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avec revues de presse

Bulletin N° 141 | Décembre 1996

 

 

SELON UNE MISSION PARLEMENTAIRE DIX DÉTENUS DE LA PRISON DE DIYARBAKIR ONT BIEN ÉTÉ TUÉS PAR DES GARDIENS ET DES SOLDATS

UNE mission d’enquête parlementaire composée de députés Demir Berberoglu (DYP), Sabri Okçu (RP), Hakan Tartan (DSP) et Sabri Ergül (CHP), au terme de deux mois d’investigations, a présenté à la Commission des droits de l’homme du Parlement son rapport sur la mort de 10 détenus kurdes le 24 septembre dernier à la prison de Diyarbakir. Après avoir longuement débattu des conclusions de ce rapport, la Commission a, le 3 décembre, décidé à l’unanimité de le rendre public. Ce rapport est accablant pour les autorités pénitentiaires car il affirme clairement que "ces détenus ont été battus à mort pendant la mutinerie" et même, pour 8 entre eux, "pendant leur transport à l’hôpital". Selon les rapports d’autopsie révélés par la mission d’enquête, l’un des détenus, Mehmet Aslan, est mort sur place d’un traumatisme crânien le 24 septembre, 8 autres le lendemain à l’hôpital, également de traumatisme crânien, et le dixième, Kadri Gümüs, deux jours après, lors de son transport à l’hôpital d’Antep situé à environ 350 km de Diyarbakir. La mission parlementaire demande au parquet de Diyarbakir d’engager des poursuites judiciaires contre 30 soldats et 38 matons et policiers impliqués dans cette tuerie. Selon les députés, ces 68 personnels de sécurité devraient être poursuivis pour "coups et blessures ayant entraîné la mort", crime puni de peines allant jusqu’à 12 ans de prison selon le Code pénal turc. "Même pendant une mutinerie ceux qui sont au service de l’État n’ont pas le droit d’agir par vengeance" a déclaré, Sabri Ergül, député CHP, membre de la mission d’enquête. Son collègue Sevki Yilmaz, du parti islamiste, a, de son côté, estimé que "les employés de l’État ne peuvent pas assumer le rôle des procureur, juge et justicier" et tuer des détenus suspectés d’appartenance au PKK.

Ce rapport d’une extrême gravité a eu un certain retentissement dans les média. Mais le Parquet de Diyarbakir n’a encore ouvert aucune information contre les soldats et policiers incriminés. D’ailleurs selon la loi turque sur le jugement des fonctionnaires (Memurin Muhakemat Kanunu) aucune poursuite ne peut être engagée contre des fonctionnaires de l’État sans l’autorisation du préfet du lieu où des crimes ont été commis. Dans plusieurs affaires où des fonctionnaires ont été impliqués dans des meurtres d’opposants les préfets ont refusé au Parquet l’autorisation d’engager des poursuites. Les cas les plus connus sont l’assassinat sous la torture, à Bitlis, du journaliste Seyfettin Tepe et le meurtre en pleine rue, à Istanbul, par des policiers du vendeur de journaux Irfan Dagdas. Les préfets de ces deux villes ont pris des décisions de "refus de poursuites" (men’i muhakeme) et ces deux crimes sont restés impunis.

Dans son éditorial du 3 décembre intitulé "Où est l’État ?" le journaliste libéral Hasan Cemal écrit dans le quotidien Sabah: l’information a fait la manchette du Milliyet du samedi (30 novembre) sous le titre "barbarie de la torture !" Un sous-titre en caractères frappants précisait: "Des rapports d’autopsie établissent que des détenus tués lors des affrontements survenus à la prison de Diyarbakir sont morts à la suite de la torture". Le récit se poursuit ainsi: "Les investigations de la mission d’enquête de la Commission des droits l’homme du Parlement dépêchée dans la région révèlent une vérité tenue secrète. Des rapports d’autopsie communiqués à la Commission établissent que la mort des 10 détenus est due aux lésions cérébrales causées par la torture. Les rapports qui ont éclairé les travaux de la Commission indiquent que les détenus ont été battus même lors de leur transport à l’hôpital". Cette information terrible sur la torture est parue samedi. Depuis, il s’est passé 3 jours. Aucune réaction en Turquie! N’est-ce pas une situation terrible ? Je regarde le Premier ministre Erbakan qui déclare à la télévision: "La punition d’une femme médecin pour port de foulard à l’Université d’Istanbul est une torture inhumaine" Soit. Mais que dites-vous de la mort sous la torture (de 10 détenus), Maître? Dans un pays normal une telle information aurait provoqué un tollé général. Mais en Turquie, hélas, pas la moindre réaction! Mais où est donc passé l’État? Regardez aussi le scandale Goktepe ! Rappelez-vous ce jeune collègue, Metin Göktepe, battu à mort lors de sa garde à vue. Il y a 48 policiers prévenus dans ce procès. 11 policiers sont tenus pour responsables de la mort de Goktepe. Le procès a d’abord commencé à Istanbul. Puis, sous prétexte de sécurité, il a été transféré à Aydin. Les avocats des policiers prévenus ont invoqué le même prétexte de sécurité et obtenu le transfert à Afyon. Le procès devait commencer enfin dans cette ville la semaine dernière mais affirmant ne pas avoir reçu le dossier, la Cour l’a reporté. Il s’est passé 11 mois. Les 11 policiers impliqués dans ce meurtre n’ont toujours pas comparu devant une Cour. Où est donc la Justice? Où est l’État?"

Par ailleurs, le 6 décembre à Genève, le Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (H.C.R.) a confirmé que " 28 Kurdes irakiens ont été tués à la frontière entre l’Iran et la Turquie dans la nuit du 14 au 15 octobre par un groupe paramilitaire turc " (voir notre Bulletin N° 139-140). " Selon les témoignages des deux survivants, les victimes ont été tuées alors que 30 Kurdes irakiens s’apprêtaient à traverser par groupes de dix la frontière iranienne avec la Turquie " a indiqué le porte-parole du H.C.R.. " Il n’est pas clairement établi de quel côté de la frontière a été commise le massacre" a ajouté Mme. Christiane Berthiume qui a précisé que le H.C.R. avait demandé des explications au gouvernement d’Ankara.

Selon le H.C.R., 75.000 Kurdes irakiens s’étaient réfugiés en septembre en Iran à la suite des affrontements entre les factions kurdes dans la région de Souleimanieh et d’Erbil. " Depuis, l’Iran a contraint plus de 50.000 réfugiés à rentrer les menaçant notamment de les priver de nourriture " indique le porte-parole de cette organisation internationale.

LA FRANCE SE RETIRE DE L’OPÉRATION PROVIDE COMFORT

L’opération Provide Comfort instituée en juin 1991 pour venir en aide à la population kurde irakienne se transformera à partir du 1er janvier en une mission de patrouille de l’espace aérien du nord de l’Irak, menée conjointement par les États-Unis, la Grande Bretagne et la Turquie. La France a décidé, le 27 décembre, de ne pas participer à cette mission. Officiellement " parce que le volet humanitaire ne figure pas dans ce nouveau dispositif". Paris va donc retirer la demi-douzaine d’avions basés à Incirlik, en Turquie, qui depuis 5,5 ans participaient à une force alliée d’une cinquantaine d’appareils. Elle continuera cependant à participer à l’autre force d’exclusion aérienne au sud de l’Irak, baptisée Southern Watch qui ne comprend pas non plus de " volet humanitaire " mais qui a l’avantage de protéger le Koweït et l’Arabie Saoudites, riches pays pétroliers, contre les incursions éventuelles de Saddam Hussein.

Les États-Unis ont exprimé leur " déception " face à cette décision française qui a été saluée chaleureusement par l’Irak. Paris déploie depuis deux ans des efforts constants pour normaliser ses relations avec Bagdad à la fois pour recouvrer ses créances et pour prendre pied sur l’important marché de reconstruction irakienne.

Les affrontements entre les factions kurdes rivales ont eu, entre autres conséquences désastreuses, celle de démobiliser le camp hostile à la normalisation avec la dictature irakienne. L’opinion publique est progressivement préparée à cette normalisation par une série de reportages télévisés sur les souffrances de la population civile irakienne où l’on oublie généralement d’indiquer que les souffrances sont dues au refus opposé pendant des années par le régime irakien à l’acceptation de la résolution 986 de l’ONU autorisant les ventes de pétrole irakien pour acheter des produits alimentaires et des médicaments. De dictateur sanguinaire prenant sa population en otage Saddam Hussein devient ainsi dans certains média une victime de la politique américaine. Son émissaire, Tareq Aziz, est reçu avec égards par la France.

Dans ce climat presque retrouvé des " amitiés franco-irakiennes " les affaires reprennent peu à peu. Elf a signé en décembre un premier contrat d’achat de pétrole irakien d’une durée de trois mois. Une délégation d’une quarantaine d’entreprises françaises se rendra en janvier à Bagdad.

Cependant les règlements de comptes commencent à affecter l’entourage proche de Saddam Hussein. Après avoir perdu ses deux gendres, considérés comme des piliers de son pouvoir, voilà que son fils aîné Udaï, considéré comme son héritier, est grièvement blessé dans un attentat perpétré le 12 décembre dans une rue de Bagdad. Très vraisemblablement paralysé, ce personnage tout puissant mais honni ouvre une brèche dans le dispositif politique du clan au pouvoir. Suspectés d’implication dans cet attentat ou simplement pour faire régner la terreur plusieurs dizaines d’officiers irakiens ont été passés par les armes, selon les sources de l’opposition irakienne.

Incertitudes à Bagdad. Précarité au Kurdistan irakien où en décembre aucun affrontement n’a été signalé. Cependant la trêve reste précaire et la population civile ne croit plus aux promesses de paix des chefs de parti. Ceux qui le peuvent quittent le pays. En décembre, environ 4500 Kurdes irakiens, considérés par les États-Unis comme " en danger " en raison de leur collaboration avec des organisations humanitaires américaines ou financés sur fonds américains, ont été acheminés vers Guam, île américaine du Pacifique. En septembre, les États-Unis avaient évacué 2100 Kurdes pour les mêmes motifs. En octobre, 730 membres, en majorité arabes, du Congrès national irakien, avaient eux aussi été évacués. Ces Kurdes qui parlaient anglais et avaient fait des études universitaires formaient l’élite intellectuelle et technique du Kurdistan irakien. Leur départ constitue un grave appauvrissement pour le pays.

IRAN: L’ASSASSINAT D’UN DIGNITAIRE RELIGIEUX KURDE PROVOQUE DES ÉMEUTES

L’assassinat, le 2 décembre, du mollah Mohammad Rabii, imam de la mosquée chaféite de Kermanshah, a suscité une vive émotion dans le Kurdistan iranien où ce dignitaire religieux kurde sunnite jouissait d’une grande estime. Les émeutes populaires ont éclaté le jour même à Kermanshah puis dans d’autres villes de cette province kurde, notamment à Javanroud et Ravansar. Des affrontements violents ont opposé des manifestants kurdes, accusant le régime chiite iranien de cet assassinat, et les forces de sécurité iraniennes, notamment le 4 décembre lors des obsèques du mollah Rabii. Des témoins cités par l’A.F.P. parlent de " plusieurs morts " dans les rangs des manifestants ainsi que chez les policiers dont l’un des officiers supérieurs, le colonel Akbar Najafi, a été tué au cours des affrontements. La police a procédé à un grand nombre d’arrestations tandis que la radio d’État lançait des appels au calme affirmant que le dignitaire religieux était mort d’une crise cardiaque et accusait le Parti démocratique du Kurdistan iranien (PDKI) d’avoir répandu " des rumeurs infondées pour inciter la population à l’agitation".

Les appels officiels à " déjouer les complots ennemis " n’ont eu guère d’impact sur une population kurde saturée de propagande et sachant à quoi s’en tenir avec le régime des ayatollahs qui, depuis la proclamation en août 1979 de " la guerre sainte " contre les Kurdes par l’imam Khomeiny lui-même, subit un état de guerre permanent. Ne se contentant pas de la répression à l’intérieur de l’Iran le régime iranien est allé jusqu’à faire assassiner en Europe plusieurs dirigeants kurdes dont deux secrétaires généraux du PDKI, Dr. A.R. Ghassemlou et Dr. Sadegh Charafkandi, tués respectivement en juillet 1989 à Vienne et en septembre 1992 à Berlin par des agents iraniens.

Cependant, les émeutes populaires de décembre au cœur même des grandes villes kurdes témoignent de l’exaspération de la population. La contestation s’étend désormais jusqu’au clergé chiite lui-même dont plusieurs membres importants ont été arrêtés au cours des derniers mois. Arrivé au pouvoir par l’adhésion d’une large majorité de la population iranienne le régime islamique iranien ne se maintient plus que par la peur et par la force brute.

LE CONSEIL DE SÉCURITÉ NATIONALE TURC CRAINT QU’EN 2025 LES KURDES NE DEVIENNENT MAJORITAIRES EN TURQUIE

Selon le rapport "confidentiel" du CSN intitulé "Problèmes et propositions de solution" préparé à l’intention du Comité intermini-stériel d’orientation qui s’est réuni le 18 décembre, "le taux de natalité et la croissance démographique est, dans cette région (kurde), élevée par rapport aux autres régions. En raison de cette croissance et de la vitalité du nationalisme kurde à l’intérieur et à l’extérieur du pays, le changement des équilibres démographiques pourrait constituer à long terme une menace. Des travaux de recherches indiquent qu’en 2010 la population kurde constituera 40% de la population totale du pays et qu’elle tend à dépasser le seuil critique des 50% en 2025. Avec un tel taux le nationalisme kurde surgira au premier plan et sa traduction dans le nombre de députés pourrait, à l’avenir, avoir des conséquences graves. Il est nécessaire de mener dans la région une campagne de planification démographique. Il faudrait adopter des mesures radicales consistant à accorder des primes aux familles ayant peu d’enfants et taxer les familles nombreuses".

Ce rapport divulgué par le Milliyet du 18 décembre constate que "les opérations de sécurité intérieure qui avaient au début été lancées sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur, sont aujourd’hui complètement confiées à l’armée; en conséquence bien que le ministère de l’Intérieur soit, en droit, compétent pour la lutte contre la terreur, en raison des réalités de notre pays la responsabilité de fait est totalement exercée par l’armée".

Le rapport critique également "les actes d’indiscipline, le laisser-aller vestimentaire et les exactions envers la population civile" des équipes spéciales (Özel Tim) de police et recommande leur rattachement à l’armée et leur restructuration. Il propose une coordination des multiples services de renseignements civils et militaires sous la houlette de l’armée. Il évoque aussi la nécessité d’amender le champ de l’immunité parlementaire car "la plupart des trafiquants d’armes sont liés à des députés et en échange d’intérêts variés ils bénéficient de leur immunité parlementaire". Enfin, le rapport du CSN demande que "l’ensemble des sommes consacrées par le budget national à la lutte contre la terreur soient mises à la disposition de l’état-major général de l’armée". En résumé, après avoir mis le ministère de l’Intérieur et le ministère de la défense hors course, l’armée "en raison des la réalités du pays", veut se rattacher ouvertement tous les services de renseignements et de police du pays et leur budget "au nom de l’efficacité de la lutte contre la terreur". A noter également que ce rapport classe l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne parmi "les pays qui soutiennent la terreur en Turquie" car "ils ne font pas une appréciation politique des événements de terreur et du peuple (kurde) de la région" et regardent avec compassion "la population pauvre et victime de cette région".

Ce rapport a suscité des réactions nombreuses au sein des organisations de la société civile. Au Parlement, seuls les députés kurdes du parti Refah ont osé s’en prendre publiquement au tout-puissant CSN, auteur de ce rapport. Pour le député de Bingöl, Husamettin Korkutata, s’exprimant au nom de ses collègues de la région et cité par le Milliyet du 21 décembre "ce rapport est le produit d’une approche raciste. Cela montre combien ils ont peur des Kurdes, c’est une honte pour l’État et pour la République. S’ils cherchent à planifier la croissance démographique du pays, ils doivent le faire pour l’ensemble du territoire de la République. La peur du peuple kurde conduit ces nationalistes à des pratiques racistes". De son côté, le député islamiste de Diyarbakir, Ömer Vehbi Hatipoglu, a invité le Premier ministre Erbakan à tenir pour "inexistant" ce rapport "raciste et inacceptable" du CSN.

LE PARLEMENT EUROPÉEN PRÉOCCUPÉ PAR LA DÉGRADATION DES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE

Dans une nouvelle résolution, adoptée le jeudi 12 décembre, le Parlement européen s’est prononcé sur l’expulsion d’un député danois (voire notre dernier bulletin) dans les termes suivants: "Le Parlement est choqué par l’emprisonnement, suivi d’une condamnation à une amende et de l’expulsion de Turquie de Soeren Soendergaard, qui s’était rendu dans ce pays en qualité de membre du Parlement danois pour assister au procès de Kemal Koç". Par ailleurs, à la suite de l’audition par plusieurs groupes du Parlement européen des rédacteurs en chef de principaux journaux turcs, les eurodéputés se sont déclaré "vivement préoccupés de la dégradation constante des droits de l’homme en Turquie et opposés aux tentatives d’Ankara de limiter la liberté de la presse". Tout en reconnaissant la gravité du projet de loi gouvernemental visant à museler la relative liberté de presse, Ilnur Çevik, directeur du journal turc en langue anglaise Turkish Daily News, dans son éditorial du 12 décembre, ironise sur " les démocrates de la 25ème heure " que sont les patrons des grands journaux turcs accourus à Strasbourg. Extraits: "...Il semble que ceux qui ont invité ces éditeurs (de journaux) ignoraient que ce sont bien ces derniers qui ont fait en sorte pour que la véritable répression de l’État, qui a endommagé notre image dans le monde, soit cachée. Ce sont eux qui ont applaudi Tansu Çiller, qui était Premier ministre à l’époque, dans sa démarche de jeter hors du Parlement les députés pro-kurdes du Parti de la Démocratie (DEP), qui ont fini par la suite en prison. Ce sont eux qui sont restés silencieux lorsque des villages ont été détruits (par l’armée) dans notre pays. Ce sont eux qui sont restés silencieux alors qu’on jetait en prison des dizaines d’écrivains pour avoir exprimé leurs points de vue. Ce sont eux dont les journaux recevaient des primes et des subventions et, de ce fait, servaient de couverture (à la répression de l’État). C’est seulement dans les dernières semaines que ces éditeurs se sont montré un peu responsables en permettant à leur journaux d’écrire sur la sale guerre en Turquie où les responsables de l’État sont accusés d’utiliser des gangs pour éliminer les sympathisants séparatistes kurdes .Peut-être les parlementaires européens auraient dû demander à ces éditeurs pourquoi ils ont permis à leurs journaux d’être instrumentalisés par l’État afin de dissimuler le chaos régnant au Sud-Est de la Turquie toutes ces années. Peut-être auraient-ils dû leur demander pourquoi ils ont permis à leurs journaux de violer les droits de l’individu aussi longtemps".

Même si en nationaliste turc militant, M. Çevik n’est pas non plus tout à fait exempt de participation à la campagne de désinformation et de bourrage de crâne pratiquée depuis des années par les média turcs, à la demande de l’armée, sur la situation au Kurdistan, ses remarques ont le mérite de rappeler l’étendue des dégâts provoqués par la guerre kurde dans de vastes secteurs de la société et au sein de l’appareil d’État turcs. La population découvre avec amertume qu’on ne cesse de lui mentir, que les prétendus "sauveurs de la nation" sont des affairistes sans scrupules liés à la mafia, impliqués dans de centaines d’assassinats d’opposants civils, que la justice ne poursuit que les malpensants tandis que des criminels et des trafiquants de drogue notoires, recherchés par Interpol, sont protégés par les plus hautes autorités publiques du pays.

En cette fin d’année 1996, les citoyens réalisent que leur État est gravement malade, gangrené et que le problème kurde est à l’origine de cette gangrène. Le directeur de Hürriyet, qui est pourtant un pilier de l’establishment nationaliste turc, lance dans le numéro du 13 décembre de son quotidien cet appel pathétique: "Il faut sauver la Turquie de la tyrannie des gangs secrets de l’État, des barons de la drogue et des fortunes acquises par des moyens noirs".

Par ailleurs, toujours à Strasbourg, la Turquie a été à nouveau condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Statuant sur la plainte d’un civil kurde, Zeki Aksoy, affirmant avoir été torturé pendant 14 jours durant sa garde à vue dans un poste de police de Kiziltepe, dans la province de Mardin, la juridiction européenne, après enquête approfondie, a, le 18 décembre, déclaré le gouvernement turc coupable de la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme interdisant la torture et les mauvais traitements. Aksoy avait été interpellé en 1992 par la police et placé en garde à vue pendant 14 jours. A la suite d’une série de tortures subies, notamment la pendaison par les bras, appelée "pendaison palestinienne", il avait perdu l’usage de ses mains et de ses bras. Le parquet de Mardin avait refusé d’enregistrer la plainte contre les policiers tortionnaires et ceux-ci l’avaient empêché de tout dépôt de plainte devant un autre tribunal turc. Citoyen décidé à se faire rendre justice, Aksoy, par l’intermédiaire de son avocat, s’était alors adressé à la Commission européenne des droits de l’homme. En 1994, il a reçu des menaces par téléphone de la part de la police qui lui demandait de retirer sa plainte à la Commission. Devant son refus, deux jours après avoir reçu ces menaces, il était assassiné par des "tueurs non identifiés" que la justice turque n’a d’ailleurs pas cherché à poursuivre. Son père a décidé de poursuivre son combat civique pour la vérité et la justice en se constituant, malgré les menaces, partie civile devant la Commission de Strasbourg. Rejetant les objections turques prétendant que les voies de recours interne n’avaient pas été épuisées dans cette affaire, la Commission avait déclaré la plainte des Aksoy recevable et l’avait transmise à la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci, à l’issue de son audience du 18 décembre, a reconnu la Turquie coupable et l’a condamnée à verser à la famille de la victime une indemnité de 4,28 milliards (environ 42 000 dollars). Le même jour dans une affaire séparée, statuant sur la plainte d’une citoyenne chypriote, Mme. Titina Louzidon, affirmant avoir été empêchée par les forces turques d’occupation de retourner dans sa maison de Girne, située en zone d’occupation turque, la Cour européenne a reconnu la Turquie coupable de violation de l’article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme qui stipule que "nul ne peut être privée de la jouissance de ses biens".

CAMPAGNE DES FEMMES POUR LA LIBÉRATION DE LA DÉPUTÉE KURDE LEYLA ZANA

UNE délégation de sept femmes, en majorité allemandes, a demandé lundi 9 décembre à Ankara la libération de Mme. Zana et a appelé les pays européens à "arrêter leur soutien économique et politique" au gouvernement d’Ankara. L’initiatrice de cette campagne, Florence Hervé, journaliste et universitaire, a déclaré dans une conférence de presse, que les femmes signataires de son appel étaient "prêtes à passer chacune une journée en prison à Ankara pour écourter le temps de prison que Leyla Zana doit encore purger, 4745 jours, soit 13 ans". Mme. Hervé a présenté une pétition de plus de 2000 signatures, dont celle de Mme. Mitterrand, de personnalités soutenant leur campagne dans 11 pays européens, aux États-Unis et au Canada. Dans le cadre de cette mission à Ankara, la délégation souhaitait rencontrer Mme. Zana dans sa prison ainsi que le président du Parlement turc pour lui remettre la pétition. Mais les autorités turques ont interdit à la délégation l’accès de la prison. Les femmes solidaires de Leyla Zana ont manifesté devant la prison, puis donné une conférence de presse au siège de l’Association turque des droits de l’homme. Après avoir protesté contre le refus des autorités turques de les recevoir et de les laisser rendre visite à Leyla Zana, Mme. Hervé a notamment déclaré: "Leyla Zana est un symbole. Le symbole de la lutte du peuple kurde pour la paix, pour la démocratie et pour le respect des droits de l’homme. En ce jour marquant le deuxième anniversaire de sa condamnation nous demandons sa libération et celle de ses collègues détenus".

Toujours à Ankara, le 2 décembre, la Cour de Sûreté d’État a lancé une information judiciaire contre 4 anciens députés kurdes du Parti de la Démocratie (DEP, interdit depuis 1994): Mehmet Emin Sever, Mahmut Uyanik, Muzaffer Demir et Abdülkerim Zilan. Les chefs d’accusation retenus par les juges turcs sont: "propagande séparatiste" (il s’agit de l’appel lancé par les députés kurdes du DEP à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) afin d’envoyer un comité d’observation permanent dans le Sud-Est kurde de la Turquie); "grève de la faim" observée par les députés lors de l’opération de grande envergure lancée par les forces de sécurité turques dans le Sud-Est de la Turquie ainsi qu’au Kurdistan d’Irak en 1992 ou encore une conférence de presse lors de laquelle les députés kurdes avaient mentionné l’existence du peuple kurde en Turquie. Les peines encourues par les ex-députés kurdes vont de 4,5 à 7,5 ans de prison. Alors que la justice turque poursuit de ses foudres ces 4 ex-députés kurdes "coupa-bles de délit d’opinion", un autre député kurde, Sedat Bucak, chef d’une armée privée de 10.000 miliciens, et impliqué dans nombre de crimes et meurtres, coule de jours tranquilles à Ankara. Son mentor, Mme. Çiller, le qualifie de "héros national" pour "services rendus à l’État".

LE COMITÉ EUROPÉEN CONTRE LA TORTURE DÉNONCE LA TURQUIE

IL est extrêmement rare que le Comité européen contre la Torture (CPT) sorte de sa réserve et dénonce publiquement un pays. Cet organe du Conseil de l’Europe, basé à Strasbourg, a dénoncé, dans un communiqué rendu public le vendredi 6 décembre, la pratique "fréquente" et "inacceptable" de la torture en Turquie, appliquée tant à des détenus politiques qu’à des suspects de droit commun. De retour d’une mission d’enquête à Adana, Bursa et Istanbul et après avoir visité des centres de police dans ces villes et rencontré d’anciens prisonniers, le Comité a dénoncé la police turque dans les termes suivants: "Un nombre considérable de personnes examinées par les trois médecins légistes (du CPT) présentaient des lésions ou d’autres signes médicaux prouvant qu’elles avaient reçu des coups sur la plante des pieds, la paume des mains ou qu’elles avaient été longuement suspendues par les bras". Deux des personnes examinées ont perdu l’usage des deux bras, des séquelles qui pourraient se révéler "irréversibles" selon le CPT. Le Comité a, par ailleurs, trouvé dans les locaux de la police d’Istanbul du matériel de torture servant notamment à des électrochocs et à la suspension au plafond par les bras. Selon le Comité, le gouvernement turc était au courant de l’existence de ces matériels mais ne s’est jamais montré "apte à reconnaître la gravité de la situation". "Il appartient à l’État de se faire respecter" a encore ajouté le Comité et "en aucune circonstance la lutte contre la violence de la guérilla ne justifie la torture ou d’autres mauvais traitements". Il y a quatre ans le Comité avait déjà publié un communiqué dans le même sens. Il avait demandé, en vain, au gouvernement turc de "remédier à la situation" en réduisant notamment la durée de la garde-à-vue pour les "les suspects de terrorisme". Ceux-ci peuvent être maintenus au secret jusqu’à 15 jours, et même 30 jours dans les régions kurdes soumises à l’état d’urgence. C’est pendant la garde à vue que les "suspects" sont systématiquement torturés. Le Comité, composé d’experts indépendants (juristes, médecins...), effectue des visites-surprises dans les endroits où des personnes sont détenues par la force publique en Europe, et n’adopte la procédure de la "déclaration publique" que si l’État concerné refuse de coopérer ou d’apporter les améliorations préconisées.

ANKARA : UN ANCIEN PREMIER MINISTRE TÉMOIGNE DE LA DÉRIVE MAFIEUSE DE L’ÉTAT

L’ancien Premier ministre conservateur turc se fait depuis quelques semaines le principal accusateur de la dérive mafieuse de l’État turc. Déposant successivement devant la Cour de Sûreté de l’État d’Istanbul et devant la Commission d’enquête du Parlement, il décrit, souvent avec force détails et cassettes de témoins à l’appui, les agissements de divers groupes opérant depuis des années sous la protection d’une partie de l’appareil de l’État. Devant le Parlement, il affirme que pendant son court mandat de Premier ministre, au printemps 1996, il a voulu tirer au clair les affaires des meurtres mystérieux et d’autres crimes perpétrés par des organes de l’État: "J’ai fait ce que j’ai pu. Je me suis battu pendant un mois pour nommer mon candidat à la Direction générale de la Sûreté; je n’y suis pas parvenu (..) M. Erbakan a encore moins de pouvoir que moi; il n’a pu procéder à aucune nomination au ministère de l’Intérieur (..) Finalement j’ai pu nommer une personne de confiance à la direction de Sûreté d’Istanbul, Mme. Çiller a imposé son candidat à la Direction générale de la Sûreté. Certaines autres nominations dans la police ont été faites sous l’influence de la mafia (..) Mme. Çiller a créé une unité spéciale au sein des services de renseignements (MIT), chargée en principe de contre-terreur qui se livre en fait à l’espionnage de ses adversaires. Il y a quelques jours, j’ai eu une conversation privée au téléphone avec un ami procureur ; le lendemain le MIT a communiqué à Çiller son compte-rendu (..) Mme. Çiller a constitué tout un réseau à son service. L’un des membres de ce réseau, le député Bucak dispose en plein Ankara, dans son logement de fonction et dans son bureau de plus de 100 mitraillettes Kalachnikov (..) L’ancien ministre de l’Intérieur, Mehmet Agar, qui a été pendant longtemps chef de la police, est mêlé à une série d’affaires graves. Je suis en possession d’une cassette de 4 heures d’aveux d’un certain Huseyin Baybasin, l’un des gros bonnets de la drogue, qui affirme que depuis le début des années 1980 il a mené son trafic en utilisant les voitures de police mises à sa disposition par M. Agar, de fausses cartes d’identité établies et signées par Agar et qu’il a voyagé en Europe avec des passeports de service qui lui ont été remis par ce même Agar. Une cinquantaine de trafiquants de drogue utiliseraient ce genre de passeports et de pièces d’identité délivrés par M. Agar. Il existe au sein de la Direction générale de la Sûreté une unité qui fournit ces trafiquants et des tueurs en cartes d’identité de police et en passeport de service. Des trafiquants notoires portent des passeports de chef de bureau de commissaire ou de conseiller technique de la police. Tout cela mérite au moins une enquête sérieuse".

Comme pour appuyer ces déclarations de M. Yilmaz, H. Baybasin décrit dans le même Hürriyet du 27 décembre 1996 et dans Özgür Politika du 2 janvier 1997 les relations de M. Agar avec les divers chefs de la mafia. Il rappelle que cet ex-policier, fils de policier, se trouve actuellement à la tête d’une fortune colossale acquise grâce à sa coopération avec la mafia, mais, précise-t-il, il n’agissait pas à titre personnel; c’était la politique de l’État pour financer grâce à cet "argent noir" une série d’opérations secrètes. Il évoque aussi le nom d’un frère du président Demirel et d’un député du parti islamiste faisant également partie de leur "réseau". Témoignant devant la Commission parlementaire, Mehmet Eymür, numéro 2 du MIT, confirme l’essentiel de ces révélations. Il affirme notamment que ses services ont "utilisé" Abdullah Çatli, chef mafieux recherché par Interpol et tué dans le récent accident de voiture de Sussuruk, dans des "opérations secrètes à l’étranger". " Plus tard, nous avons appris qu’il était impliqué dans le trafic de drogue, nous avons alors renoncé à nous en servir. Mais la Direction générale de la Sûreté l’a engagé (..) Récemment nous avons appris que l’un de nos agents, Tarik Ümit, avait été enlevé par des équipes spéciales (Özel Tim) et interrogé par Çatli. J’ai appelé le ministre de l’Intérieur Agar pour demander qu’on le libère. Il a dit qu’il allait voir. Puis notre agent a été trouvé mort. Un autre chef de la mafia d’héroïne, Ayhan Akça a également été enlevé par les équipes spéciales et interrogé par Çatli. L’agent de liaison d’Akça, Mlle Dilek Onek, vient d’être arrêté à l’aéroport d’Istanbul en provenance des Pays-Bas avec une valise bourrée de narco-dollars. Elle portait un passeport de service, comme celui de Çatli émis par la Direction générale de la Sûreté". Le haut dirigeant du MIT, cité par le Hürriyet du 27 décembre confirme que "ses services utilisent, dans l’intérêt de l’État, toute sorte d’individus y compris des criminels". Enfin sa révélation majeure: " le trafic de drogue rapporte 25 milliards de dollars par an aux trafiquants turcs car une partie considérable du trafic international d’héroïne passe par la Turquie " qui est en outre considéré comme "un paradis d’argent noir". M. Eymur ne précise pas la part prélevée par les divers services de l’État turc sur cette masse énorme de narco-dollars. A la question de savoir jusqu’où peut aller ce "réseau", M. Yilmaz répond, dans le Hürriyet du 27 décembre, qu’à son avis, Tansu Çiller était au courant de tous les agissements de M. Agar et les couvrait. Il a ajouté "Rappelez-vous: en décembre 1993, Mme. Çiller déclare qu’elle a entre les mains la liste d’une soixantaine d’hommes d’affaires aidant le PKK. 15 jours plus tard, on est passé aux exécutions. Depuis août 1995, l’état-major des armées ne s’est pas mêlé de ces affaires, pas même par le biais de JITEM (Service de renseignement de la gendarmerie) . Depuis que le général Karadayi est devenu chef d’état-major, l’armée se tient à l’écart de ces affaires". Ce qui veut dire qu’avant août 1995, sous le règne du général Güres, l’armée était elle aussi impliquée. M. Yilmaz, qui a fort à faire avec ses adversaires dans l’actuel bras de fer et qui se dit "menacé", tient ostensiblement à exempter l’armée. Tout comme le président Demirel, qui en réponse à la crise de confiance que connaît le pays, déclare que "le gouvernement est un organisme politique. L’État, c’est le Conseil de Sécurité nationale (à dominante militaire) qui est une institution extraordinairement sérieuse et fiable". Est-ce pour conjurer le péril d’un coup d’État militaire que ces hauts dirigeants turcs encensent ainsi l’armée? En tout cas, celle-ci, par la voix de l’un de ses "hauts commandants", déclare au quotidien Hürriyet du 20 décembre: "cette fois-ci, c’est aux forces non armées de résoudre la crise!".

LA MORT DE LA CHANTEUSE KURDE AYSE SAN

LA plus célèbre des chanteuses kurdes des années 1960-1970, Ayse San est décédée le 18 décembre à Izmir des suites d’une longue maladie. Née à Diyarbakir dans une famille de dengbêj (barde traditionnel kurde), elle était très jeune remarquée par la qualité exceptionnelle de sa voix. Dans un pays où chanter en kurde en public était interdit, sa vocation de devenir chanteuse allait se heurter à une foule d’obstacles. Les radios, les salles de concert, les maisons de disques ne voulant pas prendre de risques de poursuites pénales refusaient de la produire. Finalement, en 1963, le propriétaire d’un jardin de thé avait accepté qu’elle chante chaque soir dans son jardin devant les gens qui venaient passer les soirées d’été autour d’un samovar de thé. Le succès fut rapide. Le salon gagnait en une soirée plus que la recette ordinaire de tout un mois. Un Juif d’Istanbul, Albert Mesulum, conquis par la voix d’Ayse San a accepté de prendre le risque de produire un disque avec deux chansons en turc et deux chansons en kurde pour ne pas être accusé de " séparatisme". Ce premier disque de musique kurde de l’histoire de la République turque a eu un succès populaire immense. Il fut suivi de plusieurs autres qui furent tous saisis et interdits lors du Coup d’État militaire de mars 1971. Interdite dans son propre pays, AyÒe ·an s’est réfugiée pendant 3 ans en Allemagne. Ses disques, constamment joués par Radio Erévan et Radio Bagdad continuaient de combler les admirateurs de cette chanteuse populaire kurde. En 1979 elle a été invitée à Bagdad pour participer à des programmes de musique kurde.

Elle a ensuite donné des concerts dans les principales villes du Kurdistan irakien en compagnies des chanteurs kurdes irakiens Muhamed Arif Cizrawî et Isa Berwarî. Ces concerts furent de véritables triomphes et les enregistrements réalisés à cette occasion rencontrent encore un vif succès auprès du public kurde. Revenue pour des raisons familiales dans une Turquie à nouveau dirigée par un régime militaire, elle fut contrainte au silence. Première chanteuse publique kurde de Turquie, Ayse San, grâce à son talent et à son courage exceptionnels aura été aussi la première chanteuse à jouir d’une large audience dans l’ensemble du Kurdistan ainsi que dans la diaspora kurde d’Europe et du Caucase.

AINSI QUE...

SELON UN RAPPORT OFFICIEL TURC 3 288 ÉCOLES PRIMAIRES RESTENT FERMÉES DANS LES PROVINCES KURDES


D’après les extraits de ce rapport "confidentiel" du ministère de l’Éducation nationale, publiés dans le quotidien Milliyet du 17 décembre, les 24 provinces kurdes de Turquie comptent théoriquement 11591 écoles. Sur ce total 3288 (soit 35% ) sont actuellement fermées. 1859 d’entre elles sont fermées "pour des raisons de sécurité", 1248 "faute d’instituteurs" et 181 parce qu’il n’y a plus assez d’élèves. Dans les écoles qui restent ouvertes, en raison de pénurie de crédits et d’instituteurs "chaque classe compte en moyenne 80 élèves". A la base de cette situation dramatique se trouve l’évacuation et la destruction des villages kurdes et les déplacements massifs des populations car le nombre d’écoles fermées correspond à peu près à celui des villages évacués par l’armée. Les instituteurs, craignant pour leur vie, sont peu volontaires pour aller servir dans les provinces kurdes. En 1996, alors qu’un chômage massif sévit dans le pays, sur 9895 instituteurs et enseignants du secondaire nommés pour les provinces kurdes à peine la moitié a accepté d’aller y travailler. Encore s’agit-il en grande partie d’enseignants d’origine kurde soucieux de l’avenir de la jeune génération. Et cela place l’administration turque face à un nouveau dilemme. Les fonctionnaires d’origine turque malgré les fortes primes de risques ne veulent plus aller travailler au Kurdistan; pour assurer un fonctionnement minimum de l’appareil d’État; on nomme alors, à des postes subalternes, nombre de Kurdes qui sont "peu fiables" aux yeux du pouvoir politique. Dans le rapport préparé par le Conseil de sécurité nationale mentionné ci-dessus les militaires s’inquiètent du fait que "90% des imams (prêtres musulmans), 80% des gardiens de prison et 43 % des instituteurs servant dans ces provinces (kurdes) sont d’origine locale". Le CSN demande l’adoption des mesures urgentes pour remédier à cette situation.

BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME COMMISES EN NOVEMBRE


M. Akin Birdal, président de l’Association des droits de l’homme de Turquie (IHD) a donné le 19 décembre une conférence de presse à Ankara pour rendre public le bilan de novembre des violations des droits de l’homme établi par son organisation. Selon l’IHD, en novembre 11 civils ont été assassinés pour motif politique par des tueurs non identifiés, 8 personnes ont trouvé la mort sous la torture ou à la suite d’exécutions extrajudiciaires, 9 civils ont été tués à la suite des opérations militaires et 9 autres ont été blessés, 13 civils sont portés disparus. Au cours de ce mois, la police a placé en garde à vue 1652 personnes dont 176 ont été écrouées; 16 publications ont été saisies, 37 travailleurs de presse ont été gardés à vue. Fin novembre on comptait 142 prisonniers politiques d’opinion en Turquie.

Par ailleurs, selon un bilan établi par la Super-préfecture des provinces kurdes, cité par le quotidien Hürriyet du 27 décembre, dans la période allant du 1er janvier au 26 décembre 1996, 2782 membres présumés du PKK, 531 soldats, policiers et miliciens, 143 civils et 4 instituteurs ont été tués dans "la guerre de basse intensité" qui se poursuit au Kurdistan. 2233 civils ont été blessés ou amputés dans des actes de violence liés à cette guerre.

CRÉATION D’UN NOUVEAU PARTI PRO-KURDE EN TURQUIE


Un nouveau parti pro-kurde, celui des "Masses démocratiques" (DKP), qui préconise une "solution politique à la question kurde, tout en respectant les frontières actuelles de la Turquie", a été créé en Turquie. Le DKP se situe au "centre" et est "libéral", politiquement et économiquement, selon son président Serafettin Elci, ancien parlementaire d’origine kurde et ministre des Travaux public dans les années 70. M. Elci a déclaré, vendredi 3 janvier, au ministère de l’Intérieur où il était allé déposer les statuts de son parti, que son parti était "contre la violence et attaché aux méthodes pacifistes et démocratiques". Il revendique "la reconnaissance de l’identité kurde au niveau constitutionnel et l’attribution aux Kurdes des droits culturels, notamment celui de l’enseignement dans leur langue maternelle". Jusqu’à présent, toutes les tentatives de création d’un parti kurde légal ont été réprimées par la justice turque. Les observateurs attendent avec intérêt la suite qui sera réservée à l’initiative de M. Elçi connu pour sa modération et son pacifisme.

GENÈVE: LA MISSION TURQUE REFUSE DE RECEVOIR UNE PÉTITION EN FAVEUR DE BESIKÇI


A l’occasion de la journée mondiale des droits de l’homme, une délégation suisse composée notamment de parlementaires s’est rendue le 10 décembre à la Mission turque après de l’ONU, à Genève, pour y déposer une pétition en faveur du sociologue turc. I. Besikçi portant 1400 signatures d’écrivains, d’artistes et d’universitaires. Les parlementaires suisses ont été accueillis par un cordon de police qui leur a fait savoir que " l’ambassadeur turc ne souhaitait pas les recevoir". Déçue par ce refus, la délégation suisse a finalement remis au Haut commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme sa pétition demandant notamment la libération d’Ismail Besikçi "dont les peines cumulées se montent à plus de 200 ans de prison" et "qui a commis l’unique délit de faire des recherches sur la réalité et l’identité du peuple kurde".

"LES MÈRES DU SAMEDI" REÇOIVENT UN PRIX INTERNATIONAL DES DROITS DE L’HOMME


La ligue des droits de l’homme allemande a accordé son prix cette année aux mères des "disparus" en Turquie appelées communément "les mères du samedi" d’après leur rassemblement hebdomadaire tous les samedis à Istanbul. En recevant le Prix au nom des "mères du samedi" Mme. Nimet Tanrikulu a déclaré à la presse: "C’est un soutien chaleureux qui va au-delà des frontières; ce Prix a donné du retentissement à notre voix". Amnesty International et Reporters sans frontières ont participé à la cérémonie de la remise de ce Prix nommé Carl von Ossietzsky, du nom du journaliste allemand qui a lutté contre le nazisme et qui avait reçu le Prix Nobel en 1935.

LE DANEMARK EXIGE DE LA TURQUIE LA LISTE ROUGE DE DANOIS "INDÉSIRABLES"


A la suite de l’arrestation et de l’expulsion d’un député danois, M. Soeren Soendergaard, le vendredi 29 novembre à Ankara, le ministre danois des Affaires étrangères Niels Helveg Petersen a exigé que le gouvernement turc lui remette "la liste rouge" de ressortissants danois jugés "indésirables" par Ankara. "Nous avons demandé des explications au gouvernement turc sur cette interpellation du député danois et nous allons suivre de près cette affaire" a indiqué le ministre danois. Le député en question s’était rendu à Ankara pour assister au procès d’un Danois d’origine kurde. L’ambassadeur turc à Copenhague, Turan Morali, a été convoqué pour donner des explications au ministère danois des Affaires étrangères sur le cas de ce député. Deux autres députés danois sociaux-démocrates siégeant à l’assemblée de Strasbourg, Freddy Blak et Kirsten Jensen, ont demandé que cette affaire soit soulevée rapidement au Parlement européen. "Ce cas est encore un argument pour geler les quelque 2,5 milliards de couronnes (425 millions de dollars) promis à la Turquie dans le cadre des accords douaniers entre ce pays et l’Union européenne" ont-ils souligné. Le mardi 10 décembre, le ministre danois des Affaires étrangères a, en marge de la réunion des ministres de l’OTAN, rencontré son homologue turc, Mme. Tansu Çiller, à qui il a rappelé l’affaire de la "liste rouge" en disant: "J’espère vraiment qu’Ankara renoncera à cette liste car son maintien est tout à fait déraisonnable". Quatre politiciens de gauche et un responsable du Centre danois, connus pour leur défense des droits de l’homme, ont été déclarés persona non grata en Turquie à la suite de leurs déclaration en faveur des droits du peuple kurde.

NOUVELLE SUSPENSION DU QUOTIDIEN DEMOKRASI


La Cour de Sûreté d’État n° 2 d’Istanbul, à l’issue de son audience du 18 décembre, a décidé une suspension de 10 jours du quotidien pro-kurde Demokrasi pour avoir publié dans son numéro du 2 janvier 1996 un article intitulé "Les travailleurs et les Kurdes" de l’écrivain Münir Leylan. Selon la Cour turque, ce texte enfreint l’article 312 du Code pénal turc qui réprime "l’incitation ouverte de la population à la haine et à l’hostilité en invoquant des différences raciales". L’auteur du texte incriminé, M. Leylan, a été condamné à deux ans de prison. Le 27 décembre, la même Cour a prononcé 3 autres peines de suspension de 10 jours pour des articles parus respectivement dans les numéros des 18 juillet, 29 juillet et 25 décembre du quotidien Demokrasi. Si ces peines sont confirmées par la Cour d’appel, Demokrasi sera, au total, suspendu pendant 45 jours.

ERBAKAN SIGNE LE NOUVEL ACCORD DE COOPÉRATION MILITAIRE AVEC ISRAËL


Le Premier ministre islamiste, connu pour sa rhétorique enflammée contre Israël, s’est finalement rangé aux injonctions de l’armée en signant le 5 décembre l’accord de coopération militaire turco-israélien. Cet accord porte sur la rénovation par la firme publique israélienne, Israel Aricraft Industry, de 54 avions de combats turcs F-4. Les Israéliens vont d’ici cinq ans installer sur ces bombardiers turcs des systèmes avioniques avancés, y compris des radars Elta, pour un coût total de $600 millions ($800 millions avec les intérêts). 26 de ces bombardiers seront rénovés en Israël, 28 autres en Turquie par des ingénieurs israéleins avec des équipements fournis par IAI. Par ailluers, le 1er décembre la radio publique israéleinne a annoncé la signature à Ankara d’un " accord de coopératon et de maneuvres communes pour l’année 1997 " entre les responsables militaires des deux pays. Selon la radio, citée par l’A.F.P., " les manoeuvres communes, aériennes et navales entre les deux pays se sont poursuivies. Récemment, le chef d’état-major adjoint israélein, le général Matan Vilnay et le chef de l’armée de l’aire, le général Eitan ben Eliahu se sont rendus en Turquie". L’arrivée au gouvernement des islamistes turcs n’a rein changé à cette coopération ajoute la radio israélienne.

La coopération militaire israélo-turque est vivemnt critiquée par les pays arabes et par l’Iran. Pour rassurer " ces pays musulmans frères " le Premier ministre islmaiste turc avait, à plusieurs reprises, évoqué la possibilité d’un coopération militaire similaire entre la Turquie et l’Iran, provoquant l’ire de Washigton et de l’armée turque. De fait, lors de la visite officielle de quatre jours que le présidnet iranien Rafsanjani a effectué à partir du 19 décembre en Turquie cette question n’a pas pu figurer à l’ordre du jour. L’armée s’est opposée à la proposition du Premier ministre de faire visiter à la délégation iranienne les installation de Turkish Aerospace Industry (TAI) où sont assemblés des avions CASA et des F-16 sous licence américaine (La firme américaine Lockheed possède 49% du capital de TAI). Les Iraniens ont dû se contenter de la visite des barrages du réseau GAP construits sur l’Euphrate dans la province kurde d’Urfa longeant la frontière syrienne. La propostion de M. Rafsanjani d’une médiation iranienne entre la Turquie et la Syrie afin d’améliorer les relations entre " ces deux pays musulmans frères " a également été rejeté par les autotirtés turques. Seul résultat tangible de cette visite très médiatisée dans les deux pays; signature de trois accords commerciaux qui devraient porter à $2 milliards par an le volume des échanges turco-iraniens.