Publications


Bulletin complet

avec revues de presse

Bulletin N° 177 | Décembre 1999

 

 

tags: N° 176-177 | novembre-décembre 1999

SOMMET D’HELSINKI : L’EUROPE ACCORDE À ANKARA LE STATUT DE CANDIDAT À L’UNION

Les dirigeants des quinze pays de l’Union européenne ont décidé le 10 décembre 1999 d’octroyer officiellement à la Turquie le statut de candidat à l’adhésion, à l’occasion du sommet d’Helsinki. L’accord a été obtenu après la levée par la Grèce de ses dernières réserves et d’ultimes discussions sur la formulation présentant cette candidature. " La réaction [à Ankara] n’est pas très positive " a reconnu un porte-parole de la présidence finlandaise de l’UE, faisant allusion aux réserves émises par la Turquie après la décision des Quinze de la considérer conditionnellement comme candidate. Javier Solana, haut représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE, s’est immédiatement envolé pour la Turquie accompagné de Günter Verheugen, le commissaire européen chargé de l’élargissement, pour aplanir les dernières divergences concernant la proposition des Quinze.

Comme préalable à l’adhésion, les Quinze souhaitent un règlement de la question chypriote, un meilleur respect des droits de l’homme par la Turquie et un arbitrage de la Cour internationale de justice de La Haye à propos de la souveraineté sur les îles de la mer Egée. Or, la Turquie a jusqu’à présent estimé que sa candidature devait être examinée strictement selon les critères fixés au sommet de Copenhague qui s’imposent sans distinction à tous les pays postulants. Elle a toujours rejeté l’idée que l’Union pouvait lui imposer des conditions particulières, et notamment des concessions sur le dossier chypriote et les îles de la mer Egée. Les Quinze affirment en outre que les litiges territoriaux, comme ceux qui opposent régulièrement la Grèce et la Turquie pour la souveraineté de certaines îles, doivent être résolus selon la Charte des Nations unies, et donc par des négociations bilatérales. Sinon, l’affaire devra être portée devant la Cour internationale de justice de La Haye dans " un délai raisonnable ". l’Union européenne se contente de dire qu’elle réexaminera la situation à la fin de 2004 sur ce point.

Les Quinze exigent en outre le " plein respect " des critères politico-économiques fixés à Copenhague, notamment les droits de l’homme, mais les Européens se gardent bien de le rappeler. Lors d’une conférence de presse, le Premier ministre turc Bülent Ecevit, déclarait le 11 décembre, " je suis bien conscient que nous avons encore du chemin à faire " en citant les droits de l’homme et l’état de l’économie turque qu’il a mis sur le compte du " terrorisme ". B. Ecevit s’est déclaré prêt à poursuivre " les réformes en cours ", se déclarant décidé à abolir la peine de mort " aussi vite que possible ".

La Turquie a largement crié victoire après l’acceptation de sa candidature après 36 ans d’attente. " Enfin, nous sommes Européens ! " s’est exclamé à la Une le quotidien Sabah. " Le premier candidat musulman ", a titré le journal Hurriyet. Cela étant, nombreux sont ceux qui notent que pour poursuivre le chemin européen, Ankara devra établir un Etat de droit stable se traduisant notamment par une révision du rôle des militaires dans la vie politique. La Turquie est aujourd’hui le seul pays candidat où le chef d’état-major passe avant le ministre de la défense et cela même d’un point de vue protocolaire. C’est aussi le seul pays candidat qui occupe militairement un autre pays candidat qui est Chypre. Par ailleurs, la question de la torture et des droits de l’homme reste criante en Turquie.

À l’occasion d’une visite à Istanbul, le député vert Daniel Cohn-Bendit président de la commission parlementaire mixte Turquie-Europe, a souligné que la Turquie devra " réformer sa constitution en profondeur " et modifier son " idée de l’Etat " pour adhérer à l’UE. M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, a fait part de son incompréhension devant la décision des Quinze, alors que la Turquie " ne respecte pas toutes les règles de la démocratie, ni les droits culturels du peuple kurde ". Francis Wurtz, député européen a, quant à lui, estimé que " l’Europe a ainsi apporté, de fait, une singulière caution politique aux représentants d’un Etat notoirement antidémocratique ". Des personnalités de droite comme l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing et Alain Lamassour ont également critiqué la décision du sommet d’Helsenki au prétexte que seule une portion infime de la Turquie fait géographiquement partie de l’Europe. Il ne faut pas rendre celle-ci floue et discutable dans ses contours. Sinon pourquoi ne pas accepter à l’avenir un pays eurasiatique comme la Russie, ont-ils demandé. Tandis que le ministre français des Affaires européennes Pierre Moscovici rétorque que l’Union ne doit pas rester un " club chrétien ", le Premier ministre turc invite celle-ci à élargir ses frontières au Caucase et à l’Asie centrale " turcophone ".

Présente à l’arrière-plan du débat la question kurde n’a pas été publiquement mentionnée à Helsinki. Cependant nombre d’Européens, de Kurdes et de Turcs espèrent que l’inclusion de la Turquie dans la liste officielle des candidats à l’Union européene va ouvrir un processus de démocratisation des institutions turques et une prise en compte sérieuse des droits culturels et linguistiques kurdes.

DEVANT LE PARLEMENT TURC LE PRÉSIDENT CLINTON PLAIDE POUR LES DROITS DE L’HOMME ET POUR " LES DROITS NATURELS DES KURDES "

Le président américain Bill Clinton a plaidé le 15 novembre 1999 à Ankara, pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne tout en la rappelant à l’ordre sur la question des droits de l’homme. Le chef de la Maison Blanche s’est entretenu le même jour avec le Premier ministre Bülent Ecevit et son homologue turc Suleyman Demirel qui a reconnu que la torture existait en Turquie mais n’était pas " la politique de l’Etat ". Il a affirmé soutenir l’adhésion de la Turquie à l’UE et invité les Quinze à " se concentrer sur ce sujet dans une perspective appropriée ". Le président Clinton s’est ensuite adressé au Parlement turc mettant l’accent sur la question des droits de l’homme et la différence et évoqué " les droits naturels des citoyens kurdes à mener une vie normale ". " Pouvez-vous vous imaginez le président des Etats-Unis venir et prononcer le mot Kurde, parler de la démocratie et des droits de l’homme dans l’enceinte du Parlement turc et être applaudi ! Il y a quelque temps cela ne nous serait même pas passé par l’esprit " écrivait Hasan Cemal, l’éditorialiste du quotidien turc Milliyet le 17 novembre 1999. Selon d’autres éditorialistes, le sort des Kurdes en Turquie aurait également été évoqué lors de l’entretien du président Clinton avec le président et le Premier ministre turcs. Voici de larges passages de l’intervention télévisée de B. Clinton devant le Parlement turc :

" L’avenir que nous voulons construire ensemble commence par le progrès de la Turquie dans l’approfondissement de la démocratie sur son sol. Personne ne désire cela plus que le peuple turc. Vous avez créé une force vive et des dispositions contre la torture dans une nouvelle loi qui protège les droits des partis politiques (…). Des voies s’ouvrent pour les citoyens kurdes de la Turquie pour réclamer ces droits naturels dus à la naissance–une vie normale (…)

Nous sommes d’accord sur un point qui n’a jamais été aussi clairement formulé que par le fondateur de la République turque–La souveraineté ne devrait pas être construite sur la peur. Ni les Etats-Unis et ni l’Europe ou tout autre personne n’a le droit de diriger votre destinée pour vous. Vous êtes les seuls à avoir ce droit (…) Nous soulevons ces problèmes à cause de toutes ces raisons que j’ai mentionnées. Nous avons un intérêt profond dans votre succès et nous nous considérons comme vos amis.

Rappelez vous, je viens d’une nation qui a été fondée sur le credo que l’on est tous égaux ; et pourtant, lorsque nous avons été bâtis, nous avions l’esclavage, les femmes ne pouvaient pas voter, ni les hommes, à moins qu’ils aient été propriétaires. Je sais quelque chose sur la réalisation imparfaite des idées d’un pays. Nous avons eu un long parcours en Amérique, depuis notre fondation jusqu’aujourd’hui (…)

(…) Nous avons clairement appris que lorsque des écrivains et journalistes s’expriment librement, ils n’exercent pas seulement leur droit fondamental, mais nourrissent l’échange des idéaux, essentiel à la prospérité et au développement. Lorsque les solutions pacifiques existent pour exprimer des différences humaines normales, la paix est préservée, et non brisée. Quand les gens peuvent célébrer leur culture et foi sans pour autant empiéter sur les droits d’autrui, les modérés ne deviennent pas des extrémistes et les extrémistes des héros mal inspirés.

Il reste encore des personnes qui voient l’Europe dans des termes rigides. Leur Europe pourrait s’arrêter au niveau de cette chaîne de montagne ou ce cours d’eau (…) Mais il y a un consensus en puissance et encourageant que l’Europe connaît : c’est l’idée aussi bien que le lieu–l’idée que le peuple peut se renforcer dans la diversité des opinions, cultures, et des fois religieuses, aussi longtemps qu’ils sont collectivement engagés sur la voie de la démocratie et des droits de l’homme ; l’idée que ce peuple peut être unifié sans être uniforme, et que si la communauté que nous appelons sans précision l’Ouest est une idée, elle n’a pas fixé de frontières. Elle s’étend aussi loin que les frontières de la liberté peuvent s’étendre. "

Les médias turcs ont mis en relief les passages de ce discours vantant les mérites de la Turquie et d’Atatürk sous le titre, " il a parlé comme un Turc " en occultant les aspects relatifs aux Kurdes et aux droits de l’homme.

Le fait que le président américain ait reçu à sa table pour le petit-déjeuner les dirigeants des principales organisations de la société civile, qu’il ait soigneusement évité d’avoir le moindre entretien avec les puissants chefs militaires du pays a également été passé sous silence par les médias turcs.

Arrivant dans une Turquie en deuil, frappée par un nouveau séisme dans la région de Duzce le 12 novembre 1999 qui a fait au moins 452 morts et près de 2 400 blessés Bill Clinton a tenu à se rendre dans un camp de réfugiés et il a rappelé à cette occasion que Washington avait accordé après le séisme d’août des garanties de crédits pour un montant total de 1 milliard de dollars à douze banques turques pour des projets de reconstruction.

Quelques jours avant cette visite 23 membres du Congrès américain avaient adressé une lettre datée du 10 novembre 1999 au président Bill Clinton en lui demandant d’intervenir pour une solution à la question kurde en Turquie :

" En Turquie, le peuple kurde continue de subir des atrocités commises par les troupes turques. Leur terre est devenue le théâtre de la guerre, malgré des cessez-le-feu répétés et appels à la négociation des rebelles kurdes. La langue kurde est interdite dans le pays et les dissidents kurdes ne sont pas tolérés par les autorités. Le Kurdistan turc, jadis de 18 millions d’habitants, ne peut aujourd’hui nourrir que 4 millions personnes. Sur les terres kurdes, plus de 3000 villages ont été détruits ; plus de 3 millions de Kurdes sont devenus des déplacés. 37 000 personnes sont mortes.

Le cas du leader kurde, Abdullah Öcalan, projette la situation difficile des Kurdes et avec prévoyance, offre le meilleur espoir pour une solution au conflit turco-kurde. En détention en Turquie depuis le 15 février 1999, M. Öcalan est l’unique détenu de l’île prison d’Imrali. Accusé de trahison, il a été condamné à la peine de mort le 29 juin 1999. À l’heure où ces lignes sont écrites, son appel est en jugement. Refusant le procès, Amnesty International a demandé un nouveau procès. Human Rights Watch a noté qu’il y avait " des imperfections graves " dans la cour turque.

Cette moquerie de la règle de loi et un tel abus des droits des Kurdes et l’exécution imminente de M. Öcalan sont des ingrédients d’un conflit majeur avec des implications sérieuses pour la stabilité régionale et turque.

M. Président, en 1962, le gouvernement des Etats-Unis, dans un cas similaire de celui de M. Öcalan, a aidé le système d’Apartheid d’Afrique du Sud pour appréhender Nelson Mandela. Des années plus tard, les leaders d’Apartheid ont négocié avec lui pour soigner la plaie saignante qu’était devenu leur pays. Avec notre appui, la Turquie et ses leaders peuvent emprunter le même chemin pour discuter avec M. Öcalan et prendre la voie de la paix pour les peuples qui composent la Turquie. (…)

Les Etats-Unis ont été une lueur d’espoir pour les Kurdes d’Irak. Nous croyons que les Kurdes de Turquie ont également le droit de vivre sans persécution, et que l’Amérique peut jouer un rôle majeur en apportant son aide dans la solution de ce conflit tragique. "

La lettre a été signée par Bob Filner, John Edward Porter, Maurice D. Hinchey, Sharrod Brown, Carolyn B. Maloney, Cynthia A. McKinney, Jim Maloney, Patrick J. Kennedy, Rush Holt, George E. Brown Jr, Lynn C. Woolsey, David E. Bonior, Franck Pallone Jr, Neil Abercrombie, Wayne T. Gilchrest, Jesse Jackson Jr., Henry Waxman, Darlene Hooley, Michael R. McNulty, Robert A. Underwood, Mary Bono, John Lewis, John F. Tierney.

NEW-YORK : L’ONU DÉCIDE DE CRÉER UN NOUVEAU SYSTEME D’INSPECTION DES ARMEMENTS IRAKIENS

Le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé le 17 décembre de créer un nouveau système d’inspection des armements irakiens. La résolution de conception anglo-néerlandaise a été adopté par 11 voix sur 15 ; 4 Etats (Chine, France, Malaysie et Russie) ont émis des votes d’abstention.

Ainsi, sur les cinq permanents du Conseil de sécurité seulement deux (Etats-Unis et Grande-Bretagne) ont voté en faveur de la résolution ce qui a encouragé l’Irak à la rejeter d’emblée.

Selon cette nouvelle résolution 1284 l’Irak pourra exporter autant de pétrole qu’il voudra ou pourra. Cependant les produits de ces ventes seront toujours déposés sur des comptes placés sous le contrôle de l’ONU et dépensés conformément à la résolution 986 dite pétrole contre nourriture. Une partie en sera affectée au Koweit au titre de réparations de guerre et 13% aux trois gouvernerats du Kurdistan sous administration kurde.

Si le régime irakien accepte de coopérer pleinement avec le nouveau système d’inspection, la résolution prévoit une suspension des sanctions internationales contre l’Irak d’ici un an, puis dans un avenir non précisé, leur levée. Les périodes de suspension seront de 120 jours renouvelables par le Conseil de Sécurité si celui-ci constate que Bagdad " coopère à tous égards " avec les inspecteurs de désarmement de l’ONU.

D’après Sir Jeremy Greenstock, président du Conseil en décembre et l’un des parrains de la résolution, l’adoption de celle-ci constitue " un succès exceptionnel " car elle concilie les besoins humanitaires de la population civile avec les impératifs du contrôle des armements irakiens. " Nous regrettons que sur ce point certains aient été plus enclins à écouter la direction irakienne que les besoins du peuple irakien " faisant une allusion claire aux membres qui s’étaient abstenus. Les diplomates américains se sont d’ailleurs efforcés de minimiser la portée de ces abstentions affirmant que l’important est qu’aucune nation n’a voté contre. Pour Peter Burleigh, représentant adjoint des Etats-Unis au Conseil, qui travaille depuis un an à l’élaboration de cette résolution, le vote de celle-ci est " un moment profondément important pour le Conseil de Sécurité ". " Ce vote n’a pas été unanime mais aucun membre ne prétend que l’Irak a rempli ses obligations découlant des résolutions du Conseil. Aucun membre du Conseil ne prétend que l’Irak a désarmé comme requis " a-t-il déclaré devant le conseil de Sécurité.

Le représentant de l’Irak à l’ONU Saeed Hassan a immédiatement déclaré que son gouvernement rejetait le nouveau système d’inspection parce qu’il n’est pas accompagné de la levée préalable des sanctions. Pour leur part, les dirigeants kurdes irakiens sont satisfaits de cette résolution qui préserve le quota du 13% des revenus affectés aux régions qu’ils administrent. Ce quota avait, un moment, été menacé.

Selon le Herald Tribune du 18 décembre, nombre d’experts en armements irakiens estiment que le régime irakien accepte ou non le nouveau système d’inspection, prévoyant des inspecteurs sur place et des installation de contrôle sophistiquées, les dégâts sont déjà faits. En plus la résolution en augmentant sensiblement le volume des exportations pétrolières irakiennes fournira aux proches de Saddam Hussein et à leur clientèle de disposer des ressources accrues pour consolider leur contrôle sur le pays et acheter tout ce qu’ils voudront à l’exception des armes.

En fin de mandat, le président Clinton aurait, par cette résolution prévoyant la suspension des sanctions d’ici un an en cas de coopération de Bagdad avec le nouveau système d’inspection, décidé d’empêcher que la question irakienne ne vienne " polluer " la campagne électorale présidentielle de l’an 2000. Calcul peu réaliste car Saddam Hussein a toujours su se rappeler à l’attention de ceux qui voulaient le reléguer aux oubliettes.

Il faut dire qu’il dispose encore des moyens de pression non négligeables en particulier sur ses créanciers. Ainsi, dans les semaines qui ont précédé le vote sur la résolution 1284, les média irakiens ont lancé une campagne de presse véhémente contre la France, accusée de duplicité, la menaçant de rupture de tous les contrats avantageux déjà signés avec les compagnies pétrolières françaises si elle suivait " les puissances ennemies de Bagdad " à savoir les Etats-Unis et la Grande Bretagne.

Le président Chirac a bien essayé de convaincre ses homologues américain et britannique d’envisager l’adoption d’une résolution susceptible de recueillir les suffrages de tous les membres permanents du Conseil pour lui donner plus de force. Cependant Washington et Londres ont qualifié cette proposition de dilatoire et destinée à vider la résolution de sa substance. Finalement leur point de vue a prévalu et Paris s’est retrouvé dans la compagnie peu gratifiante de la Russie et de la Chine, amies et clientes du régime irakien. (Voir notre revue de presse).

L’INTERNATIONALE SOCIALISTE RÉAFFIRME QUE LA QUESTION KURDE RESTE PRIMORDIALE POUR LA PAIX RÉGIONALE

L’internationale socialiste réunie à Paris du 8 au 10 novembre 1999 dans le cadre de son XXIème congrès a réaffirmé "sa conviction qu’aucune paix réelle et durable ne pourra être établie dans la région si la question kurde n’est pas réglée. La communauté internationale devra faire pression sur les gouvernements concernés pour démarrer des réformes profondes démocratiques et pour favoriser des solutions politiques, négociées et pacifiques garantissant les droits légitimes des Kurdes dans le cadre des frontières des pays concernés".

Au cours du XXème congrès, l’Internationale socialiste avait adopté une résolution demandant les droits fondamentaux pour les Kurdes et la libération des députés kurdes emprisonnés en Turquie. Trois partis kurdes ont participé au congrès de l’Internationale : le parti démocratique du Kurdistan iranien, qui est membre de plein droit, le PDK irakien et l’Union patriotique du Kurdistan qui ont un statut d’observateur. Chaque délégation kurde a pu prendre la parole et s’adresser aux congressistes représentant plus de 170 partis politiques venus du monde entier.

LA COUR DE CASSATION TURQUE CONFIRME LA CONDAMNATION À MORT D’ÖCALAN

La cour de cassation turque a confirmé, le 25 novembre 1999, la sentence de mort pour trahison et séparatisme contre Abdullah Öcalan. La cour, composée de cinq magistrats et présidée par le juge Demirel Tavil, a décidé à l’unanimité que la sentence était " conforme à la loi et à la procédure ". La décision a été accueillie par une explosion de joie de centaines de manifestants, la plupart des proches de soldats tués lors des combats, qui ont organisé une exécution symbolique d’A. Öcalan en pendant sur une potence son effigie présentée comme un vampire sanguinaire. Les avocats du chef du PKK, qui avait demandé que la sentence soit commuée en prison à vie, ont également annoncé qu’ils allaient déposer l’ultime recours possible en justice, une demande de " rectification de la sentence " auprès de Vural Savas, procureur près de la Cour de cassation. Cependant ce dernier ayant lui-même recommandé à la Cour de confirmer la peine, un éventuel recours a peu de chance d’être accepté.

Saisie en urgence de l’affaire la Cour européenne des droits de l’homme a, le 7 décembre décidé un sursis à exécution de la peine de mort. La Cour demande aux autorités turques de prendre cette décision au titre de " mesure provisoire " en attendant la décision sur le fond des juges des droits de l’homme. L’examen de la recevabilité de la requête sur le fond aura lieu dans un délai de un à quatre mois et elle décidera ensuite de tenir ou non une audience à ce sujet et d’examiner la requête au fond. L’ensemble de cette procédure de recours pourrait prendre de 12 à 18 mois. Cependant, la Turquie n’est pas obligée d’attendre le verdict de la Cour de Strasbourg. Elle pourrait, en fonction de ses propres considérations de politique intérieure et extérieure, faire ratifier par son Parlement la condamnation à mort d’Öcalan et l’exécuter. Elle peut aussi retarder ou bloquer cette ratification. Le président et le Premier ministre turcs souhaiteraient, pour des raisons diplomatiques, gagner du temps et attendre le verdict de la Cour européenne. Cependant de nombreuses voix dans la coalition gouvernementale exigent une exécution rapide du chef du PKK et affirment que l’exécution d’Öcalan aura des conséquences limitées : remous diplomatiques de quelques semaines avec l’Union européenne et une condamnation de pure forme de la Cour européenne assortie éventuellement d’une amende financière de quelques milliers d’euros.

Il reste que l’octroi à la Turquie du statut de candidat officiel à l’adhésion à l’Union européenne éloigne la perspective de la mise à mort d’Öcalan, la peine de mort étant abolie dans tous les pays de l’Union. D’autant que le 17 décembre l’armée, par la voix de son chef d’état-major, a indiqué qu’elle ne s’opposerait pas à l’abolition éventuelle de la peine de mort.

Cependant, M. Suayip Üsenmez, ministre d’Etat du parti MHP, a déclaré à ce sujet : " l’UE a donné jusqu’en 2004 à la Turquie pour qu’elle puisse résoudre certains problèmes. Nous pendrons Apo d’ici là. Ensuite nous ferons les réformes nécessaires pour la peine de mort ". Il a également ajouté que son parti était opposé à une quelconque télévision kurde en soutenant obstinément : " la langue de la République turque est le turc. Le kurde n’est pas une langue. En outre il n’a même pas d’alphabet propre. Comment pourrait-on (leur) donner des droits d’émissions ". M. Üsenmez a par ailleurs plaidé pour la République de Chypre du Nord (KKTC) et a déclaré qu’ " on ne peut pas cacher le fait qu’il y a deux peuples en Chypre ". Un autre député MHP, Sefkat Çetin, a demandé la pendaison d’Abdullah Öcalan quel qu’en soit le prix et a ajouté que si les condamnations précédentes non exécutées posaient un problème il faudrait alors les exécuter. M. Çetin a ponctué en disant que si " Abdullah Öcalan n’est pas pendu on ne trouvera pas d’hommes à envoyer au service militaire ". D’autres ont été plus loin dans leur propos. Mehmet Gül, député MHP d’Istanbul, n’a pas hésité à proférer des menaces : " Il n’y aura pas de député qui dira ‘non’ à la pendaison d’Apo au Parlement (…) Celui qui dira ‘non’ sera tabassé dans les toilettes ".

ERBIL : FORMATION D’UN NOUVEAU GOUVERNEMENT

Le Parlement kurde d’Erbil a, le 21 décembre, investi un nouveau gouvernement dirigé par Nechirvan Barzani. Ce cabinet de coalition comprend 23 membres représentant outre le PDK, cinq petits partis alliés de celui-ci dont le parti Islamiste et des formations des minorités assyro-chaldéenne et yézidie ainsi que des personnalités indépendantes.

Le président du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), Massoud Barzani, dans une intervention devant le Parlement a appelé au respect de la loi par tout un chacun. "Maintenant que nous, Kurdes, avons la chance de faire nous-mêmes nos lois, nous devons les respecter quel que soit notre rang dans la société. Nous devons tous veiller à ce que la loi soit le pouvoir suprême sur notre territoire, qu’elle soit égale pour tous et que nul ne puisse se considérer au dessus des lois" a-t-il ajouté.

Dans sa déclaration d’investiture le nouveau Premier ministre, N. Barzani, a indiqué que son gouvernement se donnait pour mission prioritaire la lutte contre le chômage et un effort d’envergure pour la reconstruction et le développement de la région dans le cadre d’une économie de marché. Il a ajouté qu’il allait très prochainement annoncer une série de projets concrets en ce sens.

Le gouvernement d’Erbil administre plus de la moitié de la zone protégée kurde d’Irak dont la superficie totale est de 36296 km2 (l’ensemble du territoire du Kurdistan irakien est d’environ 74000 km2. Le régime irakien contrôle toujours " la partie utile " de ce territoire, à savoir les zones pétrolières de Kirkouk, Khanaqine, ainsi que la région de Sinjar). D’après le décompte établi par les Nations unies, en mai 1998, la zone protégée kurde comptait 3.310.878 habitants (sur une population kurde irakienne estimée à 5,5 millions d’individus). 1.868.391 personnes vivaient dans la zone administrée par le gouvernement d’Erbil, 1.442.797 dans celle du Sud, administrée par le gouvernement de Souleimanieh dirigée par M. Kosrat Rassoul, de l’Union patriotique du Kurdistan.

A la suite des changements intervenus lors du 12e Congrès du PDK, en octobre dernier, le chef du gouvernement d’Erbil, Dr. Roj Shaweish avait présenté au Parlement la démission de son cabinet. Nechirvan Barzani avait été chargé de la mission de former un nouveau cabinet. Après près de 2 mois de tractations et l’élection de Dr. Roj Shaweish à la présidence du Parlement N. Barzani a donc pu présenter son gouvernement qui se compose comme suit :

Vice Premier Ministre : Sami Abdulrahman (PDK) ; Ministre de l’Intérieur : Fadhil Mirani (PDK) ; Ministre des Affaires de Peshmerga (Défense) : Omar Osman (PDK) ; Ministre de la Coopération et des Affaires humanitaires : Dr. Shafiq Qazaz (indép.) ; Ministre de l’Education : Abdelaziz Tayib (PDK) ; Ministre de la Justice : Hadi Abdulkarim (Islamiste) ; Ministre de l’Economie et des finances : Sarkiz Agacan (Assyrien) ; Ministre des Travaux publics et du logement : Mme. Nazanin Mohamed Wasou (indép.) ; Ministre de la Reconstruction et du développement : Mme Nesrin Berwari (PDK) ; Ministre de la Culture : Falakadin Kakanji (PDK) ; Ministre des Municipalités et du tourisme : Mamoun Brifkani (PDK) ; Ministre de l’Agriculture : Saad Osman (PDK) ; Ministre des Affaires religieuses : Sheikh Adnan Naqshabandi (PDK) ; Ministre des Transports et du commerce : Dr. Hamid Aqrawi (PDK) ; Ministre de la Santé et des affaires sociales : Dr. Jamal Abdulhamid (PDK) ; Ministres régionaux sans portefeuille : Yousif Hena Yousif (assyrien) ; Jewdet Najar (turcoman) ; Mahmoud Hafid (indép.) ; Namir Kochar Hesam (yézidi) ; Abduljalil Faili (PDK).

L’ANCIEN PREMIER MINISTRE MESUT YILMAZ PLAIDE POUR LES DROITS DES KURDES TANDIS QUE LE PRESIDENT DEMIREL Y EST OPPOSE

Mesut Yilmaz, ancien Premier ministre turc et partenaire de la coalition actuelle, a déclaré au cours d’un voyage à Diyarbakir le 15 décembre 1999 que la Turquie ne peut adhérer à terme à l’Union européenne sans avoir réglé le conflit kurde. " Appelez-le, soit conflit kurde, soit problème du sud-est anatolien, la Turquie ne peut devenir un grand Etat au XXIe siècle et adhérer à l’UE sans avoir réglé cette question (…) La conjoncture actuelle est très propice à un règlement " a-t-il affirmé. Le chef du parti de la Mère-patrie (ANAP) qui demandait ces derniers temps " plus de démocratie et plus de liberté " a souligné que " la route de l’Union européenne passe par Diyarbakir ". Il a ainsi demandé la levée de l’état d’urgence (OHAL), en vigueur depuis 20 ans dans la région et a indiqué la nécessité de réformer le fameux article 8 de la loi anti-terreur qui s’oppose tant à la liberté d’opinion. Mesut Yilmaz a également précisé que le retour des villageois déplacés de force devrait être assuré en toute sécurité.

L’intervention de M. Yilmaz a soulevé des réactions vives de la part de son partenaire de coalition le parti de l’Action nationaliste (MHP– néo-fasciste) mais la plupart des journaux ont salué les propos de l’ancien Premier ministre sans toute fois oublier de souligner qu’aucune des propositions n’a été à l’ordre du jour du gouvernement de Mesut Yilmaz pendant son mandat. Ainsi une caricature publiée le 21 décembre 1999 à la Une du quotidien turc Sabah avec comme légende " Un matin Mesut se réveille… ", représente Mesut Yilmaz au réveil balbutiant " Démocratie, droits de l’homme, la question kurde " et une voix lui répond seulement : " Bonjour ! ".

M. Ismail Cem, ministre turc des affaires étrangères, a déclaré le 13 décembre 1999 à la chaîne de télévision CNN Turk, que la Turquie ne s’opposerait pas aux revendications de la population kurde d’avoir des émissions télévisées en langue kurde. " Chaque citoyen turc doit pouvoir parler sa propre langue à la télévision. Nous le pensons et l’Union européenne attache à cela une grande importance (…) Si notre peuple veut diffuser des émissions dans sa propre langue, nous ne l’en empêcherons pas, notamment si nous voulons démarrer des négociations [avec l’Union européenne] (…) Nous avons réduit la liberté individuelle dans certains cas et il nous faut maintenant lever ces restrictions ". Le ministre a noté que des associations faisaient déjà de la télévision dans des langues autres que la langue kurde, sans autorisation officielle.

Cependant le président Süleyman Demirel, a, pour sa part, de nouveau refusé le 11 décembre 1999, sur la même chaîne de télévision, l’idée d’accorder une autonomie culturelle aux Kurdes, y voyant un danger pour l’unité du pays. Le 1er novembre, dans le quotidien Hürriyet, il avait déclaré une nouvelle fois son opposition pour l’autorisation des radios et télévisions en langue kurde. " Le turc est un véhicule national de communication (…) Nous continuerons à accepter le turc comme la seule langue et à dispenser l’enseignement en turc (…) L’important est d’être citoyen de la République turque et membre de la nation turque. Mais toutes les routes menant à un Etat séparé sont bloquées " a-t-il déclaré. M. Demirel soutient qu’accorder le droit d’utiliser leur propre langue pourrait provoquer des demandes similaires d’autres groupes ethniques en Turquie, c’est pourquoi il avance avec une mauvaise foi à toute épreuve qu’ " il y a huit langues connues comme étant kurdes " et que " la plupart des Kurdes ne comprennent pas la langue de l’autre ".

Le jour même de la déclaration de M. Cem, un jeune chanteur kurde âgé de 24 ans, Askeri Tan, a été placé en garde-à-vue pour avoir chanté en kurde dans une cérémonie de circoncision organisée conjointement par la municipalité de Baglar et la direction de la santé de la province de Diyarbakir en faveur de 75 jeunes enfants défavorisés. Alors qu’Askeri Tan, accusé de " séparatisme ", a été envoyé à la prison de Diyarbakir, cinq autres musiciens qui ont participé aux festivités ont été libérés après avoir été interrogés par le procureur. Ces derniers se sont cependant plaints d’avoir été torturés par la police lors de leur détention.

LE MUR DE LA NÉGATION : UNE ÉTUDE AMÉRICAINE SUR LES KURDES DÉPLACÉS EN TURQUIE

A la suite d’une enquête menée à la fin de l’année 1998 au Kurdistan turc par l’organisation américaine, US Committee for Refugees, un rapport intitulé " Le mur de la négation " a été rendu public en novembre 1999 sur le déplacement de la population kurde en Turquie. Dans sa présentation introductive, le comité souligne que " la Turquie est le second pays au monde pour le nombre de personnes déplacées à l’intérieur de ses frontières, et pourtant, la communauté internationale humanitaire n’a, de fait, rien entrepris pour leur compte. Ni le comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui dispose d’un mandat explicite pour la protection de personnes déplacées, et ni le Haut Commissariat pour les Réfugiés (UNHCR), qui a étendu ses " bons offices " au nom des déplacés dans de nombreux pays, n’ont entrepris d’action pour les déplacés de la Turquie, une population ignorée de fait par les autres organisations intergouvernementales et non-gouvernementales, traditionnellement œuvrant pour la protection des personnes déplacées qui se trouvent dans des situations similaires. Cette défaillance internationale ne résulte pas du fait que le gouvernement turc remplit ses responsabilités dans l’assistance et la protection de ses propres citoyens déplacés. Tout au contraire, la Turquie continue de nier le problème existant et a fortiori ignore les déracinés ".

" Aujourd’hui, près de la moitié des Kurdes de Turquie ne vit pas dans le Sud-Est (…). Les plus grandes villes kurdes en Turquie sont Istanbul, Izmir, et Ankara (…) À Diyarbakir, la capitale non-officielle du Kurdistan turc, la population comptait 30 000 habitants en 1930, 65 000 en 1956, 140 000 en 1970, 400 000 en 1990 pour finalement attendre en 1997 le chiffre de 1,5 millions d’habitants (…) Alors que certains déplacements étaient spontanés, l’armée turque a systématiquement expulsé les villageois kurdes du Sud-Est entre 1993 et 1995 (…). Les chiffres les plus récents (…) viennent de la commission parlementaire de migration, publiés en juin 1998. Toutes les statistiques reprises dans le rapport sont issues du bureau de la région de l’état d’urgence (OHAL), c’est pourquoi cela devrait être considéré comme les chiffres officiels du gouvernement [ndlr : les chiffres du rapport sont 401 328 personnes déplacées de force, 3 428 dont 905 villages et 2 523 hameaux évacués. Les chiffres ont été vivement contestés et cela par des députés mêmes qui les estiment largement en deçà de la réalité] (…) Le précédent recensement en 1990 avait estimé à 133 000 personnes habitant la province de Tunceli ; en 1997 il avait chuté jusqu’à 85 047 dont environ 20 000 militaires turcs (10 000 soldats stationnés en 1990). "

Le rapport précise d’autre part que l’accès de la région est restreint aux étrangers et que " l’armée turque bloque également ces plus hauts dignitaires civils lorsqu’ils veulent visiter la région pour évaluer les causes et les conditions des personnes déplacées de force [ndlr : Tansu Çiller en 1993 interdite d’accès à Lice et en 1994 Murat Karayalçin, vice-Premier ministre à l’époque etc…] (…) Lorsque les sources officielles du gouvernement reconnaissent un déplacement forcé, ils rejettent carrément la responsabilité sur le PKK (…) Le gouvernement va très loin pour nier les allégations, y compris en fabriquant des preuves, rejetant la responsabilité sur le PKK des abus commis par les forces militaires et de police (…) La forme la plus extrême pour contrôler les personnes déplacées est le meurtre ou la disparition de ceux qui parlent ouvertement de leur malheur (…) En général, le gouvernement ne paye pas de compensation aux personnes déplacées de force du fait du conflit dans le Sud-Est, y compris celles qui sont évacuées à la suite de l’action directe des forces de sécurité et militaires turques ".

LU DANS LA PRESSE TURQUE

LES MALHEURS DU CHANTEUR KIRMIZIGÜL



Le journaliste et musicien turc Zülfü Livaneli dans son éditorial du 5 novembre du quotidien Sabah relate la chasse aux sorcières lancée en Turquie contre les Kurdes et déplore le climat d’insécurité qui y règne. En voici de larges extraits.

" Mercredi soir, Mahsun Kirmizigül a réussi par l’intermédiaire de la télévision à se débarrasser d’une grande calamité. Une rançon de 300 000 dollars a pu être ainsi déjouée. Vous connaissez l’histoire : Mahsun Kirmizigül a participé en 1992 à un concert à Hambourg organisé par des immigrés originaires de Bingöl [ndlr : province kurde].

Le fait qu’il chante en kurde, embrasse une écharpe aux couleurs kurdes offerte par le public, et puis sous l’effet de l’ambiance fasse le signe de la victoire en réponse aux spectateurs, a donné aux détenteurs de la cassette vidéo l’idée de lui faire du chantage. L’horreur est là. Est-ce qu’il peut avoir une chose plus naturelle pour un homme que de chanter avec la langue utilisée par sa mère, son père ou son grand-père ? Comment ceci peut-il devenir objet de chantage ? Et puis le fait qu’il embrasse en guise de remerciement l’écharpe aux couleurs locales offerte par le public ? Quel est le crime ? Quant au signe de la victoire, comme a expliqué Mahsun lui-même, c’est le signe que font des millions de personnes en Turquie. Peut-on trouver raisonnable le fait d’accuser une personne ayant affiché ce signe, alors qu’il symbolise la première lettre du mot " victory ", signifiant la victoire anglais, et attribué à Churchill ? Mais la Turquie veut être traînée vers un terrain tel que, certaines personnes peuvent avoir l’idée de faire du chantage du fait de ces gestes innocents.

Si une telle émission avait été préparée par un journaliste de mauvaise foi, il aurait pu en finir avec Mahsun en une seule nuit. Et comme il l’a précisé, si des images de certains drapeaux ou pancartes avaient été montées alors que serait-il advenu ? Tout ce passe comme si nous vivions la chasse aux sorcières de Salem. Ou encore la période McCartyste. Dans quel pays avez-vous rencontré un musicien, écouté par des millions de personnes, accusé pour ce genre de choses et qui pour s’innocenter jurerait à tue-tête devant les écrans son attachement au drapeau, à la nation et à la patrie (turques) ?

La mentalité des malfaiteurs révèle en tout cas un réalité bien horrible : Nous devenons petit à petit une société réactionnaire. Les résultats des élections de 1998 n’étaient que le fruit de ces réactions. Les gens ont voté non pas pour la politique économique et sociale des partis mais pour celui qui affichait le plus de réactions radicales contre leurs ennemis. Si Öcalan n’avait pas été capturé pendant le gouvernement d’Ecevit, le DSP (Parti de la Gauche Démocratique de B. Ecevit) n’aurait pas récolté autant de voix. Si les lamentations au cours des funérailles des martyrs n’avaient pas touché le peuple au plus profond de lui-même, le MHP (le Parti de l’Action nationaliste, néo-fasciste) non plus n’aurait pas pu atteindre les 18 %. Ce parti doit ce score qui l’a même surpris à la réaction éprouvée contre le PKK. Le complot contre Mahsun Kirmizigül devrait ouvrir les yeux de tout le monde. Actuellement les chanteurs les plus appréciés en Turquie sont d’origine kurde et leur langue maternelle est le kurde. Le peuple sait aussi bien leurs origines, leur langue, leurs spécialités culinaires que d’où ils viennent. Et ils préfèrent depuis des années les chanteurs d’origine kurde. Et ils les aiment.

Il faut tirer une leçon de toute cette histoire ! Alors que le gouvernement est reçu à Diyarbakir par des drapeaux blancs et des slogans fraternels, que personne ne vienne dynamiter la paix. "

AINSI QUE...

ABDULLAH ÖCALAN APPELLE TOUS SES MILITANTS À RENTRER EN TURQUIE


Abdullah Öcalan a appelé le 5 novembre 1999, tous les membres du Parti des Travailleurs du Kurdistan à revenir à leur " lieu de naissance " pour y poursuivre leur " lutte démocratique et politique ". Dans un communiqué diffusé par l’intermédiaire de ses avocats, il a déclaré : " tout le monde doit revenir à son lieu de naissance (…) Le lieu de règlement des conflits sont ces terres (…) Je lance un appel pour la poursuite de la lutte démocratique et politique sur les terres natales (…) quelles que soient les conséquences : la mort ou l’incarcération ".

Öcalan avait jusqu’ici appelé des " groupes symboliques " de militants du PKK à se rendre pour témoigner de la volonté de paix de leur parti. Il étend désormais son appel à tous les membres du PKK et cela suscite de vives contestations au sein de cette organisation.

Le 21 décembre, le PKK a déclaré qu’il allait poursuivre son cessez-le-feu et le retrait de ses derniers combattants. "Nous sommes décidés à honorer notre engagement de mettre un terme aux combats et de retirer notre guérilla de la zone des combats (…) Jusqu’à présent, nous ne pouvions pas évacuer complètement, en raison des opérations militaires de l’armée turque et des conditions hivernales. Quand les conditions seront réunies, le petit nombre de nos troupes encore présentes partiront " précise un communiqué de la direction du PKK. Des sources turques et kurdes soutiennent que depuis que le chef du PKK a ordonné à ses troupes d’arrêter de se battre et de se retirer de Turquie à partir de septembre, les combats ont diminué de 90 % d’intensité dans la région.

Par ailleurs un procureur de la cour de sûreté de l’Etat (DGM) d’Istanbul a inculpé le 9 novembre 1999, cinq membres du PKK qui s’étaient rendus le 29 octobre 1999 à la Turquie pour " démontrer la volonté de paix " du parti. Haydar Ergül, le leader du groupe et deux autres membres sont accusés d’être des hauts responsables du PKK et encourent une peine d’au moins 22,5 ans de prison. Deux autres membres du groupe sont accusés d’ " appartenance à une organisation terroriste " et risque 15 à 22,5 ans de prison. Le parquet d’Istanbul s’est cependant déclaré incompétent concernant trois autres membres du groupe, à l’encontre desquels une procédure judiciaire est en cours à Ankara pour " appartenance au Parlement kurde en exil ".

À QUELQUES JOURS DE L’AN 2000 LE BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE


Le rapport de l’association turque des droits de l’homme (IHD) établissant un bilan des violations des droits de l’homme pour les neuf premiers mois de l’année 1999, montre que la Turquie va entrer en l’an 2000 avec un bilan déplorable. Le rapport a été rendu public à l’occasion du 51e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui se tenait le même jour que le sommet d’Helsinki :

- Nombre de meurtres non élucidés : 177
- Nombre d’exécutions extra-judiciaires ou morts à la suite de tortures subies en détention : 174
- Nombre de personnes torturées en garde-à-vue : 472
- Nombre de personnes disparues : 21
- Nombre de morts aux combats : 786
- Nombre de villages ou hameaux évacués ou incendiés : 27
- Nombre d’associations, de partis politiques et d’organes de presse, interdits : 127
- Nombre de prisonniers d’opinion : 120




LA COUR EUROPÉENNE CONDAMNE POUR LA TROISIÈME FOIS LA TURQUIE POUR L’INTERDICTION D’UN PARTI POLITIQUE PRO-KURDE

La Cour européenne des droits de l’homme a condamné le 8 décembre 1999 la Turquie pour avoir interdit en juillet 1993 le parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP- pro-kurde). La Cour a estimé à l’unanimité qu’Ankara avait violé le droit à la liberté d’association protégé par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. Mevlüt Ilik, président fondateur de l’ÖZDEP, qui s’était auto-dissout quelques mois avant la décision de la justice turque, obtient au nom de son mouvement, 30 000 F au titre de " dommage moral " et 40 000 F pour les frais et dépens.

La Cour européenne des droits de l’homme dispose dans son arrêt qu’elle " ne voit rien qui, dans le programme de l’ÖZDEP, puisse passer pour un appel à la violence, au soulèvement " qui aurait pu légitimer la décision de dissolution. Or, la Cour constitutionnelle turque avait prononcé la dissolution de ce parti qui prônait " le droit à l’autodétermination " du peuple kurde en soutenant que ses statuts étaient contraires à la Constitution turque et que l’ÖZDEP s’attaquait à " l’indivisibilité de la nation " et revendiquait une " discrimination fondée sur l’appartenance ethnique ". La Cour européenne précise que le fait que le programme de l’ÖZDEP " passe pour incompatible avec les principes et les structures actuelles de l’Etat turc ne le rend pas contraire aux règles démocratiques ".

C’est la troisième fois que la Cour européenne des droits de l’homme condamne Ankara pour l’interdiction d’un parti politique : le 30 janvier 1998 pour la dissolution du parti communiste unifié de Turquie et le 25 mai 1998 pour celle du parti socialiste. Les deux partis interdits se prononçaient en faveur du droit à l’autodétermination du peuple kurde. D’autres affaires concernant des partis politiques sont encore pendantes devant la Cour.

LE PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION TURQUE DES DROITS DE L’HOMME BATTU PAR DES MILITANTS D’EXTRÊME DROITE

Un groupe de militants d’extrême droite turque a fait irruption le 25 novembre 1999 au siège de l’Association des droits de l’homme (IHD) à Ankara, battu son président Hüsnü Öndül et blessé Avni Kalkan, secrétaire général adjoint de l’IHD. M. Öndül a déclaré que les militants, dont une femme, ont été " amenés " à l’IHD " à bord de quatre autocars de la police " qui n’a " rien fait pour empêcher l’attaque ". Il a ajouté que les assaillants ont saccagé le bureau avant de quitter les lieux, et que la police les attendait en bas de l’immeuble.

Akin Birdal, le précédent président de l’IHD, avait été grièvement blessé en mai 1998 dans un attentat au siège de l’IHD à Ankara. Ses agresseurs étaient également militants d’extrême droite turque.

DEUX ADOLESCENTES KURDES ÂGÉES DE 19 ET 16 ANS ACCUSENT LA POLICE TURQUE DE TORTURES ET DE VIOLS

Âgées réciproquement de 16 et 19 ans, l’une étudiante à l’Université et l’autre encore lycéenne, les deux jeunes filles avaient été placées en garde-à-vue le 6 mars 1999 à la direction de sûreté d’Iskenderun après avoir été accusées de " séparatisme ". L’affaire a été rendue public lorsque le père de l’une des adolescentes a rendu visite à sa fille actuellement emprisonnée à la prison Kürkçüler d’Adana. Accusées d’avoir " participé à un attentat à la bombe incendiaire pour manifester leur soutien à A. Öcalan ", les deux adolescentes ont été condamnées par la cour de sûreté de l’Etat d’Adana : L’aînée à 12 ans et 6 mois de prison pour " appartenance à une organisation illégale " et 5 ans, 6 mois et 20 jours pour " avoir lancé un cocktail molotov " et la cadette, bénéficiant de la " clémence " du tribunal du fait de son jeune âge à 8 ans et 4 mois pour le premier chef d’accusation et à 8 mois et 13 jours pour le second. Le syndicat des médecins turcs d’Adana a rendu un rapport accablant après consultation des adolescentes : attouchements et viols (matraque introduite dans l’anus), enfermement dans des cellules glaciales, affamées et assoiffées pendant deux jours, forcées à boire de l’eau contenant du crachat, empêchées d’aller sur la selle, de s’assoire ou de se lever, menaces… Leur calvaire a duré pendant sept jours au cours desquels la famille n’a eu aucun contact avec les jeunes filles. Un précédent rapport médical émis par plusieurs médecins soutenait qu’il n’y avait eu aucun sévice. L’Union des médecins turcs et les familles des victimes ont déclaré qu’ils allaient porter plainte contre cinq médecins et le syndicat (indépendant) des médecins turcs réclame une nouvelle et complète évaluation médicale, estimant que l’examen ordonné par les tribunaux était " incomplet et erroné ".

Le viol est une pratique courante dans les commissariats turcs. Invitée à un séminaire en Allemagne, Me Eren Keskin, responsable de la section d’Istanbul de l’Association turque des droits de l’homme (IHD), a déclaré qu’en 2,5 ans 106 femmes violées pendant la garde-à-vue ont fait appel à l’Association. M. Keskin a déclaré que peu sont nombreuses les femmes qui osent venir parler du viol et qu’elle s’était rendue compte de l’importance de ce phénomène lorsqu’elle s’était, elle même, retrouvée emprisonnée.



SIX ENFANTS DE 11 À 14 ANS RISQUENT TROIS ANS DE PRISON POUR AVOIR PORTÉ DES PANCARTES DEMANDANT PLUS DE PROFESSEURS POUR LEUR ÉCOLE

Six enfants âgés de 11 à 14 ans risquent trois ans de prison pour avoir tenu des pancartes " nous voulons des professeurs ". Terrifiés, les enfants ont été présentés à la justice le 16 décembre 1999 pour répondre de l’accusation de " manifestation illégale ". Ils ont simplement répondu candidement qu’ils étaient loin de se douter que cela pouvait constituer un crime. Le parquet turc a considéré ces enfants, élèves à l’école primaire d’Atatürk Çiftligi dans le quartier Gazi d’Istanbul, comme des " éléments perturbateurs ".

LA MORT SUSPECTE DU PORTE-PAROLE DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE PARLEMENTAIRE SUR L’AFFAIRE DE SUSURLUK

Un accident de voiture à Ankara vient une nouvelle fois de jeter le trouble sur la scène politico-judiciaire turque. Mehmet Bedri Incetahtaci, député du parti de la Vertu (Fazilet) de Gaziantep, porte-parole de la commission d’enquête parlementaire sur l’accident de Susurluk, vient de mourir le 21 novembre 1999 dans un accident de voiture. Connu pour ses idées plutôt réformatrices, ce député de 39 ans, était justement en route pour se rendre à Cologne afin de participer à une conférence sur l’affaire de Susurluk avec Mehmet Elkatmis, président de cette commission parlementaire. Cette commission avait essayé de tirer au clair les liens entre les bandes mafieuses et certains services de l’Etat turc, liens révélés au grand jour lors d’un accident de voiture survenu le 3 novembre 1996 près de la localité de Susurluk au cours duquel un chef de la mafia turque d’extrême droite et un policier de haut rang avaient été tués et un député blessé. M. Incetahtaci était un des membres les plus actifs de la commission et la rédaction d’un livre sur le sujet était en projet selon ses proches. La police a très vite conclu à un accident en précisant que la responsabilité lui incombait à cent pour cent et le véhicule a très vite été dégagé des lieux.

Cependant, personne ne semble croire à la thèse de l’accident. Le quotidien Milliyet titrait à la Une le 22 novembre 1999 " le 3ème accident de Susurluk : d’abord la Mercedes, puis le rapporteur, ensuite le porte-parole de la commission ". Un sombre accident de voiture avait déjà coûté le 29 août 1997 la vie d’Ertugrul Berkman, retraité des services de renseignements turcs (MIT), qui avait enquêté sur la bande mafieuse de Susurluk. En décembre 1999 un autre accident avait causé la mort d’Akman Akyürek, rapporteur de la commission qui, après avoir démissionné de la commission, avait préparé un rapport alternatif.

Fikri Saglar, ancien député et ancien ministre de la culture, membre de la même commission, a également émis de sérieux doutes sur l’accident et a déclaré qu’il y a une quinzaine de jours, il avait lui-même été serré par un camion sur la route et précédemment, avait étrangement et brusquement perdu ses pneus toujours sur la route de l’aéroport. Il a accusé la direction de la sûreté de négligence et de dissimulation. " Ce n’est pas normal ‘ces hasards’. De toute façon Susurluk n’est qu’une chaîne de hasards. Je ne sais pas si le désir de nous éliminer est dû au fait que nous savons des choses et que nous ne voulons pas les dire. Mais en tout cas il y a beaucoup de choses que nous savons et que nous ne pouvons pas prouver. ".

Tout le monde s’accorde pour dire que si l’affaire de Susurluk n’était pas restée totalement impunie, elle ne susciterait pas autant de questions.

LE PROCÈS D’AHMET KAYA REPORTÉ AU 29 DÉCEMBRE

Le 17 novembre, la Cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul a, à nouveau, entendu l’affaire du chanteur kurde Ahmet Kaya, accusé de séparatisme et passible de 10,5 ans de prison pour avoir déclaré vouloir faire une chanson en kurde. En l’absence du chanteur, actuellement en Europe, le procureur a demandé aux juges de décider de son arrestation et d’émettre un mandat d’arrêt international. En pleine période de sommet de l’OSCE à Istanbul, les juges ont choisi une solution d’attente en renvoyant l’affaire au 29 décembre 1999.

UN COMMANDANT DU PKK DEMANDE L’ASILE AUX PAYS-BAS

Murat Karayilan, un des principaux chefs militaires du Parti des Travailleurs du Kurdistan avec Cemil Bayik et Osman Öcalan, a demandé le 20 novembre 1999 l’asile politique aux Pays-Bas. Charlotte Menten, porte-parole du ministère de la Justice à La Haye, a confirmé l’information le 24 novembre. Le ministère néerlandais de la Justice vérifierait actuellement si M. Karayilan avait commis des actes criminels ou des violences.

Murat Karayilan était commandant de la région Botan, comprenant les provinces de Siirt et de Sirnak. Il est aussi l’un des accusés dans un procès contre une centaine de membres du PKK, dont Abdullah Öcalan, qui doit s’ouvrir le 15 décembre 1999 à Ankara, pour trahison, meurtre, port d’arme illégal et appartenance à un groupe armé.



ACCUSÉ D’HOMICIDE, M. DURMUS EST AUJOURD’HUI MINISTRE TURC DE LA SANTÉ !

Le quotidien turc Hurriyet affirme dans son numéro du 23 novembre 1999, que le ministre turc de la santé, Osman Durmus, membre du parti de l’Action nationale (MHP- néo-fasciste), est un des accusés impunis de l’assassinat le 13 avril 1970 du Dr. Necdet Güçlü. Poursuivi pour homicide, kidnapping et port d’arme illégal, M. Durmus est déclaré introuvable à l’époque du procès bien que son assiduité à la faculté de médecine peut être constatée aujourd’hui. Il bénéficie en 1974 de l’amnistie décrétée par le Premier ministre de l’époque, M. Bülent Ecevit, et est aujourd’hui devenu ministre de la santé de M. Ecevit !

ONZE MEMBRES DU PARTI HADEP ARRÊTÉS À URFA

Onze membres du parti pro-kurde de la démocratie du peuple (HADEP), dont quatre dirigeants locaux, ont été interpellés le 15 décembre 1999 lors d’une décente de la police au siège provincial du parti à Sanliurfa. La police a soutenu que les interpellations sont intervenues après la découverte dans le bureau du parti de nombreux documents " interdits " qui sont de " nature à faire l’éloge du PKK ", visent " l’intégrité territoriale de l’Etat " et " insultent " en outre les forces de sécurité.

Le HADEP a, quant à lui, condamné un acte de " provocation " visant à saboter l’"atmosphère de paix et de fraternité " qu’il cherche à établir dans la région. Il est menacé de fermeture par les autorités turques alors qu’il avait remporté lors des élections d’avril 1999, 38 municipalités dont Diyarbakir.

L’UNION DES BARREAUX TURCS DEMANDE LE DROIT À L’ENSEIGNEMENT EN KURDE

Le conseil d’administration de l’Union des barreaux turcs (TBB) a rendu public, le 11 décembre 1999, son " rapport sur le Sud-est " à Urfa. Eralp Özgen, président de l’Union, a dénoncé le double système juridique dans le pays du fait du régime d’exception en vigueur dans la région. " L’Etat voit comme des coupables potentiels des citoyens qui vivent dans la région. Devant les événements, il accuse de nombreuses personnes coupables ou non… " a-t-il déclaré.

Le rapport demande que " tous les citoyens ethniques puissent avoir toutes les libertés permettant l’expression de leur culture, de leur langue et de leur identité " mais également " la reconnaissance de l’enseignement privé et le droit à l’éducation en leur propre langue ". Il critique ouvertement l’attitude des fonctionnaires des services publics de la région qui voient les citoyens de la région comme des ennemis de l’Etat et souligne que 3 428 villages et hameaux ont été évacués d’après les chiffres datant de fin 1997. Le rapport réprouve également le système des protecteurs de village qui se trouvent très souvent en position de hors-la-loi. Plus de 39 000 élèves et étudiants ne peuvent pas aller à l’école, 20 000 classes et 10 000 professeurs manquent à la région kurde sous état d’urgence (OHAL) selon le rapport.

LA JUSTICE TURQUE SE PRONONCE CONTRE LE VOILE ISLAMIQUE À L’UNIVERSITÉ

La Cour d’appel turque a statué le 9 décembre 1999 qu’une université avait le droit d’interdire aux étudiantes de porter le voile islamique en classe. La Cour devait se prononcer sur un jugement rendu par un tribunal turc à Samsun qui avait alloué $200 dommages et intérêts à la demanderesse en qualifiant de " droit démocratique " le droit de porter le voile. La Cour d’appel d’Ankara qui devait rendre un jugement définitif a infirmé le verdict en soulignant que la décision violait la Constitution séculaire turque.



MEHMET AGAR SERA JUGÉ DANS LE CADRE DE L’AFFAIRE DE SUSURLUK

L’assemblée plénière des chambres administratives du Conseil d’Etat turc a statué le 8 décembre 1999, que Mehmet Agar, député indépendant d’Elazig, ancien directeur de la sécurité nationale, ancien ministre de l’Intérieur sous le gouvernement Çiller, devait être jugé par la Cour de sûreté nationale (DGM) d’Istanbul dans le cadre de l’affaire de Susurluk [ndlr : affaire mettant en lumière les liens entre la mafia et l’Etat turc et causant la mort d’Abdullah Çatli chef de bande lié à l’extrême droite turc]. Mehmet Agar avait pu esquiver la justice, peu encline à lui demander des comptes, alors que son immunité parlementaire avait été levée le 11 décembre 1997. L’assemblée plénière devait se prononcer à la suite de la saisine de l’ancien ministre qui contestait la levée de son immunité. Le Conseil d’Etat turc a estimé que M. Agar devait effectivement être jugé pour avoir apporté " son soutien à l’obtention par Abdullah Çatli d’une carte d’officier spéciale de la sécurité ", d’avoir " aidé A. Çatli à se cacher " mais aussi pour " association de malfaiteurs ". La décision a été ensuite envoyée au cabinet du Premier ministre en précisant la nécessité de juger en connexité cinq directeurs de la sécurité pour ce même dossier.

Le Premier ministre devrait redemander la levée d’immunité parlementaire de Mehmet Agar, fraîchement réélu aux élections législatives d’avril 1999, au nouveau Parlement. Un véritable imbroglio juridique avait permis à l’ancien ministre d’échapper jusqu’à présent à la justice.

INCIDENTS DANS LES PRISONS TURQUES

De nouveaux incidents ont éclaté le 13 décembre 1999 à la prison de Bayrampasa à Istanbul pour protester contre le délai de transport des détenus malades à l’hôpital. Selon les informations fournies par l’administration pénitentiaire, la tension est retombée lorsqu’un prisonnier a été envoyé aux soins. Ces derniers mois de nombreuses révoltes ont éclaté dans les prisons turques dont deux rien que la semaine dernière à Istanbul et à Ankara. Selon les milieux politiques, le délai de mise en application de la loi d’amnistie est la raison de ces vives tensions.

Par ailleurs, au cours d’une conférence de presse le 13 décembre 1999 devant la prison Ulucanlar d’Ankara - prison où sont incarcérés de nombreux prisonniers politiques dont les députés kurdes- la section d’Ankara de l’association turque des droits de l’homme (IHD) a attiré l’attention sur les violations des droits de l’homme dans les prisons turques. L’association a dénoncé le fait que même les responsables politiques avouent aujourd’hui leur manque de contrôle des prisons. L’association a également accusé le gouvernement d’être responsable de la tuerie de 10 détenus en 1996 à la prison de Diyarbakir et de l’assassinat après torture de 10 autres prisonniers à la prison d’Ulucanlar le 26 septembre 1999.

ALAATTIN ÇAKICI EXTRADÉ EN TURQUIE PAR LA FRANCE

Alaattin Çakici, une des plus importantes figures de la mafia turque, qui purgeait une peine de 6 mois de prison en France, a été rapatrié en Turquie, le 13 décembre 1999, accompagné de quatre hommes d’Interpol et sous étroite surveillance. Une cellule privée duplexe, aménagée tout spécialement, lui a été d’ores et déjà réservée à la prison de Kartal. A. Çakici lui-même, avait fait part aux autorités françaises de son désir de repartir " dans son pays ". Le Premier ministre français, M. Lionel Jospin a signé son extradition après avoir obtenu la garantie d’Ankara, pays où la peine de mort n’est pas abolie, de ne pas l’exécuter.

Çakici a huit affaires pendantes engagées contre lui à Istanbul et une dernière à Bursa dont l’assassinat de sa propre femme. S’il est condamné pour ces neuf procès, cinq peines de mort pourront être prononcées à son encontre. La France dans son accord d’extradition n’a seulement reconnu que deux affaires — association de malfaiteurs et accusation d’avoir tiré aux jambes du journaliste Hincal Uluç– toutes les autres affaires ne sont pas prises en considération par les autorités françaises afin de faciliter l’extradition. Résultat, A. Çakici n’encourait qu’une peine de 13 ans et 5 mois de prison.

Or, la 6ème chambre du Tribunal correctionnel d’Istanbul a statué le 20 décembre 1999 qu’une de ces affaires tombait pour prescription. En l’espèce, A. Çakici, était poursuivi pour avoir commandité la fusillade sur la personne de Hincal Uluç, journaliste au quotidien turc Sabah. Le 4 mars 1994, ce dernier avait été pris à partie par les hommes d’A. Çakici dans une station d’essence et avait reçu des balles à la jambe. Le chef mafieux n’avait pas apprécié un article de H. Uluç qui mettait en cause Alaattin Çakici dans le meurtre de sa femme. L’affaire avait débuté le 25 mars 1994 et la législation turque en vertu de l’article 102, 103 et 104 du code pénal turc, fixe à 5 ans le délai de prescription. Interrogé sur la question le ministre turc de la justice, Hikmet Sami Türk, rétorque que l’ancien procureur en charge de l’affaire, avait fixé le délai de prescription à 7,5 ans alors que l’actuel affirme que ce délai est de 5 ans. À ce rythme-là, A. Çakici ne sera jugé que pour " association de malfaiteurs " risquant une peine maximale de 3 ans de prison. Il ne lui restera plus qu’à purger 21 mois conformément à la loi d’application des peines sans compter l’application d’une éventuelle loi d’amnistie. La presse turque accuse le ministre de la justice d’impéritie et d’avoir obstrué la tâche du ministère de l’intérieur qui avait chargé une équipe de la direction de la sécurité nationale de l’interrogatoire à l’arrivée d’A. Çakici.



LA MISE SUR ÉCOUTES TÉLÉPHONIQUES ILLEGALES VAUT $5 D’AMENDE EN TURQUIE

Un des policiers accusés d’avoir effectué des écoutes téléphoniques a été, le 6 décembre 1999, condamné par un tribunal turc à une peine d’amende de $5. Zafer Aktas, chef adjoint des services secrets de la police, a été déclaré coupable d’avoir ordonné la destruction des enregistrements téléphoniques et condamné à une peine de 6 mois de prison, commuée ensuite en une peine d’amende de 2,7 millions de livres turques soit $5. Des policiers avaient été accusés d’avoir écouté les conversations téléphoniques des partis politiques et officiers militaires mais également le domicile du Premier ministre Bülent Ecevit. Les crimes et délits commis par les policiers turcs ne semblent toujours pas être sanctionnés par la justice turque.

LES RUSSES VEULENT TROQUER LEURS ARMES CONTRE LE REMBOURSEMENT DE LEUR DETTE ENVERS ANKARA

Dans son numéro du 3 novembre 1999, le quotidien turc Milliyet annonce que la Russie va proposer à la Turquie d’acquitter ses dettes en lui troquant des armes. Selon le journal turc, les autorités russes offriraient au Premier ministre Bülent Ecevit en visite officielle en Russie à partir du 4 novembre, de rembourser les 700 millions dollars de dette par des livraisons d’armes russes. Endettés auprès de la banque turque Eximbank durant la période de l’URSS, les Russes n’ont pas pu acquitter leur dette et ses intérêts. Le club de Paris qui avait décidé de geler jusqu’en 2011 le remboursement des dettes de l’ex-URSS avait pourtant convenu le paiement des intérêts en cours. La Turquie aurait proposé d’être payée par le gaz naturel russe mais Moscou opterait pour les armes.

LA NORVÈGE DÉCIDE D’EXPORTER 16 MISSILES ANTI-NAVIRES PENGUIN À LA TURQUIE

L’ALLEMAGNE EST EN LICE POUR LA VENTE DES CHARS. La Norvège a décidé le 20 décembre 1999 d’autoriser la vente de missiles anti-navire à la Turquie, mettant ainsi un terme à quatre ans d’interdiction de vente d’armes à Ankara, principalement pour la situation des droits de l’homme. Le ministre norvégien des affaires étrangères a déclaré que la société Kongsberg Gruppen a obtenu une licence pour la vente de 16 missiles anti-navire Penguin à l’armée turque d’un montant de $ 37,49 millions. Le ministère norvégien a indiqué que " toute demande d’export de matériel de défense à la Turquie sera traitée au cas par cas " et que la décision d’autorisation avait été prise en considération du fait que la situation actuelle dans le Kurdistan n’était pas comparable à la guerre civile d’il y a cinq ans et que la Turquie avait arrêté ses opérations militaires dans le nord de l’Irak. [ndlr : quelque 5000 soldats turcs appuyés par des hélicoptères avaient lancé une incursion militaire le 27 septembre 1999 au Kurdistan irakien–]

Par ailleurs, Rudolp Scharping, ministre allemand de la défense, en visite officielle les 21 et 22 décembre 1999 en Turquie, a annoncé le désir de son gouvernement de prendre part à l’offre publique d’achat lancée par la Turquie voulant acquérir 1000 chars d’un montant de 14 milliards de DM. Gerhard Schroder, le chancelier allemand, avait lui-même argumenté, il y a peu, que ce contrat garantirait 6000 emplois en Allemagne. La livraison d’un char Leopard allemand à la Turquie pour des essais avait suscité une crise dans la coalition gouvernementale entre les Verts et le SPD. Rudolp Scharping a déclaré au cours de sa visite : " Je pense que les Kurdes devraient avoir le droit de parler leur langue, d’avoir un enseignement en leur langue et d’exprimer leur culture en leur langue. C’est une question de droits de l’homme et non d’autonomie de l’Etat. "