation "! L’une des raisons invoquées par la presse sur ce ministre gêné et silencieux: ses propres liens avec la mafia turque. L’un des chefs de celle-ci, Huseyin Balbasin, actuellement détenu au Pays-Bas pour trafic de drogue, l’a à plusieurs reprises dénoncé comme l’un de ses complices, allant jusqu’à donner une liste de propriétés qu’il avait achetées en Angleterre et ailleurs pour Agar, sa femme et ses maîtresses en échange de sa protection. De son côté D. Perinçek affirme dans le Hürriyet du 8 novembre que ce ministre Agar possède 18 appartements à Istanbul. Il déclare détenir des documents prouvant que sur ordre du couple Çiller, Agar, le mafiosi Çatli et ses hommes ont mené de nombreuses actions criminelles à l’étranger et cite notamment l’attentat contre le mouvement arménien en France contre une prime d’un million de dollars, la tentative d’assassinat du président azéri H. Aliev, le détournement médiatique en Mer Noire du paquebot Avrasya et une série de meurtres dont il nomme les victimes. Il précise que A. Çatli a rencontré à plusieurs reprises le ministre Agar, qu’il a également dîné avec Mme. Çiller et que l’époux de celle-ci, en liaison avec ce groupe mafiosi, mettait en place une filière internationale de trafic de matières nucléaires. L’affaire devient donc une affaire Çiller-Agar.

Finalement, le 8 novembre, le ministre de l’Intérieur Mehmet Agar a dû présenter sa démission. Officiellement c’est pour " mieux se consacrer à sa fille malade et à sa famille " que cet ancien directeur de la police promu député, puis ministre par Mme. Çiller, démissionne.

Dès la démission de M. Agar, Mme. Çiller a nommé au poste du ministre de l’Intérieur une certaine Mme. Meral Aksener. Fondée de pouvoir de l’une des multiples sociétés de la famille Çiller, cette jeune femme a été élue députée d’Istanbul en décembre 1995 sur la liste Çiller pour bénéficier de l’immunité parlementaire qui en Turquie ne sert plus qu’à protéger les affairistes douteux des poursuites judiciaires. Depuis son élection, son seul acte public connu est une conférence de presse donnée le 6 septembre dernier où elle a menacé de mort les directeurs de journaux s’en prenant à Mme. Çiller et dévoilant ses affaires douteuses en ces termes: " Nous avertissons les dirigeants de ces média. N’oublions pas que vous suscitez l’indignation des militants épris du Parti de la Juste Voie (le DYP de Mme. Çiller). Nous aurons du mal à retenir nos jeunes fanatiques de Çiller. Nous vous répondrons avec la plus grande fermeté et vous ferons taire, vous et vos semblables. Ceci est notre dernier avertissement ". A la suite de vives réactions de la presse à ces menaces, des responsables du DYP avaient reconnu que cette déclaration guerrière de Mme. Aksener avait été rédigée par l’omniprésent époux de Mme. Çiller.L’accession au poste redoutable du ministre de l’Intérieur d’un tel personnage inquiète beaucoup les journalistes qui avaient ces derniers mois trouvé une certaine marge de liberté pour dénoncer la corruption et réclamer un " État propre ". Même le quotidien à grand tirage Hürriyet, qui a servi tous les régimes et qui pendant des années a chanté les louanges de Mme. Çiller, se sent visé. Son directeur, E. Özkök, écrit dans son éditorial du 9 novembre: " Que justifie la nomination au poste de ministre de l’Intérieur d’une politicienne irresponsable au point de faire pleuvoir des menaces de mort sur un patron de presse? Veut-on lui dire: " Tu as maintenant le pouvoir légal en mains; vas-y, met à exécution tes menaces " ? Voient-ils rouge à ce point? Leurs sentiments de vengeance se sont-ils déchaînés à ce point? Êtes-vous si emplis de colère et de rancune contre la presse? Pour avoir révélé l’affaire de la ferme de Kusadasi (de Mme. Çiller) ? Ou pour avoir évoqué l’affaire des fonds secrets? Ou bien pour avoir mis en lumière les scandales Iski, Ilksan, Civangate (Ndt. Il s’agit d’affaires de corruption dans lesquelles Mme. Çiller est impliquée). Ou alors pour avoir informé l’opinion publique des liaisons dangereuses révélées au grand jour par l’accident de Susurluk? Que se passe-t-il ? Où donc va la Turquie? Quelle inquiétude conduit-elle le pouvoir à nommer ministre de l’Intérieur une politicienne pitoyable et prête à tout au point de lire des déclarations écrites par Monsieur Ozer (Çiller) ? A l’évidence, c’est pour exécuter " des instructions rédigées ailleurs ".

A l’évidence derrière l’inquiétude du pouvoir il y a des objectifs noirs, même très noirs. Nous verrons ensemble ou bien seulement certains d’entre nous le verront (..). Notre sécurité est confiée à une personne qui a fait sa carrière sur des menaces de mort (..) La démission de Mehmet Agar ne règle aucun problème. Les deux principaux acteurs des rapports l’incriminant sont Çiller et son mari. Le Parlement doit absolument enquêter sur cette affaire. Cela revêt une importance vitale pour la pérennité de la République turque comme un État de droit et comme une démocratie. Cela concerne notre sécurité collective et notre destin commun (..) Le dossier de Susurluk ne se ferme pas, c’est maintenant que s’ouvre " le dossier des relations dangereuses ". Que Dieu nous protège tous".

En Turquie, l’imbrication de la mafia et de la classe politique, même si elle s’est beaucoup aggravée au cours des dernières années, n’est pas un phénomène nouveau. L’un des plus célèbres et médiatiques parrains de cette mafia, Inci Baba, se vantait à la télévision de son amitié avec le président Demirel, qu’il avait " protégé " et financièrement soutenu après le coup d’État militaire de 1980. Il a d’ailleurs accompagné le président turc dans plusieurs de ses voyages officiels à l’étranger, y compris à Washington. A sa mort, Demirel a songé un moment lui édifier un mausolée dans sa ville d’Urfa avant d’être persuadé par ses conseillers diplomatiques que cela risquait d’être exploité à l’étranger et nuire à la réputation du pays.

Cependant l’affaire de Susurluk sur l’interpénétration de la mafia et de l’État turc a ébanlé même les piliers de l’establishment médiatique turc, comme le très nationaliste et conformiste Oktay Eksi, président de l’Union des journalistes de Turquie, qui ne parviennent pas à dissimuler leur indignation face à cette dérive mafieuse avérée. Extraits de l’éditorial de M. Eksi publié dans le Hürriyet du 8 novembre: " Des meurtres se succèdent. D’abord on a assassiné le commandant à la retraite Cem Ersever qui, comme on le sait, avait rendu des services très utiles dans le Sud-Est (lire Kurdistan turc). Ce meurtre a été suivi de celui d’une femme qui avait une liaison avec lui et de l’un de ses amis qui connaissait bien sa vie. Les auteurs (de ces crimes) n’ont pas été trouvés. Ils n’ont peut-être d’ailleurs pas été recherchés. Puis les assassinats de Behcet Cantürk, Mahmut Sahin, Savas Buldan, Haci Karay, Mehmet Ayyildiz, Medet Serhat, Faik Candan, Yener Kaya, Nesim Malki, Veli Sözdinler, Tarik Ümit, Asker Simitko, Lazim Esmaeli, Mehmet Orhan et Omer Lutfi Topal (Ndt. Il s’agit pour l’essentiel d’hommes d’affaires et d’avocats kurdes se trouvant sur la liste rouge des personnes à éliminer à Istanbul et à Ankara établie par le gouvernement Çiller). Tous ces assassinats ont été organisés par des professionnels et leurs auteurs restent non identifiés. Plus encore: le gang des Soylemez, le gang de Kocaeli, le gang d’Ankara, le gang de Yuksekova, le gang de Van...Ou bien on n’arrive pas à trouver les auteurs ou on ne juge pas approprié d’arrêter ceux de ces auteurs identifiés. D’ailleurs ceux dont l’arrestation s’avère comme obligatoire disparaissent de la circulation. On apprend que les gardes du corps du vice-Premier ministre (Mme. Çiller) sont les plus proches amis d’un parrain du milieu (du monde souterrain de la mafia) personne n’y prête attention. Trois policiers arrêtés comme auteurs d’un meurtre sont tranquillement remis en liberté. Le directeur de la Sûreté de la plus grande ville de Turquie (Ndt. Istanbul) affirme qu’il a été muté par " la mafia des jeux " sans que personne ne considère une accusation aussi grave comme une dénonciation. C’est le vice-Premier ministre (Mme. Çiller) elle-même qui déclare que l’État est sinistré. Et le leader de l’opposition, en le corroborant et en annonçant- pour la centième fois sans en débattre publiquement- qu’il a " entre les mains des dossiers et des informations " croit accomplir son devoir.Un tel pays et un tel État ne peuvent exister. Si vous dites qu’ils le peuvent et pensez qu’on peut gouverner ce pays en l’état, sachez que vous ne faites que vos leurrer ".

Tandis que dans le même numéro de Hürriyet, son directeur établit le constat de " la désagrégation de l’académie de police de Çiller " dont les ténors devenus ministres, députés et chefs de bandes rivales de la mafia tirant à hue et à dia, Yalçin Dogan, rédacteur en chef de l’autre grand quotidien populaire Milliyet se penche, dans son éditorial du 8 novembre, sur les agissements du tristement célèbre " Bureau de la guerre spéciale " : " En 1974, alors qu’Ecevit était Premier ministre, le chef d’état-major des armées de l’époque, le général Semih Sancar demande de crédits sur " les fonds secrets pour un besoin urgent ". Lorsqu’Ecevit lui demande qui va utiliser ces fonds, le général répond: " le Bureau de la guerre spéciale ". Ecevit affirme que jusqu’à ce jour il n’avait même pas entendu parler du nom de Bureau et quand il demande qui finance ce Bureau on lui répond: " l’Amérique ". Et à la question où se trouve ce bureau qui n’existe sur aucun document officiel on lui répond " dans le même immeuble que la mission d’aide militaire américaine " (Cf. Ecevit, Karsi Anilar " Contre Mémoires ", pp. 36-37). En découvrant avec indignation dans le même véhicule un criminel présumé, un policier et un député, la Turquie trouve à nouveau à son agenda les relations " mafia-classe politique-police " et ce triangle est évoqué comme " un État dans l’État ".

Or ce qui correspond vraiment à ce concept est le Bureau de la guerre spéciale constaté il y a des années par Ecevit. Le Bureau de la guerre spéciale est une organisation qui " mène avec des méthodes de guérilla à l’intérieur et à l’extérieur du pays des opérations dont la conduite par les forces de sécurité de l’État présenteront des inconvénients ". Avec le temps ces affaires sont tombées dans le domaine public. Ceux qui y sont employés sont généralement des " individus qui en raison d’un crime commis sont pris au collet par l’État ". L’État leur confie du travail à la pièce. C’est à la suite de ce processus que l’État se retrouve avec les débris de la mafia. Ce processus fonctionne d’une manière accélérée et multiforme. C’est ainsi qu’on en arrive au triangle " mafia-police-classe politique ". Mais ces affaires ne sont jamais débattues au conseil des ministres! Jamais débattus au Conseil de Sécurité nationale! Parfois, les Premiers ministres eux-mêmes ne sont pas au courant. Mais en tête de ceux qui sont au fait de ces affaires se trouve incontestablement Mehmet Agar. Agar en sait beaucoup au sujet de nombre de personnes considérées comme " défenseur de l’État ", ses arrières sont fort solides. Dans ses relations officielles il a d’abord la confiance de l’armée, de la gendarmerie et de la police".

LE 20ÈME SÉMINAIRE LINGUISTIQUE KURDE

Depuis sa création en 1983 l’Institut kurde attache une importance particulière aux travaux sur la langue kurde. Ces activités ont assez rapidement pris le rythme régulier de la tenue de deux séminaires linguistiques par an. Chaque séminaire dure une semaine pendant laquelle une vingtaine de linguistes, écrivains et journalistes kurdes venus de plusieurs pays d’Europe travaillent sur les divers problèmes de terminologies et de grammaire kurdes. Les résultats de chaque séminaire sont publiés dans un magazine illustré, Kurmancî, édité par l’Institut kurde pour le public kurdophone et les kurdologues. La vingtième de ces réunions s’est tenue du 13 au 19 octobre dans la petite île de Biskops Arnö, en Suède. Pour fêter l’événement, la Fédération des associations kurdes de Suède a organisé une soirée afin de permettre à ses membres de rencontrer les participants du séminaire. Ceux-ci, constatant que plusieurs numéros du magazine Kurmancî sont épuisés et qu’il y a une réelle demande en ce sens, ont décidé la publication des 20 premiers numéros en un volume complété d’un index en kurde, en anglais, en français et en turc. Il a également été décidé une réédition de la Carte du Kurdistan, élaborée lors des séminaires de Barcelone avec le soutien de la Généralité de Catalogne, qui est également épuisée. Cette carte portant les noms en kurde des lieux géographiques, villes montagnes et fleuves, a eu un vif succès et donné lieu à des éditions pirates. En 1991, année de l’exode kurde en Irak, plusieurs chaînes de télévision l’ont largement utilisée et pour cette raison le journal japonais Asahi l’a qualifiée de " carte de l’année ". Une carte qui reste cependant interdite en Turquie et en Iran.

AINSI QUE...

L’ÉTAT D’URGENCE RECON-DUIT DANS LES PROVINCES KURDES


Sur " la recommandation du Conseil de sécurité nationale " le Parlement turc a, le 28 novembre, voté la prolongation de 4 mois de l’état d’urgence dans 9 provinces kurdes. En raison d’une décroissance "dans les incidents terroristes" au cours des derniers mois l’état d’urgence peut être levé dans la province de Mardin a affirmé le ministre turc de la défense, Turhan Tayan devant les députés turcs. " Notre objectif est de nous débarrasser du terrorisme et de lever alors l’état d’urgence dans l’ensemble de la région du Sud-Est " a-t-il ajouté. Les neuf provinces kurdes en question sont, depuis 1979, soumises d’abord à l’état de siège, puis depuis 1987 à l’état d’urgence qui sous une appellation différente confère à l’armée et à la police de très vastes pouvoirs discrétionnaires et suspend l’exercice de la plupart des libertés publiques.


LANCEMENT D’UNE CAMPA-GNE POUR LA PAIX


Un groupe d’intellectuels et de politiciens turcs et kurdes de diverses tendances a lancé, le 8 octobre, à Istanbul une campagne pour la paix dans les provinces kurdes de Turquie. Baptisée " Un million de signatures pour la paix ", elle vise à " réunir ceux qui sont contre la poursuite de la guerre, a déclaré le porte-parole de la campagne, l’avocat Esber Yagmurdereli, dans une conférence de presse à Istanbul. " Pour assurer nos libertés nous avons besoin de la démocratie, et pour obtenir la démocratie nous avons besoin de la paix ", a-t-il expliqué. Une fois atteint l’objectif d’un million de signatures, celles-ci seront présentées au Parlement turc. Parmi les premiers signataires figurent plusieurs intellectuels, artistes, écrivains et politiciens appartenant de tendances diverses. " Nous ne visons pas l’unanimité d’opinion " a déclaré l’avocat Yagmurdereli. " Il n’est pas question de trouver une raison comme pour vouloir la paix, ce qui est important c’est de rassembler les gens autour de la paix " a-t-il poursuivi. Le député d’Istanbul du Parti de Républicain du Peuple (CHP, social-démocrate), M. Ercan Karakas a déclaré que la Turquie ne pourrait résoudre aucune de ses questions économiques ou sociales sans établir la paix. " Le conflit consomme une bonne partie du budget ", a-t-il poursuivi.

LA GUERRE ENTRAVE L’INS-TRUCTION DES ENFANTS KURDES


Plus de 2000 écoles ont dû fermer leurs portes aux écoliers kurdes en raison de la guerre et de l’insécurité régnante cette année dans le Sud-Est kurde de la Turquie, selon le quotidien Turkish Daily News du 21 novembre. Pris entre deux feux, celui des forces de sécurité et celui du PKK, les instituteurs sont peu disposés, surtout ceux originaires de l’Ouest turc, à venir travailler dans les régions kurdes. 25% du corps enseignant existant semblent peu enthousiastes à prolonger leurs contrats malgré le fait que leurs salaires sont deux fois supérieurs à ceux touchés par leurs collègues dans l’Ouest du pays. D’autres encore ont quitté la fonction publique pour se trouver un travail dans le privé dans des zones non affectées par la guerre.

Par ailleurs, 1500 postes supplémentaires doivent être créés dans les régions kurdes pour parvenir aux besoins éducationnels de la région. Mais même sur ce dossier, domaine qui normalement relève par excellence du ministère de l’Éducation, ce sont les forces de sécurité qui suggèrent " leurs " solutions. Ainsi, elles proposent que les écoliers kurdes soient regroupés dans les grandes villes, mieux contrôlables que les villages, dans des pensionnats où ils seront soumis à un intense lavage de cerveaux nationaliste comme les foyers de Janissaires de l’époque ottomane.


AVERTISSEMENT À LA TUR-QUIE DE M. LUPRECHT, SECRÉ-TAIRE GÉNÉRAL-ADJOINT DU CONSEIL DE L’EUROPE


Alors que les dirigeants turcs réagissent vivement aux condamnations répétées de la Turquie par la Cour européenne des droits de l’homme, le ministre turc des Affaires étrangères qualifie de " politique " les arrêts de cette Cour tandis que son collègue de la Justice exprime publiquement qu’il " ne fait pas confiance aux décisions de la Cour européenne ", l’éventualité de la non reconnaissance par l’État turc de cette juridiction est de plus en plus évoquée. Dans une interview accordée au quotidien turc Milliyet du 26 octobre, M. Peter Luprecht, secrétaire général-adjoint du Conseil de l’Europe, dont la Cour est l’un des organes, avertit Ankara: " Au plan juridique, comme tout État la Turquie a le droit de ne pas reconnaître la compétence de la Cour et de la Commission européennes des droits de l’homme. Cependant si elle se retire des mécanismes des droits de l’homme elle sera obligée de quitter également le Conseil de l’Europe. Et cela aura pour conséquence la rupture de la Turquie d’avec l’Europe. Il me paraît exclu qu’aucun gouvernement turc responsable recoure à une telle voie ".



La Turquie cherche-elle son avenir du côté de l’Iran, de l’Irak et de la Libye ? s’interroge M. Luprecht qui prend la défense des juges européens qui ont récemment condamné Ankara pour la destruction de villages kurdes : " Les juges qui statuent sur ces affaires sont indépendants, ils ne font pas de politique, ils appliquent le Droit. La Cour ne vise pas à nuire à la Turquie, à la punir, à la faire souffrir. Elle cherche à aider la Turquie à atteindre les normes européennes ". Rappelant que la Turquie est de plus en plus souvent condamnée pour ses violations de la Convention européenne des droits de l’homme, le secrétaire général-adjoint du Conseil de l’Europe incite la Turquie à réformer rapidement ses lois: " Un État qui est sur le même sujet, par exemple à propos de la torture et de la garde-à-vue prolongée, plusieurs fois condamnée ne saurait se contenter de payer des dédommagements et de poursuivre les mêmes violations. Après un certain temps, la Cour va demander non pas des indemnités mais des amendements concrets des lois ".

Toujours à Strasbourg, estimant que son pays n’est plus défendable, l’avocat de la Turquie, Bakir Caglar, a démissionné de son poste à la Commission européenne des droits de l’homme. B. Caglar, qui était professeur de droit constitutionnel en Turquie, a servi pendant quatre ans comme avocat de son pays à cet organe du Conseil de l’Europe. Confirmant la déclaration récente du Président du Conseil de l’Europe que " la Turquie est actuellement une bonne cliente de la Commission et de la Cour européennes des droits de l’Europe ", B. Caglar a déclaré: " Je pense que défendre la Turquie est impossible dans ces conditions, c’est pourquoi j’ai démissionné ". Il a, par ailleurs, affirmé que la Commission européenne des droits de l’homme examine à l’heure actuelle 112 cas, dont 61 concernent la guerre du Kurdistan, déposés contre la Turquie pour violation des droits de l’homme et destruction de villages.

LE COMITÉ POUR LA PROTEC-TION DES JOURNALISTES DÉCERNE SON PRIX CETTE ANNÉE À UN JOURNALISTE KURDE EN PRISON


Le journaliste Ocak Isik Yurtcu, ancien rédacteur en chef du quotidien pro-kurde aujourd’hui interdit Özgur Gündem, a été désigné pour recevoir le prestigieux prix du " journalisme courageux " par le Comité pour la protection des journalistes, basé à New York. M.Yurtcu sert actuellement une peine 15 ans dans la prison de Sakarya à la suite des articles couvrant la guerre du Kurdistan.

La cérémonie des remises des Prix a eu lieu le 26 novembre à l’Hôtel Waldrof Astoria de New York, en présence d’environ 900 invités de marque et des célébrités du monde des médias dont les présentateurs-vedette Peter Jenning, Dan Rother et Tom Brokaw. Outre le journaliste kurde Isik, les journalistes indien Y. Jameel, mexicain J. J. Blancornelas et palestinien D. Kuttab ont été distingués par le jury présidé par Mme. Kati Morton, qui a notamment déclaré: " Nous espérons que ces prix décernés aux États-Unis à nos collègues enverra un signal à ceux qui partout dans le monde sont opposés à la presse ". En absence de Yurtçu, Terry Anderson, journaliste d’Associated Press, qui a été détenu pendant 7 ans comme otage par le Hezbollah libanais, a présenté le lauréat en ces mots: " Nul dans le monde n’a été condamné à des peines aussi lourdes pour les écrits des autres. Depuis 3 ans, la Turquie a emprisonné plus de journalistes que tout autre pays du monde ". Puis T. Anderson a lu le message envoyé par Yurtçu de sa prison de Sakarya.


ATTENTAT-SUCIDES À ADANA ET SIVAS: 10 MORTS DONT 6 POLICIERS


En une semaine deux attentat-sucides à la bombe ont été commis en Turquie. Le premier, commis le 25 octobre, par une jeune fille kurde, Leyla Kaplan, au siège de la direction de la force de police rapide d’Adana. Portant sur elle une charge explosive de 3 kg de TNT, elle est entrée dans la cour de l’immeuble policier sous prétexte de chercher quelqu’un. Puis elle s’est précipitée vers un attroupement de policiers en faisant exploser sa bombe. Bilan: 5 morts, dont 3 policiers et 15 blessés. La jeune fille, originaire de la petite ville kurde de Kiziltepe, avait comme de centaines de milliers d’autres Kurdes émigré avec sa famille vers la grande métropole méditerranéenne d’Adana. Par ailleurs, un deuxième attentat-sucide a été commis dans la ville kurde de Sivas , le mardi 29 octobre, lors d’une parade militaire célébrant la fête nationale turque. Une jeune fille portant une charge explosive sur elle, a été interpellée par la police, elle a alors mis à feu sa bombe tuant 3 policiers et blessant 9 autres. Le PKK a revendiqué les deux attentats et qualifié leurs auteurs de " héroïnes " comme il l’avait fait de l’auteur d’un autre attentat-sucide commis par une jeune femme à Tunceli en juin dernier.

Par ailleurs, un groupe de maquisards du PKK a attaqué, le mardi 29 octobre, jour de fête de la République turque, une patrouille de l’armée, dans la province de Diyarbakir, tuant 14 soldats.

L’organisation américaine Human Rights Watch a condamné, le jeudi 21 novembre, les attentats-sucides perpétrés ces derniers mois contre des cibles turques, par les guérilleros du PKK, toutes femmes, en déclarant: " S’en prendre aux civils et aux non-combattants, dans les attaques contre des cibles ennemies, constitue une sérieuse violation du Droit coutumier de la guerre. Les interdictions concernant ce genre d’attaques proviennent du fait que s’en prendre aux non-combattants et aux civils met sérieusement en danger la protection qui devrait être apportée à ces groupes en vertu du Droit international humanitaire ". Par ailleurs, l’organisation humanitaire américaine exprime son inquiétude à la suite des déclarations du leader du PKK, A. Öcalan, à la Télévision kurde Med TV qui a affirme: " Ces femmes (les guérilleros des attentats-suicide) nous ont laissé un testament dans leurs lettres. Je pense à cela intensément. Tout ce qui est nécessaire sera fait...Ces femmes étaient de simples combattantes du PKK. Elles ont démontré que si vous êtes déterminées sur quelque chose vous pouvez le faire ". HRW espère que cette déclaration ne se traduira pas par des actes de cette nature et appelle le leader du PKK, qui avait annoncé en décembre 1994 que son organisation se soumettrait aux conventions de Genève, à renoncer à des tactiques comme les attentats-suicides.

UN NOUVEAU REBONDISSE-MENT DANS L’AFFAIRE DES " MEURTRES MYSTÉRIEUX " À HAKKARI


Les conclusions d’une mission d’enquête conduite par trois parlementaires du Parti Républicain du Peuple (CHP) dans la région de Hakkari au moins de mars dernier connaissent un nouveau rebondissement. Le rapport qui avait été communiqué il y a six mois au Président de la République, au Premier ministre, et aux ministères chargés de sécurité (Intérieur et Défense) n’a pas connu de suite et a été classé. Devant la multiplication de " meurtres mystérieux ", les députés du CHP ont cru nécessaire de rouvrir ce dossier. Le rapport mettait, en son temps, expressément en cause le chef de la gendarmerie locale, le major Emin Yurdakul. De nouveaux éléments d’enquête font croire qu’une bande dirigée par un repenti du PKK dont le nom serait Kahraman Bilgiç, alias Havargot, serait derrière ces " meurtres mystérieux ". Celui-ci disposerait d’un salaire et d’une carte d’officier que la gendarmerie locale a mis à sa disposition, lui permettant d’opérer et de " nettoyer " tous les " suspects ", d’extorquer des fonds, en toute impunité. Les députés dans une déclaration rapportée par le journal Milliyet du 1er octobre, disent notamment: " Il y a un grand cas d’irresponsabilité dans l’affaire de Yüksekova (localité dépendante de Hakkari). Si la lumière avait été faite sur cet incident, nous aurions fait le nécessaire pour punir ceux qui ont négligé leurs responsablités " et que " si le rapport avait été pris au sérieux par les autorités, nombre d’assassinats auraient pu être évités. Mais toute la vérité est évidente à l’heure actuelle ". Ils se préparent par ailleurs à porter plainte contre ceux qui ont dissimulé leur rapport et n’ont pas fait leur travail "y compris le ministre de l’Intérieur de l’époque". Le rapport avait à l’époque mis en colère l’état-major des armées qui dénonçait les députés " pour avoir utilisé un certain nombre d’expressions injurieuses à l’égard du procureur de la République d’Ankara ". Par ailleurs, un officier, Hüseyin Ögüz, qui avait donné certaines informations aux membres de la délégation a été dégradé et expulsé de l’armée.


DÉBAT SUR " LA MORT SUS-PECTE " DU PRÉSIDENT ÖZAL


Plus de 3 ans après sa disparition, l’ancien président Özal continue de hanter les esprits. Les circonstances de sa mort et de l’élimination, les uns après les autres, des colombes civiles et militaires qui l’entouraient alimentent régulièrement le débat. Cette fois-ci, c’est une bande vidéo d’une rencontre entre le chef du PKK, A. Occalan, et le leader kurde irakien Jalal Talabani qui a relancé le débat. Dans sa fuite précipitée du 31 août, Talabani a laissé dans sa résidence d’Erbil ses archives et documents aux mains du PDK. Le journaliste G. Civaoglu, célèbre et influent en Turquie, est entré en possession d’une copie de cette vidéo et en publie de larges extraits dans le Milliyet du 1er novembre. On y prend connaissance de la thèse connue de ces deux chefs kurdes, que la mort du président Özal, le 17 avril 1993, en pleine période de cessez-le-feu et à la veille de l’annonce prévue de son plan d’un règlement politique du problème kurde n’est pas naturelle. Deux jours avant cette disparition, au cours d’un dîner à Tachkent, en présence de Hikmet Çetin, ministre des Affaires étrangères, et de plusieurs députés et journalistes, il avait déclaré que " deux problèmes barrent la route de l’ouverture de la Turquie vers l’Occident: Chypre et la question kurde. Je suis décidé à les régler quels qu’en soient les risques ".

Il aurait alors évoqué une esquisse de solution, comprenant notamment une série de mesures économiques, une télévision et des écoles en kurde, une amnistie graduelle " pour faire descendre les jeunes des montagnes ". " J’en ai parlé aux militaires et en ai convaincu beaucoup. Il reste le général Gures; je vais lui en reparler " aurait-il ajouté avant d’évoquer la possibilité d’introduire ces réformes par des décrets ayant force de loi en cas de difficultés au Parlement. Dans le Milliyet du 2 novembre, les témoins de ce dîner, y compris H. Çetin, confirment pour l’essentiel la teneur des propos d’Özal. Le journaliste Cengiz Çandar, très proche du président disparu, et qui a servi d’intermédiaire dans certains contacts de celui-ci avec les dirigeants kurdes, affirme de son côté que tout au long du voyage de retour, Özal a discuté avec lui de ses idées pour le règlement du problème kurde.

La suite de l’histoire est connue. Le 17 avril le président Özal a eu une crise cardiaque. Alors qu’il avait déjà subi plusieurs opérations lourdes nécessitant un suivi, il n’y a aucun médecin au palais présidentiel ni même d’ambulance. Selon la version officielle, à 10h52 la présidence appelle l’hôpital universitaire de Hacetepe et à 11h 15 Özal est admis au service des urgences de cet hôpital. De là, on ne sait pour quelle raison, il est transporté à l’hôpital militaire de Gulhane où il est décédé à 14h 30.

Son fils, à plusieurs reprises, a déclaré que son père était " un martyr sacrifié au nom de l’unité de la nation ". Son frère Yusuf, député, a affirmé que le président se disait " menacé ", que " les circonstances de sa mort soudaine doivent absolument être élucidées pour établir si elle était naturelle ou non ". Plusieurs commentateurs parlent d’un possible empoisonnement au cyanure; mais le directeur de l’hôpital militaire où il est décédé, le général Omer Sarlak, affirme que " son visage et son corps ne portaient pas les signes d’un empoisonnement ". Quelques jours après la mort d’Özal, le général Esref Bitlis, commandant suprême de la gendarmerie et un partisan connu d’un règlement politique de la question kurde, disparaissait à son tour dans un mystérieux accident d’avion militaire à Ankara. L’enquête de la firme américaine ayant construit l’avion établissait qu’il n’y a avait pas eu de panne technique mais une explosion. Sabotage ou accident? La version officielle d’un accident dû au givrage du moteur, annoncée à peine 3 h après le drame, n’a pas convaincu grand monde et l’armée n’a autorisé aucune enquête indépendante sur cette affaire. Le chef des faucons, le général Gures, a assumé l’essentiel du pouvoir en prenant soin de mettre dans la vitrine de son règime la médiatique Mme. Çiller, comme Premier ministre.

Ces deux disparitions suivies d’une série d’autres morts de colombes conduisent à nouveau les commentateurs à s’interroger: comment se fait-il que dans ce pays même un président de la République et un commandant de la gendarmerie puissent se sentir menacés pour exprimer leurs idées sur un problème fondamental du pays ? De qui ont-ils donc eu peur et qui contrôle notre drôle d’État? Questions lancinantes que les Turcs auront encore à se poser pendant longtemps.