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Bulletin N° 179 | Février 2000

 

 

IRAN : LA VICTOIRE DES PARTISANS DU PRESIDENT KHATAMI AUX ELECTIONS LEGISLATIVES

Le 18 février, 38,7 millions d’Iraniens âgés de plus de 15 ans étaient appelés à élire 290 députés de leur Parlement monocaméral, le Majlis. Le taux de participation a été très élevé : 83%, soit 12 points de plus que pour les législatives de 1996 cela malgré les appels à l’abstention lancée par les partis iraniens en exil, dont les Moudjahidine et les monarchistes.

La coalition regroupant dix-huit formations favorables à la politique du président Khatami a obtenu plus de 20 millions de voix sur les 29 millions de suffrages exprimés. Elle a emporté 178 sièges, soit 81% des 218 pourvus dès le 1er tour.

A Téhéran, ville de plus de 10 millions d’habitants, avec 30 sièges à pourvoir, la liste des " réformateurs " conduite par Mohamed Reza Khatami, le frère de Président iranien, a eu 26 élus dès le premier tour, dont 3 religieux, tandis que son rival, l’ex-président Ali Akbar Hachémi Rafsandjani était déclaré élu d’extrême justesse. L’ancien président du Majlis, Mehdi Karoubi, chef de la faction des " religieux combattants " a également été élu de justesse.

En votant massivement, les nouvelles générations, en particulier les jeunes et les femmes, ont voulu exprimer leur rejet de la mollarchie et leurs espoirs de voir les partisans de réformes démocratiques concrétiser enfin leur promesses.

Dans les provinces kurdes les électeurs, encore sous le choc des assassinats de leaders politiques – Dr Ghassemlou (1989) et Dr Sharafkandi (1992) – et des ches religieux kurdes, respectés – Mola Ahmad Moftizadeh de Sanandaj (1993) et Mola Rabiei de Kermanchah (1996) – ont été sceptiques. Le taux de participation a été de 60%. Les candidats se réclamant du président Khatami ont obtenu environ 40% des suffrages alors que lors des dernières élections présidentielles de mai 1997 70% des électeurs kurdes avaient voté Khatami qui promettait une prise en compte des aspirations culturelles kurdes, notamment l’éducation en langue kurde dans les écoles.

Ces promesses n’ont pas été tenues et la perspective de " la consolidation d’un système dont les piliers demeurent l’islam et la spiritualité, l’indépendance, la liberté et le progrès " prônée par le président iranien n’attire guère les Kurdes iraniens qui luttent depuis de décennies pour un Kurdistan autonome dans le cadre d’une République démocratique et laïque. De plus, seuls les partis agréés par l’establishment chiite ont pu prendre part au scrutin, ce qui excluait les formations autonomistes kurdes (PDKI et Komala) qui avaient très largement remporté les élections libres du printemps 1979.

Dans ce cadre restreint, les électeurs kurdes qui se sont rendus aux urnes ont voté en fonction des considérations locales et de la personnalité des candidats. Voici les résultats du scrutin dans les quatre provinces formant le Kurdistan iranien :

Province / Ville / Candidat Sièges Suff. expr. % Affiliation /liste
Province : ILAM 4
Villes : Ilam & Shiranchar 2 175.432
Abdolreza Heiarizadeh 50.216 28.6 réformiste /élu
Ali Yari 48.248 27.2 conservateur /élu
Villes : Dehloran & Darehshahr 1 second tour
Ville : Islam Abad 1 second tour
Province : KIRMANCHAH 7
Ville : Kirmanchah 3 350.293
Esmaeil Taheri 99.553 28.4 conservateur /élu
Abbas Ali Alahiari 95.014 27.1 réformiste /élu
3e candidat second tour
Villes : Ghasr Chirin 1 second tour
Villes : Kangavar & Sahneh 1 second tour
Villes : Paveh & Javanroud 1 second tour
Villes : Songhor Kolyaei 1 second tour
Province : KURDISTAN 6
Villes : Sanadaj, Divandareh, 2 215.235 Kamyaran
Bahadin Adab 92.593 43.0 conservateur /élu
Jalal Jalalizadeh 83.236 38.7 réformiste /élu
Ville : Bijar Garrus 1 50.418
Mohammad M. Rezaei 12.786 25.4 conservateur /élu
Ville : Qorveh 1 second tour
Ville : Marivan 1 80.984
Abdullah Sohrabi 20.352 25.1 réformiste /élu
Villes : Saqiz et Baneh 1
Mohammad Ali Partuvi 34.730
Khaled Tavakkoli 30.340 réformiste /élu
Province : 12 AZERBAIJAN OCCIDENTAL
Ville : Ourmia 3 294.019
Karim Fatahpour Moanah 74.027 25.2 /élu
2e et 3e personne second tour
Ville : Boukan 1
Rahman Namjou 13.272 <25.
Ville : Khoy 1 second tour
Ville : Mahabad 1 75.713
Rahman Behmanesh 32.381 42.8 réformiste /élu
Ville : Makou 1 second tour
Ville : Miandoab, Shahindej, 2 second tour Tekab
Ville : Naghadeh 1 84.680
Karim Rahmani Cheeyaneh 39.097 46.2 indépendant /élu
Ville : Salmas 1 76.890
Aliakhbar Aghaït M. 26.803 34.9 conservateur /élu
Ville : Sardasht et Piranshahr 1 76.466
Hasel Daseh 22.435 29.3 indépendant /élu
Le deuxième tour des élections aura lieu en avril à une date non encore précisée.

Malgré leur écrasante majorité au Majlis, les partisans du président Khatami, qui forment une coalition de religieux et laïcs aux aspirations et intérêts disparates, ne seront pas en mesure de contrôler les principaux leviers du pouvoir (armée, gardiens de la révolution, justice) qui restent sous la férule du clergé conservateur et de son chef, le guide suprême Khameney, successeur de l’ayatollah Khomeiny. Véritable " représentant de Dieu " pour l’Iran chiite, ce Guide peut invalider toutes les lois votées par le Parlement, destituer le président élu et il reste le commandant en chef des forces armées du pays.

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Le raz de marée électoral en faveur des réformes suscite de grands espoirs et une dynamique du changement dont le mouvement naturel ne pourrait s’accommoder longtemps du carcan rigide de la République Islamique. Se voulant réformateur de celle-ci, le président iranien, s’il veut rester en phase avec les aspirations de ses électeurs pourrait bien en devenir un jour le fossoyeur à l’instar de Gorbatchev qui finit par provoquer l’effondrement du communisme.

RAPPORT DU DÉPARTEMENT D’ETAT AMÉRICAIN SUR LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE

Le département d’Etat américain a publié le 25 février 2000 son rapport 1999 réalisé par le Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail, sur la situation des droits de l’homme en Turquie. Extraits :

Dans un premier temps, le rapport souligne que " les militaires exercent une influence substantielle, mais indirecte sur les actions – la politique– du gouvernement, estimant qu’ils sont les protecteurs constitutionnels de l’Etat (…) Les forces armées, appuyées par la police et particulièrement la gendarmerie, effectuent des opérations contre le PKK dans la région sous état d’urgence (…) Bien que les autorités civiles et militaires se soient publiquement engagées au respect de la loi et des droits de l’homme, des membres des forces de sécurité, comprenant les " équipes spéciales " de la police, des personnels de la police nationale, des gardiens de villages, et des gendarmes se livrent à de sérieux abus des droits de l’homme "

" (…) Le gouvernement Ecevit a adopté des mesures destinées à améliorer les droits de l’homme et certains responsables ont participé à de larges débats publics sur la démocratie et les droits de l’homme. Des exécutions extrajudiciaires, comprenant les décès dus à l’utilisation excessive de la force et ceux en détention dues à la torture, continuent. Il y a quelques rapports sur les meurtres mystérieux et disparitions des activistes politiques ; cependant, les autorités ont échoué à mener des investigations adéquates pour les disparitions dans le passé. Torture, passage à tabac, et autres abus, de temps en temps conduisant à la mort, pratiqués par les forces de sécurité demeurent répandus. La police et la gendarmerie emploient souvent la torture et abusent des détenus lors des détentions et interrogations tenues au secret. L’absence d’accès universel et immédiat à un avocat et de longues périodes de détention pour ceux qui sont détenus pour des crimes politiques sont des facteurs majeurs dans la réalisation de la torture par la police et autres forces de sécurité. Avec la diminution des opérations et détentions dans le sud-est, il y a eu peu de cas d’abus enregistrés ; cependant, la proportion des cas dans lesquels des abus se sont produits restent à un niveau important. "

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" La rareté des condamnations et la légèreté des sentences infligées à la police et autres forces de sécurité pour meurtres ou bien torture continuent d’encourager le climat d’impunité qui reste l’obstacle majeur (…) Des investigations et procès d’officiers suspectés d’abus continuent d’être prolongés et sans équivoque (…) "

Le rapport continue en dénonçant les atteintes portées à la liberté d’expression : "Les autorités ont interdit et confisqué de nombreuses publications et effectué des descentes de police dans des locaux de journaux, encourageant l’autocensure sur les reportages sur le Sud-est. La police et les tribunaux ont continué à limiter la liberté d’expression en ayant recours aux restrictions contenues dans la Constitution de 1982 et plusieurs autres lois comprenant la loi anti-terreur de 1991 (diffusion de propagande séparatiste), l’article 159 du code pénal (injurier le Parlement, l’armée, la République, ou le système juridique), l’article 160 (injurier la république turque), l’article 169 (soutien à une organisation illégale), l’article 312 (incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse), la loi de protection d’Atatürk, et l’article 16 sur la presse (…) "

Concernant les partis politiques, le département d’Etat note que "le HADEP et le parti islamiste Fazilet, qui ont vu tous deux leurs prédécesseurs dissous, font l’objet de demandes d’interdiction pour activités anticonstitutionnelles". Il souligne également que " le PKK a continué de commettre des abus durant ses 15 ans de violentes campagnes contre le gouvernement et des civils, à majorité des Kurdes. Dans la première moitié de l’année, les terroristes du PKK ont commis des meurtres et attaques au hasard en Turquie pour protester contre la capture d’Öcalan (…) Ces dernières années la pression militaire a réduit de façon significative l’efficacité du PKK, et ses membres –bien que pas dans la totalité– ont noté l’appel d’Öcalan pour mettre fin à lutte armée et le retrait du PKK de la Turquie (…) Selon la déclaration de fin d’année du Président Demirel, depuis 1984, 25 139 membres du PKK, 5 882 membres des forces de sécurité, et 5 424 civils, ont perdu la vie dans les combats (…)"

"Le nombre exact des personnes déplacées de force de leurs villages dans le Sud-est depuis 1984 est inconnu (…) Les statistiques du gouvernement tendent à minimiser le nombre des personnes qui ont quitté la région malgré elles. Les observateurs s’accordent à dire qu’entre 3 000 et 4 000 villages et hameaux ont été dépeuplés. Le gouvernement a chiffré 362 915 personnes évacuées en 1999 pour 3 236 villages et hameaux, 26 481 ont été réinstallés avec l’assistance du gouvernement dans 176 villages et hameaux (…) Cependant, les observateurs dans la région estiment que le nombre total des personnes déplacées est approximativement 800 000, et certaines ONG donnent des chiffres aussi importants que 2 millions le nombre de déplacés ".

Vous pouvez vous procurer entièrement le rapport sur le site :

http://www.state.gov/www/global/human_rights/1999_hrp_report/turkey.html

RENOUVELLEMENT DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’INSTITUT KURDE

Le Conseil Culturel et Scientifique (C.C.S) de l’Institut kurde de Paris s’est réuni le 27 février 2000 à Paris.

Après une réunion plénière au cours de laquelle le président a rappelé les événements majeurs de la vie de l’Institut Kurde de Paris, depuis 1996, évoqué la transformation en cours de ses structures et dégagé les perspectives d’avenir, les quatre sections qui composent le Conseil se sont réunies dans diverses salles de l’Institut pour formuler des propositions d’activités et élire leurs représentants.

Les votes, à bulletin secret, ont donné les résultats suivants :

Section Langue et littérature

A l’unanimité des membres présents et représentés, M. Reso Zilan, linguiste kurde de Suède, a été élu président, M. Salih Akin, linguiste, maître de conférences à l’Université de Rouen, a été élu vice-président.

Section Sciences humaines

A l’unanimité des membres présents et représentés, M. Abbas Vali, professeur à l’Université de Swansea, en Grande-Bretagne, a été élu président, M. Ali Babakhan, universitaire et journaliste, a été élu vice-président.

Section Information et Droits de l’homme

A l’unanimité des membres présents et représentés, Dr. Najmaddin O. Karim, neurochirurgien et Président de l’Institut kurde de Washington, a été élu président, S. Othman, universitaire et journaliste, a été élu vice-président.

Section Arts, Musique et Animation socio-culturelle

Deux candidats étant en compétition, il a été convenu que celui qui obtiendrait le plus de voix deviendrait le président de la section, l’autre vice-président.

A l’issue du scrutin à bulletin secret, Kamuran Çeçen, juriste, a été élu président de la section, et Adnan Mohammed, musicien, élu vice-président.

Après les réunions des sections, les membres du C.C.S. se sont, à nouveau, retrouvés en assemblée plénière. Le rapporteur de chaque section a présenté à la fois les résultats des élections dans la section ainsi que les propositions d’activités pour l’année en cours. Chaque rapport a fait l’objet de débats et discussions.

Dans son discours de clôture, le président a remercié tous les participants pour leur courtoisie et la qualité de leurs contributions. Il a ensuite rendu un hommage appuyé aux membres du Conseil d’administration sortant, Aso Agace, Shirine Azadpour et Dara Attar, qui cette fois-ci n’ont pas souhaité se représenter tout en acceptant d’accomplir d’autres missions pour l’Institut kurde.

Commencée à 14h, la réunion du C.C.S. s’est terminée à 19h. Puis, après un cocktail amical à l’Institut kurde, les participants se sont rendus à un dîner marquant le 17ème anniversaire de la fondation de l’Institut kurde.

Le lendemain, le 28 février à 15h, un Conseil d’administration, formé des présidents des sections fraîchement élus, des représentants des ministères de la Culture, des Affaires sociales, de l’Éducation nationale et de l’Intérieur et de Kendal Nezan, membre de droit, s’est réuni pour, conformément aux statuts, procéder à la cooptation des trois personnalités qualifiées. Après débats, deux personnalités proposées : Mme Joyce Blau, professeur des Universités, et M. Fuad Hussein, universitaire kurde irakien basé à Amsterdam, ont été cooptées à l’unanimité des voix. Une troisième personnalité sera cooptée sur proposition des représentants des ministères lors de la prochaine réunion du Conseil.

Le Conseil d’administration a ensuite procédé à l’élection du Bureau pour les trois années à venir. Kendal Nezan a été réélu président de l’Institut à l’unanimité des voix, pour un mandat de trois ans. Le Conseil a, également, élu à l’unanimité :

Abbas Vali, vice-président ; Fuad Hussein, vice-président ; Joyce Blau, trésorière; Kamuran F. Çeçen, secrétaire, pour une période de 3 ans

Sur les 11 membres actuels du Conseil d’administration, on compte 3 femmes. Se voulant depuis le début à la fois pan-kurde et à vocation européenne, l’Institut compte dans son Conseil d’administration, 3 Kurdes originaires de Turquie, 2 d’Irak et 1 d’Iran. 32 des 65 membres de l’Institut et 4 membres de son Conseil d’administration résident hors de France (États-Unis, Grande-Bretagne, Pays-Bas et Suède). Ils contribuent au rayonnement de l’Institut dans les principaux pays occidentaux abritant des communautés kurdes et enrichissent par leur expérience et par leurs relations l’action collective de l’Institut en faveur de la culture et de la cause kurdes.

Assurant la direction de l’Institut dans une période où le dialogue, le lobbying, la médiatisation sont considérés par de larges secteurs de la société kurde comme des moyens de faire connaître la question kurde, le nouveau conseil aura à assurer un financement stable, le bon fonctionnement de l’Institut et la poursuite de ses activités socio-culturelles et à développer des initiatives majeures pour contribuer au débat autour du règlement pacifique du problème kurde, en particulier en Turquie.

UN COLLOQUE A LA SORBONNE : LA CANDIDATURE TURQUE A L’UNION EUROPEENNE ET LA QUESTION KURDE

L’Institut kurde a organisé le 26 février à l’amphithéâtre Richelieu de l’Université de la Sorbonne un colloque sur "la candidature turque à l’Union européenne et la question kurde".

Deux mois après la décision du sommet d’Helsinki des 13-14 décembre 1999 d’inclure la Turquie dans la liste des Etats candidats officiels à l’adhésion à l’Union européenne, des universitaires turcs et kurdes, des journalistes spécialisés et des personnalités politiques ont, dans deux tables rondes, dressé l’état des lieux, décrit les évolutions et dynamiques en cours, évoqué les enjeux de la candidature turque et ainsi que les perspectives d’avenir.

Le colloque a été ouvert par l’intervention du président de l’Institut qui a expliqué les raisons pour lesquelles cette réunion d’information et de réflexion a été organisée et regretté que la détérioration récente de la situation politique en Turquie ait empêché plusieurs person-nalités turques de venir participer à ce nécessaire débat d’idées.

Puis, Me Patrick Baudoin, président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a exprimé "les vives préoccupa-tions" de son organisation, au sujet de l’évolution de la situation des droits de l’homme en Turquie. Rappelant l’ar-restation récente des maires kurdes et des dirigeants du Hadep, les procès contre les intellectuels et les militants de l’association des droits de l’homme Me Baudoin s’est demandé comment avec un bilan aussi déplorable Ankara pourrait un jour être admis dans la famille des démocraties européennes. L’entrée dans cette famille suppose le respect des critères de Copenhague sur la démocratie, les droits de l’homme et les droits des minorités et le régime turc ne semble pas disposé à s’engager sérieusement dans cette voie a-t-il ajouté.

L’universitaire kurde Hamit Bozarslan a décrit les hantises, les blocages et les obsessions idéologiques du système turc, qui semble incapable de survivre sans crises et qui secrète constamment des ennemis intérieurs et extérieurs pour se justifier.

Son collègue turc, Ahmet Insel, professeur à l’Université Galatasaray d’Istanbul, s’est livré à l’analyse de la société civile où les europhiles regroupent les milieux d’affaires, l’intelligentia libérale, les partis de droite modérés (ANAP, DYP) mais aussi une large fraction des islamsites qui voient en l’Europe un facteur de dékémalisation du système turc et du desserrement de son carcan idéologique autoritaire. Le camps des eurosceptiques et des europhobes comprend les milieux nationalistes de gauche (DSP), d’extrême droite ainsi que des groupes d’extrême gauche "anti-impérialiste". La haute hiérarchie de l’armée craint que l’intégration européenne n’entraîne un affaiblissement de son emprise sur la vie politique et une limitation sérieuse de la souveraineté. Les citoyens ordinaires attendent eux de l’adhésion à l’Europe plus de libertés et une amélioration sensible de leur niveau de vie. Les Kurdes sont, toutes tendances confondues, des défenseurs ardents de l’Europe qui, par la pression sur Ankara, devrait leur permettre d’obtenir un minimum de droits culturels. En raison de l’ "autoritarisme massif" du régime turc les aspirations de la population ne se reflètent pas dans la politique gouvernementale, a notamment affirmé M. Insel.

Marc Semo, journaliste à Libération, tout en partageant cette analyse de la société turque a établi un parallèle avec la société française d’il y a trente ans sur la question de l’Europe. Selon lui la culture politique turque, d’essence jacobine, n’est pas très différente de la culture française et dans les deux pays on retrouve des souverainiste défenseurs de l’Etat-nation et de l’unité indivisible de la République et des démocrates libéraux pro-européens, plus tolérants vis-à-vis du pluralisme culturel et des aspirations des minorités. Certes les proportions relatives ne sont pas les mêmes ici et là-bas, mais c’est peut-être une question de temps.

Sa collègue, Marie Jégo, journaliste au Monde, ne voit pas de signe d’évolution du régime turc où l’interpénétration d’une bonne partie de la classe politique avec la mafia, et la prédominance de l’armée à travers le Conseil national de sécurité sur la vie politique du système entravent la marche vers la démocratisation.

Le chanteur populaire Ahmet Kaya, par un témoignage émouvant, a illustré les injustices de ce système qui l’a forcé à l’exil et le menace des années de prison, simplement parce qu’il a voulu faire une chanson en kurde. Cela dans un pays où les affairistes, les chefs mafieux et des assassins recherchés par Interpol courent les rues, dit-il.

De son côté Yavuz Önen, président de la Fondation des droits de l’homme de Turquie, constate que malgré quelques déclarations d’intention affichées lors des réunions avec des militants des droits de l’homme, notamment à la veille des visites des dirigeants occidentaux aucun progrès tangible n’a été fait dans le domaine de la démocratisation et des droits de l’homme. L’avenir reste incertain, les rares voix qui s’élèvent encore de la société civile sont fortement menacées.

En introduction à la table ronde sur les perspectives, Gérard Chaliand a expliqué, cartes à l’appui, l’importance géo-politique de la Turquie pour la stratégie américaine dans la région du Proche-Orient, des Balkans, du Caucase et d’Asie Centrale. Fort du soutien de Washington et de son alliance militaire avec Israël, Ankara pourrait bien se replier sur son quant-à-soi et tenir tête aux pressions, au demeurant timides et velléitaires d’une Europe divisée et préoccupée par des intérêts mercantiles à court terme. La défense des droits de l’homme étant à géométrie variable et fonction des intérêts de puissance, les Etats-Unis continueront d’ignorer les violations massives des droits commises par leurs alliés turcs, a-t-il conclu.

Pour M. Hannes Swoboda, député socialiste autrichien, rapporteur du Parlement européen sur la Turquie, l’approche de l’Europe envers Ankara est basée sur des principes clairs et intangibles :

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"Le Parlement européen demande au gouvernement turc de tenir les promesses qu’il lui a faites en ce qui concerne les droits de l’homme, la réforme démocratique au moment où le Parlement a donné son avis pour l’Union douanière. Et il demande que la Turquie satisfasse ses obligations dans le cadre de l’accord de l’union douanière, en matière de démocratie, des droits de l’homme et des libertés d’expression et qu’elle mette un terme aux persécutions et aux tortures dont sont particulièrement victimes les Kurdes.

Et concernant la question kurde, le Parlement a clairement dit, qu’il demande la mise en place des droits culturels garantis constitutionnellement y compris la liberté d’expression et des publications en langue kurde ainsi que le droit à une éducation dans leur langue maternelle dans toutes les régions de la Turquie.

Les dirigeants turcs disent : on n’a pas de minorité en Turquie. On peut parler sur les droits individuels. Oui, on peut commencer de parler sur les droits individuels mais c’est aussi un droit de s’exprimer en langue kurde, de regarder la télévision kurde, d’écouter la radio kurde. Est-il un droit culturel, collectif ou individuel? On peut commencer de tenir ces droits pour tous les gens de la Turquie. C’est l’avis du Parlement européen.

Et en 1999, le Parlement a insisté, et réitéré cette décision avant et après la décision d’Helsinki. Moi-même j’étais en Turquie deux fois, en octobre et en décembre les jours juste avant de la décision d’Helsinki. On a parlé avec des gens qui sont aussi dans cette salle. Avec Akin Birdal et les autres. On a rencontré M. Irtemçelik et les autres dirigeants de Turquie. On a senti un peu un changement. Un changement de la vie politique et aussi culturelle. On a eu l’espoir que c’est un commencement et pas seulement pour la décision d’Helsinki mais pour longtemps.

Mais maintenant j’ai des doutes. Je suis sûr que la décision d’Helsinki était correcte, elle était juste. Parce que maintenant, ce n’est pas l’Europe qui n’a pas invité la Turquie. C’est la Turquie qui n’a pas accepté l’invitation. Parce que c’était toujours une invitation avec des conditions. Avec des conditions très précises. On peut accepter ou ne pas accepter. Les arguments des dirigeants de la Turquie : "l’Europe ne veut pas la Turquie parce qu’il y a des islamistes, des cultures différentes" ne tient plus. L’Europe a décidé d’inviter la Turquie, mais il semble que la Turquie n’a pas accepté, en vérité, la décision et l’invitation de l’Europe. Que faire ?..

Pour moi il y a deux possibilités; on peut interrompre le processus et dire que la Turquie, en vérité, a dit "non". Ou, j’aimerais la deuxième possibilité, on peut concrétiser, définir et fixer des buts concrets que chaque année la Turquie doit réaliser pour avancer, concernant les droits de l’homme, la question kurde, la démocratie, le rôle des militaires, etc. Et la Turquie peut avancer seulement, après avoir mis en vigueur les buts, les objectifs d’accord entre l’Union et la Turquie. Pour chaque année il est nécessaire de définir ces buts, les pas du chemin à parcourir ; combien de mètres ou, de kilomètres, on peut aller. Pour l’Europe c’est des kilomètres, mais si la Turquie veut aller quelques pas, quelques mètres, c’est à la Turquie… Mais on ne peut pas faire les pas de demain ou de l’après-demain, aujourd’hui on doit faire des pas concrets, des améliorations. Et je veux le dire, je ne sais pas si les objectifs stratégiques sont plus importants que la démocratie et le respect des droits de l’homme pour la Turquie. Pour le Parlement, il n’est pas possible d’accepter la Turquie comme candidat avec négociation ou finalement comme membre de l’Union Européenne sans le respect des droits de l’homme et sans le respect pour les Kurdes, pour le peuple kurde. C’est absolument une condition nécessaire pour la Turquie si elle veut être membre de L’Union Européenne ".

Mme Claudia Roth, présidente de la Commission des droits de l’homme du Bundestag, ancienne présidente du Groupe des Verts au Parlement européen, ancienne co-présidente de la Commission mixte Turquie-Parlement européen :

" Quelle Turquie, pour quelle Europe ? Beaucoup a déjà été dit. Bien sûr, pour moi la Turquie est partie de cette Europe. Je ne partage pas du tout la question, la discussion géographique si la Turquie est loin ou pas trop loin, n’est pas partie de cette Europe. Pour moi c’est clair: sans doute la Turquie est partie de l’Europe. Mais bien sûr une Turquie démocratique basée sur l’Etat de droit, une Turquie basée sur le respect des droits de l’homme, une Turquie des Turcs et en même temps des Kurdes.

Moi j’ai eu pendant des années l’impression et j’ai vu et j’ai compris la politique européenne toujours très hypocrite. La politique turque de l’UE était très basée sur un double standard et sur l’hypocrisie. On a toujours utilisé la question des droits de l’homme, si on a voulu exclure la Turquie. En même temps on a envoyé des armes, des chars, surtout l’Allemagne. L’Allemagne a la première place en Europe. Le ministre des affaires étrangères a critiqué la situation des droits de l’homme, a critiqué bien sûr mais en même temps on a donné comme un grand présent les anciennes armes de la RDA, non, de l’Allemagne de l’Est ; parce qu’économiquement, c’était très très intéressant de donner ça à la Turquie.

Il y a donc une hypocrisie d’utiliser, de fonctionnaliser la question des droits de l’homme mais en même temps de profiter économiquement de la Turquie. Je suis sûr qu’au sein de l’Union l’hypocrisie était aussi basée sur l’idée que l’Union était un club des chrétiens. Ce n’était pas seulement les conservateurs qui ont dit que la Turquie n’a pas une place au sein de l’Union parce que ne sont pas des chrétiens ; c’est dans l’esprit de beaucoup de gens. Et en parlant des droits de l’homme, à mon avis derrière l’exclusion, surtout au sommet de Luxembourg, était basée vraiment sur l’idée que l’Europe soit un club des chrétiens. Pour moi la religion ne peut jamais être un critère de l’identité de l’Europe. L’Europe doit être ouverte pour des chrétiens, des musulmans, des juifs, des athéistes. La religion ne doit pas servir de base pour l’UE.

Autre point ; l’hypocrisie du sommet de Luxembourg. Je me souviens très bien qu’un ministre a dit qu’il ne veut pas manger ensemble avec des personnes qui font la torture. Moi je trouve ça très courageux. Mais je lui ai dit alors pourquoi la Turquie reste-elle dans l’OTAN si vous vous dites qu’il existe une torture systématique ? Pourquoi on expulse en même temps des réfugiés des pays membres vers la Turquie ? Pour moi c’est difficile à comprendre. Il m’a attaqué en disant que je ne respecte plus les droits de l’homme. À Luxembourg, la Turquie n’a pas réussi d’avoir le statut de candidat. 2 ou 3 semaines après, dans la deuxième semaine de janvier, des réfugiés kurdes, quelques centaines sont arrivés en Italie. Tout de suite l’UE a fait une conférence à Rome, a invité les responsables de la sécurité turque très connus pour discuter comment on peut fermer les frontières en Turquie. Pour moi il y a double standard, et une hypocrisie totale. Et maintenant avec cette décision à Helsinki au moins on a commencé à regagner de la crédibilité en disant à la Turquie, vous avez maintenant une perspective crédible, réaliste de pouvoir devenir membre de l’UE basée sur des conditions. Il faut insister que le statut de la candidature n’est pas du tout l’adhésion. La candidature peut ouvrir la porte qui était fermée, peut favoriser l’influence de la politique européenne en Turquie, peut créer une dynamique pour un changement politique en Turquie, changement pour des droits de l’homme, pour la démocratie, la candidature n’est pas du tout un chèque blanc. Si l’on dit que maintenant par la décision d’Helsinki la Turquie est devenue une démocratie; c’est dangereux. Parce que le ministre allemand de la défense dit : c’est bien, la Turquie est maintenant candidate alors on peut plus facilement envoyer des chars. Non ! Ou le ministre des affaires intérieures a dit : maintenant c’est plus facile d’expulser les réfugiés. Non !

Candidature veut dire que la porte est ouverte. Mais maintenant ça commence avec des conditions. Ce sont des critères de Copenhague et je crois qu’en Turquie la population, le gouvernement, personne n’est vraiment au courant de ce que cela veut dire. Quels sont les critères ? Ça va coûter, ça va durer, mais ça peut aider par exemple mettre une fin à la discrimination du peuple kurde, mettre fin au rôle privilégié des militaires, du contrôle civique des militaires en Turquie. Le respect des droits de l’homme, la fin de suppression des opinions oppositionnelles, le respect de la libre expression, la liberté de la presse, les droits sociaux (la sécurité sociale) et le développement économique. Là ce sont les critères et l’on n’a pas plus ouvert la porte pour le long chemin. Mon gouvernement et mon ministre comprennent aussi que ce n’est pas le moment d’envoyer 1000 chars en Turquie. Je ne sais pas si vous avez suivi cette question mais chez nous, en Allemagne, dans notre gouvernement, on a eu un grand conflit. Et ça recommence ; on dit qu’on a fait des progrès. Moi je dis que ce n’est pas suffisant qu’Ocalan n’est pas exécuté. Bon, ce n’est pas mal, c’est important, mais ça ne suffit pas. Ce ne sont pas les droits égaux des Kurdes. Ce n’est pas la reconnaissance et le dialogue politique. Ce n’est pas aslllklksez.

Il faut aider à la reconstruction, surtout dans la région kurde. Au moins 3000 villages étaient détruits. Il faut garantir à ceux qui ont perdu leur maison de pouvoir revenir. À mon avis, le grand barrage, le projet d’Ilisu n’est pas un moyen de démocratisation. Ça va coûter au moins 10 milliards de francs français. Avec cet argent, on pourra faire beaucoup mieux et beaucoup plus en soutenant par exemple les sociétés civiles et non les grands projets qui sont aussi un danger pour l’environnement.

On va se rencontrer peut-être la prochaine fois à Berlin, ou encore à Paris, ce ne serait pas mal si la Turquie était représentée avec une ambassadrice qui s’appellerait Leyla Zana, que l’ambassadeur turc d’Allemagne serait présent avec nous Yavuz Önen bien sûr, Akin Birdal comme ambassadeur turc en Autriche. C’est notre rêve. Ce n’est pas une utopie, c’est notre tâche pour l’avenir ".

Que signifie le choix européen pour les Kurdes se demande Kendal Nezan ? C’est à la fois un choix de cœur et un choix de raison. Choix de cœur car les Kurdes rêvent d’appartenir à un espace de démocratie, de liberté et de prospérité. Près d’un million d’entre eux vivent déjà dans les pays de l’Union et goûtent à cette liberté. C’est aussi un choix de raison car après tant de décennies de combats armés infructueux et dévastateurs, la perspective européenne pourrait leur permettre d’obtenir par le dialogue, la persuasion, le combat politique et la force du droit leurs droits légitimes. Et peut-être un jour, dans le cadre d’un Proche-Orient démocratique les frontières inter-Kurdes perdront-elles leur caractère dramatique actuel et les Kurdes pourront-ils circuler librement à l’intérieur de leur pays comme le font aujourd’hui les Catalans d’Espagne et de France ?

En conclusion du débat, le journaliste Marc Kravetz affiche aussi l’espoir que " les Kurdes cesseront d’être un problème pour les Etats qui divisent leur pays pour devenir un trait d’union entre les pays de la région. Le rapprochement franco-allemand intervenu après tant de décennies de guerres et d’hostilités devrait servir d’exemple aux Kurdes et à leur voisins. Cela nécessite une révolution des mentalités. Il faut donc s’engager avec persévérance dans cette voie du dialogue, et du débat pour préparer les esprits. Des réunions comme celle d’aujourd’hui doivent être multipliées entre Kurdes, Turcs et Européens pour mieux comprendre les intérêts et les besoins des uns et des autres et trouver des compromis démocratiques viables ".

Les actes du colloque seront publiés ultérieurement dans leur intégralité.

L’ARRESTATION DES TROIS MAIRES KURDES SOULÈVE DE VIVES RÉACTIONS TANDIS QUE LA TURQUIE CONDAMNE À TROIS ANS DE PRISON LES RESPONSABLES DU HADEP

Le président du HADEP, Ahmet Duran Demir, son prédécesseur Murat Bozlak et seize autres membres de leur parti, ont été condamnés le 24 février 2000 à trois ans et neuf mois de prison chacun par la Cour de sûreté de l’Etat (DGM) d’Ankara pour " soutien et recel " en faveur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ils étaient jugés avec 29 autres accusés pour leur implication dans les grèves de la faim et manifestations de soutien organisées par le HADEP en faveur du chef du PKK, Abdullah Öcalan, alors que celui-ci avait séjourné de novembre 1998 à janvier 1999 en Italie.

Quelques heures avant la décision de la cour d’Ankara, une cour de Diyarbakir a inculpé et écroué, après quatre jours de garde-à-vue, pour les mêmes chefs d’accusation et au terme de l’article 169 du code pénal turc, Feridun Çelik, Selim Özalp et Feyzullah Karaasalan, respectivement maires de Diyarbakir, Siirt et de Bingöl, tous élus aux dernières élections municipales d’avril 1999. Le HADEP, qui avait emporté plus d’une quarantaine de municipalités, est menacé d’interdiction par la justice turque qui le considère comme une émanation du PKK.

Des manifestations de protestation, qui ont été sévèrement réprimées par les autorités turques, ont eu lieu à Diyarbakir les 22, 23 et 24 février pour réclamer leur libération. 33 maires HADEP de la région se sont rendus à Diyarbakir pour protester contre cette incarcération. Le vice-Premier ministre luxembourgeois, Lydie Polfer, en visite en Turquie, s’est déclarée " très préoccupée " et a ajouté " nous avons du mal à comprendre les arguments qui ont provoqué leur interpellation ". Le Portugal et la France, respectivement, actuel et prochain président en exercice de l’Union européenne, ainsi que le représentant en Turquie de la Commission européenne, se sont entretenus à ce sujet avec le sous-secrétaire d’Etat du ministère turc des Affaires étrangères. Walter Schwimmer, secrétaire général du Conseil de l’Europe et Lord Russell-Johnston, président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont déclaré dans un communiqué daté du 23 février : " Il paraît surprenant que, dans le contexte politique actuel, les autorités turques, au lieu de rechercher un dialogue, emprisonnent des représentants élus ayant reçu une large confiance des citoyens de leurs villes " et ils ont appelé B. Ecevit à faire "le nécessaire pour protéger les droits des élus et créer au sud-est de la Turquie les conditions d’une normalisation respectant toutes les composantes politiques et culturelles ". Le Premier ministre turc, Bülent Ecevit, a, quant à lui, accusé les pays européens de tenter d’exercer des pressions sur la Turquie dans le cadre de l’interpellation des maires. " Nous sommes gênés par l’attitude des pays membres de l’UE (…) Nous sommes très sensibles aux questions concernant notre intégrité territoriale et si nécessaire, nous avertirons les pays européens " a-t-il déclaré le 23 février au journal turc Cumhuriyet. Hüsnü Öndül, président de l’association turque des droits de l’homme (IHD), a déclaré : " ces mesures portent atteinte à la crédibilité de l’Etat dans le sud-est. L’atmosphère de paix qui régnait dans la région depuis des mois va en souffrir (…) Depuis qu’elle a été déclarée candidate à l’Union européenne, en décembre, la Turquie n’a fait aucun pas positif en matière des droits de l’homme et de démocratisation ".

Devant le tollé général, Ankara a dû faire marche arrière, remettre en libérté les maires après une semaine de détention. Ceux-ci sont toutefois interdits de voyages à l’étranger. Leur procès devant la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir se poursuit. Ils sont passibles de 7 ans de prison.

LE SCANDALE DE L’ARMÉE PRIVÉE DU PREFET DE BATMAN

La Turquie est secouée par un nouveau scandale qui met à jour la lutte sans merci menée par les autorités turques au Kurdistan de Turquie. Cherchant à démanteler à la racine l’organisation intégriste Hizbullah, née à Batman, la Turquie a trébuché sur le désordre politico-militaire régnant dans la région. Préfet de Batman entre 1993 et 1997, Salih Sarman a été épinglé par la presse pour avoir mis sur pied et organisé une force militaire privée d’un millier d’hommes, fortement armés, pour lutter contre " le terrorisme ", se donnant ainsi le droit de lever une armée. Le préfet s’était également livré au trafic d’armes avec la Chine populaire et la Bulgarie par l’intermédiaire d’une société qui avait déjà fait parler d’elle il y a 18 ans sous la plume d’Ugur Mumcu, célèbre journaliste d’investigation assassiné depuis. Interpellé sur la question, Nahit Mentese, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement de Mme Tansu Çiller, a répondu " je ne suis pas au courant de l’achat des armes. Le préfet Sarman était plus particulièrement en contact avec le Premier ministre ". Il a été constaté que pendant le gouvernement de T. Çiller, 2,7 millions de dollars issus des fonds secrets ont été versés pour importation des armes à Batman. Plus encore, une partie des armes achetées à l’époque, se trouve aujourd’hui évaporée et nombreux sont ceux qui affirment que celles-ci se trouvent dans les mains du Hizbullah. M. Mentese ne nie d’ailleurs pas que lors d’un voyage dans la région avec le Premier ministre, ils ont été accueillis par cette force mixte, composée de la police, des gardes de villages et de militaires.

Dans une interview accordée au quotidien Milliyet le 11 février, le préfet Sarman déclare : "j’ai exposé d’abord mon projet à Unal Erkan, gouverneur de la région sous l’état d’exception (OHAL). Ce dernier a déclaré qu’il ne pouvait me donner de fonds complémentaires pour ce projet. Plus tard j’ai envoyé celui-ci au Premier ministre qui l’a trouvé approprié. On nous a alors transféré de l’argent venant des fonds de soutien. Quelques fois, l’argent tardait à arriver, c’est alors que la banque Emlakbankasi nous proposait de nous ouvrir un compte crédité. Lorsque nous recevions les fonds nous remboursions la banque. À la suite de l’accord ministériel, nous avons formé la première troupe expérimentale de mille hommes à Batman. La gendarmerie était chargée de l’instruction. Après un mois de formation, nous leur avons alloué un certificat lors d’une cérémonie à laquelle le ministre de l’intérieur Nahit Mentese a pris part ".

"Je me suis également entretenu avec le commandant en chef de la gendarmerie Aydin Ilter (…) Il m’a félicité pour mon projet (…) Après la fin de mes fonctions en 1997, ils n’ont pas continué ce système et dispersé la troupe. Malgré tout, les gardiens appartenant à cette troupe se trouvent toujours en fonction dans divers lieux ". En ce qui concerne le trafic d’armes, le préfet a ajouté : "C’est la trésorerie et le secrétariat d’Etat au commerce extérieur qui nous ont fourni l’autorisation d’importation (…) Avec l’autorisation et l’accord du Premier ministre, les armes et les munitions ont été transportées à Batman par des avions de l’armée de l’air turque. Tout cela se trouve enregistré. Mais après ouverture de l’instruction, j’ai demandé des documents à la préfecture, ils m’ont rétorqué qu’ils n’avaient rien trouvé (…) Nous avons donné 90 % des armes importées à la gendarmerie. Le reste a été donné à la Direction de la sûreté et à d’autres départements encore, afin qu’elles soient distribuées à leurs troupes (…) 1800 armes ont été importées, 1200 d’entre elles sont présentes et 600 autres auraient disparu. Mais comme je l’ai précisé, nous les transmettions à la gendarmerie et à la Direction de la sûreté ". M. Sarman se félicite d’autre part de ses méthodes expéditives : " en 1995, la troupe a pris d’assaut un camp du PKK au nord de Sason (Mus), en deux heures ils ont fait disparaître 150 militants du PKK ".

La presse turque révèle chaque jour la chronique de ces sales affaires d’Etat. Umur Talu du quotidien Milliyet écrit le 11 février sous le titre de " la capitale de Susurluk et de Batman est Ankara " : " Le 20 juin 1994 au cours d’un meeting, une bombe visant le président du parti social-démocrate (DSP), Bülent Ecevit, a explosé, faisant 5 victimes. La première réaction d’Ecevit a été de désigner les organisations ‘à l’intérieur de l’Etat et en dehors du contrôle de l’Etat’. Des années auparavant à Izmir, lors d’une autre attaque, la déclaration d’Ecevit avait été similaire quand il avait parlé de ‘contre-guerilla’ (…) Aujourd’hui Bülent Ecevit est Premier ministre (…) Tout le monde n’a pas eu la même chance que lui. Certains célèbres, d’autres méconnus, mais des centaines, voire des milliers de personnes ont été enlevées, assassinées, étranglées et enterrées ".

On peut se demander pourquoi la Turquie qui ne manque pas d’usines d’armements a importé ces armes légères chinoises et bulgares, qui sont des armes utilisées par la guérilla du PKK alors que l’armée régulière turque est équipée d’armes occidentales, principalement américaines. En équipant ses miliciens des mêmes armes, le préfet et d’autres forces paramilitaires ont pu commettre nombre d’assassinats et de massacres de civils kurdes et les attribuer ensuite " aux terroristes du PKK " faisant d’une pierre deux coups : casser du Kurde et diaboliser le PKK.

Au cours du mandat du préfet Sarman, Batman était devenu une des villes où il y a eu le plus de " meurtres non élucidés " en Turquie, atteignant le chiffre de 205, dont Mehmet Sincar, député du parti de la démocratie (DEP), qui s’était rendu sur les lieux justement pour enquêter sur ces "meurtres mystérieux ". Alors que Tansu Çiller nie toute responsabilité en soutenant que tout a été fait dans la légalité, le Président Suleyman Demirel a déclaré le 12 février que les armes importées entre 1994 et 1996 étaient en la possession de la gendarmerie et qu’elles n’avaient pas été fournies au Hizbullah mais que certaines auraient pu l’être par les gardiens de villages. Cependant le chaîne turque CNN-Turk a annoncé le 12 février qu’il y avait une différence sérieuse entre les armes enregistrées par le commandement de la gendarmerie et le département de sécurité et la liste fournie par le bureau du gouverneur. Selon la chaîne, 443 fusils automatiques, 115 roquettes, et 1450 grenades manquent à la liste. La presse parle de 507 375$ d’armes volatilisées. Pour finir, M. Demirel a déclaré que le conseil de sécurité nationale (MGK) n’avait pas traité le sujet et qu’il n’était pas perturbé par le débat actuel. " Des matières de routine ne viennent pas à l’attention de la hiérarchie de l’Etat " a-t-il déclaré.

LU DANS LA PRESSE TURQUE

Réagissant à l’arrestation des trois maires kurdes, Hasan Cemal, l’éditorialiste au quotidien turc Milliyet, dénonce dans ses colonnes du 23 février 2000, la politique de l’Etat vis-à-vis de ses citoyens kurdes et appelle Ankara à plus de cohérence pour accéder à la démocratie et à l’Union européenne. Voici de larges extraits de son article intitulé "l’aliénation encourage le séparatisme".

"Une chaîne de télévision a été fermée en réaction à une question posée sur ses écrans, à savoir si oui ou non Öcalan (le leader du PKK) pouvait devenir un second Mandela.

Ainsi, des millions de téléspectateurs ont été sanctionnés par le RTUK [ndlr : l’équivalent turc du Conseil supérieur de l’audiovisuel] à cause de la question précédente posée par Mehmet Ali Birand.

Aller expliquer une telle sanction à partir de la perspective de la démocratie ! Aller soutenir que la liberté de l’expression n’est pas censurée dans ce pays ! Laissez-nous observer qui va vous croire ou bien vous prendre au sérieux.

Ce n’est rien qu’une censure absolue. C’est une mentalité qui porte totalement atteinte à la liberté de l’expression. Le RTUK agit maintenant comme une institution de censure.

Est-ce que cette censure s’applique dans le cadre des lois du pays ? (…) Le Parlement devrait agir pour ramener le RTUK au niveau des institutions opérant dans de nombreux pays démocratiques. C’est le moyen d’atteindre la démocratie ou de s’assurer l’adhésion à l’UE. Pour cela, nous devons éliminer nos défaillances dans les domaines de la démocratie et des droits de l’homme…

Les dirigeants du pays sont conscients de nos déficiences à cet égard. J’ai trouvé l’opportunité de parler avec le Président Süleyman Demirel, le Premier ministre Bülent Ecevit, le ministre des affaires étrangères Ismail Cem, et des figures proéminentes du ministère des affaires étrangères, aucun d’entre eux n’a affirmé que notre démocratie marchait sans à coup.

Au contraire, ces responsables m’ont déclaré que l’adhésion à l’UE était l’objectif primordial et que tout ce qui est nécessaire sera accompli pour atteindre ce but. Tout le monde est conscient de ce qu’est nécessaire. Ce sont les critères de Copenhague que nous avons embrassés en décembre dernier lorsque la Turquie a été acceptée en tant que candidat à l’UE au cours du sommet de Helsinki…

L’abolition de la peine de mort, l’émission de programmes en kurde, de même que l’éducation en kurde, constituent certains points de ce critère.

Accorder à nos citoyens d’origine kurde certains droits dans le même cadre que ce qu’ils en disposent en France et les traiter comme des citoyens égaux ne contusionnera pas notre Etat unitaire. L’unité du pays ne sera pas rompue si nos citoyens d’origine kurde étaient autorisés à établir des radios, à émettre des programmes de télévision dans leur propre langue ou d’implanter des écoles dispensant des cours en langue kurde.

Dans un article publié hier dans le quotidien Hürriyet, l’ancien ministre des affaires étrangères et diplomate d’expérience, Ilter Türkmen a déclaré : "L’Union européenne attend de notre part que nous reconnaissions à nos citoyens d’origine kurde le droit de parler leur langue maternelle et de sauvegarder leurs traditions culturelles" (Hürriyet, 22 février 2000, page 26)

D’Ankara, j’ai eu l’impression que l’Etat était ennuyé de se pencher sur le sujet. Et pourtant, il n’y a aucune raison à ce désarroi, car le terrorisme a été mis sous contrôle, le PKK a été vaincu, et les combattants du PKK ont abandonné leurs armes.

Dans une déclaration concernant le sujet, le Président Süleyman Demirel a indiqué : " Le temps est venu de panser les blessures dans le Sud-est…Le temps est également venu de normaliser la situation, y compris le retour des déplacés à leurs foyers… "

Toutefois, cette normalisation ne peut être réalisée par la seule thérapie des plaies économiques et sociales. Comme Demirel l’a souligné, les problèmes impliquant des identités culturelles devront également être résolus. L’aliénation entre l’Etat et le peuple vivant dans le Sud-est, spécialement ces 15 dernières années, devrait être abolie. Ceci peut être réalisé en solutionnant les problèmes liés aux identités culturelles.

Sommes-nous sur la bonne voie pour évaluer le sujet ? (…) La tentative de mettre les maires HADEP [parti de la démocratie du peuple] de Diyarbakir, Siirt, Bingöl sous surveillance a mis la question dans l’agenda. Cette surveillance a créé une tension dans la région. Le peuple du sud-est a réagi à l’incident (…)

L’incident fait référence au système judiciaire. Le HEP (…) a été le premier (parti pro-kurde légal), et puis il a été interdit. Ensuite le DEP (parti de la démocratie) a été créé. Et maintenant, nous avons le HADEP (…) Le HADEP a recueilli le plus de voix dans le Sud-est au cours des dernières élections. Recueillant 1,3 million des voix et, il aurait obtenu encore plus de voix, si les élections s’étaient déroulées dans des circonstances normales.

Que va-t-on faire maintenant ? Allons-nous nous réconcilier avec le système ou bien nous aliéner nous mêmes à celui-ci ?

Est-ce que le séparatisme va se renforcer ou bien s’affaiblir si nous continuons à maintenir une politique d’aliénation malgré le fait que le terrorisme a été mis sous contrôle et que le PKK a été vaincu ? cette politique ne va-t-elle pas aider à atteindre leurs buts ceux qui veulent créer un noyau séparatiste dans le Sud-est et le nord de l’Irak ? Nous devons évaluer toutes les questions.

Je voudrais vous présenter un extrait de l’article d’Ilter Türkmen : "Le problème découle de notre manque à maintenir une politique conséquente et réaliste dans une atmosphère critique créée par les développements suite à l’aliénation d’Öcalan. Nous ne pouvons rien récolter en évitant les problèmes ou ajournant les décisions difficiles. Si nous continuons ainsi, nous allons perdre une grande opportunité à obtenir la paix interne et, en même temps, nous allons mettre en échec le début des pourparlers pour l’accession à l’UE."

Oui, il est temps pour nous de réfléchir profondément. Nous allons rencontrer une impasse si nous interdisons une chaîne de télévision en riposte à une simple question posée ou si nous manquons à comprendre l’enjeu du peuple dans le Sud-est"

AINSI QUE...

LE 7ème CONGRÈS DU PKK CONFIRME L’ABANDON DE LA LUTTE ARMÉE


Le Parti des travailleurs du Kurdistan a publié le 9 février 2000 les conclusions de son 7ème congrès, tenu entre les 2 et 23 janvier 2000 en un lieu non précisé, probablement dans les monts Qandil à la frontière entre l’Iran et l’Irak. Le PKK qui se dit désormais " un parti qui vise à la transformation démocratique et au développement d’un règlement de la question kurde en Turquie", a annoncé les grandes lignes d’une "nouvelle stratégie" qui doit "transformer la guérilla armée en une organisation politique" et confirme l’abandon de la lutte armée lancée en 1984.

L’organisation a annoncé que son aile militaire, l’Armée populaire de libération du Kurdistan (ARGK) "doit être changée et réorganisée en Force de défense du peuple". L’aile politique, le Front national pour la libération du Kurdistan (ERNK), est rebaptisée par "Union démocratique du peuple" chargée de "développer les organisations légales et la lutte politique démocratique dans tous les domaines".

D’autre part, le Comité central, un terme aux connotations marxiste-léninistes, est remplacé par une "assemblée du parti". Une nouvelle direction a été désignée et le chef du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné à l’île prison d’Imrali, a été élu "secrétaire général".

Le PKK a également appelé "tous les cadres du parti, notre peuple et nos amis à se renouveler" et indiqué avoir adopté un "projet de paix" et se dit prêt à travailler avec quiconque "dans le cadre de projets justes et raisonnables pour réaliser la solution pacifique et démocratique". L’organisation veut lancer une grande campagne pour obtenir "la liberté de travail politique pour le président Apo et la paix pour le Kurdistan". Or, le Premier ministre turc Bülent Ecevit avait récemment exprimé son agacement face aux nombreux communiqués diffusés par A. Öcalan depuis sa prison via ses avocats et lui a enjoint de se taire. La presse turque a été rappelée à l’ordre et menacée de sanction aen cas de publication des déclarations d’Ocalan.

Les autorités turques ne semblent guère convaincues par le changement de cap du PKK, même révisé, et parlent de " maquillage " et de " changement cosmétique ". Le quotidien turc Hurriyet écrivait en sa Une le 10 février 2000 : " Le PKK enlève Kurdistan de son nom ". Turkish Daily News dans son édition du 10 février sous-titre " les actions ne sont pas alignées sur la rhétorique " et continue ainsi : "Suite à son ‘congrès’, le PKK a annoncé à ses sympathisants et au public, que le but d’établir un Etat était ‘erroné’ et que celui-ci avait été abandonné. Et pourtant il continue d’utiliser le mot ‘ Kurdistan’ (…) Plus encore, agissant comme si elle était le ‘gouvernement’ de l’Anatolie de l’Est et du Sud-Est, l’organisation terroriste a pris la décision d’encourager le commerce frontalier, de créer de nouveaux centres commerciaux dans des lieux appropriés, ‘de donner la priorité aux intérêts du Kurdistan dans les relations diplomatiques avec la République turque, d’établir des écoles–y compris des universités–pour éduquer ‘le peuple du Kurdistan’, de maintenir les activités du parti démocratique du Peuple (HADEP)–conserver les municipalités sous le contrôle ‘ en les alignant sur les intérêts du peuple du Kurdistan’ et que toute la presse et la diffusion des activités culturelles et artistiques ‘au Kurdistan’ devraient être conduites ‘sous la responsabilité et la permission du PKK’. "

Par ailleurs, des dissidents, réunis au sein d’une "Initiative kurde en Europe", ont récemment critiqué l’abandon de la lutte armée comme une "concession historique". Et le comité central du PKK avait reconnu que ses appels à un retrait de Turquie des combattants à partir de septembre avaient été ignorés par au moins deux unités rebelles armées, qui avaient choisi de rester pour se battre.

Dans ce contexte, "l’abandon de la lutte armée" ressemble pour l’heure à une trêve prolongée conditionnée par le sort d’Ocalan. Car le PKK maintient toujours une force de 4000 à 5000 combattants armés basés principalement dans les montagnes kurdes d’Iran et d’Irak. Ce qui signifie que si sa "nouvelle stratégie" ne produit par les résultats espérés ou si Ocalan est pendu le recours à la lutte armée pourrait redevenir une option.

ANKARA A REFUSÉ À DANIEL COHN-BENDIT L’AUTORISATION DE RENDRE VISITE À LEYLA ZANA


Daniel Cohn-Bendit, président de la commission parlementaire mixte –faisant la liaison entre l’Assemblée nationale turque et le Parlement européen– a demandé aux autorités turques la permission de rendre visite à Leyla Zana lors de sa visite des 21-23 février 2000 à Ankara. Devant le refus catégorique des autorités turques, M. Cohn-Bendit a annulé sa visite. D’autre part, Enrique Baron Crespo, président du groupe socialiste au Parlement européen, aurait également demandé une autorisation pour visiter les parlementaires kurdes emprisonnés depuis 1994. Depuis la conclusion de l’Union douanière entre la Turquie et l’Union européenne, en janvier 1996, les députés européens ne sont plus autorisés à rendre visite à leurs collègues kurdes détenus depuis mars 1994 pour délit d’opinion. Ces derniers mois les conditions de détention de Leyla Zana et ses collègues se sont sensiblement détériorées. Selon certaines informations, les autorités turques envisageraient de les transférer vers les prisons des provinces éloignées afin d’accroître encore leur isolement.

L’ANCIEN AVOCAT D’ABDULLAH OCALAN ENCOURT UNE PEINE DE 15 ANS DE PRISON


L’ancien avocat d’Abdullah Öcalan, Ahmet Zeki Okçuoglu, a été inculpé le 7 février 2000 encourant une peine de un à quinze ans de prison. La Cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul accuse l’avocat d’avoir "insulté et humilié" l’Etat turc dans des commentaires faits en mars dernier, deux mois avant l’ouverture du procès de son client. M. Okçuoglu avait estimé sur la chaîne de télévision pro-kurde Med-Tv que le procès était gagné avant même de s’ouvrir parce que la Cour jugerait en fait l’Etat turc et deviendrait une tribune permettant à Ocalan d’exposer le problème kurde en Turquie.

M. Okçuoglu est en outre poursuivi pour avoir affirmé qu’Ocalan avait été interrogé par des officiers après avoir été drogué. Il est aussi accusé de "commentaires insultants envers le président Süleyman Demirel". Il s’était retiré de la défense peu avant l’ouverture en mai du procès d’Ocalan arguant d’actes de violence et d’intimidations perpétrées contre lui par des ultra-nationalistes et dénonçant la protection insuffisante fournie par les autorités.

DEUX MOIS DE PRISON POUR SANAR YURDATAPAN


Le compositeur Sanar Yurdatapan à l’initiative du projet "Liberté pour la pensée" et le journaliste Nevzat Onaran, responsable de la section d’Istanbul de l’association des Journalistes contemporains, ont été condamnés le 1er février 2000 à deux mois de prison et 470$ d’amende en vertu de l’article 155 du code pénal turc par la Cour militaire de l’état-major à Ankara. À l’occasion du numéro 38 du bulletin "Liberté de l’expression", ils avaient apporté leur soutien à la chanteuse Nilufer Akbal et au journaliste Koray Duzgoren, qui avaient été condamnés précédemment à 6 mois de prison pour avoir soutenu Osman Murat Ulke, un objecteur de conscience turc. La peine de ces derniers avait été suspendue en vertu de la loi relative à la presse, et à la radio-télévision.

M.M. Yurdatapan et Onaran ont été jugés et condamnés par une cour composée de trois juges et un procureur, tous militaires. La Cour européenne des droits de l’homme avait condamné dans l’affaire Incal la Turquie pour procès partial du fait de la présence d’un juge militaire dans les cours de sûreté de l’Etat. Or, ces défenseurs de droits de l’homme, bien que civils, ont dû affronter uniquement des juges militaires.

Par ailleurs, le 4 février, Aykut Cengiz Engin, procureur près de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul, a, requis 7,5 ans de prison contre le chanteur kurde Ahmet Kaya pour "propagande séparatiste " et "incitation à la haine raciale". Primé par l’association des journalistes de magasine le 10 février 1999, M. Kaya avait au cours de la cérémonie affirmait son identité kurde et avait exprimé son désir de chanter en kurde.

LA POLICE LONDONIENNE CONDAMNÉE À PAYER 55.000? POUR AVOIR ARRÊTÉ SANS RAISON 11 ACTEURS KURDES EN REPETITION


La police de Londres a accepté le 2 février 2000 de payer 55 000? de dommages à 11 réfugiés kurdes, arrêtés alors qu’ils répétaient une pièce d’Harold Pinter avec des armes factices. Alertée par des voisins affirmant que des hommes en armes menaçaient le public dans une salle municipale, la police avait débarqué en force en hélicoptère à Harringay en juin 1996. Les 11 acteurs avaient été arrêtés et embarqués dans une camionnette de la police, où on leur avait interdit de communiquer en kurde. La défense de parler leur langue, faite aux Kurdes par les autorités turques, est justement le thème de la pièce de Pinter, "La langue des Montagnes". "C’est un cauchemar devenu réalité, où la vie imite l’art" a déclaré l’avocat des Kurdes, Sadiq Khan."le traitement qu’ils ont subi est exactement ce qu’ils enduraient en Turquie et d’où ils ont fui". J’ai été horrifié d’apprendre que ces Kurdes qui avaient été agressés, menottés et emprisonnés, se sont également vus défendre de parler leur langue entre eux" a déclaré l’auteur de la pièce, Harold Pinter.