La guerre contre l'Irak a commencé le 20 mars peu avant l'aube avec plusieurs séries de bombardements américains sur Bagdad et da périphérie, peu après l'expiration de l'ultimatum du président George W. Bush sommant le président irakien Saddam Hussein de partir en exil. Les bombardements viseraient tout particulièrement les lieux susceptibles d’abriter les hauts dirigeants irakiens.
« Le diable sera vaincu », « nous allons résister aux envahisseurs », a déclaré Saddam Hussein, dans une allocution diffusée par la télévision de la Jeunesse, qualifiant les Etats-Unis de « tyran du siècle » et appelant les Irakiens et les Arabes à la résistance en leur promettant la victoire. La diffusion de ce discours est intervenue un peu plus d'une heure après la fin des premiers bombardements américains sur Bagdad. Quelques heures plus tard, six missiles de type Scud ont été tirés sur le territoire koweitien, dont deux ont été interceptés par des missiles antimissiles américains Patriot, selon le ministère koweitien de la Défense.
S'adressant solennellement aux Français quelques heures après les premières frappes américaines contre Bagdad, M. Chirac a souligné que la France s'est battue « jusqu'au bout » pour empêcher une guerre mais a reconnu que « ces efforts n'ont pas abouti ». « Les opérations militaires viennent de commencer en Irak. La France regrette cette action engagée sans l'aval des Nations Unies », a déclaré le président français qui a souhaité que « ces opérations soient les plus rapides et les moins meurtrières possibles et qu'elles ne conduisent pas à une catastrophe humanitaire ».
Le sommet européen de Bruxelles a adopté le 20 mars au soir une déclaration commune sur l'Irak qui réaffirme le rôle fondamental des Nations unies dans les relations internationales, promet l'aide humanitaire de l'UE et appelle au respect de « l'intégrité » du territoire irakien. L'adoption du texte a été entérinée plus rapidement que prévu alors que les Quinze restent profondément divisés sur ce dossier. Comme ils l'avaient déjà fait lors d'un précédent sommet extraordinaire sur la crise irakienne le 17 février dernier, les Quinze ont estimé dans leur déclaration commune que « les Nations unies doivent continuer à jouer un rôle essentiel pendant et après la crise actuelle ». Ils ont plaidé pour « un mandat ferme » de l'Onu dans la perspective de l'après-guerre, sans mentionner explicitement la reconstruction de l'Irak. Le texte souligne aussi l'attachement de l'UE à « l'intégrité territoriale, à la souveraineté, à la stabilité politique et au désarmement intégral et effectif de l'Irak sur l'ensemble de son territoire, ainsi qu'au respect des droits du peuple irakien », notamment « ses minorités ». « Nous invitons tous les pays de la région à s'abstenir de toute action, qui pourrait amener une augmentation de l'instabilité » régionale, a déclaré devant la presse M. Simitis dans une allusion claire à la Turquie et à Israël.
Le président russe Vladimir Poutine a également demandé de mettre rapidement un terme à la guerre en Irak, affirmant qu'elle n'était en aucun cas justifiée et qu'elle était une « grosse erreur politique ». « La Russie demande la fin la plus rapide possible de l'action militaire », a déclaré le président russe au début d'une réunion avec de hauts dirigeants de son pays à Moscou.
Le président turc Ahmet Necdet Sezer a qualifié les frappes américaines d' « action unilatérale » quelques heures seulement avant le vote du Parlement turc se prononçant sur l’ouverture de l'espace aérien du pays aux avions américains. En contrepartie de cette autorisation, la Turquie recevra une aide financière d’un milliard de dollars. Les troupes américaines de la 4ème division blindée qui devaient transiter par la Turquie pour aller ouvrir un front nord ont finalement reçu l’ordre de faire demi-tour et d’aller rejoindre l’armada américano-britannique au Koweït.
L’offensive terrestre de forces américano-britanniques a commencé à partir de ce pays dès le lendemain des bombardements aériens.
Le 5 mars, l'armée turque a finalement apporté son soutien au déploiement de forces américaines dans le pays et a mis en garde les partis kurdes d’Irak contre toute opposition à sa possible intervention. « Les vues des forces armées sont les mêmes que celles du gouvernement », a déclaré le chef d'état-major, le général Hilmi Ozkok, lors d'une rare intervention devant les journalistes, auxquels il a lu une déclaration écrite. « Nous avions pensé que si un front était ouvert dans le nord [Kurdistan d'Irak] la guerre serait écourtée et que des évènements imprévisibles n'auraient pas lieu », a précisé le général turc. « Malheureusement, notre choix n'est pas entre le bien et le mal, mais entre le mauvais et le pire », a-t-il souligné, soulignant que « si nous ne participons pas à une guerre, (...) il nous sera impossible d'avoir notre mot à dire après la guerre ». Relevant que son pays n'avait ni les capacités, ni les moyens de prévenir à lui seul une guerre, le général Ozkok a indiqué que « la Turquie subira les mêmes dommages, qu'elle participe ou non au processus de guerre ».
Dès le lendemain de la déclaration, quelques 200 camions militaires turcs se sont dirigés vers la frontière kurde en Irak, tandis que des camions américains, chargés sur des semi-remorques, quittaient le port d'Iskenderun. Plusieurs centaines de véhicules militaires américains, notamment des camions et des jeeps, avaient été déchargés il y a 15 jours de plusieurs rouliers à Iskenderun. Selon la chaîne de télévision NTV, neuf bases sont en cours d'établissement dans le Kurdistan de Turquie pour accueillir les soldats américains et leur soutien logistique. Pourtant, le président du parlement, Bulent Arinc, un membre du parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir, s'était lui aussi déclaré irrité, le 9 mars, par ce qu'il avait qualifié de déploiement « de facto ».
Les préparatifs militaires américains ont également provoqué des tensions dans le pays. La police militaire turque a tiré, le 12 mars, en l'air dans le Kurdistan de Turquie pour disperser des manifestants rassemblés devant le port d'Iskenderun, alors que les Etats-Unis ont accepté de faire parvenir deux batteries de missiles antimissile Patriot à la Turquie, portant ainsi à cinq le nombre de batteries déployées en Turquie.
La Turquie affirme craindre que les deux partis kurdes qui contrôlent le Kurdistan d’Irak ne profitent d'une intervention américaine contre Bagdad pour déclarer leur indépendance. Elle a averti à plusieurs reprises que, le cas échéant, elle interviendrait militairement dans cette zone où elle stationne déjà quelques centaines de soldats. Dans son intervention du 5 mars, le chef d’état-major a averti que les partis kurdes d'Irak devraient assumer les conséquences d'une éventuelle confrontation avec l'armée turque, en cas d'intervention de celle-ci au Kurdistan irakien. « Je leur rappelle notre droit légitime à défendre nos intérêts nationaux et j'espère qu'ils seront prudents et coopératifs… Ceux qui veulent remplacer la paix par la confrontation en assumeront également la responsabilité et les conséquences » avait déclaré le général Ozkok. De même, Recep Tayyip Erdogan, avait, le 4 mars, mis en garde les Kurdes d'Irak contre des actes hostiles visant son pays et Bagdad contre toute tentative de tirer profit. « Il y a des événements préoccupants et regrettables dans le nord de l'Irak », avait-il déclaré devant le groupe parlementaire de son parti AKP.
De son côté, Massoud Barzani, chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), avait affirmé, à l'issue de la conférence de l'opposition irakienne le 1er mars, que le peuple kurde « se soulèvera » si jamais l'armée turque envahissait le Kurdistan d'Irak dans le cadre d'une attaque menée par les Etats-Unis pour renverser le régime de Saddam Hussein. « Même si les troupes turques sont sous commandement militaire américain, ce ne serait pas acceptable pour nous… Les Américains sont parfaitement conscients de notre position (...) et le peuple kurde se soulèvera pour faire face à tout complot », avait-il ajouté.
Pour désamorcer les tensions, les Américains ont organisé les 18 et 19 mars à Ankara une série d’entretiens entre les responsables politiques kurdes, turcs ainsi que des représentants de l’opposition irakienne.
Une première réunion a rassemblé le 18 mars les représentants des deux principaux partis kurdes d’Irak et des diplomates turcs autour du représentant du président américain auprès de l'opposition irakienne, Zalmay Khalilzad. Jalal Talabani, chef de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), et Nechirvan Barzani, Premier ministre du gouvernement régional du Kurdistan à Erbil, ont participé aux discussions, élargies 19 mars à d'autres représentants de l'opposition irakienne.
Au terme de la réunion avec des représentants kurdes et turcs, Zalmay Khalilzad a annoncé que les forces kurdes acceptaient de placer leurs forces sous commandement des Etats-Unis en cas d'intervention contre l'Irak. « Les parties irakiennes ont accepté de coopérer pleinement avec les forces coalisées si elles pénétraient en Irak, de placer les forces dont elles disposent sous le commandement et le contrôle des commandants de la coalition », a déclaré M. Khalilzad.
À propos de la requête de la Turquie d'envoyer des soldats dans le Kurdistan d'Irak, officiellement pour des missions humanitaires concernant les réfugiés, M. Khalilzad a souligné que ce « ne serait pas le premier ni le meilleur moyen de traiter » ces problèmes. « Mais les différentes parties resteront en contact. Nous réfléchissons à des mécanismes par lesquels les Irakiens, les Américains et les Turcs peuvent rester en contact pour traiter les problèmes au fur et à mesure qu'ils apparaissent », a ajouté M. Khalilzad.
Pour les Etats-Unis comme pour les Kurdes d'Irak, il s'agit de contenir les projets turcs d'envoyer au Kurdistan irakien plusieurs dizaines de milliers de soldats, au risque de provoquer une « guerre dans la guerre » avec les partis kurdes.
Les représentants de l'opposition irakienne se sont engagés à œuvrer pour la mise en place d'un gouvernement démocratique et la défense de l'intégrité territoriale de l'Irak. Les participants se sont mis d'accord pour « permettre au peuple irakien de bâtir un gouvernement pleinement représentatif et démocratique, répondant aux normes internationales », selon un communiqué publié à la fin de la rencontre. L’opposition s’est déclarée prête à « préserver l'indépendance de l'Irak, la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'unité nationale ». Les participants se sont également engagés à « protéger les civils et les biens », « décourager les mouvements incontrôlés de réfugiés et personnes déplacées » et « décourager les Irakiens de prendre la loi entre leurs mains ou d'inciter à la discorde civile ».
Une commission sera mise en place afin d'examiner notamment la restitution de leurs maisons aux Irakiens, dont de nombreux Kurdes, chassés de chez eux par le régime de Bagdad. Les participants ont par ailleurs souligné que les ressources naturelles de l'Irak devaient être « utilisées comme un bien national et pour l'ensemble du peuple irakien ».
La réunion du 19 mars regroupait Jalal Talabani et Nechirvan Barzani, ainsi que Ahmed Chalabi, chef du Congrès national irakien et Abdel Aziz Al-Hakim, représentant de l'Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (ASRII). Des représentants des Turcomans, que la Turquie souhaite voir participer à la future administration irakienne, le Mouvement démocratique assyrien et le Mouvement de la monarchie constitutionnelle (MMC), participaient également à la réunion.
Finalement, après d'intenses pressions exercées par l'Union européenne et Washington pour éviter l'envoi unilatéral de troupes turques dans le Kurdistan, les autorités politiques et militaires turques ont finalement adopté une position plus rassurante. Lors d'une conférence de presse à Diyarbakir, le 26 mars, le chef d'état-major turc a ainsi assuré que son armée travaillerait en coordination avec les Etats-Unis avant d'envoyer des soldats dans le Kurdistan irakien, ajoutant qu'il n'y aurait de déploiement qu'en cas de crise humanitaire ou de menace pour la sécurité de la Turquie. « Parce que notre allié stratégique, les Etats-Unis, est toujours en guerre dans cette région, nous coordonnerons notre action avec lui », a déclaré le général Hilmi Ozkok. Le général Ozkok a souligné que l'armée n'enverrait des renforts au Kurdistan irakien qu'en cas d'attaque contre les soldats turcs déjà sur place, d'offensive « d'une des forces régionales contre une autre, ou contre les civils », ou d' « afflux massif de réfugiés. Tout en promettant une action coordonnée, le général turc a également exprimé un peu de ressentiment vis-à-vis de Washington: « j'ai du mal à comprendre pourquoi ceux qui se trouvent par-delà les océans et se disent menacés ne croient pas la Turquie lorsqu'elle dit qu'elle fait face au même danger, juste de l'autre côté de sa frontière. »
Le ministre turc des Affaires étrangères Abdullah Gül a pour sa part annoncé, le 25 mars, qu'Ankara prévoyait d'envoyer des troupes jusqu'à 20 kilomètres à l’intérieur du Kurdistan d'Irak pour empêcher un afflux de réfugiés, mais uniquement en cas de crise. Le secrétaire adjoint américain à la Défense Paul Wolfowitz, a, le 27 mars, critiqué le gouvernement turc en déclarant que celui-ci « ne savait pas très bien ce qu'il faisait » en ne parvenant pas à obtenir de son Parlement qu'il autorise le déploiement de forces terrestres américaines en vue d'ouvrir un second front en Irak. Pour lui, Ankara a commis là « une grosse, grosse erreur », même s'il a reconnu que Washington en avait demandé beaucoup à la Turquie et que ce pays avait tout de même accepté d'ouvrir son espace aérien à l'aviation américaine. M. Wolfowitz comparaissait devant une sous-commission des finances de la Chambre des représentants pour défendre la demande du président Bush d'accorder une aide d'un milliard de dollars à la Turquie dans le cadre d'une rallonge budgétaire de 74,7 milliards de dollars pour la guerre en Irak.
Le Parlement turc avait, le 1er mars, rejeté par trois voix une motion du gouvernement autorisant le stationnement de 62.000 soldats américains en Turquie pour une éventuelle guerre en Irak, et le déploiement de soldats turcs dans le Kurdistan irakien en cas de guerre. Le texte a obtenu 264 voix alors que la majorité requise était de 267. L’armée turque avait alors refusé de se prononcer en préférant que le parti islamiste au pouvoir s’empêtre dans ses contradictions et soit le seul responsable de la décision d’autorisation de stationnement de l’armée américaine sur le sol turc, rejetée par plus de 80 % de la population turque. Le parti de la Justice et du Développement avait ainsi soumis la motion à reculons. L'ambassadeur des Etats-Unis en Turquie avait dès le lendemain déclaré que l'assistance financière offerte par Washington à Ankara, susceptible d'atteindre 30 milliards de dollars, serait compromise si aucun accord n'intervenait.
Des réformes aux lois électorales adoptées par un Parlement, où le parti de la Justice et du développement (AKP-islamiste) possède une majorité écrasante, ont, le 9 mars, permis à Recep Tayyip Erdogan de remporter une élection législative partielle à Siirt, dernière formalité nécessaire le propulsant au poste de Premier ministre. Sa nomination par le président turc Ahmet Necdet Sezer le 12 mars lui permet ainsi de prendre ouvertement la direction d'un gouvernement, dont il avait été écarté il y a quatre mois en raison d'une décision de justice le déclarant inéligible pour les élections législatives. Il dirigeait toutefois, en sous-main, le pays, aux côtés de son bras droit, le Premier ministre sortant Abdullah Gul qui a démissionné, le 11 mars, pour lui permettre de prendre sa place.
R.T. Erdogan a, le 14 mars, annoncé la formation de son gouvernement, qui compte 22 ministres, dont le Premier ministre sortant Abdullah Gul, nommé ministre des Affaires étrangères et vice-Premier ministre. M. Erdogan a exclu trois ministres du gouvernement sortant : Ertugrul Yalcinbayir, un vice-Premier ministre, Yasar Yakis, le ministre des Affaires étrangères, et Imdat Sutluoglu, le ministre de l'Environnement. Tous les autres ministres appartenaient déjà au gouvernement sortant.
Le procès des ex-députés kurdes s'est ouvert le 28 mars au matin devant une Cour de sûreté d'Ankara en présence de nombreux avocats, défenseurs de droits de l'homme, diplomates, journalistes, ainsi que deux députés du parlement européen venus en observateurs. Plus de 200 policiers, dont des unités anti-émeutes, avaient été mobilisés pour l'occasion.
Leyla Zana, Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Sadak, anciens députés du parti pro-kurde de la Démocratie (DEP) emprisonnés depuis neuf ans en Turquie, avaient été condamnés en 1994 à 15 ans de prison pour « séparatisme ». La Cour européenne des droits de l'homme avait jugé le procès des quatre anciens députés « inéquitable » et le Conseil de l'Europe avait demandé en janvier 2003 à Ankara de réviser leur procès. Le Parlement turc, dans le cadre de mesures destinées à favoriser le rapprochement du pays avec l'Union européenne, avait récemment adopté une loi autorisant de nouveaux procès pour les prévenus dont les sentences ont été condamnées par la Cour européenne des droits de l'homme et une cour de sûreté de l'Etat (DGM) d'Ankara a décidé le 28 février 2003 de donner suite à la demande de nouveau procès déposée par les avocats des ex-députés, rejetant cependant un recours pour leur libération. Il s'agit du premier procès de ce type depuis l'adoption de ces nouvelles mesures par le parlement en janvier 2003.
Au premier jour de ce nouveau procès, les anciens députés ont appelé à accélérer le processus de démocratisation dans le pays. « D'importants progrès ont été réalisés au cours des dernières années en matière de démocratisation », a affirmé Mme Zana, pour qui la Turquie doit néanmoins faire davantage en matière de respect des droits de l'homme. Mme Zana, lauréate du Prix Sakharov 1995 du Parlement européen, dont le procès est suivi avec attention par la Commission européenne, a par ailleurs appelé l'Union européenne à encourager les réformes en ouvrant immédiatement des négociations d'adhésion avec la Turquie. « Cela accélèrerait le processus de démocratisation de la Turquie », a-t-elle estimé. Mme Zana s'est défendue d'avoir incité les Kurdes de Turquie à la « rébellion ». « Nous n'avons jamais prôné la violence, mais nous avons été la cible de la violence », a-t-elle déclaré. « Nous n'avions qu'un seul objectif au parlement, c'était d'arrêter l'effusion de sang entre frères », a-t-elle ajouté.
Leyla Zana a poursuivi en déclarant : « à l’occasion de ce rejugement à la dixième année de notre emprisonnement, je voudrais souligner que, nous en premier lieu, et vous messieurs les juges, mais aussi les journalistes et observateurs, bref nous tous et donc la Turquie, sommes en train de passer un examen de démocratie. Par conséquent, même si on a l’impression que la période procédurale concerne en premier lieu nos libertés individuelles, au fond cela concerne notre avenir commun…Si notre problème était uniquement la liberté individuelle, nous n’aurions pas attendu cette période en Turquie, mais aurions exercé notre droit à l’exil volontaire… ».
« Nous saluons et soutenons, malgré les insuffisances existantes, les ouvertures telles que l’abolition de la peine de mort, l’éducation en d’autres langues que turc, le droit de diffusion sur des chaînes de télévision nationales. Mais nous voudrions attirer l’attention sur la non application des ces réformes et le fait que ce retard puisse constituer un terreau propice aux provocations. Nous ne pouvons pas panser les blessures d’une période que l’on ne veut plus vivre avec des rancœurs, de la haine et des sentiments fondés sur la vengeance ou la régression sociale » a-t-elle souligné.
Orhan Dogan a déclaré pour sa part : « Il y a des années, nous nous sommes lancés dans la politique pour œuvrer pour la paix, la démocratie et la fraternité en prenant en considération les sacrifices… Une solution tolérante et de compréhension mutuelle à la question kurde, ne pourrait que renforcer l’unité et les frontières géographiques de la Turquie. C’est la raison pour laquelle j’espère que les réformes du 3 août 2002 seront rapidement en application et que la confiance sera établie. Il est également important pour la Turquie de se lier d’amitié et de fraternité avec les populations voisines. Au lieu de voir en ennemi nos frères des pays voisins, des considérations fraternelles ne peuvent qu’agir en faveur de la Turquie et de nos frères voisins. »
« Nous sommes jugés pour nos opinions politiques », a affirmé pour sa part M. Dicle.
La Cour de sûreté de l’Etat a refusé de les remettre en liberté dans l'attente de leur nouveau jugement, comme le demandaient leurs avocats. À l'issue de l'audience, le juge a fixé la reprise du procès au 25 avril. « C'est décevant, la Turquie a perdu une occasion de faire preuve d'une attitude démocratique pragmatique », a commenté Luigi Vinci, député italien au parlement européen, qui assistait au procès. Si les quatre députés ne sont pas libérés lors de la prochaine audience, ce sera un « scandale », a-t-il déclaré. « Nous voulons un procès équitable car la procédure juridique en 1994 n'était pas équitable et les droits de la défense avaient été violés à l'époque », a également souligné le député européen.
Francis Wurtz, président du groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE), a demandé, le 12 mars, l'envoi d'une délégation du Parlement européen au nouveau procès. « Il s'agit là d'un évènement politique majeur en Turquie et permet l'espoir de libération de Leyla Zana, ainsi que d'autres prisonniers politiques », a expliqué M. Wurtz, demandant au nom de son groupe que le Parlement européen, « en tant qu'institution », soit représenté au procès par une délégation « représentant toutes les sensibilités du Parlement européen ».
La Commission européenne vient de proposer une « feuille de route » à la Turquie qui, si elle était suivie, lui permettrait d'adhérer à l'Union européenne. « Les exigences que nous fixons à la Turquie sont élevées, mais la gageure peut être relevée », a déclaré le commissaire européen à l’élargissement, Günter Verheugen. En décembre 2002, les Quinze avaient assuré à la Turquie que des négociations d'adhésion seront entamées fin 2004 si des progrès décisifs étaient réalisés vers les critères fixés par l'Union européenne. Bruxelles jouera un rôle crucial en rédigeant à l’intention des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union un rapport déterminant sur le respect de ces critères par Ankara.
Concrètement, la Commission propose aux Quinze d’octroyer une aide financière de 1,05 milliard d’euros sur la période 2004-2006, soit le double du niveau actuel.
Mais en contrepartie, la Turquie devra faire preuve de la plus extrême retenue au Kurdistan irakien, alors qu’Ankara souhaite y envoyer des milliers d’hommes sous couvert d’aide humanitaire aux réfugiés irakiens. « Il est clair que toute incursion turque dans le Nord de l'Irak ne serait pas souhaitable, serait déplacée », a-t-il déclaré. « On pourrait difficilement faire une bévue plus grave en pleine crise », a-t-il ajouté. « S'il y avait une incursion, cela aurait des conséquences sérieuses pour l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Turquie ». Bruxelles souhaite aussi que les autorités turques fassent pression sur les dirigeants de la communauté chypriote turque afin qu’un accord de paix soit conclu permettant l’adhésion à l’UE d’une île réunifiée. Le Conseil national de sécurité (MGK) devra également être réformé afin de desserrer le contrôle de l’armée turque sur le pouvoir civil. Le parlement et le gouvernement turcs doivent contrôler l’armée, a estimé le commissaire européen, « et pas l’inverse ». Les autorités turques devront également ratifier la Convention internationale sur les droits politiques et civils, appliquer des mesures de lutte contre la torture et garantir « dans la pratique » le droit à la défense des prisonniers. Enfin, la liberté d’expression et d’association devra être réelle et les droits des minorités, notamment kurde, garantis par le biais de l’accès à la télédiffusion et à l’éducation.
Par ailleurs, le Parlement européen a, le 12 mars, rendu public le projet de rapport élaboré par M. Arie M. Ooslander sur « la demande d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ». Voici de larges extraits de ce rapport qui épingle le « kémalisme » :
“ Considérant que le 3 novembre 2002, le parti AK a remporté, à une très forte majorité, les élections parlementaires anticipées ; que la population s'est départie de l' “ établissement ”, ce qui implique un nouvel infléchissement dans la politique officielle ; que l'AKP se trouve maintenant confronté à la tâche difficile qui consiste à mettre en place des réformes législatives, à faire également appliquer d'autres réformes et à assurer le bon fonctionnement de l'État de droit démocratique qu'il convient de mettre sur pied ”
“ Considérant que le seuil de 10 % a bien sûr empêché la fragmentation du Parlement, mais que la représentativité de celui-ci a été sacrifiée à cet objectif, étant donné que le Parlement ne représente seulement que 55 % des votants ”
“ Considérant que la constitution adoptée sous un régime militaire en 1982 ne dispose d'aucune base juridique appropriée, permettant de garantir l'État de droit et les libertés fondamentales et qu'en élaborant une nouvelle constitution reposant sur des valeurs européennes, la Turquie peut montrer qu'elle se prononce en faveur du modèle de l'État de droit démocratique; que la structure de son État et sa manière de gouverner sont aussi profondément mis en cause ”
“ Considérant que la philosophie de base de l'État turc, à savoir le “ kémalisme ” implique une peur démesurée de compromettre l'intégrité de l'État turc et l'insistance sur l'homogénéité de la culture turque (nationalisme), l'étatisme, le rôle puissant des forces armées, ainsi qu'une une attitude très rigide à l'égard de la religion, faisant de cette philosophie fondamentale une entrave même à l'adhésion à l'Union européenne ”
“ Considérant que les modifications demandées doivent contenir davantage que de simples adaptations symboliques ; rappelle à cet égard que des conventions paraphées n'ont pas été ratifiées ultérieurement et que des modifications législatives n'ont pas été suffisamment mises en œuvre ”
“ Constate que ces quinze dernières années, l'armée a joué toujours plus un rôle de pierre angulaire dans l'État et la société turcs et que les citoyens eux-mêmes attachent à celle-ci plus de prix qu'aux autres institutions de l'État, Parlement compris; constate, ce faisant, que le rôle de l'armée freine l'évolution de la Turquie vers un système démocratique pluraliste et exige dès lors que le pouvoir politique de décision échoit entièrement à des autorités civiles élues démocratiquement et bénéficiant de la confiance des citoyens, afin de ramener la puissance traditionnelle de la bureaucratie et de l'armée ("l’Etat profond")
aux formes communément admises dans les États membres ”
“ Estime que dans le cadre de la réforme de l'État, la suppression à terme du Conseil national de sécurité, dans le rôle et la position qui sont actuellement les siens sera nécessaire; est conscient que le changement structurel qui est souhaité entraînera une forte résistance ”
“ Suggère, entre autres, que les représentants militaires se retirent des organes civils, tels que le Haut Conseil de l'éducation et celui de l'Audiovisuel, afin d'assurer une pleine indépendance de ces institutions ; encourage les autorités turques à instaurer un contrôle parlementaire complet sur le budget militaire, qui doit devenir un volet du budget national;
10. considère que pour être fructueuse une réforme de l'État
“ Souligne que les modifications demandées sont si fondamentales qu'elles exigent l'élaboration d'une nouvelle constitution non explicitement fondée sur le kémalisme, mais sur les principes démocratiques européens, lesquels créeront notamment l'équilibre entre les droits des individus et des minorités et les droits collectifs, conformément aux normes européennes usuelles, telles que formulées dans la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ”
“ Rappelle l'engagement pris par le gouvernement turc d'éradiquer définitivement la torture (tolérance zéro); constate avec préoccupation que les pratiques de torture se poursuivent et que les tortionnaires jouissent souvent de l'impunité; demande que les mesures les plus énergiques et conséquentes soient prises, tant aux niveaux législatif qu'éducatif, afin de remédier à cette véritable plaie de la vie politique turque et que le centre pour le traitement et la revalidation des victimes martyrisées de Diyarbakir, qui bénéficie du soutien de la Commission puisse poursuivre sans entrave ses activités ”
“ Prend acte des modifications législatives très limitées qui ont été adoptées le 3 août 2002, lesquelles reconnaissent aux Kurdes le droit à l'enseignement et le droit d'émettre en langue turque; demande toutefois à la Turquie d'agir intégralement dans l'esprit de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ”
“ Demande instamment l'amnistie pour les prisonniers d'opinion qui purgent leur peine dans les prisons turques pour propos non-violents ”
“ Est satisfait de la levée de l'état d'urgence le 30 novembre 2002 dans les deux dernières provinces de Diyarbakir et Sirnak, mais exhorte la Turquie à contribuer à la disparition des tensions avec la population kurde et à prêter assistance à la reconstruction des régions du Sud-Est, à faciliter le retour des réfugiés intérieurs et des réfugiés circulant dans l'Union européenne et à mettre un terme à l'occupation de facto des villages kurdes et syriens - orthodoxes par des milices villageoises armées ”
La Cour européenne des droits de l'homme a donné partiellement gain de cause le 12 mars à Abdullah Öcalan en condamnant la Turquie pour le caractère inéquitable du procès. La Cour européenne estime par six voix contre une (celle du juge turc) que le procès d'Abdullah Öcalan devant la Cour de sûreté de l'Etat « n'a pas été équitable » en raison de la présence d'un juge militaire, celui-ci n'ayant été remplacé par un juge civil que dans les derniers jours d'audience. Les juges concluent en outre, à l'unanimité, au caractère inéquitable du procès en raison des restrictions apportées aux droits de la défense, l'accusé n'ayant pas pu s'entretenir librement avec ses avocats pendant la majeure partie de la procédure.
Par ailleurs, la Cour européenne rejette le grief d'atteinte au droit à la vie, la peine capitale n'étant plus applicable, mais elle estime qu'Abdullah Öcalan a été victime de « traitements inhumains ou dégradants » en ce qu'il a vécu trois ans sous la menace de cette sanction « prononcée à l'issue d'un procès inéquitable ». A. Ocalan avait été condamné à mort pour « trahison » le 29 juin 1999 par la Cour de sûreté d'Ankara. La peine capitale a toutefois été commuée en détention à perpétuité en octobre 2002 après l'abolition de la peine de mort en Turquie.
Reconnaissant que la Turquie n'avait pas, en 1999, ratifié l'article de la Convention européenne des droits de l'homme qui interdit la peine de mort, les juges estiment qu'il est néanmoins « interdit d'infliger la mort de façon arbitraire en vertu de la peine capitale ». La Cour européenne estime encore que la Turquie a violé la Convention en ce qu'Abdullah Öcalan a dû attendre sept jours, après son arrestation, avant d'être traduit devant un juge.
Elle juge en revanche conforme aux règles du droit les conditions de son arrestation. Abdullah Öcalan avait été enlevé par un commando turc le 15 février 1999 à Nairobi, au Kenya, où il s'était réfugié, et transféré en Turquie. « Il n'est pas établi, au-delà de tout doute raisonnable, que l'opération menée en partie par les agents turcs et en partie par les agents kenyans aurait constitué une violation par la Turquie de la souveraineté du Kenya et, par conséquent, du droit international », estiment les juges. La Cour a estimé qu'il n'existait pas de « preuves » que son arrestation et les conditions de son transfert « aient eu des effets dépassant l'élément habituel d'humiliation inhérent à chaque arrestation ou détention ». Elle a jugé que les « conditions générales » de sa détention « n'ont pas atteint le seuil minimum de gravité nécessaire pour constituer un traitement inhumain ou dégradant ».
De même jugent-ils conformes aux droits de l'homme les conditions de détention d'Abdullah Öcalan, seul détenu sur l'île prison d'Imrali, en mer de Marmara. La Cour « admet d'emblée que la détention du requérant pose d'extraordinaires difficultés aux autorités turques », en raison de sa dangerosité mais aussi des menaces qui pèsent sur lui.
La Cour estime que son arrêt constitue en soi une « satisfaction équitable » pour le requérant, auquel elle alloue 100.000 euros pour frais et dépens.
La Turquie ayant été condamnée pour procès inéquitable, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, chargé de veiller à l'exécution des arrêts, devrait maintenant faire pression sur Ankara pour qu'Abdullah Öcalan bénéficie d'un nouveau jugement. L'arrêt concernant Abdullah Öcalan, qui a été rendu par une chambre de sept juges, est toutefois susceptible d'appel devant la grande chambre de 17 juges, repoussant dès lors au moins d'une année le rendu d'un arrêt définitif. La Turquie a d’ores et déjà indiqué qu'elle ferait appel de la décision.
La direction collégiale de l'opposition irakienne qui se veut préfiguration d'un futur gouvernement, s’est réunie le 25 mars à Souleimaniyeh, au Kurdistan irakien « pour étudier l'évolution de la situation en Irak après le début de l'attaque menée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne », a affirmé Mohsen Hakim, fils et homme de confiance d'Abdelaziz Hakim, numéro deux de l'ASRII et membre de la direction collégiale.
La direction collégiale de l'opposition irakienne désignée fin février 2003 au Kurdistan est sensée former le noyau d'un futur gouvernement irakien. Cette direction comprenait six membres à sa création mais récemment deux autres membres ont été cooptés.
Abdelaziz Al-Hakim, dirigeant de l'Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (ASRII), et Ahmed Chalabi, chef du Congrès national irakien (CNI), qui se trouvaient à Téhéran pour participer à la réunion du 6 mars des responsables chiites irakiens, s’étaient déjà rendus au Kurdistan irakien pour la réunion du 10 mars de la direction collégiale de l'opposition. Au cours de cette précédente réunion, il avait été procédé à la nomination des membres et des responsables des quatorze comités créés fin février 2003 lors de la réunion du comité de suivi de l'opposition irakienne à Salaheddine et de préciser leurs tâches exactes. Ces quatorze comités de l'opposition sont appelés à se transformer en ministères pour diriger l'administration irakienne après la chute du régime de Saddam Hussein. Cette direction doit aussi préparer la mise en place de structures et d'organes d'Etat pour la période de transition.
Par ailleurs, lors de la réunion des responsables chiites à Téhéran le 6 mars, l'ayatollah Mohammad Baqer Hakim, chef de l'ASRII, avait appelé les groupes de l'opposition irakienne à « mettre rapidement en place » les structures du pouvoir et nommer les dirigeants du pays pour préparer l'après-Saddam afin d'empêcher qu' « un commandant militaire américain prenne le pouvoir » à Bagdad pour une période de transition, comme l'avaient annoncé les Etats-Unis.
La direction collégiale, mise en place à l'issue de la réunion de Salaheddine, comprend Massoud Barzani, chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), Jalal Talabani, chef de l'UPK, Ahmed Chalabi, chef du CNI, Adnan Pachachi, Abdel Aziz Al-Hakim, représentant de l'Asrii, et Iyad Al-Alaoui de l'Entente nationale irakienne.
Le ministère turc des Affaires étrangères considère toujours comme un casus belli la création d’un Etat kurde en Irak, selon le quotidien turc Hurriyet daté du 4 mars. Décidé et signé par Bulent Ecevit, le précédent Premier ministre turc, le “ document de politique nationale en Irak ” est ainsi encore d’actualité malgré le changement de gouvernement. Une réunion regroupant, le 6 octobre 2002, le ministère des Affaires étrangères, la présidence de l’état-major des armées et les services de renseignements (MIT), avait déterminé les objectifs de la politique turque à court, à moyen et à long terme. Ainsi, le premier article de ce texte dispose qu’ « il faut continuer les efforts afin de sauvegarder l’unité de l’Irak lors de la construction dans l’avenir du pays, tout en prenant en considération que l’on ne peut revenir à l’avant 1992 pour ce qui concerne le nord de l’Irak [le Kurdistan d’Irak]. Le scénario impossible à accepter pour nous serait un Etat indépendant kurde dans le nord de l’Irak. Une telle déclaration devrait être considérée comme un cause d’intervention ».
Le journal précise que l’accord entre Washington et la Turquie stipule que l’armée turque n’entrera en Irak que dans un but humanitaire et ne tirera pas une seule balle.
La Turquie a été, le 4 mars, condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme pour violation de la liberté d'expression de Yasar Kemal, écrivain d’origine kurde, de réputation internationale, condamné pour un article critiquant la politique des autorités turques envers les Kurdes.
Yasar Kemal avait été condamné en 1996 par la cour de sûreté de l'Etat à un an et huit mois de prison pour un article intitulé « Le ciel noir de la Turquie » publié en 1995 dans le livre « La liberté d'expression et la Turquie ». La Cour de sûreté turque avait en effet considéré que ce texte visait « à attiser la haine et l'hostilité entre les citoyens d'origine turque et ceux d'origine kurde ». Le livre « La liberté d'expression et la Turquie » publié par la société CSY, qui a également déposé un recours devant la Cour européenne, avait fait l'objet d'une saisie
La Cour européenne, soulignant notamment que certains passages « particulièrement acerbes » de ce texte empreint « d'agressivité certaine et de virulence » donnent au récit une « connotation hostile », estime malgré tout que cet article « ne saurait passer pour inciter à l'usage de la violence, à la résistance armée ou au soulèvement ». La Cour considère ainsi que la condamnation pénale de l'auteur et la saisie sont des mesures qui n'étaient pas « nécessaires dans une société démocratique » et condamne la Turquie pour violation de la liberté d'expression (article 10) de Yasar Kemal et de la société CSY.
Les autorités turques ont pris des mesures d'interdiction à l'encontre des deux principaux partis pro-kurdes du pays. La Cour constitutionnelle turque a, le 13 mars, interdit le Parti de la démocratie du peuple (HADEP-pro-kurde). La Cour a également interdit à 46 hauts responsables du HADEP d'exercer une quelconque activité politique pendant cinq ans. Le président de la Cour constitutionnelle, Mustafa Bumin, a déclaré que la Cour avait jugé le HADEP coupable d'avoir « aidé et encouragé une organisation terroriste » alors que le HADEP rejette depuis longtemps les liens que les autorités l'accusent d'entretenir avec le PKK.
Par ailleurs, le procureur général près de la Cour constitutionnelle, Sabih Kanadoglu, a demandé le même jour à la Cour constitutionnelle de bannir le Parti démocratique populaire (DEHAP), un autre parti pro-kurde. Le HADEP n'a pas pris part aux élections législatives de novembre 2002, par crainte d'une interdiction mais le parti DEHAP qui avait fusionné avec le HADEP avant les élections législatives de novembre 2002, avait pris le relais, sans parvenir à obtenir de siège faute de pouvoir franchir le seuil national de 10% des suffrages.
Le parti HADEP, qui plaide pour une solution pacifique aux problèmes de la population kurde, est le dernier descendant d'une lignée de formations pro-kurdes successivement interdites par la justice turque. Il est la 24ème formation politique dissoute en Turquie depuis 1963. La procédure à l'encontre du HADEP avait été lancée en janvier 1999 par le procureur de la Cour de cassation de l'époque Vural Savas.
D'autres partis pro-kurdes, notamment le Parti du Travail du peuple et le Parti de la Liberté et de la Démocratie (OZDEP) ont également été dissous pour « séparatisme ». En février 1999, un parti pro-kurde modéré, le Parti démocratique des masses (DKP), dirigé par un ancien ministre, Serafettin Elci, a été interdit pour avoir porté « atteinte à l'unité de la Turquie » et « prôné les différences régionales et ethniques dans son programme ».
La Cour constitutionnelle a également interdit des partis de gauche sous l'accusation d'activités communistes et plusieurs partis pro-islamistes pour des activités anti-laïques. Le parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir actuellement à Ankara est également issu d'un parti dissous, celui de la Vertu (Fazilet), interdit en 2001.
La Grèce, présidant actuellement l’Union européenne, a estimé que la décision de la justice turque nuira à la candidature de la Turquie à l'UE. Cette décision « va être examinée par les organes de l'UE, mais il est certain qu'elle influencera de manière négative la marche européenne de la Turquie », a déclaré le porte-parole du ministère grec des Affaires Etrangères, Panos Béglitis. « Il s'agit d'une évolution particulièrement négative pour la normalisation de la vie politique et l'approfondissement des institutions démocratiques en Turquie », a-t-il ajouté. Il a rappelé qu'en tant que « candidate à l'UE, la Turquie a l'obligation de garantir un fonctionnement normal et sans entrave des partis politiques ».
Les négociations sur la réunification de Chypre en vue de son adhésion à l'UE en mai 2004 se sont achevées sur un échec le 11 mars, l'Onu déclarant mettre fin à ses efforts de médiation organisée à La Haye sous l'égide de l'Onu entre Grecs et Turcs chypriotes, en vue de la réunification future de l'île divisée.
La Commission européenne a aussitôt averti la Turquie que sa candidature à l'entrée dans l'UE pourrait pâtir de l'échec de ces négociations. Le porte-parole de la Commission, Jean-Christophe Filori, a déclaré le 11 mars que l'Union européenne comptait signer le 16 avril, comme prévu, le traité d'adhésion de Chypre même si cette dernière est encore à cette date une île divisée, représentée exclusivement par le gouvernement grec chypriote. En outre, si aucun accord de réunification n'est conclu quand la Commission fera en décembre 2004 son rapport sur le dossier d'adhésion de la Turquie en vue de l'ouverture de négociations d'adhésion, il sera très difficile à l'UE de recommander le lancement du processus, a-t-il ajouté.
Selon Christophe Filori, accepter l'ouverture de négociations d'adhésion avec Ankara, dans ce cas de figure, reviendrait à se retrouver dans une « situation bizarre où un pays candidat frapperait à la porte sans reconnaître l'un de nos membres ».
Deux activistes du parti Komaleh (pro-kurde, communiste) ont été exécutés récemment au Kurdistan iranien, a, le 4 mars indiqué une source judiciaire locale. Mohammad Gholabi a été exécuté le 2 mars à Saghez et Sassan Alekanan à Sanandaj, le 22 février. « Les deux activistes étaient des militants de Komaleh, avaient participé à des opérations terroristes pour intimider la population et possédaient des armes à feu et des grenades », a affirmé ce responsable. Selon lui, « ils ont été jugés et condamnés à mort après avoir reconnu leur participation aux opérations terroristes… Après l'ouverture politique qui a suivi l'élection du président Mohammad Khatami en 1997, ce groupe a voulu créer des troubles en menant des actions terroristes qui se poursuivent encore aujourd'hui », a ajouté le même responsable.
Le 17 janvier, l'agence de presse iranienne Irna avait annoncé la condamnation à mort de Sassan Alekanan et celle à dix années de prison de deux de ses complices Osman Moradi et Adnan Ghaderi. Selon Irna, « ces éléments du Komaleh étaient entrés à Sanandaj pour mener des actions terroristes, incendiant ou faisant exploser des voitures ».
Le Komaleh, créé en 1969, et le Parti démocratique du Kurdistan d'Iran (PDKI) sont les deux principaux mouvements kurdes interdits par le pouvoir islamique en 1979. Pourchassés par les forces armées iraniennes, les militants de Komaleh ont été contraints à se réfugier au Kurdistan irakien. Un accord entre les autorités iraniennes et les deux partis qui contrôlent le Kurdistan irakien, le Parti démocratique (PDK) et l'Union patriotique (UPK), prévoit que les militants de Komaleh et du PDKI réfugiés au Kurdistan irakien ne doivent pas s'approcher de la frontière internationale entre l'Iran et l'Irak.
Les deux principaux partis kurdes qui contrôlent le Kurdistan irakien ont annoncé, le 4 mars, la création d'un commandement politique et militaire conjoint, en raison des « circonstances critiques » dans la région. Dans un communiqué co-signé par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK de Massoud Barzani) et l'Union patriotique du Kurdistan (UPK de Jalal Talabani), les deux formations soulignent que « les circonstances critiques dans la région exigent davantage l'unité des rangs et la conjugaison des énergies ». Selon le communiqué, « le haut commandement conjoint » est chargé de la coordination entre les deux formations notamment dans « les domaines politique, militaire et administratif ». Le haut commandement est co-présidé par MM. Barzani et Talabani. Il regroupe des membres des deux formations.
Un responsable du PDK a estimé dans une déclaration que la mise en place de ce commandement unifié était « un indice sur la fin des divergences entre les deux partis et sur leurs efforts visant à unifier le discours politique des Kurdes en prévision de la prochaine étape ».