LES festivités du Newroz, marquant le début du printemps à l’équinoxe du 21 mars et considéré par les Kurdes comme le début du nouvel an, se sont déroulées dans un calme relatif mais sous haute surveillance policière dans les villes dont les préfets avaient autorisé les célébrations. Le président Süleyman Demirel et le Premier ministre turc Bülent Ecevit ont adressé des messages à la population en soulignant que " le Newroz était l’occasion de l’expression des sentiments de fraternité, de l’amitié et de la paix ". Contrairement aux années précédentes, il n’y a pas eu d’affrontements sanglants entre les forces de sécurité et la population. Cependant au moins 147 personnes ont été arrêtées à Istanbul et un nombre indéterminé dans d’autres villes kurdes où les célébrations étaient interdites. Toujours à Istanbul, le gouverneur, Erol Çakir, a refusé au parti pro-kurde HADEP l’organisation des festivités en s’appuyant sur une question d’orthographe. Selon le gouverneur, l’autorisation a été rejetée car la demande faisait référence au " Newroz ", orthographe kurde du mot qui signifie le jour nouveau et non au " Nevruz ", orthographe turque empruntée au persan à l’époque ottomane. " Écrit comme tel ‘Newroz’ n’est pas un mot turc (…) la législation sur les partis politiques dispose que les partis ne peuvent utiliser une autre langue que le turc " argumente Osman Demir, gouverneur adjoint d’Istanbul dans une lettre adressée au HADEP [ndlr : la lettre W n’existe pas dans l’alphabet turc]. Une célébration a été organisée par le gouverneur même d’Istanbul. 27 000 policiers ont été mobilisés et une cellule de crise a été établie pour l’événement. Les cadets des écoles de police et de la gendarmerie des arrondissements d’ Etiler et de Florya sont également venus en renfort.
Serdar Turgut, éditorialiste au quotidien turc Hürriyet, écrit le 23 mars en toute ironie dans un article intitulé " À bas la lettre W ! " ceci : " L’opération consiste à effacer WC sur toutes les toilettes publiques et les remplacer par VC (…) Attention ! Si vous êtes de l’Est et qu’après dur labeur, vous arrivez à vous acheter une BMW, essayez de vous en débarrasser (…) On ne peut pas savoir la position de l’ennemi (…) Chers parents ! grands-parents ou tout autre personne responsable d’un enfant ! Prenez garde. Ne laissez rien au hasard. Ne laissez pas les jeunes aller dans la rue avec un walkman. Une fois en marche, on ne peut pas savoir jusqu’où peut aller le mécanisme étatique (…) J’avais de toute façon des doutes sur ces walkman depuis fort longtemps (…) La vérité éclate en plein jour maintenant. Ces ennemis de l’Etat se promènent entre nous avec leurs walkman en silence et font la propagande séparatiste en s’affichant avec leur W (…) Nous essayons d’intégrer l’Union européenne (…) Ce jour-là arrivé, tous les pays de l’Union sortiront ensemble de l’UE… "
À Ankara, 3000 personnes ont assisté aux festivités dans le calme. À Izmir, des pluies torrentielles ont empêché la célébration. Plus de 10 000 personnes ont assisté au Newroz à Mersin et Adana.
Pour la première fois cette année, le HADEP avait été autorisé à organiser des festivités pour célébrer le Newroz à Diyarbakir et dans la province de Batman. Un millier de bus, camions et minibus se sont chargés de transporter les habitants à plus de 8km de Diyarbakir. Sur des pancartes brandies on pouvait lire " Newroz=fraternité " ou " Vive la paix ". Le président du HADEP, Ahmet Turan Demir, a estimé dans un communiqué que le Newroz représentait " une nouvelle étape dans le processus de paix et de démocratisation (…) le Newroz est le symbole de notre peuple pour l’unité, la paix, et la fraternité ". Une foule immense, évaluée à 300 000 personnes, a assisté aux festivités à Diyarbakir.
D’autre part, la Turquie a exprimé le 22 mars son " malaise " concernant la façon dont le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, a organisé une réception pour célébrer la fête du Newroz à Ankara. Lors de la réception, célébrée dans un grand hôtel d’Ankara, le PDK avait présenté plusieurs de ses membres, arrivés du nord de l’Irak, comme des " ministres " selon les médias. Aucun officiel turc n’avait assisté à la réception où étaient présents en revanche les ambassadeurs de plusieurs pays européens, notamment l’Allemagne et l’Italie. La Turquie est très irritée par toute action des partis kurdes d’Irak, qui échappe au contrôle de Bagdad depuis la guerre du Golfe, susceptible d’être interprétée comme le signe de la création d’un Etat kurde indépendant dans la région, et soutient fermement l’intégrité territoriale de l’Irak. Safin Diyayee, représentant à Ankara du PDK a été convoqué le 22 mars au ministère turc des Affaires étrangères.
Après une longue bataille juridique la chambre civile de la Cour de cassation a décidé pour la première fois dans l’histoire de la République turque d’autoriser l’utilisation de prénoms kurdes. La requête avait été déposée par Nezir Durak qui voulait changer le prénom de sa fille de Hatice, prénom arabo-musulman, imposé par le bureau d’état civil, en Mizgin [ndlr : qui signifie bonne nouvelle en kurde] sur le fondement de l’article 26 du code civil turc en arguant qu’elle était connue par ce prénom dans son milieu familial. La première instance avait débouté M. Durak, mais une décision infirmative était venue le conforter dans sa demande. La juridiction de premir degré ayant fait appel du jugement, la chambre civile de la Cour suprême turque a été saisie. Rejeté une première fois, le pourvoi a été accepté sur le fondement de la liberté de choix du prénom. L’arrêt en l’espèce stipule : " (…) les prénoms qui ont été déterminés par les autorités gouvernementales doivent être utilisés. Toutefois, ceci pourrait être vu comme une restriction dans la façon de vivre des individus. Nous rencontrons tous des prénoms signifiant " brave, agile, rare, et prospère " utilisés dans la culture turque. Ce prénom ne peut pas être considéré contradictoire aux traditions, car c’est en accord avec les traditions du plaignant et avec les prénoms utilisés par ses ancêtres (…) Le plaignant a le droit de choisir un style de vie par rapport au mode de vie l’environnant. Si tous les prénoms devaient avoir une origine turque, alors laissez-moi vous rappeler que des prénoms comme Hatice et Mustafa sont d’origine arabe ou perse. Beaucoup d’autres noms ont une origine occidentale. Ce serait une contradiction que de voir des prénoms kurdes ou perses comme un inconvénient au moment où d’autres prénoms occidentaux ne sont pas considérés eux comme contraires à la culture nationale ".
Le quotidien populaire Hürriyet a consacré toute sa Une du 5 mars 2000 à cette " petite révolution culturelle ". Son éditorialiste en chef, Oktay Eksi, par ailleurs, président du Conseil supérieur de la presse turque a, dans un long article, salué le geste des " juges réalistes " et brocardé les hommes politiques incapables de promouvoir les réformes qui s’imposent pour la prise en compte de l’identité kurde.
D’autre part, dans une déclaration le 3 mars, Tansu Çiller, ancienne Premier ministre et chef du parti de la Juste Voie (DYP), a déclaré que " la chaîne de télévision TRT-INT [ndlr : chaîne nationale turque] devrait émettre des programmes pour les pays entourant la Turquie dans les langues parlées dans ces pays. Dans ce même cadre, des programmes émis en langue kurde devraient être pris en considération ". Il s’agit une nouvelle fois de tactique politicienne dont Mme Çiller est tant accoutumée. C’est pendant son mandat qu’il y a eu le plus de répression au Kurdistan turc et que la véritable destruction massive des villages kurdes a été entreprise.
LE parquet de Diyarbakir a requis le 3 mars sept ans de prison à l’encontre des trois maires kurdes HADEP inculpés pour " soutien au PKK ". Le parquet soutient que Feridun Çelik, maire de Diyarbakir, Selim Özalp, maire de Siirt, et Feyzullah Karaslan, maire de Bingöl, ont profité d’un récent voyage en Allemagne pour rencontrer des membres du PKK, dont un des chefs de la guérilla, Murat Karayilan, qui a demandé l’asile politique aux Pays-Bas. Les trois maires avaient été interpellés le 19 février, inculpés le 24, remis en liberté provisoire et réintégrés dans leurs fonctions le 28. Sept années de prison ont également été demandées pour 11 autres personnes pour les mêmes accusations, alors que huit autres inculpés risquent jusqu’à 15 ans d’emprisonnement pour appart-enance au PKK. La date du procès n’a pas encore été fixée.
Le 21 mars, un nouveau procès s’est ouvert devant la Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara contre Ahmet Turan Demir, le président du parti de la démocratie du peuple (HADEP) pour " propagande séparatiste ". M. Demir, absent de cette première audience, est accusé d’avoir tenu des propos visant à une " propagande séparatiste " lors d’une réunion de son parti en octobre dernier à Ankara et risque jusqu’à trois ans de prison. Selon l’acte d’accusation, il aurait dit dans son discours qu’un règlement de la " question kurde est proche " et suggéré une " division " des peuples turc et kurde en Turquie à l’instar de la séparation " pacifique " de la Tchécoslovaquie en républiques tchèque et slovaque. La Cour a ajourné le procès à une date ultérieure et exigé que l’accusé soit présent à la prochaine audience. Ahmet Turan Demir, son prédécesseur Murat Bozlak et plusieurs autres responsables du parti HADEP ont été condamnés, le 24 février, à trois ans et neuf mois de prison chacun pour " soutien " au PKK. Par ailleurs, le HADEP est menacé de dissolution par la justice turque pour " liens organiques" avec le PKK.
À Bruxelles, le commissaire européen à l’Elargissement, Guenter Verheugen, a fait de " progrès " sur la question kurde un préalable à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, dans une interview au quotidien économique allemand Financial Times Deutschland le 6 mars. " Des progrès dans le règlement de la question sont absolument nécessaires avant l’engagement de négociations d’adhésion (…) Le statut de candidat suppose dès à présent une série d’obligations ", a souligné M. Verheugen.
Ismail Cem, ministre turc des affaires étrangères, a déclaré le 3 mars qu’Ankara est " dérangé " par l’importance " spéciale " qu’attachent les responsables européens en visite en Turquie à leurs contacts avec des associations pro-kurdes et de défense des droits de l’homme. Il a également ajouté sur la chaîne turque NTV : " les officiels qui visitent la Turquie peuvent rencontrer toutes les organisations ou associations légales, mais le faire en y attribuant une espèce de signification spéciale nous a, bien sûr, dérangés ". Ces remarques suivent les récentes visites à Ankara des ministres des affaires étrangères de Suède, de Suisse et du Luxembourg, qui ont rencontré les dirigeants d’associations des droits de l’homme.
Porte-voix des milieux militaires, l’influent journaliste Emin Çölasan, dans un long éditorial publié par le quotidien Hürriyet du 6 mars, évoque carrément " le retour de l’époque des capitulations " et qualifie de " traîtres " et " d’ennemis de la Turquie" les dirigeants des organisations turques des droits de l’homme que les dirigeants européens en visite à Ankara reçoivent si ostensiblement et qui profitent de ces rencontres " pour dénigrer comme des indics " leur pays. Selon lui, sans ces " ennemis de l’intérieur ", la Turquie aurait une meilleure image à l’extérieur.
De son côté, M. Ilter Türkmen, ancien ministre turc des affaires étrangères, plaide dans le quotidien turc Hürriyet du 7 mars pour plus de démocratisation :
" Dans mon article intitulé " L’Etat légal " du 29 février, je disais que la décision du ministre de l’Intérieur, Sadettin Tantan, de retirer rapidement les maires HADEP de leurs postes après leur arrestation, porte atteinte à la présomption d’innocence. Le ministre de l’Intérieur a été aimable de m’envoyer un mémorandum sur l’affaire. Il est dit que le retrait des maires de leurs postes est en conformité avec l’article 127 de la Constitution et l’article 93 de la loi sur les administrations municipales. Nul ne doutait de la soumission de Sadettin Tantan à la loi (…) Les développements relatifs aux maires de Diyarbakir, Bingöl et de Siirt, ont mis en lumière nos politiques contradictoires. D’une part, nous voulons empêcher la politisation du problème kurde. En fait, le Premier ministre Bülent Ecevit a mis l’accent sur le danger que comporte un tel développement. Et d’un autre côté, nous facilitons ce processus par nos propres activités. Nous créons l’impression que nous avons cédé à la pression étrangère. Plus encore, nous opprimons un groupe de personnes et créons une situation favorable à la politisation du problème ".
" Les rêves d’indépendance ou l’établissement d’une fédération ou encore la reconnaissance d’un statut autonome pour les Kurdes ont été abandonnés (…) Un autre point doit être pris en considération : Le HADEP est un parti ethnique, sans rapport avec son programme. Certains de ses électeurs sont parmi les gens qui ont soutenu le PKK dans le passé et qui éprouvent encore de la sympathie pour l’organisation (…) En fait, il aurait été utile si des partis modérés comme le Parti de la masse démocratique (DKP) n’avaient pas été interdits dans le sud-est de la Turquie. Manifestement, cela aurait empêché un parti d’établir un monopôle sur les voix dans la région.
(…) La politisation peut être réalisée si la Turquie accepte de reconnaître un parti ou une organisation ou encore un groupe qui affirme représenter nos citoyens d’origine kurde en masse (…) Ce que l’Etat doit faire c’est de décider unilatéralement de satisfaire certaines attentes sur une base individuelle. La décision de la Cour suprême d’autoriser les prénoms kurdes par exemple. Incontes-tablement, la menace appréhendée de la politisation sera évitée si l’Etat adopte les mesures qui sont requises pour une démocratisation opportune. La crainte des responsables des mots et le comportement sans méthode ne nous conduiront nulle part. "
LA sous-commission par-lementaire des droits de l’homme de Turquie a rendu public le 13 mars 2000 son rapport concernant les émeutes en septembre 1999 de la prison d’Ulucanlar au cours desquelles 10 prisonniers politiques avaient perdu la vie. En raison des dissensions entre les députés, deux rapports différents ont été rédigés ; l’un par les députés de la Mère patrie (ANAP), du Fazilet (FP-islamiste) et de la Juste Voie (DYP) qui ont fortement mis en cause les autorités pénitentiaires, et l’autre par les députés gouvernementaux du parti de la Gauche démocratique (DSP) et du parti néopasiste de l’Action nationaliste (MHP) largement plus cléments sur le rôle des autorités.
Dans le premier rapport, les députés Sebgetullah Seydaoglu (ANAP), Mehmet Bekaroglu (FP), Mustafa Eren déclarent, qu’à partir de l’enquête effectuée et les témoignages recueillis, ils en viennent à la conclusion que " l’opération avait été planifiée ". Les parlementaires portent de sérieux doutes sur l’existence des armes qui auraient été découvertes (une Kalachnikov, 7 pistolets, un fusil de chasse) dans la prison. Ils déclarent à ce sujet que lors de la première perquisition, aucune arme automatique n’avait été trouvée et qu’elle a fait son apparition lorsqu’un des détenus a soutenu que " les premiers tirs venaient d’une arme automatique ". Les parlementaires continuent en s’interrogeant : " si ces armes existaient pourquoi est-ce qu’elles n’ont pas été utilisées contre les forces de l’ordre mais seulement contre les détenus ? " Par ailleurs, l’existence d’un tunnel a été également mise en doute.
Le rapport dénonce de même le fait que le procureur près de la Cour d’Ankara n’a pas daigné de répondre aux questions des députés et que les cassettes enregistrées lors de l’émeute n’ont pas été remises à la commission. Les parlementaires se demandent également pourquoi d’autres méthodes plus appropriées (bombe lacrymogène etc.) n’ont pas été utilisées. Mais le point le plus obscur reste les nombreuses traces de tortures mais aussi de brûlure à l’acide trouvées sur les corps des victimes. Le rapport souligne également le retard des interventions médicales qui ont eu lieu une à trois heures après les décès, hormis pour deux cas.
Le comité de contrôle de tortures de l’association turque des droits de l’homme à Istanbul (IHD) a publié le 2 mars son rapport pour 1999. Selon l’IHD, 334 personnes ont fait appel à la section d’Istanbul pour dénoncer la torture subie en détention. La plupart se plaigne de " pendaison, bastonnade, chocs électriques, sévices sexuels et viol ". Le comité a indiqué que parmi les 334 victimes, on pouvait compter 27 enfants et 72 femmes et a souligné que 63 personnes avaient un rapport médical attestant les violences éprouvées. Le rapport met l’accent sur le fait que 146 personnes souffrent de préjudices physiques et 104 autres de préjudices moraux du fait des sévices subis.
Les organisations de défense des droits de l’homme en Turquie et à l’étranger ont régulièrement dénoncé la pratique systématique de la torture dans les commissariats turcs. D’ailleurs, ces derniers temps, les responsables politiques n’osaient même plus nier les faits, mais refusaient obstinément d’admettre que les violences étaient systématiques. La commission parlementaire des droits de l’homme, présidée par Mme Sema Piskinsüt, du parti social démocrate (DSP) du Premier ministre B. Ecevit, a ainsi pu saisir au cours d’une de ses inspections dans le petit commissariat de Küçükköy (Istanbul), l’instrument servant pour la " pendaison palestinienne " très affectionnée par les officiers de police turcs lors des interrogatoires. Mme Piskinsüt a déclaré : " nous n’avons pas rencontré d’opposition, mais la clé de la salle d’interrogatoire ne pouvait pas être trouvée ".
Mme Piskinsüt a vivement réagi aux déclarations d’Erol Çakir, gouverneur d’Istanbul, qui a tout bonnement nié les faits en disant " certaines personnes ont trouvé un vieux bâton " et a accusé la commission d’être sous influence étrangère. Quant au ministre de l’Intérieur, Saadettin Tantan, il a indiqué : " je suis totalement contre la torture, mais je dois travailler avec le matériel humain mis à ma disposition ". Seref Turgut de l’IHD a affirmé que " si des perquisitions similaires étaient conduites, des instruments de torture seraient trouvés dans tous les commissariats ".
En 1998, la même commission avait pu mettre la main sur plusieurs instruments de torture, comme des bâtons utilisés pour le falaka et un appareil servant à envoyer des chocs électriques au commissariat de Mugla. Mais le temps qu’une instruction puisse démarrer toutes les preuves avaient étrangement disparu. Cette fois-ci, la commission parlementaire a décidé immédiatement de confisquer l’instrument. Bien que la torture soit légalement interdite en Turquie, les condamnations de policiers tortionnaires restent extrêmement rares. Selon le récent rapport du Département d’Etat américain, sur 245 affaires déférées au parquet d’Istanbul entre 1996 et 1998, il n’y a eu que 15 condamnations, la plus longue peine étant trois ans de prison.
Enfin, l’association islamiste des droits de l’homme, Mazlum-Der, a dénoncé, le 3 mars, l’arrestation de 68 enfants âgés de 6 à 14 ans dans une mosquée à Urfa par la section anti-terreur de la Direction générale de la sécurité. Les autorités soutenaient que les cours étaient dispensés illégalement par le Hizbullah. Les enfants, tous âgés de moins de 15 ans, ont dû être libérés par la suite.
LA Cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul a condamné le 10 mars 2000 le chanteur kurde Ahmet Kaya à trois ans et neuf mois de prison, par contumace, pour " propagande séparatiste en faveur du PKK ". Les autorités turques lui reprochent d’avoir chanté en 1993 dans une salle de concert de Berlin où il y aurait eu une carte du Kurdistan et un portrait d’Öcalan. Les avocats du chanteur ont plaidé qu’il s’agissait d’un grossier photomontage tardif du quotidien Hürriyet. Le quotidien n’avait à l’époque rien écrit à ce sujet. Mieux, en 1994 il avait accordé un prix à Kaya. Ce n’est que lorsqu’en février 1999 le chanteur, élu meilleur musicien de l’année a, au cours de la cérémonie du prix, évoqué ses origines kurdes et annoncé son intention de faire un clip en kurde que les autorités et les médias turcs se sont déchaînés contre lui. Et dans cette action de lynchage médiatique le quotidien Hürriyet a publié sa fameuse photo qui a été considérée par le parquet de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul comme un élément constitutif de crime séparatiste.
S’apercevant du ridicule de condamner un chanteur populaire pour son intention de faire une chanson dans sa langue, la Cour de sûreté, décidée de toute façon à faire taire l’artiste dissident, s’est rabattue sur cette photo truquée pour condamner Kaya à 3 ans et 9 mois de prison ferme pour " propagande séparatiste ". Les avocats de Kaya ont relevé que cette même Cour n’avait pas trouvé matière à poursuites " faute de preuves " dans le scandale de Susurluk qui a révélé les liens entre la mafia, la police et une partie de la classe politique turque. Il lui a suffi d’une simple photo de presse truquée pour toute preuve pour condamner un artiste dissident qui fait par ailleurs l’objet de trois autres procès pour " séparatisme ". "Dans ces conditions comment peut-on parler de justice d’Etat de droit dans ce pays?" ont-ils déclaré. Ahmet Kaya, qui vit en France, n’était pas présent au procès. Les médias ont accordé une très large place à l’affaire. La FIDH a organisé à Paris, le 21 mars une conférence de presse avec la participation d’Ahmet Kaya pour faire le point sur son affaire et sur la situation des droits de l’homme en Turquie.
LE Premier ministre turc Bülent Ecevit a annoncé le 6 mars la décision d’éli-miner la firme américaine Boeing et le consortium franco-allemand Eurocopter du très lucratif marché de 145 hélicoptères d’attaque lancé par Ankara d’une valeur de 4,5 milliards de dollars. Restent en lice la société italienne Agusta, l’américaine Bell-Textron et le russe Kamov-A (associé à la société israélienne IAI)
Selon les experts, les hélicoptères sont les armes les plus efficaces contre les combattants dans les montagnes retirées, mais le ministre de la Défense avait déclaré le mois dernier que les appareils étaient également nécessaires pour se protéger de menaces étrangères contre la sécurité nationale. Le Congrès américain a opposé son veto à de précédentes tentatives de la Turquie pour augmenter sa flotte de neuf hélicoptères de combat Bell Super Cobra, arguant qu’ils seraient utilisés pour mener une répression à l’intérieur des frontières du pays.
La Turquie veut coproduire l’hélicoptère choisi dans une usine près d’Ankara, qui fabriquait jusqu’à récemment des avions de combat F-16. Cet aspect du transfert de production est l’un des principaux facteurs pris en compte dans l’octroi du marché. Le marché se déroulera en trois étapes, 45 hélicoptères étant construits dans une première phase, puis 50 dans chacune des deux phases suivantes. La Turquie est également intéressée par l’achat d’un millier de chars d’assaut d’ici 2013, un marché représentant quelque $ 8 milliards. Le ministre de la Défense a déclaré le mois dernier qu’une première tranche de 250 chars, d’une valeur de $ 1,5 milliard sera allouée d’ici la fin de juillet 2000.
Berlin, partenaire d’Eurocopter, ennuyé par le bilan des violations des droits de l’homme en Turquie, avait hésité et tardé à envoyer l’hélicoptère Tigre pour une démonstration à Antalya. Les Verts, partenaires de la coalition gouvernementale allemande, ont à plusieurs reprises annoncé qu’ils quitteraient la coalition en cas de vente d’armes à la Turquie. Or, Eurocopter ne peut vendre ses hélicoptères sans le feu vert à la fois des autorités de Berlin et de Paris. C’est sans doute cette incertitude qui a conduit Ankara à prendre les devants et à écarter la firme franco-allemande de son " marché du siècle ". Quant à Boeing, concourant avec son Apache, il serait trop cher. Cependant l’annonce faite par le Premier ministre Ecevit est vue comme une tactique pour favoriser la compétition entre les trois dernières sociétés. L’Italie est récompensée de sa coopération dans l’affaire Öcalan tandis que les alliés traditionnels d’Ankara, les Israéliens (associés aux Russes) et les Américains pourraient avoir leurs parts de marché. Certains avancent également l’idée qu’un rapport existe entre le projet turc de construction de centrales nucléaires ajourné aujourd’hui et celui du marché d’hélicoptères. Le gagnant dans le second n’ayant aucune chance de conquérir le projet nucléaire.
La réponse française ne s’est pas faite attendre puisque le quotidien turc Hurriyet annonce dans son édition du 24 mars 2000 que le président Jacques Chirac a suspendu sa visite officielle à Ankara en riposte à la décision turque. Le quotidien Hurriyet titre sa Une " Ça ne se fait pas Monsieur " et annonce que l’ambassadeur turc à Paris, Sönmez Köksal, a été convoqué récemment à l’Elysée pour s’entretenir avec un conseiller du Président français. Selon le journal, celui-ci s’est exprimé ainsi : " Monsieur Chirac a usé des efforts personnels et fait tout ce qui est en son pouvoir pour que le texte sur le génocide arménien ne passe pas au Sénat français. Il a également œuvré comme un vrai Turc dans toute l’Europe pour la candidature turque à l’Union européenne et a joué un rôle clé pour la candidature à Helsinki (…) Monsieur Chirac a été profondément attristé et désappointé de voir qu’Ankara a écarté la France, pays ami, de son marché d’hélicoptères. Par conséquent, M. Chirac a ajourné son voyage prévu pour ce printemps jusqu’à ce que ‘les relations entre les deux pays soient améliorées’."
Les autorités turques ont réagi vivement à ceci en déclarant " apparemment Paris n’avait que des intérêts mercantiles dans ses relations avec la Turquie. Ankara est très deçu qu’un marché d’hélicoptères puisse les faire réagir avec autant de force ". Le journal continue en disant " il a rapidement oublié le passé " et rappelle que ces trois dernières années, la France a vendu des roquettes de moyenne portée, des hélicoptères, des équipements militaires de plus d’un milliard de dollars et qu’en 1993, la Turquie a même annulé son contrat avec la firme américaine Sikorsky pour acheter 20 hélicoptères Cougar.
Necmettin Erbakan, le leader islamiste turc, a été condamné à un an de prison pour incitation à la haine dans un discours prononcé il y a six ans. Les observateurs notent que le verdict de la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir constitue un nouvel obstacle à son retour dans l’arène politique dont il avait été écarté par l’Armée turque. Les autorités turques lui reprochent les propos suivants : " Avec l’aide de Dieu la période des rudes épreuves est terminée. Comme la chute du communisme en Russie, la subordination aux impies étrangers est révolue en Turquie (…) Il n’y a plus dans ce pays 12 partis politiques mais deux (…) Les enfants de ce pays commensaient l’école en récitant le premier verset du Coran. Et vous êtes venu mettre à la place de cela " Je suis Turc, droit et travailleur " (…) Maintenant l’enfant d’un musulman d’origine kurde a gagné le droit de dire " Et moi je suis Kurde, plus droit et plus travailleur encore ".
Le parti islamiste de la Vertu (FP) qui a été créé à la suite de l’interdiction en 1998 de son prédécesseur, le parti de la Prospérité (RP), est largement influencé par N. Erbakan. Forts de presque d’une centaine de députés au Parlement turc, les islamistes tentent de débloquer le chemin de leur leader en demandant la révision de l’article 312 du code pénal turc. Un large débat est lancé dans les milieux politico-judiciaires turcs sur l’avenir de cet article qui sanctionne " l’incitation à la haine raciale " mais qui est largement utilisé par les autorités turques pour limiter la liberté d’expression. Le président de la Cour de cassation turque, Sami Selçuk, se déclare très favorable à sa suppression et déclare " Nous sommes en face d’un article qui menace la liberté de l’expression dans notre pays et l’entrée de la Turquie à l’Union européenne (…) L’Etat ne devrait pas se mêler au marché de la culture. Il ne devrait pas intervenir dans la sauvegarde d’une culture ni pour l’encourager et ni pour l’empêcher " (Milliyet 16-03-2000). Il s’affronte dans ce domaine au procureur près de la Cour de cassation, Vural Savas.
Le quotidien turc Hürriyet du 6 mars sous le titre " Hizbullah a éclairci 400 meurtres non élucidés, il en reste 10 856 ", soutient que depuis 1990 et les opérations menées contre le Hizbullah, 400 meurtres ont été élucidés à partir des analyses balistiques entreprises sur les armes saisies par la police turque dans 11 régions kurdes. Gökhan Aydiner, gouverneur de la région sous état d’urgence (OHAL) affirme d’ailleurs, qu’au cours d’un mois et demi d’opération, 650 membres du Hizbullah ont été arrêtés et que la lutte est identique à celle menée contre le PKK. Selon lui, il resterait encore 600 combattants armés du PKK dans la région.
Interrogé par le même journal, Me Arif Altunkalem, du barreau de Diyarbakir, rappelle que début 2000, on dénombrait 11 256 dossiers de meurtres non élucidés commis dans les provinces de Diyarbakir, Mardin, Batman, Sirnak, Bingöl et Siirt. Il reste donc un long chemin pour faire la lumière sur les crimes
La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Turquie pour n’avoir pris aucune mesure permettant de prévenir l’assassinat, en 1993, d’un journaliste et d’un médecin kurdes et pour n’avoir pas mené d’enquête sérieuse dans ces deux affaires.
Dans l’un et l’autre cas, les juges estiment qu’Ankara a violé l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à la vie. L’arrêt a été rendu à l’unanimité en ce qui concerne les défaillances de l’enquête et par six voix contre une - celle du juge turc - en ce qui concerne les assassinats eux-mêmes. La Cour estime par six voix contre une que la Turquie a violé l’article 13 de la Convention qui garantit le droit à un recours effectif devant un tribunal.
La première affaire concerne l’assassinat à Urfa de Kemal Kiliç, journaliste du quotidien pro-kurde Özgür Gündem, tué par balles le 18 février 1993 par quatre hommes qui l’attendaient au retour de son travail. Deux mois auparavant, Kemal Kiliç avait demandé en vain au préfet d’Urfa une protection pour lui-même et d’autres collaborateurs du journal en raison des menaces et agressions dont avaient fait l’objet plusieurs d’entre eux.
Le 16 mars dernier, la Cour européenne avait déjà condamné la Turquie pour atteinte à la liberté d’expression à l’encontre d’Özgür Gündem, en prenant acte de multiples censures, condamnations et agressions physiques dont le journal avait été victime durant sa brève existence, entre 1992 et 1994.
La seconde affaire concerne Hasan Kaya, médecin disparu le 21 février 1993 en compagnie d’un ami avocat, Metin Can, président de l’association des droits de l’homme d’Elazig. Les deux hommes avaient été retrouvés tués par balles six jours plus tard. " Hasan Kaya, en tant que médecin soupçonné de complicité avec le PKK, courait à l’époque un risque particulier d’être victime d’une agression illégale " ont considéré les juges.
Dans ces deux arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme estime que les autorités turques " n’ont pas pris les mesures auxquelles elles pouvaient avoir raisonnablement recours " pour prévenir ces assassinats. Elle condamne également la Turquie pour n’avoir pas mené d’investigations suffisantes concernant des affaires dans lesquelles des agents de l’Etat étaient soupçonnés d’avoir été impliqués. Les juges regrettent au passage qu’Ankara ait refusé de faire comparaître devant leur juridiction " un témoin important, agent de l’Etat ", manquant ainsi à ses obligations au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. Ankara est par ailleurs condamné pour " traitements inhumains et dégradants " en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kaya dont le corps révélait qu’il avait été victime de sévices.
Dans les deux affaires, les héritiers des victimes obtiennent ?17 500 au titre du préjudice moral et respectivement ? 20 000 et ? 22 000 pour les frais et dépens, soit des réparations financières dérisoires dont le gouvernement turc s’accommode fort bien.
Akin Birdal, ancien président de l’association turque des droits de l’homme et vice-président de la FIDH, est retourné en prison le 28 mars pour purger le reliquat d’une peine d’un an de prison pour " provocation raciale ". La justice turque a refusé un rapport médical qui lui avait été remis la semaine dernière par un hôpital d’Ankara et certifiant qu’il est " inapte " à retourner en prison en raison des séquelles de l’attentat de 1998 dans lequel il avait été grièvement blessé. Il a été incarcéré à la prison d’Ulucanlar d’Ankara.
Cet emprisonnement a suscité de nombreuses réactions tant en Turquie qu’à l’étranger.
Ainsi, James Foley, porte-parole du département d’Etat a, le 28 mars, qualifié Akin Birdal d’" une voix responsable pour le changement pacifique et la réconciliation en Turquie " et a ajouté que " tous les citoyens de la Turquie devraient être pleinement capables d’exercer leur droit pour la liberté pacifique de l’expression, reconnue par les textes internationaux des droits de l’homme (…) Mettre M. Birdal à nouveau en prison est incompatible avec ce principe… "
Par ailleurs, l’organisation Human Rights Watch a également appelé à la libération immédiate d’A. Birdal et a appelé à la révision de l’article 312 du code pénal sanctionnant la liberté de l’expression.
Le quotidien turc Hürriyet annonce le 22 mars sous la plume de Mehmed Ali Birand que la Turquie refuse d’accorder un rendez-vous à Max Van der Stoel, haut-commissaire chargé des questions des minorités au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ancien ministre hollandais des affaires étrangères, M. Van der Stoel qui fut aussi le rapporteur spécial de l’ONU pour l’Irak, participera le 11 avril 2000 à un séminaire sur les minorités à Antalya. À cette occasion, un entretien avec le ministre turc des affaires étrangères, Ismail Cem et le ministre chargé des droits de l’homme, M. Ali Irtemçelik est sollicité pour que le haut-commissaire puisse se faire un avis sur la politique du gouvernement de B. Ecevit concernant " la sauvegarde des droits culturels des minorités ". D’après certaines sources proches du gouvernement, Ismail Cem serait complètement hostile à un quelconque entretien avec M. Van der Stoel et considère le rendez-vous " néfaste ", alors que M. Irtemçelik serait tout à fait prêt à le recevoir mais la réaction de son collègue le met en situation difficile. Selon M. Ali Birand, Ankara n’a toujours pas répondu à la demande du responsable de l’OSCE. " Jusqu’aujourd’hui le seul pays membre qui ait refusé un rendez-vous sollicité par Max van der Stoel se trouve être la Yougoslavie, présidé par Milosevic " écrit le journaliste. Selon les dispositions de l’OSCE, un pays membre qui refuse l’entretien du haut-commissaire doit rendre des comptes au Conseil. Des proches du ministre des affaires étrangères auraient déclaré ceci : " Nous savons qui sont les minorités en Turquie et ils ont obtenu tous les droits. Accorder un entretien au haut-commissaire peut pousser certains à lancer une campagne pour que les Kurdes puissent demander à bénéficier de ce statut ". Mehmed Ali Birand conclut en disant que " nous voulons appliquer selon notre propre volonté les conventions et règlements auxquels nous avons adhérés ".
Dans une interview accordé le 21 mars 2000 au journal turc Sabah, le leader des Druzes et du parti socialiste libanais, Walid Joumblat, a plaidé pour les droits culturels du peuple kurde. " Nous sommes d’origine kurde. J’ai des relations avec des Kurdes du monde entier. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut accorder des droits culturels et identitaires au peuple kurde dans le cadre des frontières de la Turquie. Je suis conscient que je ne suis pas très populaire dans le milieu politique turc à cause de mes opinions. Et pourtant la Turquie est le pays que Nora (son épouse) et moi voudrions le plus visiter ".
La demande d’asile, déposée le 18 novembre 1999 de Murat Karayilan aux Pays-Bas, l’un des principaux chefs militaires du PKK, a été rejetée en première instance. La Turquie avait demandé en février son extradition, mais l’examen de cette requête devrait prendre environ six mois. M. Karayilan peut faire appel de cette décision. Dans un entretien accordé à l’agence néerlandaise ANP début mars, M. Karayilan avait déclaré : " Je suis là pour présenter notre nouvelle stratégie pacifique à l’ensemble de nos membres (…) Le PKK est prêt à tout pour la paix (…) Nous voulons la paix mais si notre leader est pendu nous ressentirons cela comme la mort de tous les Kurdes. Ce sera alors le début d’une nouvelle guerre (…) Nous demandons très peu, juste la reconnaissance légale de l’identité kurde ", regrettant qu’ " aucun signe positif ne soit venu d’Ankara ".
De plus, le coordinateur présumé du PKK en Allemagne, a été arrêté le 30 mars au poste frontière d’Elten. le 29 mars, le Parquet fédéral avait annoncé le renvoi devant le tribunal de deux dirigeants présumés du PKK, pour " appartenance à une organisation criminelle ", " faux en écriture en bande organisée " et " violation de la loi sur les armes ".
Par ailleurs, la 14e chambre du Tribunal correctionnel de Paris a condamné Irfan Balsak, considéré comme un des responsables du PKK, à 4 ans de prison et 10 ans d’interdiction du territoire français. Quatre autres personnes ont été condamnées dans le même cadre à des peines de prison variant de 3 ans ferme à 18 mois avec sursis et à des interdictions du territoire.
La Cour de sûreté de l’Etat de Trabzon a décidé le 3 mars 2000 la mise en liberté des 20 policiers accusés d’avoir ouvert le feu sur des manifestants en mars 1995 dans le quartier Gazi d’Istanbul. 21 personnes avaient trouvé la mort au cours de quatre jours d’émeutes dans le quartier. Après une très longue procédure et maints renvois, les juges turcs ont acquitté 18 policiers et condamné deux autres. Adem Albayrak, inculpé pour quatre meurtres, a été condamné à 24 ans de prison pour chaque crime et Mehmet Gündogan a également été condamné pour le meurtre de deux manifestants. Ils ont cependant bénéficié de la clémence des juges turcs qui ont réduit la peine à 6 ans pour A. Albayrak et 3 ans de prison pour M. Gündogan. La cour ayant par ailleurs tenu compte de leur détention provisoire, les deux seuls condamnés sont sortis libres du procès.
La conférence des présidents du Sénat a pour la seconde fois refusé d’inscrire la reconnaissance du génocide de 1915 qui a fait 1,5 million de morts parmi les Arméniens de l’Empire ottoman. Cette décision semble avoir été prise à la demande personnelle du président Chirac, avocat ardent de la Turquie en Europe. Les partis de gauche, minoritaires au Sénat, ont voté en faveur de l’examen du projet de loi. La Turquie n’a jamais reconnu ce qui devait être le premier génocide du XXe siècle, se contentant d’évoquer des déportations et quelques massacres limités à la faveur de la confusion de la première guerre mondiale. L’Assemblée nationale française avait voté à l’unanimité le 29 mai 1998 le texte de reconnaissance du génocide arménien, mais les pressions exercées par les autorités turques et les négociations sur de juteux contrats d’armes ont une nouvelle fois empêché le vote du texte par le Sénat.
La communauté arménienne a exprimé son indignation et sa colère dans diverses radios et publications qui ont publié le 6 mars une édition commune spéciale de quatre pages tirée à 100 000 exemplaires. Elle a organisé à une manifestation nationale le samedi 11 mars devant le Sénat, qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes et bénéficié d’une bonne couverture dans le médias.
Le scandale continue dans l’affaire des écoutes téléphoniques. Le ministère turc de l’Intérieur a déclaré " inconcevable " la demande d’indemnités de 25 milliards de livres turques de Naci Ünver, président de la 8e chambre correctionnelle de la Cour de cassation turque qui avait été écouté. Le ministère a réfuté l’idée que ces écoutes pouvaient porter atteinte aux libertés individuelles, notamment à la vie privée. Dans un mémorandum envoyé à la 10e chambre du Tribunal administratif d’Ankara, le ministère souligne : " les écoutes téléphoni-ques ont été opérées non seulement sur l’intéressé mais également sur d’autres organismes et hauts responsables. Si des dommages et intérêts lui étaient accordés, cela constituerait un mauvais exemple pour les autres intéressés et la situation créérait un enrichissement sans cause " !
Le quotidien turc anglophone Turkish Daily News annonce dans son numéro du 15 mars 2000 que la "Turquie rédige un rapport global " sur le " problème kurde ". Selon le journal, le ministère turc des affaires étrangères prépare actuellement un " rapport complet relatif aux Turcs d’origine kurde et la politique turque à l’égard des minorités en Turquie " dans le but de se conformer aux critères de Copenhague exigés pour son entrée dans l’Union européenne. Le rapport se fixe l’ambition d’examiner la Constitution turque et des dispositions du traité de Lausanne signé en 1925. La question kurde mais également la subordination du ministère turc de la Défense à l’Armée constituaient les deux principaux points délicats qui avaient été écartés du rapport, rédigé par le secrétariat du conseil de coordination aux droits de l’homme du Premier ministre turc en février dernier. Ce rapport avait été inclus dans le 8e plan quinquennal du développement du DPT, l’organisation d’Etat au plan.
Le nouveau rapport examine la situation des autres pays européens en se penchant plus particulièrement sur le cas de la France. Il soulève également que l’article 26 de la Constitution turque est en opposition avec l’article 39 du traité de Lausanne. Ce dernier dispose : " Aucune restriction ne devrait être imposée sur le libre usage par les nationaux turcs des langues, dans la vie privée, le commerce, la religion, la presse, ou dans les publications de toutes réunions publiques ". La Turquie ne reconnaît le statut de minorité qu’aux communautés non-musulmanes.
La Turquie participera au programme américain de développement de l’avion de chasse JSF (Joint Strike Fighter), confirme le secrétaire américain à la Défense William Cohen. Le programme d’un coût global de 200 milliards de dollars, vise à concevoir un chasseur ultramoderne et ses dérivés. Plus de 3000 exemplaires pourraient être construits.
Plusieurs autres pays, dont la Grande-Bretagne à hauteur de 10 % ainsi que les Pays-Bas et la Norvège sont déjà associés au projet. Lockheed Martin et Boeing sont en concurrence pour la conception et la construction du jet.
Ibrahim Sahin, ancien directeur adjoint du bureau des opérations spéciales et inculpé dans l’affaire de Susurluk, affaire mettant en lumière les liens entre la mafia et l’Etat, a eu un accident de la route le 29 mars 2000 sur la route de Gemlik. Conduisant une jeep dernier modèle, ses proches ont trouvé " trouble " que les roues du véhicule, double épaisseur, puisse sans raison apparente éclater et qu’une direction assistée puisse subitement virer à droite. Ibrahim Sahin a été conduit aux urgences et bénéficie de soins intensifs. De nombreux journalistes dépêchés sur les lieux ont relaté que toutes les têtes d’affiches mises en cause dans l’affaire de Susurluk ont fait leur apparition à l’hôpital avec une horde de gardes de corps, mais que les journalistes et même les visiteurs des autres patients y ont été interdits d’accès.
Le Parlement turc a décidé le 28 mars 2000 de reconduire pour une durée de quatre mois l’état d’urgence dans cinq provinces kurdes. L’Etat d’urgence a été prolongé à Tunceli, Diyarbakir, Hakkari, Sirnak et Van. Ces cinq provinces sont placées depuis 1987 sous la responsabilité du bureau du gouverneur de l’état d’urgence à Diyarbakir. Elles étaient depuis 1979 soumises à l’état de siège.
En novembre 1999 le Parlement qui souvent fait office de chambre d’enregistrement des décisions prises par le Conseil de sécurité nationale, a levé ce régime dans la province kurde de Siirt.
Le jury du Prix International des droits de l’homme Ludovic-Trarieux a attribué le Prix 2000 à l’avocat, écrivain et militant des droits de l’homme turc Esber Yagmurdereli qui purge une longue peine de prison pour avoir prôné une solution pacifique au problème kurde. Le prix d’une valeur de 30 000F est décerné tous les deux ans conjointement par l’Institut des Droits de l’Homme du Barreau de Bordeaux et par l’Union des Avocats Européens à un avocat, sans condition de nationalité ou d’appartenance à un Barreau, qui aura illustré par sa vie, son œuvre ou ses souffrances, la défense des droits de l’homme, des droits de la défense, la suprématie de l’état de droit, la lutte contre les racistes et l’intolérance sous toutes leurs formes. Le premier lauréat avait été en 1985 Nelson Mandela.
Par ailleurs, Me. Christian Charrière-Bournazel, vice-président du CILDEKT, a adressé un courrier daté du 6 mars au Premier ministre turc Bülent Ecevit en lui demandant d’œuvrer pour la libération de E. Yagmurdereli. Tout en demandant l’abrogation de la législation rendant possible l’incrimination, le jugement et l’emprisonnement de défenseurs des droits de l’homme, Me Charrière-Bournazel a ajouté " Je me rappelle moi-même l’époque, en 1981, où j’avais été présent au procès des membres du Comité de la paix parmi lesquels quatre parlementaires de votre parti qui étaient simplement accusés d’avoir tenu des propos et auxquels il n’était demandé compte que de leur opinion au cours d’un procès extraordinaire auquel j’avais assisté comme délégué de la Fédération internationale des droits de l’homme. "