L’opposition irakienne s’est réunie du 14 au 17 décembre à Londres sur le thème « Pour la libération de l’Irak et la mise en œuvre de la démocratie ». Quelque 350 personnalités représentant des principaux mouvements de l’opposition et de la société civile irakienne dont des Kurdes, des Arabes, des Chiites, des Assyro-chaldéens et des Turcomans ont pris part à ces assises. Parmi elles : M. Barzani, J. Talabani, A. Chalabi, M. Al Roubaei, K. Makia, A. Al Hakim etc. La conférence a réaffirmé les principes fondamentaux établis par les conférences et réunions précédentes de l’opposition irakienne, spécialement ceux de la conférence de Salahadine tenue en 1992 au Kurdistan et de la déclaration politique commune de la délégation de l’opposition à Washington en août 2002. À l’issue des travaux qui ont duré quatre jours, la conférence a abouti à une déclaration politique précédant une série de recommandations et de résolutions dont voici les principaux points :
« Aujourd’hui, une nouvelle fois, il y a une opportunité pour notre peuple et nous pouvons tirer des avantages des éléments de la situation internationale pour déposer un régime fasciste et initier des développements positifs en Irak… Nous devons encourager le processus de changement en Irak pour le bénéfice de notre peuple en prenant en considération les intérêts des pays voisins, régionaux, arabes et islamiques et de la communauté internationale. »
« La conférence considère le rôle de l’opposition comme un élément vital et crucial dans toutes les phases d’un changement attendu avec ses possibilités et les conditions pratiques. »
« L’Irak sera un Etat démocratique, parlementaire, pluraliste, fédéral [pour tous les Irakiens] et élaborera en conséquence un concept humain et civilisé de la citoyenneté basé sur l’égalité et l’élimination de la discrimination contre tous les peuples, religions, races et sectes. La conférence affirme qu’une Constitution permanente faisant référence à la composition nationale de l’Irak et à la séparation des pouvoirs législatif, exécutifs et judiciaire, devrait être rédigée. Elle devra également mettre l’accent sur la prééminence du pouvoir suprême de la loi, la protection des droits de l’homme, des libertés publiques et privées, et le respect des institutions de la société civile ».
La conférence se prononce pour un Etat de droit en déclarant qu’elle se « prononce à l’unanimité que toute revanche aveugle, le chaos ou tout autre forme de violation de la loi susceptible de prévaloir dans le futur environnement de l’Irak sous n’importe quel prétexte, ne devrait pas être autorisé. Tout litige devrait être porté devant les autorités judiciaires et les cours internes et internationales eu égard à la loi et la justice… »
En ce qui concerne le pouvoir de décision politique, la conférence souligne que « tous les éléments constituants le peuple irakien ; les Arabes, les Kurdes, les Turcomans, les Assyriens, les Chaldéens et autres, de même que les musulmans, sunnites, chiites ou les chrétiens et yézidis, et autres croyants des religions célestes, devraient participer au pouvoir de décision »
« La conférence demande à la communauté internationale de soutenir le peuple irakien pour qu’il soit libéré du régime dictatorial. En même temps, la conférence rejette toutes formes d’occupation, autorité militaire interne ou externe, mandat externe et interférence régionale et met l’accent sur la nécessité de respecter la souveraineté de l’Irak, l’indépendance des pays voisins, non-interférence dans les affaires des autres pays… »
« La conférence condamne les politiques d’agression contre les chiites… et [déclare] que la nouvelle Constitution de l’Irak devrait garantir que ces violations ne devraient pas être répétées et que tous les éléments constituants du peuple irakien devraient être protégés sans aucune discrimination. »
Concernant les attaques génocidaires à Halabja et l’opération Anfal, « la conférence condamne toute injustice basée sur la race, tout oppression et nettoyage ethnique que le régime irakien a perpétré avec préméditation sur le peuple du Kurdistan irakien, particulièrement les opérations de génocide et d’Anfal qui ont causé la disparition de 180 000 personnes, 8000 personnes de la famille Barzani, 5000 Faylis et 5000 habitants de la ville d’Halabja, ainsi que la destruction des milliers de villes et de villages… »
« La conférence tout en demandant la fin de cette politique de haine met en exergue la nécessité de trouver une solution au sort des victimes, de les honorer, compenser les familles, reconstruire les villes et villages détruits et poursuivre ceux qui ont commis ces crimes auprès des cours internationales ».
« La conférence condamne toute forme de déportation, de politique de nettoyage ethnique, d’utilisation d’armes chimiques et toute contrainte relative au changement d’identité nationale, particulièrement le changement de caractère national des régions de Kirkouk, Makhmur, Khanaqin, Sinjar, Shekhan, Zimar, Mandali, etc. »
Sous le titre de « fédéralisme et la résolution de la question kurde », la conférence souligne « son respect vis-à-vis du peuple du Kurdistan et la libre volonté du peuple du Kurdistan pour choisir des méthodes propres et appropriées dans leur partenariat avec le peuple d’un pays. La conférence a discuté des expériences des systèmes fédéraux et a conclu que c’est un système approprié de gouvernement pour l’Irak, qui doit être pris en considération comme le fondement de la résolution du problème kurde dans le cadre des institutions constitutionnelles irakiennes après la fin du régime dictatorial de Saddam et des changements attendus en Irak. »
« La conférence réitère l’unité du territoire irakien et la coexistence parmi les peuples sur la base de l’union volontaire. La conférence réaffirme également les demandes justes et légitimes du peuple du Kurdistan tendant à supprimer toute forme d’oppression et de répression sur la base des lois internationales qui leur permet le droit à l’auto-détermination et affirme la fraternité, l’unité et le partenariat dans un pays. »
« La conférence apprécie hautement l’expérience dans le Kurdistan irakien, dans ces régions de liberté, de démocratie et de reconstruction. Cela prouve concrètement que les Irakiens peuvent être créatifs et constructifs lorsqu’ils ne sont pas sous le joug d’une dictature. La conférence pense qu’il est possible de bénéficier de cette expérience comme un pas en avant sur la voie de la transformation démocratique attendue en Irak et pour la résolution des différences à travers un dialogue fraternel et l’abandon de toute violence dans l’action politique. La conférence appelle pour le soutien et la protection de cette expérience et la négociation avec ses institutions élues légalement jusqu’à ce qu’une nouvelle constitution fédérale soit élaborée pour le pays, comprenant le Kurdistan irakien, et en intégrant les forces de peshmerga dans l’armée irakienne. »
La conférence a passé en revue différents points tels que les « droits des Turcomans », « les droits des Assyriens », « la catastrophe écologique dans les marais », « les décisions et les lois iniques », « l’expérience de la région du Kurdistan irakien », « les appareils de sécurité », « les forces armées », « les conditions économiques et l’éradication des effets destructeurs de la guerre », « le programme pétrole-contre-nourriture », « une nouvelle législation sur la nationalité », « les moyens tendant à faciliter le retour des migrants irakiens, déportés et réfugiés » et pour finir « le rôle des personnes qualifiées dans le domaine scientifique et académique ».
La Cour européenne des Droits de l’Homme a, le 10 décembre, condamné à l’unanimité la Turquie dans l’affaire Dicle pour le DEP (Parti de La Démocratie) contre Turquie. La Cour, à la majorité, a alloué à Hatip Dicle 200 000 euros pour dommage moral, somme à transférer par M. Dicle aux membres et dirigeants du DEP, ainsi que 10 000 EUR pour frais et dépens.
Ainsi, sur le point de savoir si le DEP poursuivait des buts contraires aux principes de la démocratie, la Cour de Strasbourg constate que « la déclaration écrite ainsi que les discours ayant conduit à la dissolution du parti tendaient à la reconnaissance de l’identité kurde et critiquaient de manière virulente la politique gouvernementale à l’encontre des citoyens d’origine kurde ». Pour autant, la Cour « ne les considère pas contraires aux principes fondamentaux et rappelle que le bon fonctionnement de la démocratie exige que les formations politiques puissent introduire dans le débat public des propositions, fussent-elles de nature à heurter les lignes directrices de la politique gouvernementale ou les convictions majoritaires dans l’opinion publique ».
Par ailleurs, la Cour « n’est pas convaincue par la thèse du Gouvernement selon laquelle la formulation de la part du DEP des réclamations d’autonomie ou de séparatisme se résume en l’espèce en un soutien aux actes terroristes … il n’est pas utilement démontré dans l’arrêt de dissolution que le DEP envisageait de compromettre le régime démocratique en Turquie par le biais de ses projets politiques. Il n’est pas non plus soutenu que le DEP avait des chances réelles d’instaurer un système gouvernemental qui ne serait pas approuvé par tous les acteurs de la scène politique ».
Sur le point de savoir si le DEP menait sa campagne politique par des moyens légaux et démocratiques ou si ses dirigeants prônaient le recours à la violence comme moyen politique, la Cour observe que si le discours prononcé à Bonn et la déclaration écrite du comité central, contiennent de sévères critiques à l’encontre de certains comportements du Gouvernement, « ces deux déclarations n’expriment aucun soutien ou approbation explicites du recours à la violence à des fins politiques. » Selon la Cour, « il s’agit d’une virulente critique politique des autorités turques, qui ne peuvent à elles seules constituer des éléments de preuve afin d’assimiler le DEP aux groupes armés procédant à des actes de violence. La Cour n’est pas convaincue qu’ainsi ils poursuivaient un but autre que celui de remplir leur devoir de signaler les préoccupations de leurs électeurs. Elle considère par conséquent que la mesure de dissolution appliquée au DEP en raison de ces deux déclarations ne correspondait pas à un « besoin social impérieux ». »
Quant à la déclaration faite par l’ex-président du DEP en Irak, la Cour relève qu’il contenait trois messages : d’une part son désir d’un Etat kurde séparé et uni, d’autre part l’assimilation du mouvement armé du PKK à une guerre de libération du Kurdistan du nord dans l’objectif de fonder un Etat kurde, et enfin, la stigmatisation des parties adverses notamment le Gouvernement de Turquie. Selon la Cour, les deuxième et troisième messages s’analysent en une approbation au recours à la force comme moyen politique et à un appel à le faire, de sorte que dans le contexte de l’époque, ces propos étaient susceptibles d’insuffler une haine profonde et irrationnelle envers ceux qui étaient présentés comme des ennemis de la population d’origine kurde. Le recours à la violence semble ainsi être une mesure de libération nécessaire et justifiée face à l’ennemi. Selon la Cour, la mesure prise à l’encontre de ces propos répondait à un « besoin social impérieux ». Elle constate par ailleurs que des poursuites pénales ont été entamées contre l’auteur de ces propos.
Toutefois, la Cour note qu’il s’agit ici d’un seul discours tenu par un ex-dirigeant du parti, prononcé à l’étranger dans une autre langue que le turc et devant un public qui n’était pas directement concerné par la situation en Turquie. Son impact potentiel sur la « sécurité nationale », « l’ordre » public ou « l’intégrité territoriale » en Turquie était donc très limité. Ainsi, selon la Cour, ce discours ne pouvait à lui seul justifier une sanction aussi générale que la dissolution de tout un parti politique, d’autant que la responsabilité pénale de son auteur avait déjà été engagée. Par conséquent, la dissolution du DEP en raison de ce discours en Irak ne saurait passer pour proportionnelle aux buts visés.
Dès lors, la Cour conclut que la dissolution du DEP ne peut être considérée comme « nécessaire dans une société démocratique », et qu’il y a en l’espèce violation de l’article 11 de la Convention européenne des Droits de l’homme et condamne l’Etat turc pour cette violation.
Enfin, si un projet de réforme annoncé par Ankara est suivi d’effet, les députés kurdes du parti de la démocratie (DEP) emprisonnés en Turquie depuis huit ans pour “ séparatisme ”, pourraient être prochainement rejugés dans le cadre de réformes judiciaires soumises au parlement par le nouveau gouvernement d'Ankara. Les anciens parlementaires, dont Leyla Zana, lauréate du Prix Sakharov 1995 attribué par le Parlement européen pour son travail en faveur des droits de l'Homme, avaient été condamnés en 1994. Les sentences avaient été condamnées par la Cour européenne des droits de l'Homme.
Les réformes judiciaires, soumises le 4 décembre au parlement par le gouvernement du Premier ministre Abdullah Gul, pourraient être adoptées très prochainement, la Turquie cherchant à multiplier ses chances d'obtenir une date fixe pour l'ouverture de négociations sur son adhésion à l'Union européenne (UE) au sommet de Copenhague. Cette nouvelle série de réformes “ a pour but d'élargir le champ d'application judiciaire pour des procès en appel, en ligne avec les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme ”, a affirmé le 5 décembre M. Gul dans un communiqué. “ La procédure d'appel (...) a été simplifiée et concerne également les sentences rendues qui ont déjà été déclarées exécutoires ”, selon le Premier ministre.
Le gouvernement avait soumis le 3 décembre au parlement une première série de réformes visant notamment à sanctionner plus sévèrement les policiers accusés de torture et à lever certaines restrictions à la liberté de la presse. Après la réunion du Conseil national de sécurité (MGK), le gouvernement avait décidé de mettre à part la réforme concernant les députés kurdes et l’amnistie relative aux étudiants ayant signé des pétitions en faveur de l’enseignement de la langue kurde.
Le numéro deux au Pentagone, Paul Wolfowitz, a appelé la Turquie à ne pas intervenir unilatéralement pour contrôler les Kurdes en Irak en cas de guerre, rapporte le 5 décembre le quotidien turc Hurriyet. Les autorités turques, par le passé, ont menacé de contrer militairement toute tentative des Kurdes irakiens de déclarer leur indépendance. “ La bonne chose à faire est d'agir dans le cadre d'un accord avec les Etats-Unis et avec les habitants (kurdes) ”, a affirmé M. Wolfowitz dans une interview réalisée lors de son passage à Ankara. En cas d'intervention militaire contre Bagdad, “ nous souhaitons voir des efforts coordonnés en Irak, et particulièrement en Irak du nord ”, a-t-il affirmé. “ Je pense que cela serait beaucoup plus utile pour la Turquie d'agir dans le cadre d'une coalition plutôt que d'agir unilatéralement pour protéger ses intérêts dans le nord de l'Irak ”, a-t-il ajouté.
La Turquie, qui a une frontière de 400 kilomètres avec le Kurdistan irakien, affirme craindre que la désintégration du régime de Saddam Hussein n'encourage les aspirations indépendantistes des Kurdes irakiens et, en conséquence, celles de sa propre population kurde de l'autre côté de la frontière.
“ La Turquie nous a assuré que si elle devait intervenir, ce ne serait pas une invasion, mais seulement une mesure temporaire pour protéger ses intérêts ”, a affirmé M. Wolfowitz. La Turquie a déployé, depuis plusieurs années, plusieurs centaines de soldats dans le Kurdistan irakien officiellement pour lutter contre les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le gouvernement sortant du Premier ministre Bulent Ecevit avait menacé les Kurdes irakiens d'intervention militaire s'ils proclamaient leur indépendance ou saisissaient les puits de pétrole de Mossoul, dans le nord du pays. Les autorités militaires turques ont également déclaré leur intention de mettre en place un “ cordon sanitaire ” dans le Kurdistan d'Irak en cas d'intervention militaire américaine, affirmant qu'un tel cordon est nécessaire pour éviter un afflux possible de réfugiés vers la Turquie.
Ankara, qui rappelle volontiers qu'un demi million de réfugiés avait franchi sa frontière en 1991 à la suite d'une offensive du régime de Bagdad contre les Kurdes, n'entend nullement être confronté une nouvelle fois à un tel problème. Les autorités turques ont prévu en conséquence de mettre sur pied plusieurs camps de réfugiés, du côté kurde de la frontière. Ils affirment qu'ils n'admettront des réfugiés sur leur territoire qu'en dernier ressort. M. Wolfowitz, qui s'est entretenu les 3 et 4 décembre à Ankara avec des représentants du nouveau gouvernement turc, élu le mois dernier, a souligné que le pétrole irakien était l'affaire de tous et a réaffirmé le soutien des Etats-Unis à l'intégrité territoriale de l'Irak et leur opposition à toute velléité de sécession des Kurdes irakiens.
Un haut responsable militaire turc a, le 16 décembre, déclaré que l'armée turque a redéployé plusieurs milliers d'hommes près de la frontière avec l'Irak pour se tenir prête en cas d'action militaire contre Bagdad. Il a ainsi confirmé des rumeurs persistantes sur des mouvements de troupes dans la région jouxtant le Kurdistan de l'Irak. Selon la presse, des unités militaires turques près de la frontière avec le Kurdistan irakien ont été placées en alerte tandis que des renforts étaient transférés depuis l'ouest vers l'est du pays. Le quotidien turc Hurriyet rapporte le 17 décembre que la Turquie souhaiterait déployer des troupes dans le Kurdistan de l’Irak, en cas d'intervention militaire américaine contre Bagdad, pour prévenir toute tentative par les Kurdes irakiens de mettre en place leur Etat propre. Selon le journal qui titrait: “ Si vous en avez 60.000, nous en aurons plus ”, Ankara souhaiterait même que le nombre de soldats turcs déployés soit supérieur à celui de soldats américains. Selon la presse turque, le Pentagone souhaiterait déployer quelque 60.000 soldats américains dans le Kurdistan de l'Irak et 30.000, sur des bases arrière en Turquie.
“ Il y a eu des mouvements de troupes ces derniers jours …La raison de ces déploiements est de s'assurer que l'armée turque est prête dans l'éventualité d'une opération en Irak ” a déclaré le responsable officiant dans la province kurde frontalière de Sirnak. D'après le responsable militaire, les récents déploiements impliquent des unités du génie capables de construire des ponts et de garantir l'accès des soldats aux montagnes du Kurdistan de l'Irak en cas de besoin. Il n'a pas donné de chiffres mais d'après des sources locales, 10 à 15.000 hommes seraient concernés. La Turquie dispose d'une armée de 500 000 hommes, des conscrits pour la plupart.
Ankara se déclare opposé à un conflit en Irak, par crainte qu'il ne ravive le sentiment nationaliste kurde au cas où les Kurdes de l'Irak obtiendraient une autonomie renforcée. Mais la Turquie a déclaré qu'elle autoriserait les Etats-Unis à utiliser ses bases militaires en cas d'action contre l'Irak, à condition que cette dernière soit approuvée par les Nations unies. Les forces américaines sont déjà basées à Incirlik pour mener leurs patrouilles dans la zone d'exclusion aérienne imposée par Washington dans le Kurdistan de l'Irak.
La Turquie fait savoir qu'elle envisage de mettre en place une “ zone tampon ” dans le Kurdistan de l'Irak pour éviter un afflux massif de réfugiés sur son sol en cas de guerre. L'Iran et la Syrie renforceraient également leurs dispositifs militaires aux frontières avec l'Irak, selon la presse turque.
Par ailleurs, le quotidien Milliyet du 19 décembre relatant les discussions en coulisse avec les Etats-Unis écrit que l’armée turque pourrait intervenir seule pour protéger ses intérêts dans la région. Le journal souligne le fait qu’il faut s’imposer rapidement dans les régions kurdes pétrolières de Mossoul et de Kirkouk pour ensuite tirer profit de la présence militaire et indique que Ankara appelle les Etats-Unis à travailler en coordination avec ses forces.
Pour leur part, les autorités et la population du Kurdistan irakien sont très hostiles à toute intervention turque. Washington a été averti par les Kurdes et par l’opposition irakienne qu’une telle intervention provoquerait une chaîne de réactions locales et régionales.
La Turquie a accepté, le 13 décembre, à contrecœur la proposition des Quinze d'un “ rendez-vous ” en décembre 2004 pour évaluer ses progrès dans la perspective d'une adhésion à l'Union européenne. Afin de ne pas froisser Ankara, les Européens ont ajouté in extremis une clause dans le communiqué final du sommet de Copenhague dans laquelle ils s'engagent à ouvrir “ sans délai ” les négociations après cette date.
Recep Tayyip Erdogan, chef de file du parti de la Justice et du développement (AKP) avait pourtant lancé le 9 décembre son ultime offensive diplomatique en visitant 14 des 15 pays membres de l'UE au cours des dernières semaines avant de se rendre le 10 décembre à Washington puis de revenir à Copenhague pour participer au sommet européen aux côtés du Premier ministre Abdullah Gul et du ministre des Affaires étrangères Yasar Yakis. Malgré les pressions américaines, les Européens ont voulu donner une image de fermeté sur le dossier turc. Aucune date n'a été donnée à Ankara pour l'ouverture des négociations d'adhésion. Cette fermeté apparente a d’abord provoqué la fureur des dirigeants turcs, venus plaider leur cause dans la capitale danoise. “ Cela signifie que nos efforts ne sont pas pris en compte et qu'il y a un préjugé contre nous ”, a déclaré dans un premier temps le Premier ministre turc Abdullah Gül. Il a par ailleurs “ profondément regretté ” l'attitude de Jacques Chirac, en l'accusant d'avoir “ influencé négativement ” la décision prise la veille par les Quinze. Selon le Premier ministre turc, le président français aurait affirmé devant ses collègues que la Turquie “ faisait chanter ” les Européens. L'Elysée a démenti que Jacques Chirac ait tenu de tels propos.
Les Quinze estiment que la date de décembre 2004 laisse le temps au nouveau gouvernement turc de mener à bien ses réformes et aux Européens d'achever la première vague d'élargissement et la réforme des institutions. Selon le communiqué final du sommet, l'UE ouvrira des négociations avec la Turquie si le conseil européen de décembre 2004 décide, “ sur la base d'un rapport et d'une recommandation de la Commission, que la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague ”.
“ Nous aurons tout fini et serons prêts en octobre 2003… L'UE ne pourra pas faire une seule objection dans le rapport sur les progrès de la Turquie ”, soulignait M. Gul, cité, le 17 décembre, par le quotidien turc Milliyet, en ajoutant “ Notre peuple ne mérite-t-il pas plus de liberté, de démocratie et de droits, que nous rejoignions l'UE ou pas ? ”
Le compromis passé avec la Turquie a eu un effet immédiat. Dans la soirée du 13 décembre, Ankara a accepté de débloquer les négociations entre l'UE et l'OTAN sur l'utilisation par la première des moyens militaires de la seconde pour ses opérations militaires extérieures. Un pas en avant important pour l'Europe de la Défense.
Massoud Barzani, le leader du parti démocratique du Kurdistan (PDK), s’est entretenu, le 8 décembre, avec Ayatollah Baqir Al-Hakim, leader du Conseil suprême de la Révolution islamique en Irak (ASRII), basé à Téhéran. Les deux leaders ont échangé leur point de vue sur la conférence de l’opposition prévue du 13 et 15 décembre à Londres.
Massoud Barzani a également rencontré Ahmad Chalabi, leader du Congrès National Irakien (INC) le 9 décembre qui s’était entretenu avec Ayatollah Baqir Al-Hakim la veille. « Nous devons présenter une opposition unie, discuter de l’avenir de l’Irak et choisir un comité de suivi et puis ensuite nous pouvons procéder à la destitution de Saddam Hussein » a déclaré M. Chalabi.
Une délégation du Sénat américain, comprenant Joseph Biden et Chuck Hagel, a rendu visite au Kurdistan irakien entre les 6 et 7 décembre « dans le but d’examiner de plus près la situation et démontrer le soutien américain au peuple kurde » a rapporté, le 7 décembre, le chaîne de télévision kurde KTV. Ils ont également assisté à la session du parlement kurde en présence de Nechirvan Barzani, Premier ministre du gouvernement régional du Kurdistan à Erbil et Dr Barham Salih, Premier ministre du gouvernement régional à Suleymaniyeh.
Selon le quotidien kurde Brayati daté du 8 décembre, « les deux sénateurs ont mis l’accent sur la nécessité de maintenir la protection du peuple kurde… et ont affirmé que la démocratie et la reconstruction développée dans cette région [Kurdistan irakien] devrait être un modèle pour le reste de l’Irak ». Ils ont également mis en exergue « la nécessité de poursuivre les efforts pour construire un avenir certain pour les Kurdes dans le cadre d’un Irak uni…qui rassurera les pays de la région et garantirait ainsi l’urgence d’un Irak uni et fort ». « Nous sommes venus ici pour vous dire que les montagnes ne sont pas vos seuls amis » a conclu le sénateur Joseph Biden.
L'état d'urgence imposé depuis quinze ans au Kurdistan de Turquie en proie à la répression des forces armées a pris le 30 novembre officiellement fin, conformément à une décision votée en juin 2002 par le Parlement et saluée en son temps par l'Union européenne. L'Union européenne réclame de profondes réformes politiques et une amélioration de la situation des droits de l'homme en Turquie comme préalables à l'ouverture de négociations d'adhésion souhaitées par Ankara. “ Une période nouvelle, normale, a commencé pour la région ”, a déclaré le ministre de l'Intérieur, Abdulkadir Aksu, à Diyarbakir dont il est originaire.
Les mouvements de défense des droits de l'homme critiquaient depuis longtemps cet état d'urgence octroyant de larges pouvoirs en matière d'arrestation et de détention aux forces de sécurité. Il avait été imposé en 1987, trois ans après le début du lancement par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de la lutte armée, qui a fait plus de 30.000 morts, majoritairement kurdes, depuis cette date. Les combats se sont fortement atténués depuis la capture en 1999 du chef du PKK Abdullah Ocalan, qui a ordonné à ses hommes de transposer leur lutte sur le terrain politique et culturel.
Les habitants kurdes de Diyarbakir ont salué cette levée de l'état d'urgence comme une première étape, espérant qu'elle permettra d'apporter la paix et d'améliorer la situation économique. Selon un rapport du Conseil de l'Europe de juillet 2002, la police à Diyarbakir reste largement en retard par rapport au reste du pays en matière de respect des droits de l'homme. Les détenus sont souvent privés d'avocats et des cas de torture perdurent.
L'état d'urgence donnait des pouvoirs accrus aux autorités civiles et militaires, leur permettant notamment de limiter la liberté de la presse et les droits civils. Les affrontements dans le Kurdistan ont donné lieu à de nombreuses violations des droits de l'Homme à l'encontre des autorités. Pour les milieux d'affaires, la fin de cette situation “ anormale ” devrait augmenter les investissements dans la région la plus défavorisée du pays, depuis l'ouest industrialisé de la Turquie.
Par ailleurs, la presse kurde rapporte que quelque 400 villageois du district d’Andaç, province de Sirnak, ont le 6 décembre quitté leur village pour la frontière kurde d’Irak, après avoir été humiliés et menacés par le commandant de la gendarmerie qui ne semble pas se soucier du retour du régime ordinaire dans la région. Les villageois ont menacé de demander l’asile au Kurdistan d’Irak si les exactions ne cessaient pas.
Une loi, votée en août pour autoriser la diffusion d'émissions de radio et de télévision en langue kurde, a été publiée seulement le 18 décembre au journal officiel en Turquie et les programmes n'étant toujours pas prêts, certains Kurdes qualifient cette réforme de “ farce ”.
La loi sur les programmes en langue kurde, accompagnée d'autres mesures touchant à l'enseignement - dans le secteur privé - de cette langue, avait pourtant fait l'objet d'un grand battage médiatique par un pays soucieux de convaincre l'Union européenne (UE) de son ralliement à une véritable démocratie. Mais le nombre et la nature des émissions prévues par le Haut Conseil de l'audiovisuel turc (RTUK) apparaissent bien en deçà des espérances des Kurdes de Turquie, qui représentent selon les estimations entre un quart et un tiers des 70 millions d'habitants du pays. La loi prévoit la diffusion d'un maximum quotidien de 45 minutes d'émissions radiophoniques en kurde, soit quatre heures par semaine, et de 30 minutes de programmes télévisés par jour, soit deux heures par semaine.
À la radio, l'intégralité des programmes en langue kurde devra être suivie de leur traduction en turc, tandis que les émissions télévisées devront être sous-titrées mot pour mot, spécifie le texte de loi. Seule la Société nationale de radiotélévision TRT pourra diffuser en langue kurde, ce qui élimine les très nombreuses chaînes privées.
Les programmes ne comprendront que de la musique et des informations, et les présentateurs devront apparaître à l'écran “ en habits modernes ”, ce qui signifie que les costumes kurdes traditionnels seront bannis.
Le ministre turc des Affaires étrangères Yasar Yakis a déclaré le 3 décembre que l'aviation américaine pourra opérer à partir de la Turquie si l'ONU approuve une intervention militaire contre l'Irak, mais quelques heures plus tard, son ministère a précisé qu'il ne s'agissait que d'une possibilité et non pas d'un engagement de la part de la Turquie.
À l'issue d'un entretien avec le secrétaire américain adjoint à la Défense Paul Wolfowitz, M. Yakis avait expliqué que la Turquie n'est pas favorable à une guerre contre son voisin irakien. “ Mais si nous en arrivons là, nous coopérerons bien sûr avec les Etats-Unis parce que c'est un grand allié et que nous avons avec lui d'excellentes relations ”, avait déclaré le ministre. Cette coopération se traduira par “ l'ouverture de l'espace aérien, en premier lieu, et l'utilisation d'installations en Turquie ”, avait-il ajouté en soulignant que toute intervention militaire en Irak devait recevoir l'aval de l'ONU. Mais quelques heures plus tard, le ministère turc des Affaires étrangères a publié un communiqué déclarant que les propos tenus par M. Yakis ne constituaient pas un engagement de la part de la Turquie vis-à-vis de Washington. “ Le fait qu'il ait fait référence à ces possibilités ne constitue pas un engagement de la part de la Turquie parce que ces possibilités n'ont pas encore été un sujet de discussion avec quelque pays que ce soit ”, a précisé le communiqué du ministère des Affaires étrangères. Et d'ajouter : “ nous faisons ce communiqué pour clarifier la nouvelle ”, qui avait été largement diffusée par les médias turcs.
La Cour européenne des droits de l'Homme a condamné le 5 décembre la Turquie pour violation de la liberté d'expression de l'auteur d'un livre d'entretiens avec Abdullah Ocalan. Le gouvernement d'Ankara devra payer à Yalçin Küçük, 64 ans, 4.000 euros pour dommage moral ainsi que 1.500 euros pour frais et dépens pour violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme.
M. Küçük avait été condamné par la cour de sûreté de l'Etat à un an de prison et 100 millions de livres turques d'amende en 1995, pour “ propagande séparatiste ”, après avoir publié un livre intitulé “ Entretien dans le jardin kurde ”, reproduisant sous forme de questions et réponses un entretien qu'il avait eu avec le chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). L'ouvrage avait été confisqué.
La Cour européenne a souligné qu'elle avait “ conscience des préoccupations des autorités qui redoutent que des mots ou actes aggravent la situation régnant en matière de sécurité dans le Sud-Est ” de la Turquie mais a considéré “ en l'espèce que l'ensemble du livre n'incite pas à la violence, à la résistance armée ou au soulèvement ”. La justice turque avait estimé que le livre de M. Küçük “ divisait l'Etat de la République de Turquie en deux parties : la Turquie et le Kurdistan, et qu'il faisait de la propagande pour la formation d'un Etat kurde ”. Certains passages du livre de M. Küçük, publié en avril 1993, évoquaient notamment le “programme d'autonomie culturelle pour les Kurdes ”.
Le président turc Ahmed Necdet Sezer a opposé le 19 décembre son veto à une série d'amendements à la Constitution qui auraient permis à Recep Tayyip Erdogan, le chef du parti de la Justice et du Développement (AKP) vainqueur des élections du mois dernier, de se présenter aux élections législatives partielles du 9 février et de devenir Premier ministre. Le chef de l'Etat s'est opposé à ces révisions, arguant qu'elles avaient été conçues au profit de Recep Tayyip Erdogan. Il a estimé que les amendements avaient été élaborés “ pour un individu ” et rappelé que les lois sont faites “ pour le bénéfice ” du public et doivent être “ objectives ”.
Recep Tayyip Erdogan, l'homme politique le plus populaire du pays, n'avait pu se présenter aux législatives en raison d'une condamnation pour “ incitation à la haine raciale ”. Son parti, issu du mouvement islamiste turc, se défend d'être islamiste.
Le Parlement turc avait, le 13 octobre, approuvé par 440 voix contre 18, un amendement modifiant l'article de la Constitution empêchant les personnes condamnées pour des “ activités anarchistes et idéologiques ” illégales de briguer des postes publics. Le Parlement peut encore revenir sur le veto du président. Si l'assemblée vote une deuxième fois la révision constitutionnelle, le chef de l'Etat aura le choix de l'approuver ou de convoquer un référendum sur le sujet.
Deux détenus en grève de la faim sont décédés le 30 novembre et le 1er décembre, portant à au moins 60 le nombre de prisonniers morts d'inanition depuis le lancement fin 2000 de la campagne de protestation contre une réforme des conditions pénitentiaires. Cette réforme prévoit le transfert des prisonniers dans des établissements plus modernes dotés de cellules individuelles. Ses adversaires estiment qu'elle exposera les détenus à des brutalités policières. Le gouvernement turc affirme que les nouvelles prisons répondent aux normes européennes et les juge nécessaires pour briser l'emprise des bandes criminelles et des mouvements d'activistes politiques sur les grands quartiers de prison.
Alors que la plupart des grévistes de la faim, qui sont issus de groupes de gauche, ont mis fin à leur mouvement, une vingtaine continuent d'observer des jeûnes, d'après les estimations des mouvements de défense des droits de l'homme. Ils prolongent leur vie de plusieurs centaines de jours en buvant de l'eau salée ou sucrée et en absorbant des vitamines.
Trois Turcs ont été tués et deux autres blessés dans une embuscade tendue fin novembre dans le Kurdistan irakien par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, rebaptisé Kadek), a rapporté le 2 décembre le journal kurde indépendant Jamawar. Selon le journal, publié à Erbil (Kurdistan), les cinq personnes se trouvaient au moment de l'attaque à bord d'un véhicule des services de sécurité turcs près de Sarsang, dans la province kurde de Dohuk, non loin de la frontière avec la Turquie, où sont déployées des unités militaires turques. “ Trois occupants de la voiture ont été tués et deux autres grièvement blessés dans l'embuscade tendue fin novembre près de Sarsang par des hommes armés du Kadek ”, a indiqué le journal. La région de Sarsang est située à plus de 100 km de la frontière irako-turque.
Les Nations-Unies ont confirmé le stockage de fournitures dans le Moyen-Orient en prévision de la guerre. Le Haut commissariat aux réfugiés des Nations-Unies (UNHCR), a déclaré que « les pays donateurs ont été sollicités pour plus de 37 millions de dollars dans le cadre des fonds d’urgence pour l’Irak au cours de la réunion du 13 décembre à Genève », rapporte BBC News online le 24 décembre.
Citant les minutes de la réunion de Genève, le quotidien kurde Brayati rapporte le 22 décembre que l’UNICEF a d’ores et déjà « commencé le transport d’aide à destination de 500 000 citoyens irakiens en attente dans quatre pays voisins de l’Irak. L’UNICEF aurait également l’intention de fournir de l’aide à 160 000 personnes près de l’Irak ».
Selon toujours Brayati, L’UNHCR « a l’intention de regrouper des tentes et autres équipements à disposition pour 100 000 personnes afin d’éviter l’exode en masse de la population à l’image du printemps 1991 ».
Selon le quotidien kurde Hawlati du 16 décembre, une des principales figures du groupe radical islamique Ansar al-Islam au Kurdistan (AIK), a été tuée, le 4 décembre, au cours des affrontements à Girda Drozna et Tapa Kora, dans la région de Sharazur. « Abu-Abdallah Shafi’i figure parmi les 11 membres du AIK tués au cours des combats [contre l’Union patriotique du Kurdistan (UPK)]. Selon les sources, l’émir a été tué suite aux bombardements de l’artillerie turque venue en aide aux forces de l’UPK », rapporte le journal.
Wurya Hawlari, alias Abu-Abdallah Shafi’i, est un vétéran de la guerre en Afghanistan, membre fondateur du groupe islamique radical Jund al-Islam au Kurdistan irakien, créé en septembre 2001, dénommé en décembre 2001 Ansar al-Islam après fusion avec un autre groupe islamique armé, dirigé par Mala Krekar, aujourd’hui mis en examen par les autorités hollandaises aux Pays-Bas.