Michael Trimble, qui dirige le département d'enquête sur les fosses communes du Haut tribunal pénal irakien, a, le 30 novembre, synthétisé deux ans de recherche au cours d'un témoignage détaillé et atroce, lors de la 26e audience du procès de Saddam Hussein : « Dans cette fosse commune de la province de Ninive, 123 corps ont été exhumés. Tous avaient été tués par balles. Il y avait 25 femmes adultes et 98 enfants ». « Des cours d'eau asséchés ont dans la plupart des cas été utilisés pour dissimuler les fosses communes et les mêmes techniques sont employés d'un site à l'autre », a poursuivi Michael Trimble, membre du corps des ingénieurs de l'armée américaine. « 90% des enfants découverts dans les trois sites témoins étaient âgés de moins de 13 ans au moment de leur mort », a-t-il poursuivi. « La majorité des blessures par balles de ces enfants se situaient à la tête. Pour les adultes, 76% des corps présentent des impacts de balles dans la tête. Les 24% restants ne portent la trace d'aucune balle, mais des marques d'armes contondantes. Nous en déduisons qu'ils ont été frappés à coups de bâtons ou de crosses de fusil », a affirmé Michael Trimble. Il a longuement expliqué ses méthodes de travail, tant sur le site pour exhumer les corps, que dans le laboratoire, pour recréer les causes de la mort des victimes. « Voici un crâne portant la trace d'un impact de balle au sommet. Elle a traversé le cerveau et se trouve maintenant dans le bas de l'oeil gauche », a-t-il ainsi déclaré.
Michael Trimble a projeté de nombreuses photos des restes découverts dans ces fosses communes, dont celui d'une femme enceinte et de son foetus. Il s'est arrêté sur la photo du corps d'un enfant âgé de 6 à 12 mois, tué d'une balle dans la nuque. « Le tribunal se demande peut-être pourquoi une main adulte figure sur cette photo. En fait, quand nous avons exhumé le corps de l'enfant, nous avons aussi déterré la couverture qui l'enveloppait. Nous ne savions pas que la main de sa mère, la droite je crois, se trouvait à l'intérieur, jusqu'à ce que nous commencions à analyser le corps au laboratoire », a souligné le scientifique.
Michael Trimble est le troisième expert à témoigner au procès. Des dizaines de Kurdes ont auparavant décrit en détails les bombardements chimiques de leurs villages, les viols des femmes et les exécutions sommaires et massives. Le 28 novembre, un premier expert en médecine légale avait témoigné, devant des photos montrant squelettes et crânes de Kurdes victimes d'exécutions sommaires, au cours de la 24e audience du procès de Saddam Hussein. Le docteur Clyde Collins Snow, un spécialiste américain en médecine légale, a raconté devant le Haut tribunal pénal irakien l'exhumation de 27 personnes enterrées dans une fosse commune, après avoir été fusillées par un peloton d'exécution, dans le village de Koremi, au Kurdistan. « J'ai vu que les os étaient encore en excellent état, quatre ans après les faits. Nous avons dénombré 87 impacts sur les 27 corps », a-t-il expliqué, détaillant une visite dans ce village en 1992. « Nous n'avions pas les moyens d'enquêter sur tous les cas identiques, mais nous pensons que Koremi est emblématique de ce qui s'est passé dans d'autres villages de la région », a estimé M. Snow. Des traces de gaz moutarde ont également été identifiées par un laboratoire britannique sur des morceaux de terre où ont été découverts les corps d'un petit garçon et d'un vieil homme, morts sans cause apparente. Saddam Hussein est alors intervenu.
Parmi les Kurdes qui ont témoigné au tribunal, le survivant d'une exécution collective de villageois kurdes a, le 28 novembre, témoigné devant le Haut tribunal pénal irakien. Khudhur Qadir Mohammed, un ancien peshmerga, âgé de 36 ans, a raconté le bombardement chimique de son village par l'aviation irakienne, en mai 1988, puis sa capture en novembre de la même année. « J'ai été conduit avec d'autres détenus devant une tranchée, et un peloton d'exécution a ouvert le feu sur nous. J'ai été protégé des balles par les corps de mes compatriotes et j'ai feint d'être mort », a-t-il témoigné.
Un autre témoin, Taimor Abdallah Rokhzai, âgé de 30 ans, a raconté la veille comment les habitants de son village avaient été capturés par l'armée irakienne en avril 1988. « Les femmes et les enfants ont été séparés des hommes. J'avais 12 ans, j'étais donc avec les premiers. Nous avons été emmenés d'un camp à un autre, deux petites filles sont mortes pendant ces déplacements », a-t-il témoigné. « Nous avons été chargés dans un véhicule, puis on nous a fait descendre dans un endroit reculé. Il y avait une tranchée. On nous a alignés, puis un soldat a ouvert le feu, j'ai été touché à l'épaule », a-t-il ajouté. « J'ai vu des balles déchirer le crâne d'une femme et répandre son cerveau sur le sol, j'ai vu une femme enceinte abattue. C'était horrible », a poursuivi Taimor Abdallah Rokhzai. « Les soldats ont continué à tirer, puis le silence est soudain revenu. Je m'attendais à mourir. Mon corps était couvert de sang. Je me suis extirpé de la tranchée », a-t-il encore indiqué.
La précédente audience avait eu lieu le 8 novembre. Le juge Mohammed al-Oreibi al-Khalifa avait ensuite ajourné le procès au 27 novembre, pour donner à la défense le temps nécessaire pour présenter ses témoins. Lors des 22 premières audiences du procès, ouvert le 21 août, plusieurs dizaines de témoins ont raconté les bombardements chimiques de leurs villages et les exécutions sommaires de villageois kurdes. Le tribunal avait, le 8 novembre, entendu Asia Tahir, une femme de 64 ans portant un foulard orné de drapeaux kurdes, qui a raconté le « bombardement chimique » de son village de Cuiza en août 1988. « Les soldats sont arrivés trois jours après et ont brûlé notre village. Ils nous ont assuré que nous n'avions rien à craindre, que Saddam lui-même avait promis d'épargner nos vies, alors nous avons abandonné nos refuges dans des grottes et nous nous sommes rendus », a-t-elle expliqué. « Ils ont séparé les hommes des femmes et des enfants. Je n'ai jamais revu mon mari, mon neveu et les 28 membres de ma famille arrêtés avec moi. Nous avons ensuite été abandonnés pendant un an et demi dans une région désertique près d'Erbil, manquant de tout. Une vingtaine d'enfants sont morts de diarrhée avant que nous n'ayons la permission de rentrer chez nous », a-t-elle ajouté. « Je dénonce Saddam et Ali le chimique pour ces crimes. Je demande compensation pour le sang de mon mari et de mon fils », a-t-elle conclu.
Auparavant, deux anciens combattants kurdes ont fait des récits similaires. Le premier d'entre eux, Ayoub Abdallah Mohammed a raconté le bombardement chimique de son village de Bergie, le 24 août 1988. « Les oiseaux ont commencé à tomber du ciel, puis nos nez se sont mis à couler », s'est-il souvenu. Un second témoin, Tawfiq Abdelaziz Moustafa, a raconté comment il avait découvert « les corps brûlés d'un villageois, de sa femme et de leur enfant », après l'attaque contre son village. « J'ai perdu une bonne partie de ma vision après cette attaque », a-t-il ajouté.
Lors de la 21e audience du procès, le 7 novembre, en l'absence des avocats de la défense qui protestaient contre le choix du juge, Saddam Hussein avait rejeté le témoignage d'un rescapé kurde sur des exécutions sommaires dont les habitants de son village du Kurdistan irakien et ses proches avaient été victimes en 1988. « Qui peut vérifier ces faits », avait-il lancé le dictateur déchu en affirmant qu'il aimait les Kurdes « comme les Arabes ».
Le témoin, Qahar Khalil Mohammed avait raconté la venue le 25 août 1988 de l'armée irakienne dans son village du Kurdistan. Les militaires irakiens « nous ont emmenés hors du village et ont séparé hommes, femmes et enfants. L'armée a rassemblé 37 hommes et a commencé à tirer sur nous sans distinction », avait déclaré ce rescapé. « Au total, 33 personnes ont été tuées, j'ai perdu mon père et mes deux frères. Quant à moi, j'ai reçu une balle au dos et au front », avait ajouté le témoin, ôtant son turban et son habit pour montrer les traces. « Je veux que le monde entier voie mes cicatrices (…) Nous étions blessés, un médecin militaire est venu nous voir, il nous a hurlé dessus: « Je vais vous soigner au tournevis ». Il a enfoncé un tournevis dans la blessure à la jambe d'un autre villageois », a décrit Qahar, qui a été libéré après trois ans de prison. Le second témoin, Abdul Karim Nayif Hassan, du même village, a lui aussi a survécu à l'exécution programmée. « Quand nous sommes revenus chez nous, le village avait été détruit. Je suis retourné à l'endroit où on nous avait fusillé et j'ai trouvé quatre fosses communes », a-t-il raconté. « Plus tard, des étrangers de l'organisation Human Rights Watch sont venus exhumer les victimes, ils ont trouvé les corps de 27 personnes », a-t-il expliqué, tandis que des images montrant l'exhumation de fragments de squelettes étaient projetées.
Le dictateur déchu et six anciens dirigeants, dont son cousin Ali Hassan al-Majid, dit « Ali le chimique », sont jugés pour avoir ordonné et mis en oeuvre les campagnes militaires d'Anfal en 1987-1988 dans le Kurdistan, qui ont fait plus de 180.000 morts. Seuls Saddam Hussein et Ali le chimique sont accusés de génocide, mais tous risquent la peine de mort. Les accusés, tous présents dans leur box, sont restés impassibles, de même que leurs avocats. Seuls ceux de Saddam et d'Ali le chimique boycottent le procès depuis l'éviction de l'ancien juge, pour des motifs politiques. Saddam Hussein a été condamné à mort par pendaison le 5 novembre dans un autre procès, pour l'exécution de 148 villageois chiites de Doujaïl, dans les années 1980, en représailles à un attentat contre le convoi présidentiel. Une procédure d'appel automatique a été engagée. Si le verdict est confirmé par la Cour d'appel du Haut tribunal pénal, la peine doit être appliquée dans un délai de 30 jours. Le Premier ministre Nouri al-Maliki avait indiqué peu après le verdict qu'il s'attendait « à ce que l'exécution se déroule avant la fin de cette année ». L'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch a publié mi-novembre un rapport de 97 pages sur le procès de Doujaïl, selon lequel le procès a été marqué par tellement d'irrégularités que le verdict de condamnation à mort ne repose pas sur des bases solides et devrait être annulé. L'ONG a dénoncé l'attitude du gouvernement irakien qui a, selon elle, affecté l'indépendance des juges, souligné que nombre de preuves et éléments clé n'ont pas été présentés à la défense à l'avance, et regretté que témoins et accusés n'aient pu être confrontés, ce qui est « une violation des droits élémentaires des prévenus ». Les Kurdes, au premier rang desquels le président irakien Jalal Talabani, estiment que Saddam Hussein ne devrait pas être exécuté avant la fin du procès Anfal. Le décret d'exécution devra être signé par le président de la République ou ses vice-présidents. Le président Jalal Talabani, opposé à la peine de mort, a fait savoir qu'il s'absenterait pour ne pas signer le décret, qui devra alors l'être par ses vice-présidents, le chiite Adel Abdel Mehdi et le sunnite Tarek al-Hachémi.
La condamnation à mort de Saddam Hussein a largement été saluée par les chiites. Majoritaires mais opprimés par le régime de l'ancien dictateur, les chiites ont manifesté leur joie à travers le pays, voyant dans la condamnation à mort de Saddam Hussein, un événement qu'ils attendaient de longue date. En revanche, les sunnites, la communauté à laquelle appartient Saddam Hussein et qu'il a toujours favorisée, ont crié au complot, promettant des journées sombres aux Américains et à leurs alliés irakiens. Kamal Kerkouki, vice-président du parlement du Kurdistan irakien, a quant à lui affirmé que « la condamnation de Saddam Hussein peut réduire les opérations terroristes, car avec le verdict, les partisans du président déchu perdent tout espoir de son retour au pouvoir ». « Les partisans de Saddam rêvent de son retour au pouvoir, mais avec cette condamnation, il n'y a plus d'espoir qu'il gouverne de nouveau ce pays, ce qui peut les dissuader », a-t-il ajouté.
Aux Etats-Unis, le président américain George W. Bush s'est félicité de la condamnation à mort de Saddam Hussein, survenue deux jours avant des élections parlementaires difficiles pour son parti. « C'est une réussite majeure pour la jeune démocratie irakienne et son gouvernement constitutionnel », a-t-il déclaré. Même satisfaction à Londres: « Je salue le fait que Saddam Hussein et les autres accusés ont été présentés devant la justice et ont eu à rendre compte de leurs crimes », a déclaré la ministre des Affaires étrangères Margaret Beckett. Moscou en revanche a mis en garde contre les « conséquences catastrophiques » qu'aurait pour l'Irak la pendaison de Saddam Hussein, qui « divisera encore un peu plus la société irakienne ». La France « prend acte » de la condamnation à mort et espère que cette décision n'entraînera pas de nouvelles tensions en Irak, a déclaré le ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy dans un communiqué. Au Moyen-Orient et Proche-Orient, le verdict a suscité des réactions partagées. Au Koweït, occupé par l'armée irakienne il y a 16 ans, applaudissements, youyous et pleurs de joie ont accueilli la nouvelle. L'Iran, qui a lourdement souffert des huit années de guerre contre l'Irak de Saddam Hussein (1980-88), « accueille favorablement la sentence », selon le ministère des Affaires étrangères. Mais pour les Frères musulmans égyptiens, les « innombrables crimes commis » par Saddam sont moindres que ceux « commis par les occupants ». Et dans les territoires palestiniens, un porte-parole du mouvement islamiste Hamas a affirmé: « Nous (...) soutenons quiconque soutient notre peuple, et le président Saddam Hussein était de ceux-là ».
Jalal Talabani, président d'Irak depuis mars 2005, est arrivé en France le 1er novembre sur invitation du président français pour une visite destinée à réchauffer les relations entre Bagdad et Paris, qui s'était opposée à l'intervention militaire américano-britannique début 2003. La visite de M. Talabani, accueilli à Orly par le ministre des Sports Jean-François Lamour, est la seconde d'un chef de l'Etat irakien depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003. Après avoir passé en revue des détachements de la garde républicaine qui rendaient les honneurs, M. Talabani a été accueilli au pied du perron du palais présidentiel par M. Chirac. Les deux dirigeants se sont serrés la main devant les nombreux photographes et cameramen, avant de débuter leur entretien. M. Talabani était accompagné des ministres des Affaires étrangères Hoshyar Zebari, de l'Industrie Fawzi Al-Hariri, de l'Education Khodair Al-Khouzaï et des Sciences et de la Technologie, Raid Fahmi Jahed pour une visite d'une semaine en France. « Le but de ma visite est de donner un nouvel élan à nos relations », a-t-il expliqué dans un entretien publié le lendemain dans Le Figaro. « Le passé est le passé » et « j'appelle les Français à observer l'Irak avec un regard neuf ».
A l'issue d'une heure et demie d'entretien avec Jacques Chirac à l'Elysée, M. Talabani a expliqué avoir voulu donner au président français « une image vraie de la situation en Irak aujourd'hui »: « ce n'est pas une image toute rose », mais « elle n'est pas non plus aussi sombre que ne le présentent les médias parfois ». « Nous avons parlé des aspects négatifs et des aspects positifs, des progrès qui ont été réalisés dans les divers domaines en Irak et des problèmes dont nous souffrons », a-t-il ajouté. « Nous avons demandé au président Chirac de continuer à soutenir le peuple irakien dans tous les domaines » et « exprimé notre désir d'améliorer et d'approfondir les relations entre l'Irak et la France ». Le président français a de son côté « confirmé que dans cette période difficile pour l'Irak, la France apporte son appui à la politique de réconciliation nationale, de dialogue inclusif et d'action en faveur de l'unité de l'Irak et de sa reconstruction », selon son porte-parole Jérôme Bonnafont. Le président Jacques Chirac a rappelé le 2 novembre à son homologue irakien Jalal Talabani que la France jugeait « important de fixer une perspective de retrait » de la force internationale en Irak. La résolution 1546 sur le mandat de la force internationale en Irak doit être rediscutée fin 2006. Lors d'une conférence devant l'Institut français des relations internationales (IFRI) le même jour, le président irakien a estimé qu’ « Il faudra deux ou trois ans pour construire nos forces de sécurité et dire au revoir à nos amis » américains. Le président irakien a moqué les adversaires du conflit, en soulignant que « sans cette guerre, ce n'est sans doute pas comme président que je serais devant vous aujourd'hui, mais peut être comme un réfugié ». Le président irakien a de plus appelé les Français à « investir davantage dans le nouvel Irak ». Il a à ce sujet rencontré les dirigeants du groupe pétrolier Total.
Le président Talabani a prolongé sa visite officielle de deux jours par un séjour privé afin notamment de rencontrer les media, les intellectuels et les personnalités politiques françaises. Il a, en compagnie de son épouse et des ses ministres, rendu visite à Mme Mitterrand, à son domicile de la rue de Bièvre pour lui réitérer la reconnaissance des peuples kurde et irakien pour son soutien à la résistance contre la dictature de Saddam Hussein. Venue adresser à M. Talabani « un message d'amitié entre les peuples », Ségolène Royal, candidate à l’investiture socialiste pour les élections présidentielles, a exprimé son souhait « d'une reconstruction rapide dans ce pays qui a été ravagé par la dictature que l'on sait », pour que « le peuple irakien qui a tellement, tellement souffert puisse retrouver notamment la dignité, la confiance en lui-même et l'envie de redresser la pente ». Au terme de sa rencontre avec le président irakien, Ségolène Royal, a, le 3 novembre, estimé que la situation en Irak « n'est pas encore totalement stabilisée » mais « le pays est en train de se redresser » malgré une « forme de terrorisme ». Interrogée sur le calendrier de retrait de la force internationale, la présidentiable socialiste a estimé que « le moment sera venu lorsque le gouvernement irakien estimera qu'il est venu, c'est-à-dire lorsque toutes les conditions de sécurité et du bon fonctionnement démocratique seront là ». « Ce n'est pas aux autres à l'extérieur du pays de décider les formes de cette transition ». « Il y a à la fois des éléments de lumière » et « en même temps encore le poids des désordres, d'une forme de terrorisme et donc la situation n'est pas encore totalement stabilisée ».
De plus, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, les deux autres candidats socialistes se sont également entretenus avec le président irakien. Une rencontre entre Jalal Talabani et Nicolas Sarkozy a eu lieu le 3 novembre à 8h30 à l'hôtel Meurice, puis un dîner a été organisé en l’honneur du président irakien par le ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy. Le porte-parole du Quai d'Orsay, Jean-Baptiste Mattéi, avait, le 30 octobre, rappelé que Paris avait décidé d'annuler 80% de sa part de la dette extérieure irakienne, soit un effort de quatre milliards d'euros, et qu'elle avait accueilli l'an dernier 500 stagiaires irakiens au titre de la coopération culturelle, scientifique, technique. Un nouveau bureau de l'ambassade de France en Irak devrait par ailleurs être ouvert l'an prochain à Erbil, dans le Kurdistan irakien.
Trois semaines après son retour de Paris, le président Talabani, accompagné du ministre de l'Industrie et de la Technologie et du chef de la diplomatie, Hoshyar Zébari, a entamé le 27 novembre une visite officielle très attendue en Iran. La télévision d'Etat iranienne, très mobilisée par l'événement, a annoncé que le président irakien était arrivé à Téhéran « à la tête d'une délégation de haut rang ». Ce déplacement est le quatrième à Téhéran pour Jalal Talabani depuis sa prise de fonction. Outre son homologue Mahmoud Ahmadinejad, qui l'a accueilli avec faste dans son palais présidentiel, il a également rencontré l'ancien président Hachémi Rafsandjani puis, mardi 28 novembre, le Guide suprême de la révolution, l'ayatollah Ali Khamenei. Jalal Talabani, qui parle farsi, était très proche des responsables iraniens avant la chute de Saddam Hussein. A son arrivée, le président irakien avait expliqué que son pays avait « besoin de l'aide étendue de l'Iran pour lutter contre le terrorisme et rétablir la sécurité et la stabilité en Irak ». M. Talabani avait reçu il y a un an un engagement similaire d'aide des dirigeants iraniens. Tous les responsables iraniens ont profité de la visite de M. Talabani pour répéter que les Etats-Unis étaient responsables de la situation en Irak et devaient quitter ce pays. Le 29 novembre, le chef du Conseil de discernement et ex-président Akbar Hachémi Rafsandjani lui a répété ce message, en déclarant que « les ennemis du peuple irakien essaient de créer une guerre civile, en faisant s'affronter les chiites, sunnites et Kurdes ». M. Rafsandjani a encore accusé les Etats-Unis de s'opposer à un éventuel rapprochement entre Téhéran et Bagdad: « Le gouvernement et le peuple d'Iran ont répété plusieurs fois qu'ils étaient prêts à aider le peuple irakien, mais, dans l'ombre, on cherche en sous-main à diviser nos nations et on empêche cette aide ». Le président irakien a pour sa part stigmatisé lors de son entretien avec M. Rafsandjani ceux qui ont « pour but de monter les uns contre les autres différents groupes confessionnels ». Le président irakien a insisté par ailleurs sur le fait que son pays à besoin, en matière de sécurité, de « l'aide de tous les pays de la région, et particulièrement de l'aide de la République islamique d'Iran ». Il a ainsi implicitement fait référence aux liens privilégiés entre Téhéran et les partis chiites influents en Irak.
Soucieux d'asseoir son statut de puissance régionale, l'Iran souhaitait initialement organiser un sommet à trois, auquel était également convié le président syrien Bachar al-Assad. Jalal Talabani a immédiatement accepté, ne reportant sa venue qu'en raison du couvre-feu en vigueur dans la capitale irakienne et de la fermeture de l'aéroport de Bagdad, mai Bachar al-Assad n'a pas répondu à l'invitation de Téhéran. Les autorités syriennes ont répondu par le silence à l'invitation lancée par l'Iran, vraisemblablement pour éviter au régime de Téhéran l'embarras d'un refus direct. Damas craint peut-être aussi d'irriter les Etats-Unis en appuyant ouvertement l'Iran dans sa volonté d'affirmer son influence en Irak. En gardant leurs distances, les autorités syriennes laisseraient ouverte la possibilité d'un rapprochement avec Washington.
« La nation iranienne et le gouvernement se tiendront assurément aux côtés de l'Irak, leur frère, et toute l'aide dont le gouvernement et la nation sont capables sera fournie. Nous n'avons pas d'objection à la coopération, quelle qu'en soit le domaine », a déclaré le président iranien Mahmoud Ahmadinejad selon l'agence de presse iranienne officielle Isna. S'adressant aux Américains, il a ajouté: « Je vous conseille de quitter l'Irak pour préserver le peu de réputation qui vous reste ». « Remettez les responsabilités au gouvernement irakien selon un calendrier précis, comme il l'a demandé. Les Irakiens sont capables de gérer la situation et rétablir la sécurité », a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue. « Ce voyage a été un succès à 100%. Je dis au peuple irakien que bientôt les résultats de cette visite seront perceptibles », a déclaré pour sa part M. Talabani, répondant à son « vieil ami Ahmadinejad ». « Les deux pays ont condamné avec fermeté les actions criminelles et de sabotage des groupes terroristes et insisté sur la nécessité de lutter contre ces groupes », selon un communiqué commun. L'Iran a réaffirmé sa « disponibilité pour aider le peuple et le gouvernement irakiens » à « renforcer et mettre fin aux affrontements internes ». L'ayatollah Khamenei, le guide suprême iranien, a, également reçu le président irakien et estimé que « le départ des forces d'occupation est le premier pas pour régler le problème de l'insécurité ». Le chef spirituel et plus haute autorité de l'Etat iranien a indiqué que « la principale raison de la situation en Irak est la politique des Etats-Unis qui est appliquée par certains intermédiaires », en pointant du doigt « les terroristes et les baassistes ».
L'Irak et l'Iran, qui se sont affrontés durant une longue guerre (1980-1988), ont renoué des liens après la chute du régime de Saddam Hussein en 2003. Six mois après son élection à la présidence en avril 2005, Jalal Talabani, a été le premier chef d'État irakien à effectuer une visite officielle en Iran, depuis celle de Abdel Rahman Aref, président de l'Irak entre 1966 et 1968.Les Premiers ministres irakiens (chiites) Ibrahim Jaafari et ensuite Nouri al-Maliki ont aussi fait le déplacement. Les partis chiites et kurdes, prééminents au gouvernement et à l'Assemblée irakienne, ont des liens historiques avec la République islamique, qui leur a fourni soutien, et parfois refuge, quand ils étaient dans l'opposition à Saddam Hussein.
Le dernier rapport bimensuel sur les droits de l’homme en Irak, publié, le 22 novembre, indique que le nombre de victimes de la violence intercommunautaire dont Bagdad est l'épicentre s'est établi en octobre au niveau sans précédent depuis 2003: 3709 morts, contre 3.345 en septembre et 3.009 en août. Un pays livré au chaos, des habitants terrorisés qui transforment leurs quartiers en camps retranchés confessionnels et des centaines de milliers d'autres civils sur la voie de l'exode: tel est le tableau sombre que brossent les Nations unies dans leur dernier rapport sur les droits de l'homme en Irak. Le rapport indique que l'aggravation de la violence en Irak a accru la pauvreté et provoqué des mouvements de population « sans précédent ». Depuis le bombardement en février d'un sanctuaire chiite à Samarra, 418.392 personnes ont dû abandonner leurs maisons pour fuir les violences interconfessionnelles. En outre, près de 100.000 personnes fuient chaque mois en Syrie ou en Jordanie, portant à 1,6 millions le nombre d'Irakiens qui ont trouvé refuge à l'étranger depuis le début de l'intervention militaire américaine en mars 2003.
Ce rapport soulève des questions sur l'action des 300.000 membres des forces de sécurité irakiennes formés par l'US Army et sur leurs allégeances religieuses. Le rapport de l'Onu fait état d'informations s'accumulant sur des milices et escadrons de la mort qui agissent sous le couvert ou avec la complicité de la police officielle et se livrent à « des enlèvements, tortures, meurtres, actes de corruption, extorsions et vols ». Le document jette le doute sur les affirmations récentes de M. Maliki voulant que les forces irakiennes soient en mesure de réduire la violence dans les six mois. 70% des violences, principalement entre chiites et sunnites, représentant 5.000 des 7.054 décès de civils enregistrés en septembre et en octobre, sont recensées dans la capitale, où la plupart des victimes portent des traces de tortures ou de blessures par balles, rapporte l'Onu. Les violences interconfessionnelles en Irak se sont fortement aggravées cette année. Le 23 novembre, une série d'attentats suicides perpétrés à Sadr City, la grande banlieue déshéritée chiite de Bagdad, a fait plus de 200 morts et entraîné des actions de représailles contre des quartiers sunnites. Le représentant de l'Onu pour les droits de l'homme, Gianni Magazzeni, a toutefois concédé, lors d'une conférence de presse, que cette évaluation, fondée sur les chiffres de la morgue de Bagdad et du ministère de la Santé, ne faisait pas l'unanimité.
En octobre, la revue médicale britannique The Lancet avait déclenché une controverse en établissant sur la base d'une étude sociologique que 655.000 Irakiens étaient morts directement de la guerre - un chiffre jugé non crédible par de nombreux autres chercheurs. Le ministère irakien de la Santé a pour sa part avancé le chiffre de 150.000 mais un porte-parole du gouvernement l'a situé plus près de 40.000. Le ministre irakien de la Santé a, le 22 novembre, contesté les estimations de l'Onu, qu'il a accusée de « tromper le monde ». « Le véritable chiffre est quatre fois moins élevé » selon Ali al Chimeri, membre de la formation de l’imam chiite radical Moktada al-Sadr, qui a en outre accusé l'Onu de s'être procuré des données par des moyens « illégaux et indirects », via des médecins ou des infirmières. Les milices opèrent ouvertement et impunément au nom des factions politiques représentés au gouvernement et c'est cette impunité même qui nourrit le cycle des violences et des représailles, a pour sa part estimé M. Magazzeni.
D’autre part, La Corée du Sud, troisième force militaire en Irak, mais déployé principalement au Kurdistan irakien a, le 30 novembre, annoncé le retrait total de son contingent d'environ 2.300 soldats d'ici la fin de 2007. Après un premier envoi de non-combattants en 2003, Séoul avait porté un an plus tard son contingent à environ 3.500 militaires. Séoul avait commencé à réduire la taille du contingent en avril. Il atteint actuellement environ 2.300 soldats, stationnés à Erbil, capitale du Kurdistan irakien où la sécurité est garantie. Londres a également annoncé une réduction de son contingent de plusieurs milliers de soldats d'ici à la fin 2007. La Pologne, quatrième pays en termes militaires, a de son côté annoncé que son contingent de 880 soldats aura quitté l'Irak « pas plus tard que vers la fin de 2007 ». Le Conseil de sécurité de l'ONU a, pour sa part, décidé le 28 novembre, dans un vote unanime, de proroger d'un an le mandat de la force multinationale en Irak, qui compte 160.000 hommes. Le Conseil a ainsi répondu rapidement à la requête du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, qui avait réclamé cette prolongation, assurant que l'une des priorités de son gouvernement était d'assumer l'entière responsabilité de la sécurité dans le pays mais qu'il lui fallait pour cela davantage de temps. La résolution, préparée par les Etats-Unis, prolonge le mandat de la force multinationale d'une année à partir du 31 décembre et autorise une évaluation à la demande du gouvernement irakien d'ici le 15 juin.
Le président américain Georges W. Bush, a, le 29 novembre, entamé à Amman une visite axée sur la recherche, avec le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, d'une stratégie pour contrer l'explosion de violence dans ce pays. George W. Bush a rencontré immédiatement après son arrivée en soirée le roi Abdallah II de Jordanie, mais la rencontre tripartite prévue avec M. Maliki a été annulée, « faute de temps ». Après l'entretien, le roi Abdallah II a offert un dîner en l'honneur du président américain, auquel M. Maliki n'était pas convié. Le président Bush a rencontré dès le lendemain M. Maliki au petit-déjeuner. Lors d'une conférence de presse donnée avec Nouri al Maliki, George Bush a déclaré : « Nous avons intérêt à faire prévaloir la liberté au Moyen-Orient, et d'abord en Irak. C'est la raison pour laquelle l'idée d'une sortie élégante est totalement irréaliste ». Le dirigeant américain a noté que le Premier ministre irakien et lui avaient exclu tout projet de division de l'Irak comme moyen de mettre un terme aux violences interconfessionnelles. « Le Premier ministre a clairement dit qu'un partage de son pays, proposé par certains, ne correspondait pas à ce que veulent les Irakiens et que toute partition aboutirait seulement à une aggravation des violences de type religieux. C'est aussi mon avis », a-t-il déclaré. George Bush a précisé qu'ils étaient aussi d'accord pour accélérer l'instruction des forces de sécurité irakiennes et le processus de délégation de la sécurité aux Irakiens. L'armée américaine, a-t-il déclaré, est en Irak pour « que le travail soit fait » et y restera tant que le gouvernement de Bagdad le souhaitera. Le président américain George Bush a déclaré que le Premier ministre Nouri al Maliki était l'homme de la situation en Irak, en disant être convenu avec lui qu'une partition du pays aurait pour effet d'y exacerber les violences.
Les députés et ministres partisans du chef chiite radical Moqtada al-Sadr pro-iranien ont suspendu leur participation au Parlement et au gouvernement irakiens pour protester contre la rencontre entre le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki et le président américain George W. Bush. Dans un communiqué, les 30 parlementaires et cinq ministres concernés ont expliqué que leur décision était nécessaire car la rencontre entre Bush et al-Maliki à Amman constitue « une provocation aux sentiments de peuple irakien et une violation de ses droits constitutionnels ». Ils ont également critiqué la visite de George W. Bush en Jordanie, qui « a piraté la volonté du peuple à une période où les fils d'Irak écrivent leur destin avec du sang et pas de l'encre ». Dans leur communiqué, ils qualifient le président américain de « criminel ». Les partisans de Moqtada al-Sadr avaient initialement menacé de quitter définitivement le Parlement et le gouvernement si Nouri al-Maliki se rendait à Amman.
Dans un entretien avec la presse locale publié le 13 novembre, M. Maliki s'en était également pris à ses partenaires sunnites du Front de la Concorde (44 députés et 5 portefeuilles ministériels). « Ils tiennent un double langage et je me demande comment ils peuvent être nos partenaires dans un processus politique dont ils n'assument pas la responsabilité », a estimé M. Maliki, reprochant aux dirigeants de ce bloc d'avoir menacé de quitter le gouvernement et de « prendre les armes » si les milices n'étaient pas démantelées et les pouvoirs mieux partagés. Le député kurde, Mahmoud Osmane, s'est dit sceptique sur la portée d'un tel remaniement. « Un remaniement ministériel est suspendu à l'accord des différents blocs politiques et je ne crois pas qu'il puisse apporter des solutions aux problèmes », a-t-il déclaré. « La situation en Irak est trop compliquée pour être réglée par un remaniement ministériel. Depuis deux ans, nous réclamons des changements politiques en Irak, personne ne nous a écoutés », a-t-il ajouté.
Pourtant, au lendemain de la condamnation à mort de Saddam Hussein, le gouvernement irakien avait, le 6 novembre, annoncé une concession majeure aux partisans du dictateur déchu: des milliers de membres du Baas, l'ancien parti au pouvoir, évincés de l’appareil d’État après l'intervention américaine, pourraient retrouver leur emploi. La Commission nationale suprême pour la débaassification a préparé une loi et l'enverra bientôt au Parlement, selon son directeur exécutif Ali al-Lami. Le texte de loi est en phase avec un plan de réconciliation nationale de 24 points annoncé en juin par le Premier ministre Nouri al-Maliki, dans lequel il appelait à un réexamen du programme de débaassification. Avant que le texte ne soit rédigé, la commission avait dressé une liste de 10.302 cadres du parti Baas qui devaient être congédiés, mais la nouvelle loi comporte seulement 1.500 noms. M. Al-Lami précise que 7.688 membres du parti ont été renvoyés depuis la création de la commission en janvier 2004. Les Etats-Unis ont dissous et interdit l'ancien parti au pouvoir en mai 2003, un mois après la chute de Saddam Hussein, mais ont plus tard assoupli leur position, invitant d'anciens officiers de l'armée démobilisée à rejoindre les forces de sécurité. Depuis sa création, la commission de débaassification a vérifié le profil de milliers d'anciens baassistes ayant repris le travail.
La reconstruction politico-économique de l’Irak est toujours le point d’achoppement. Daniel Speckhard, chef de mission adjoint à l'ambassade américaine à Bagdad, a, le 14 novembre, affirmé que l'administration de Bagdad dispose d'un milliard de dollars pour des projets de reconstruction dans la capitale irakienne. «Plus d'un milliard de dollars a déjà été dépensé pour la reconstruction à Bagdad ces trois dernières années et un autre milliard de dollars est disponible pour poursuivre les projets existants ou en entamer de nouveaux», a-t-il souligné. «Le plus grand défi aujourd'hui, c'est de savoir comment dépenser cet argent», a-t-il ajouté, en marge d'un atelier de travail sur la reconstruction en Irak, en présence du vice-premier ministre irakien Barham Saleh.
L'instabilité politique et la flambée de violences que connaît l'Irak depuis trois ans ont privé le pays d'une manne pétrolière de 24,7 milliards de dollars (19,1 milliards d'euros), selon un rapport de l'observatoire du pétrole irakien publié le 23 novembre. Les sanctions économiques imposées par les Nations Unies et la gestion chaotique sous le régime de Saddam Hussein, puis le regain de violence constaté dans le pays depuis l'intervention militaire américaine en mars 2003 sont autant d'éléments qui expliquent l'actuel retard irakien dans la production d'or noir.
Des milliards de dollars doivent désormais être injectés pour développer le secteur, préconise le rapport réalisé par des services d'inspection du ministère irakien du Pétrole. « Toutes les données confirment que le secteur pétrolier en Irak ne pourra pas se maintenir sans une participation des compagnies étrangères, afin de développer les champs pétrolifères et d'augmenter les volumes d'exportations ». Mais la plupart des groupes étrangers attendent l'entrée en vigueur d'une loi sur le pétrole, en négociation depuis des mois, avant de procéder à tout nouvel investissement dans le pays.
L'Irak possède les troisièmes réserves de pétrole les plus importantes au monde. Sur les 80 champs pétrolifères du pays, à peine 17 sont exploités. Seuls 1.600 des 2.300 puits d'exploitation dans le pays fonctionnent. De nombreux puits situés sur le gisement de Rumaila, parce qu'ils ont été mal gérés et recouraient à des méthodes datées de forage et d'extraction, sont désormais à l'abandon. « Des problèmes sur certains champs pétroliers ont provoqué une hausse du niveau des eaux dans les puits d'extraction, ce qui a entraîné des pertes dans la production sur un grand nombre de sites », souligne le rapport. Par ailleurs, l'oléoduc nord, qui relie l'Irak à la Turquie, est resté pratiquement hors d'usage depuis l'intervention américaine, en raison de plusieurs actions de sabotage. Le rapport chiffre à 8,7 milliards de dollars les pertes liées à ces sabotages, du début de l'année 2004 au premier semestre 2006 inclus. Bagdad ne peut donc plus compter que sur son principal oléoduc, dans la province de Bassorah, pour ses exportations d'or noir. D'après les déclarations cette semaine d'un porte-parole du ministère du Pétrole, environ 1,7 million de barils sont acheminés chaque jour par cet oléoduc.
Par ailleurs, la Commission européenne et le gouvernement irakien ont donné le 20 novembre à Bruxelles, le coup d'envoi des négociations en vue de la conclusion d'un accord de commerce et de coopération (ACC) entre l'Union européenne (UE) et l'Irak. Ces négociations seront engagées par les commissaires Ferrero- Waldner et Mandelson, au nom de la Commission, et par le vice- premier ministre irakien chargé des affaires économiques, Barham Salih, au nom de l'Irak. L'ACC contribuera au renforcement progressif des relations entre l'Union européenne et l'Irak et à l'intégration de ce pays dans l'économie mondiale. Cet accord vise à améliorer le cadre des échanges entre l'Irak et l'UE et il couvre un large éventail de thèmes, dont le commerce des marchandises, les services, les mesures d'incitation à l'investissement, la douane, les droits de propriété intellectuelle et industrielle, et les règles de passation des marchés publics.
La coopération pourrait, quant à elle, porter sur plusieurs aspects clés touchant au domaine économique, ainsi qu'aux domaines du développement humain et de la réduction de la pauvreté, de l'environnement, de la culture et de l'éducation. Par l'ouverture de négociations contractuelles avec l'Irak, l'UE entend faciliter l'engagement de l'Irak envers la communauté internationale au profit du processus de stabilisation interne et régional, stimuler et ancrer les réformes institutionnelles et socioéconomiques actuelles, contribuer au développement socioéconomique de l'Irak et à l'amélioration des conditions de vie dans le pays, promouvoir des relations commerciales bilatérales, et enfin garantir un niveau minimum de prévisibilité, de transparence et de sécurité juridique pour les opérateurs économiques.
Premier ministre irakien Nouri al-Maliki est, le 16 novembre, arrivé à Ankara pour rencontrer son homologue turc Recep Tayyip Erdogan. Les deux hommes ont discuté des relations bilatérales et de la lutte contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) installé dans les montagnes du Kurdistan irakien, près de la frontière iranienne. Le Premier ministre irakien était notamment accompagné de son ministre des Affaires étrangères Hoshyar Zebari au cours de son déplacement d'un jour. M. Maliki devait initialement effectuer cette visite le 16 octobre mais elle avait été reportée en raison d'une tempête de sable à Bagdad qui avait cloué son avion au sol ce jour là. « Nous avons parlé de la nécessité d'accélérer la coopération contre le PKK. J'ai indiqué à M. Maliki que des pas concrets devaient être faits pour obtenir un résultat » dans la lutte contre le PKK, a souligné M. Erdogan. Le Premier ministre irakien a assuré à son homologue turc que l'Irak ne serait pas un « sanctuaire » pour des éléments radicaux pouvant menacer les Etats voisins. Lors d'une conférence de presse avec Recep Tayyip Erdogan, Nuri al-Maliki, a affirmé que les ressources pétrolières de l'Irak appartiennent à tous les Irakiens et doivent être distribuées équitablement sans profiter à une seule communauté. « Ces ressources doivent être distribuées équitablement aux citoyens », a-t-il indiqué. « Il ne faut pas en priver une communauté et en enrichir une autre », a-t-il souligné. Fin septembre, le Premier ministre du Kurdistan irakien, Nechirvan Barzani, avait affirmé que les Kurdes voulaient être maîtres de leur pétrole et averti que toute interférence extérieure ne pourrait que raviver les appels à l'indépendance du Kurdistan.
Ankara continue de menacer de mener cet été des opérations contre le PKK par delà la frontière kurde irakienne si Washington et Bagdad n'intervenaient pas. Le PKK de son côté se dit déterminé à résister aux menaces répétées des responsables irakiens et turcs de les déloger. L'organisation kurde a déclaré un cessez-le-feu le 1er octobre, mais comme les autres trêves qu'elle avait proclamées dans le passé, la Turquie l'a rejetée. En dépit d'un cessez-le-feu du PKK et même si les combats ont sensiblement diminué en intensité depuis, six combattants du PKK et un soldat ont, le 16 novembre, été tués dans des combats survenus dans la province de Bingöl après le déclenchement par l'armée d'une opération. Six soldats ont été blessés, trois par balles et les autres par l'explosion d'une mine. Lors d’un accrochage le 14 novembre près de la bourgade de Baskale, un soldat turc a également été tué. Trois membres du PKK ont été abattus dans des accrochages survenus entre les 6 et 11 novembre à Sirnak.
Afin d'éviter le risque d'une intervention militaire de la Turquie contre le PKK au Kurdistan irakien, deux anciens responsables américains ont, le 27 novembre, prôné le déploiement de forces de l'Otan dans le Kurdistan irakien. Dans un document rendu public avant le sommet de l'Otan à Riga les 28 et 29 novembre, Richard Holbrooke, ex-représentant permanent des Etats-Unis auprès à l'Onu, et Ronald Asmus, vice-secrétaire d'Etat adjoint chargé des Affaires européennes dans l'administration Clinton, affirment que les membres de l'Otan ont tout intérêt à éviter un basculement de l'Irak dans une guerre civile ouverte. « Déjà aujourd'hui, des voix s'élèvent en Turquie pour réclamer ouvertement une invasion du nord de l'Irak pour mettre fin aux raids constants effectués dans le sud-est de la Turquie par l'organisation terroriste connue sous le nom de PKK», déclarent les deux anciens responsables dans ce document rendu public par un centre de réflexion allemand. « Le meilleur moyen de réduire ce risque serait que l'Otan déploie des soldats dans le nord de l'Irak», ajoutent-ils. Une telle initiative semble toutefois hautement improbable en raison des profondes divisions provoquées au sein de l'Otan par l'intervention militaire américaine en 2003. La France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg s'étaient alors opposés à cette invasion et ont depuis résisté aux tentatives de forte implication de l'Alliance atlantique en Irak. « Cela n'a été ni discuté ni envisagé de manière officielle ou informelle au sein de l'Otan», a déclaré James Appathurai, porte-parole de l'alliance.
La Commission européenne a, le 29 novembre, recommandé de « ralentir » les négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE, une recommandation que le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a qualifiée immédiatement d' « inacceptable ». Les ministres européens des Affaires étrangères vont devoir se prononcer le 11 décembre sur cette recommandation, qu'ils ne sont pas obligés de suivre. Des tractations difficiles s'annoncent avant d'arriver à une décision à l'unanimité, tant les dissensions entre les 25 sont fortes sur l'entrée dans l'UE --dans 10 à 15 ans, au plus tôt -- de ce grand pays stratégique et musulman qu'est la Turquie.
La recommandation d'une suspension partielle des négociations avec la Turquie, douloureusement lancées en octobre 2005, paraissait inévitable depuis l'échec le 27 novembre d'une dernière tentative de la présidence finlandaise de l'UE pour convaincre les Turcs d'ouvrir leurs ports aux navires chypriotes grecs. Du fait de ce refus d'Ankara - étroitement lié à la division de Chypre dont seule la partie sud grecque non reconnue par Ankara est entrée dans l'UE en 2004 -, la Commission a préconisé de suspendre les discussions sur 8 des 35 chapitres thématiques qui jalonnent les négociations Turquie-UE. Les chapitres visés touchent aux questions d'union douanière et plus largement aux relations Turquie-Chypre, de la libre circulation des marchandises au développement agricole en passant par les transports ou la politique extérieure. La Commission demande aussi à ce qu'aucun des autres chapitres qui pourraient être discutés ne puisse être conclu tant que la Turquie n'aura pas rempli ses obligations envers Chypre. « L'Europe a besoin de la Turquie et la Turquie a besoin de l'Europe. Il n'y a pas de gel ou d'hibernation (dans les négociations), le train continue à avancer mais il ralentit. L'Union européenne est une communauté de droit, et il doit y avoir des conséquences lorsque des obligations ne sont pas remplies », a expliqué le commissaire européen à l'Elargissement Olli Rehn. « C'est une décision soigneusement calibrée » et juridiquement « très solide », a ajouté le commissaire, en reconnaissant néanmoins que les discussions entre les 25 risquaient d'être compliquées. « Il y a des positions très différentes parmi les Etats membres », a concédé M. Rehn. « C'est précisément pour cela que nous voulions faire une recommandation dès maintenant car nous voulons guider le débat des 25 et les aider à trouver une unité sur cette question » dès le 11 décembre. Cela permettrait d'éviter de polluer le sommet européen des 14 et 15 décembre avec ce sujet explosif qu'est toujours la Turquie.
Preuve que les discussions seront délicates, certains dirigeants européens présents mercredi au sommet de l'Otan à Riga ont, avant même l'annonce officielle de la recommandation de la Commission, entamé des consultations pour désamorcer une crise potentielle avec la Turquie. Le Premier ministre britannique Tony Blair, soulignant que « l'intérêt stratégique à long terme de l'Europe et du reste du monde » est « d'avoir la Turquie à l'intérieur de l'Union européenne », a averti que « ce serait une erreur grave d'envoyer un signal défavorable à la Turquie ». Alors que la France est de plus en plus réticente à une entrée à terme de la Turquie dans l'UE, le président Jacques Chirac a lui défendu la Commission lors d'un entretien à Riga avec M. Erdogan, estimant qu'elle « n'avait pas d'autre choix ». Un porte-parole du gouvernement de la République chypriote grecque, clairement hostile à une adhésion de la Turquie, a lui estimé que « le gel de quelques chapitres n'était pas une sanction » et confirmait « le privilège dont jouit la Turquie pour ne pas respecter ses obligations ».
Chypre est divisée depuis 1974 et l'invasion de la Turquie. La partie Sud de l'île, qui a intégré l'UE en 2004, est peuplée majoritairement d'habitants de culture grecque. Uniquement reconnu par Ankara, qui a déployé 40.000 soldats sur place. Le Nord fait l'objet d'un embargo international depuis de nombreuses années. Les Turcs ont signé en juillet 2005 un protocole qui étend son union douanière avec l'UE aux dix Etats entrés dans le bloc européen en 2004. Mais ils refusent toujours de l'appliquer aux Chypriotes grecs, exigeant au préalable la levée de l'embargo qui frappe la République turque de Chypre du Nord (RTCN, reconnue uniquement par Ankara). Les autorités turques sont particulièrement sensibles à la question chypriote, chasse gardée de l’armée turque. Ainsi, deux journalistes de la chaîne de télévision franco-allemande ARTE ont-ils été, le 5 novembre, arrêtés pour avoir filmé la ville fantôme de Varosha, située dans une zone militaire de la « République turque de Chypre du Nord » (RTCN). Le journaliste David Muntaner et son cameraman Frederic Bak ont été arrêtés après avoir filmé une zone civile accolée à la barrière qui entoure Varosha, a indiqué le syndicat de journalistes Basin-Sen, un syndicat de journalistes chypriotes-turcs, dans un communiqué. Accusés d'avoir filmé une zone militaire, ils doivent comparaître devant un tribunal militaire. La ville fantôme de Varosha, près de l'ancienne station balnéaire de Famagoueste, a été vidée de ses habitants chypriotes-grecs depuis l'invasion turque de 1974. Le plan de l'UE présenté par la Finlande proposait le transfert à l'ONU de la ville-fantôme de Varosha. Mais la République turque de Chypre du Nord, entité reconnue par la seule Turquie, a indiqué qu'elle n'accepterait pas de rendre cette ville contre une reprise du commerce avec l'UE.
Outre la question chypriote, Bruxelles réclame à la Turquie des efforts en matière de lutte contre la torture et de protection de la liberté d'expression et des minorités en Turquie. La recommandation de la Commission européenne a coïncidé avec le veto du président turc Ahmet Necdet Sezer à un projet de loi accordant des droits de propriété aux minorités religieuses de Turquie, ainsi que le réclame l'Union européenne. Le président turc a demandé au parlement de réexaminer neuf articles du projet, qui ne répond par ailleurs pas pleinement aux souhaits de l'UE. M. Sezer s'est opposé à ces dispositions, qui, selon lui, leur confère des droits économiques qui vont au delà de l'objectif d'un travail caritatif, a, le 29 novembre, annoncé la présidence. L'objectif principal du texte, voté par le parlement au début du mois de novembre, était de préparer la voie aux Fondations communautaires (principalement grecques, arméniennes et juives) pour qu'elles récupèrent les biens saisis par l'Etat depuis 1974 aux termes d'une décision de justice controversée. Les nationalistes reprochent à ce projet de renforcer la position des minorités religieuses en Turquie.
Le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, avait annoncé le 5 novembre que son pays était prêt à amender l'article 301 du Code pénal permettant de poursuivre les écrivains et journalistes, suite à de vives critiques sur le sujet émises par l'Union européenne. Une scientifique turque de 92 ans, Muazzez Ilmiye Cig, une pro-laïque convaincue, a été acquittée le 1er novembre à l'ouverture de son procès controversé et médiatisé à Istanbul pour ses écrits sur le port du voile. L'éminente spécialiste de l'époque sumérienne, civilisation mésopotamienne du IVe millénaire avant J-C, s'est exposée à la colère des cercles islamistes pour ses écrits sur ce premier peuple antique, selon elle, à avoir utilisé le voile chez la femme comme signe de distinction, des milliers d'années avant l'apparition de l'islam. Dans un livre publié l'an dernier, Mme Cig avait affirmé que le foulard avait été porté pour la première fois par des « femmes publiques » sumériennes. Il s'agissait de prêtresses qui initiaient les jeunes hommes à la vie sexuelle dans des temples, tout en n'étant pas des prostituées. Son procès fait suite à ceux d'écrivains, journalistes et universitaires, dont les écrivains Orhan Pamuk et Elif Shafak, qui ont suscité des protestations internationales. Les charges contre le prix Nobel de littérature 2006 Orhan Pamuk, poursuivi pour avoir évoqué le génocide arménien, ont été abandonnées tandis que la romancière Elif Shafak a été acquittée. Contrairement à Orhan Pamuk ou Elif Shafak, poursuivis dans le cadre de l'article 301 du code pénal turc, qui prévoit des sanctions pour insulte à la République turque, ses institutions ou l'identité turque, l'archéologue est accusée d’ « incitation à la haine religieuse ».
Un sondage publié le 14 novembre dans le journal pro-gouvernemental Yeni Safak, indique qu’une majorité de Turcs restent favorables à l'entrée de leur pays dans l'Union européenne, en dépit des tensions actuelles entre les deux parties, mais ils n'y croient plus vraiment. Selon cette étude de l'institut ANAR, 54,1% des personnes interrogées voteraient « oui » aujourd'hui à un référendum sur l'intégration de la Turquie à l'UE, contre 37,1% qui se prononceraient contre. Mais, près de deux tiers du même échantillon de Turcs sollicités du 17 au 25 octobre dans tout le pays, prédisent que la Turquie ne sera jamais admise dans l'Union, contre moins de 30% qui croient encore à cette hypothèse. Ces résultats contredisent un autre sondage, récent, qui tendait à indiquer que les partisans de l'entrée dans l'Union avait chuté de 60% il y a deux ans à 32%.
Le pape Benoît XVI, dont les propos sur l'islam en septembre dernier ont déchaîné la colère chez certains musulmans est arrivé, le 28 novembre en visite officielle en Turquie. Le voyage du souverain pontife à Ankara, Ephèse et Istanbul, qui avait à l'origine pour thème central les relations entre les églises catholique et orthodoxe, apparaît aujourd'hui comme l'occasion de clore la polémique suscitée par les déclarations du pape à Ratisbonne. Les dirigeants turcs ont réservé un accueil poli mais glacé au pape Benoît XVI pour son premier voyage dans un pays musulman. Environ 15.000 personnes scandant des slogans antioccidentaux avaient manifesté le 26 novembre à Caglayan, sur la rive européenne d'Istanbul, contre la visite de Benoît XVI. Le nombre des participants était cependant bien inférieur au million de personnes prédit par le parti Saadet (SP-Félicité-islamiste), organisateur de la manifestation dont le mot d'ordre était « le pape n'est pas le bienvenu ». Sur une affiche montrant des photos de victimes de la guerre en Irak, était posée la question: « Qui a fait cela ? ». Une autre bannière demandait: « qui est le responsable du terrorisme ? Les Etats-Unis, Israël et l'Union européenne, ou l'Irak et les Palestiniens ? » L'édition dominicale du quotidien islamiste Milli Gazete, qui soutient le SP, titrait: « ici, c'est Istanbul, pas Constantinople ». Dans ce contexte tendu, trois mille policiers patrouillaient donc dans la capitale turque pour éviter tout incident, des tireurs d'élite étaient postés sur les toits et des véhicules blindés stationnaient aux principaux carrefours. Les rues étaient pratiquement vides, illustration du peu d'intérêt que suscite la visite du pape parmi la population. Contrairement à ses visites dans des pays chrétiens, aucune foule en délire ne l’a reçu à Ankara, première étape de sa visite du 28 novembre au 1er décembre qui le mena aussi à Ephèse (ouest) et à Istanbul. Seule une rangée de soldats turcs lui a rendu les honneurs dus au chef d'Etat du Vatican, car c'est à ce titre là qu'il a été reçu pendant près d'une heure par le président turc, Ahmet Necdet Sezer. Les journalistes turcs n’ont pas manqué de souligner que le Pape avait même pris le soin de dissimuler sa croix à sa descente de l’avion.
Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et son ministre des Affaires étrangères devant assister au sommet de l'Otan les 28 et 29 novembre à Riga n’ont reçu les Pape que dans la salle VIP de l’aéroport. De l'avis des commentateurs, M. Erdogan pour des raisons de politique intérieure et en tant que chef d'un parti issu de la mouvance islamiste, rechignait au départ à figurer dans le même « cadrage » photographique que le chef de l'Eglise catholique. 2007 est une année de double élections en Turquie -présidentielle en avril et législatives en novembre- et M. Erdogan nourrit des ambitions présidentielles dans un contexte déjà très controversé à cause de ses convictions politiques et religieuses. Toujours à Ankara, le pape s’est rendu au mausolée d’Ataturk, puis s'est entretenu avec le président du Directorat turc des Affaires religieuses Ali Bardakoglu, chef du clergé musulman turc, qui n'a pas manqué de lui reprocher ses propos de septembre à Ratisbonne sur les liens entre islam et violence. Pour le journal Sabah, le grand mufti a en quelque sorte « fait la leçon » au pape sur la véritable nature de l'islam.
Après une première journée très politique, Benoît XVI a célébré une messe en plein air à Ephèse, dans l'Ouest du pays, où la Vierge Marie aurait passé les dernières années de sa vie. Il a également rendu hommage à un prêtre catholique tué en février à Trébizonde au moment des manifestations contre les caricatures de Mahomet.
Les vestiges de cette petite maison de pierre, dont les fondations les plus anciennes remontent au premier siècle de l'ère chrétienne, sont devenus un lieu de pèlerinage populaire depuis les années 50, visité tant par les chrétiens que les musulmans. Après la messe, le pape a gagné Istanbul, où Kadir Topbas, maire AKP d'Istanbul s’est également absenté. Essentiellement consacré à sa rencontre avec Bartholomée 1er, Patriarche de Constantinople et chef spirituel de 300 millions de chrétiens orthodoxes, son séjour a Istanbul également été controversé. Le pape a profité de l'occasion pour utiliser le titre oecuménique pour le Patriarche, une appellation honnie pour Ankara, qui lui refuse tout rôle politique et administratif.
Les deux branches majeures de la chrétienté, l'Eglise catholique romaine héritière de l'Eglise d'Occident et les églises orthodoxes issues de l'Eglise d'Orient sont séparées depuis le schisme de 1054, dû à un conflit sur les pouvoirs du pape et des divergences liturgiques. Le souverain pontife a également pris la parole à l'église patriarcale Saint-Georges et visité le musée Sainte-Sophie, l'ancienne basilique de Constantinople, puis la cathédrale arménienne. Toujours à Istanbul, il a rencontré le métropolite syro-orthodoxe et le grand rabbin de Turquie, puis les membres de la conférence épiscopale catholique.
Dans un pays à 99% musulman, la communauté chrétienne de Turquie, divisée en diverses obédiences -orthodoxe, syriaque, jacobite, arménienne grégorienne, catholique- ne dépasse guère aujourd'hui les 200.000 âmes mais ses frontières actuelles ont abrité dès les premiers temps du christianisme d'importantes communautés. Aujourd’hui, Ankara refuse de rouvrir l'unique séminaire orthodoxe de Turquie, sur l'île stambouliote de Heybeli, et de rendre les biens immobiliers confisqués appartenant à des fondations chrétiennes. L'organisation de défense des droits de l'Homme Minority Rights Group (MRG) a, à l'occasion de la visite en Turquie du pape Benoît XVI, dénoncé les discriminations dont sont victimes les chrétiens et les autres minorités religieuses dans ce pays. « La visite du pape en Turquie est une rare opportunité de porter sur le devant de la scène les difficultés énormes auxquelles font face les chrétiens et les autres minorités religieuses en Turquie », a, le 28 novembre, déclaré dans un communiqué Nurcan Kaya, responsable du programme de MRG concernant la Turquie. MRG constate l'existence de « lois discriminatoires » alors que la Turquie est un Etat officiellement laïc qui garantit en théorie des droits substantiels aux minorités religieuses. L'organisation cite l'exemple de la loi adoptée cette année visant à améliorer le régime de propriété des fondations non musulmanes. Cette loi, souligne MRG, « ne fait aucune tentative pour restituer les terres confisquées par l'Etat aux établissements chrétiens par le passé ». « Les chrétiens font aussi face à des restrictions pour l'ouverture de centres théologiques et ont des opportunités limitées pour la formation des prêtres et séminaristes », ajoute le communiqué. MRG dénonce également le sort fait à la minorité assyrienne, une communauté chrétienne orthodoxe confrontée à « de considérables violations de ses droits ». « Les Assyriens ne sont même pas reconnus comme une minorité religieuse », remarque Nurcan Kaya. « De même, certains groupes musulmans n'ont pas cette reconnaissance et donc pas les droits ». « L'Union européenne a fait de la liberté religieuse un critère important que la Turquie doit remplir dans le cadre de sa candidature à l'adhésion (à l'UE) et elle a besoin d'accélérer son processus de réforme », a affirmé Nurcan Kaya.
Benoît XVI est le troisième pape à visiter la Turquie, après Paul VI en 1967 et Jean Paul II en 1979. La visite du Pape a été marquée par des déclarations et des gestes de bonne volonté de part et d'autre, en particulier le soutien de Benoît XVI à l'adhésion d'Ankara à l'Union européenne. Il y a quelques années, alors qu'il n'était encore que le cardinal Josef Ratzinger, le pape avait suscité la colère de la Turquie en se montrant plus que réticent à une éventuelle adhésion de ce pays à l'Union européenne. « Une surprise de la part du pape: Benoît, qui s'était déclaré hostile à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, a tenu un autre langage à Ankara », a écrit le 29 novembre le quotidien kémaliste Cumhuriyet. Prié de préciser la position du Vatican, le porte-parole du Saint-Siège, le père Federico Lombardi, a déclaré que le pape ne peut prendre de position politique mais « encourage et voit de façon positive la Turquie s'engager sur la voie du dialogue, du rapprochement, de la participation à l'Europe, sur la base de valeurs et de principes communs ». « Ça a commencé de belle manière. A Ankara, le pape a dit au monde que l'islam était une religion de paix », se réjouit le quotidien Hurriyet. La télévision nationale turque TRT, ayant la diffusion exclusive de la visite papale, a, pour sa part, ouvert une enquête sur la couverture par la chaîne de télévision de cette visite. Suivi par une caméra fixe, le Pape a été constamment dissimulé par un militaire turc en garde à vous.
Après une messe à la cathédrale du Saint-Esprit le 1er décembre, Benoît XVI regagnera Rome, alors qu’un livre sous-titré « Qui va tuer le pape à Istanbul? » et montrant le pape visé par un tireur barbu sur fond de croix enflammée, est déjà un best-seller avec 10.000 exemplaires en Turquie.
Sur fond de crise autour du nucléaire, l'Iran a, le 2 novembre, lancé de grandes manoeuvres militaires avec des tirs de missiles. « Des missiles Shahab, avec une charge à fragmentation, capables d'avoir une portée de 2.000 km, ont été tirés du désert situé dans les environ de Qom », à 120 km au sud de Téhéran, a rapporté la télévision Al-Alam. Une charge à fragmentation détonne à proximité du sol en dispersant une grande quantité d'éclats sur un large périmètre. Les missiles Shahab-3 ont une portée annoncée par les Iraniens de 2.000 km, ce qui met à leur portée tant les bases américaines dans le Golfe, qu'Israël et le sud de l'Europe. Cette arme est utilisée pour la première fois dans le cadre de manoeuvres et non plus lancée individuellement dans le cadre de simples essais. Les manoeuvres iraniennes ont duré dix jours, dans 14 provinces d'Iran, dont celles bordant le Golfe et la mer d'Oman. Le missile Shahab-2, dérivé du Scud-C d'origine soviétique, a une portée théorique de 500 km, qui permettrait de viser des cibles sur le territoire irakien mais aussi sur les pays de la péninsule arabique bordant le Golfe.
Par ailleurs, la Russie a commencé à livrer des systèmes de missiles sol-air TOR-M1 à l'Iran dans le cadre d'un accord conclu plus tôt, ont rapporté le 24 novembre des agences de presse russes. « Les livraisons de TOR-M1 à l'Iran ont commencé, les premiers systèmes ont déjà été livrés à l'Iran », a-t-on appris auprès d'une source au sein du complexe militaro-industriel russe, citée par l'agence de presse Interfax, ajoutant que les troupes iraniennes qui vont faire fonctionner les systèmes étaient soumises à un entraînement en Russie. Selon la compagnie russe d'exportation d'armements, Rosoboronexport, les responsables russes ont affirmé que « l'Iran est un Etat souverain, un membre de l'ONU ainsi que de la Ligue des Etats arabes, et aucune sanction internationale lui interdisant de recevoir des armes offensives n'a été imposée ».
La livraison des TOR-M1, impliquant de l'armement conventionnel, ne viole aucun pacte international selon les responsables russes qui ont souligné que les missiles ne sont que des armes défensives à courte portée. Selon l'agence Interfax, le système TOR-M1 peut identifier 48 cibles au maximum et tirer simultanément sur deux cibles à une hauteur de 6.000 mètres.
Le tout s'inscrit sur fond de tension croissante autour du programme nucléaire iranien. Gregory L. Schulte, ambassadeur américain à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), a, le 27 novembre, déclaré que les services secrets américains estiment que l'Iran pourrait être capable de produire une bombe nucléaire à l'horizon 2010. « Cela nous donne du temps, mais nous sommes en 2006, quatre ans avant. Donc cela nous donne du temps pour la diplomatie, mais cela nous ne donne pas le temps d'être complaisants », a-t-il ajouté. Les commentaires de M. Schulte reflète largement ceux tenus par le directeur des services secrets américains, John Negroponte, qui avait expliqué en juin dans un entretien à la radio BBC que l'Iran pourrait développer une arme nucléaire d'ici 4 à 10 ans. Selon M. Schulte, le processus reste cependant compliqué, et il y a de nombreuses incertitudes à prendre en considération, notamment l'assistance étrangère dont bénéficiera l'Iran, si Téhéran parviendra à faire fonctionner des centrifugeuses, et l'importance accordée par le pays à la possession de l'arme atomique. Pour le moment, il semble que les dirigeants iraniens aient fait de l'arme nucléaire « leur priorité la plus haute », a-t-il noté.
Le Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'Energie atomique a, le 23 novembre, refusé d'accéder à la demande d'expertise formulée par l'Iran pour un projet de réacteur, craignant qu'il ne puisse être utilisé pour produire de l'uranium à des fins militaires. Mais la décision prise par l'AIEA, après plusieurs jours de débats entre les pays industrialisés et les pays en développement, laisse la possibilité à l'Iran de reformuler sa demande à l'avenir. L'AIEA a en revanche accepté de fournir une expertise à l'Iran pour sept autres projets d'énergie nucléaire qui ne présentent pas à ses yeux de danger.
Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a, le 20 novembre, déclaré que son pays comptait installer 100.000 centrifugeuses pour enrichir l'uranium, chiffre bien supérieur à celui présenté jusqu'alors. « Nous avons l'intention d'installer 100.000 centrifugeuses et, si Dieu le veut, l'Iran sera en mesure de répondre à ses besoins en combustible nucléaire d'ici l'année prochaine », a déclaré le président, cité par l’agence de presse iranienne Isna. Les centrifugeuses servent au processus d'enrichissement d'uranium, lequel peut servir à la fabrication d'armes nucléaires. Téhéran maintient que son programme atomique est purement civil, mais les Etats-Unis sont persuadés que les Iraniens cherchent à se doter de l'arme atomique. M. Ahmadinejad avait, le 14 novembre, déclaré que l'Iran projetait d'installer 60.000 centrifugeuses, afin, selon lui, de produire du combustible pour centrales nucléaires.
L'Iran compte mettre en service sa première centrale nucléaire, qui a déjà subi plusieurs retards, en 2007. Jusqu'à présent, l'Iran dispose de deux cascades de 164 centrifugeuses. Ces cascades, en l'état, mettraient plusieurs années avant de produire suffisamment de matériaux pour fabriquer une bombe atomique. Les Nations unies exigent de l'Iran qu'il suspende ses travaux d'enrichissement d'uranium. Les diplomates occidentaux se demandent pourquoi l'Iran poursuit ses activités d'enrichissement alors même que le pays ne dispose toujours pas d'une centrale nucléaire. Selon eux, il serait plus rentable pour les Iraniens d'acheter du combustible nucléaire sur les marchés mondiaux. Plus de deux mois après la date butoir -le 31 août- fixée à l'Iran par le Conseil, dans sa résolution 1696, pour suspendre cet enrichissement sous peine de sanctions, il n'est toujours pas possible de dire quand le Conseil passera à l'acte. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne) et l'Allemagne examinent toujours un projet de résolution préparé par les Européens et visant à imposer des sanctions contre les programmes nucléaire et balistique de l'Iran. Mais les six grands peinent à s'entendre sur un texte en raison de l'opposition de la Russie et la Chine.
Entre le 13 août et le 2 novembre, l'Iran a alimenté ses centrifugeuses de Natanz (centre) avec « un total d'environ 34 kg » de combustible d'uranium, ce qui a permis de produire une petite quantité d'uranium enrichi, selon ce rapport confidentiel de l’AIEA. Le rapport de l'AIEA précise également que les inspecteurs de l'agence ont trouvé des traces de plutonium dans des conteneurs sur une décharge à Karaj, ouest de Téhéran. L'Iran fait actuellement de l'enrichissement à un niveau inférieur à 5%, nécessaire pour le combustible d'une centrale nucléaire. Il faut l'amener à 90% pour obtenir un effet optimal pour une bombe atomique.
Les autorités syriennes ont, le 14 novembre, libéré le fils de l'ouléma kurde syrien assassiné en 2005 Mohammad Maachouk Khaznaoui. L'Observatoire syrien pour les droits de l'Homme (OSDH), une ONG proche de l'opposition basée à Londres, a déclaré dans un communiqué que « cette libération a eu lieu après les actions intensives effectuées par l'OSDH. Elle constitue un pas dans la bonne direction ». Les services de renseignements syriens avaient arrêté cheikh Mourad Khaznaoui la veille à la frontière syro-jordanienne alors qu'il se rendait en Jordanie, avait annoncé peu auparavant l'OSDH dans un communiqué en citant des informations fournies par son frère, Mourched Khaznaoui. « L'OSDH appelle les autorités syriennes à former une commission d'enquête composée de juristes honnêtes sur l'assassinat de Mohammad Maachouk Khaznaoui, et de traduire les assassins devant la justice », ajoute l'OSDH. « L'OSDH demande aux autorités syriennes d'interdire les arrestations arbitraires et de faire cesser les ingérences des services de sécurité dans la justice afin de préserver l'unité nationale » du pays, selon le texte.
Mourched Khaznaoui a accusé « des personnalités influentes du régime syrien d'avoir assassiné son père ». Il a assuré que son père avait « reçu des menaces des services de sécurité après un discours prononcé en avril 2005 dans lequel il avait rendu la sécurité syrienne responsable du meurtre de dizaines de Kurdes syriens en mars 2004 ». Des affrontements sanglants avaient opposé en mars 2004, pendant cinq jours, des Kurdes aux forces de l'ordre ou à des tribus arabes dans le nord de la Syrie, notamment à Qamichli et Alep, faisant 40 morts selon des sources kurdes, 25 selon les autorités syriennes. Vice-président du Centre d'études islamiques à Damas, le cheikh assassiné bénéficiait d'une grande popularité, y compris en dehors de sa communauté.
Les Kurdes représentent environ 9% de la population de Syrie et font l'objet d'une « politique discriminatoire ». Outre la reconnaissance de leur culture, ils demandent à être traités comme des citoyens à part entière en revendiquant des droits politiques et administratifs « dans le cadre de l'intégrité territoriale du pays ».
Genel Enerji, la division énergétique du conglomérat turc Cukurova, et la société pétrolière helvétique Addax, ont, le 19 novembre, annoncé la découverte d'un gisement pétrolier prometteur sur le site de Taq Taq, situé à 60 kilomètres au Nord-Est de la ville de Kirkuk dans le Kurdistan irakien. Le seul puits de forage creusé par les deux partenaires vient de mettre à jour un débit de près de 30.000 barils quotidien d'un pétrole « léger » (47 degrés API) auquel se mêle « peu de gaz ». De tels niveaux atteints lors d'un forage de moins d'une centaine de mètres de profondeur laissent présager un gisement significatif. Mehmet Sepil, le PDG de Genel Enerji, s'est réjoui de devenir « la première compagnie pétrolière privée turque à développer un gisement pétrolier d'importance ». Ce puits est le premier d'une série de trois campagnes de forages prévues par Genel et Addax.
Ashti Hawrami, le ministre des ressources naturelles au sein du gouvernement du Kurdistan irakien, s’est réjoui en déclarant dans un communiqué « ce succès [nous] permet d'attendre le démarrage de nos premières exportations de pétrole du champ de Taq Taq en 2007 ( …) Nous allons continuer notre programme d'exploration afin de réaliser notre objectif qui reste d'exporter un million de barils quotidien de la région du Kurdistan au cours des prochaines années, ce qui permettra de contribuer de façon significative aux revenus pétroliers irakiens, destinés à être partagés par tout le pays ».
Basée à Genève, Addax Petroleum est la filiale de production fondée en 1994 par le groupe pétrolier Addax & Oryx. Cette société de négoce est devenue dans les années 90 un groupe diversifié très présent en Afrique de l'Ouest où il contrôle un réseau de stations-service, ainsi que des installations de stockage d'hydrocarbures et d'embouteillage de GPL. Son unité de production et d'exploration pétrolière tire l'essentiel de sa production -qui atteint les 80.000 barils par jour- des champs exploités au Nigeria. Début septembre, cette dernière a fait l'acquisition de la junior pétrolière canadienne Pan-Ocean Energy pour 1,6 milliard de dollars canadiens (1 milliard d'euros). La maison mère de Addax avait transformé son unité de production en société cotée qui a été introduite sur la Bourse de Toronto il y a quelques mois. La valeur boursière de Addax atteint aujourd'hui l'équivalent de 3 milliards d'euros.
Epargné par la vague de violences confessionnelles qui secoue les autres provinces de l'Irak, le Kurdistan a établi des règles restrictives pour prévenir une vague d'arrivée de déplacés irakiens. Le commandant Hirche Khaled Aswahi, qui dirige le département des résidents à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, a ainsi déclaré que « les familles arabes, chrétiennes, turcomanes ou même kurdes venant d'autres provinces, qui projettent de s'installer au Kurdistan, doivent trouver un garant résidant déjà dans la région ». Selon lui, le garant doit être un fonctionnaire du gouvernement local. « Notre objectif est de préserver la sécurité du Kurdistan », épargné par les violences qui ensanglantent quotidiennement la majeure partie des autres provinces de l'Irak, affirme ce responsable. « Aucun pays ne restreint le droit de ses propres citoyens à s'installer sur une partie de leur territoire, mais nous voulons assurer la sécurité dans notre région et lutter contre l'infiltration de terroristes », admet le commandant Aswahi.
Le nombre de familles déplacées au Kurdistan reste relativement faible, par rapport à l'ensemble des déplacés en Irak. Selon le responsable, 2.054 familles kurdes, arabes et chaldéennes (chrétiennes) sont arrivées dans la région d'Erbil. Un millier d'autres se sont rendues à Souleimaniyeh et à Dohouk, les deux autres grandes villes du Kurdistan. D'après les chiffres publiés en octobre par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), quelque 754.000 Irakiens ont été déplacés par la violence dans ce pays depuis l'invasion américaine en mars 2003. Près de la moitié d'entre eux ont dû fuir leur domicile au cours des huit derniers mois, à la suite de l'explosion des violences confessionnelles après la destruction, en février, du mausolée chiite de la ville sunnite de Samarra, au nord de Bagdad. Ces départs affectent principalement le centre du pays. Les déplacés se rendent dans des zones majoritairement sunnites ou chiites, où ils sont le plus souvent hébergés par des proches. Pour s'installer au Kurdistan, les déplacés doivent, outre justifier d'un garant, présenter leur demande avec un dossier familial. En cas d'obtention d'une résidence, elle doit être renouvelée tous les trois mois. Les médecins, ingénieurs ou universitaires n'ont pas besoin de chercher un garant puisque ce sont leurs employeurs qui leur garantissent résidences et autres facilités, selon le commandant Aswahi. Le président irakien, Jalal Talabani, a maintes fois appelé ces cadres supérieurs à venir s'installer au Kurdistan, à l'abri de la violence. « Nous préférons qu'ils viennent avec leurs familles s'installer chez nous et servir leur pays, plutôt qu'ils aillent à l'étranger », a-t-il souligné.
L'ancien Premier ministre turc Bulent Ecevit est mort le 5 novembre à l'âge de 81 ans dans un hôpital militaire d'Ankara où il était hospitalisé depuis mai à la suite d'une hémorragie cérébrale. L'ancien homme politique de gauche nationaliste, qui a pris sa retraite il y a trois ans et demi, avait été victime le 19 mai d'une hémorragie cérébrale après avoir assisté aux obsèques d'un magistrat assassiné par un jeune avocat ultra-nationaliste pour des motifs islamistes. Il avait passé plusieurs mois dans le coma après avoir subi une opération au cerveau, dont il sortait progressivement après le débranchement de son respirateur artificiel en août.
M. Ecevit avait tiré sa révérence après une longue carrière politique au lendemain de sa défaite aux dernières élections législatives en novembre 2002, lorsque son parti Démocratique de gauche (DSP) avait perdu tous ses sièges au Parlement. Sa santé chancelante et l'effondrement de la coalition gouvernementale qu'il dirigeait depuis 1999 ont sonné le glas d'une carrière de plus de 40 ans qui l'aura vu cinq fois Premier ministre. Il débute dans le journalisme en 1950 dans la presse proche du Parti républicain du Peuple (CHP), le parti du fondateur de la République, Mustafa Kemal Atatürk. En 1959, il est élu chef régional du parti à Zonguldak, une région minière du nord-ouest, sur la mer Noire. Il grimpe vite les échelons du CHP, dont il devient secrétaire général en 1966 avant d'en prendre la direction en 1972, succédant à l'ex-Premier ministre et président de la République Ismet Inönü, camarade d'Atatürk et héros national de la guerre d’indépendance (1919-1922) qui l'avait fait entrer en politique. Chef charismatique, porté par la vague de gauche des années 70, il devient Premier ministre à la tête d'une coalition avec les islamistes du parti du Salut National de l'ex-Premier ministre Necmettin Erbakan. Sous cette coalition gouvernementale qui a duré dix mois, M. Ecevit ordonne l'intervention militaire à Chypre, en riposte à un coup d'Etat des nationalistes chypriotes-grecs visant à rattacher l'île à la Grèce. Il était à nouveau chef du gouvernement en 1999, lors de la capture au Kenya d’Abdullah Öcalan. Son prestige a toutefois gravement souffert de la crise économique qui a frappé le pays en 2000 et 2001, outre le fait qu’il avait été au pouvoir lors du massacre planifié de la ville de Maras du 24 décembre 1978 visant principalement les Alévis avec un bilan officiel de 113 morts -plus de 1.000 civils selon les témoignages - exécutés le plus souvent à l’arme blanche.
Né le 28 mai 1925 dans une famille bourgeoise d'Istanbul d’un père kurde, cet ancien journaliste, s’enorgueille pendant toute sa carrière de faire fi de sa kurdité. Au nom de l’unité de l’État, il était même devenu l’un des adversaires les plus durs du nationalisme kurde. Il passe son baccalauréat en 1944 au prestigieux Robert College d'Istanbul, un lycée américain avant d'étudier la littérature anglaise à l'Université d'Ankara. Il a aussi étudié le sanskrit à Oxford et traduit en turc T.S. Eliot et Rabindranath Tagore. Il écrit de la poésie à ses heures perdues et, n'ayant jamais été tenté par les affaires, a conservé une réputation de probité, qualité plutôt rare dans une classe politique turque éclaboussée par de multiples affaires de corruption. Sa modestie et son aspect chétif cachaient toutefois un caractère autoritaire et souvent intolérant en ce qui concerne la moindre opposition au sein de son parti. Depuis sa défaite aux urnes, M. Ecevit vivait quelque peu reclus avec son épouse, Rahsan, qui veillait jalousement à protéger son intimité.
Il a été inhumé le 8 novembre à Ankara avec un hommage d'Etat. « La politique turque a perdu l'une de ses plus importantes personnalités», a déclaré le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan tandis que le chef de l'Etat Ahmet Necdet Sezer a salué une « figure de proue de notre histoire politique» en soulignant particulièrement ses convictions pro-laïques.
Un tribunal turc a, le 10 novembre, condamné à près de 40 ans de prison un transfuge du PKK devenu indicateur de l’armée turque. Veysel Ates a été reconnu coupable par une cour de Van d'avoir commis le 9 novembre 2005 un attentat qui avait fait un mort et six blessés dans une librairie à Semdinli. Il devra purger 39 ans, dix mois et 27 jours de prison, une peine similaire à celle ayant frappé les deux autres auteurs de l'attentat, des sous-officiers de gendarmerie condamnés en juin à 39 ans et cinq mois de prison, et qui ont fait appel de leur jugement.
Dans l'acte d'accusation, le procureur avait considéré l'attentat comme une provocation visant à déstabiliser le Kurdistan de Turquie pour faire capoter le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, entamé en octobre 2005. Le ministère public avait requis la prison à vie contre les trois hommes.
Le procès a été considéré par de nombreux observateurs comme un test de la volonté d'Ankara d'établir la suprématie du droit et de dénoncer les pratiques douteuses mises en oeuvre dans le passé par des éléments incontrôlables de l'armée dans leur lutte contre le PKK. L'attentat a été mentionné dans le rapport publié par la Commission européenne comme un exemple de l'insuffisance du contrôle civil sur les forces de sécurité et de l'influence persistante de l'armée en politique en dépit des réformes sensées limiter ses pouvoirs, puisque le général Buyukanit, chef de l’armée de terre, avait été impliqué dans l’affaire.
La radio nationale iranienne, a, le 19 novembre, rapporté que le ministère iranien des Affaires étrangères a convoqué le chargé d'affaires d'Argentine à Téhéran, pour protester contre l'émission d'un mandat d'arrêt par un juge argentin contre l'ancien président iranien, Akbar Hashemi Rafsanjani. Ce mandat d'arrêt est « un acte irresponsable et ne se conforme pas à la procédure (normale) judiciaire et légale internationale », a indiqué Safar Ali Eslamian, directeur du département des affaires latino-américaine au ministère iranien des Affaires étrangères, lors de l'entretien avec le diplomate argentin. L'Iran se réserve le droit de répondre à cette affaire par les canaux légaux et judiciaires, a affirmé M. Eslamian, ajoutant que « les soutiens américain et israélien au juge argentin signalent un complot destiné à incriminer l'Iran ».
Début novembre, un juge argentin, Roldolfo Canicoba Corral, avait lancé de nouveau un mandat contre M. Rafsanjani et huit autres responsables pour implication dans l'attaque à la bombe perpétrée en 1994 contre un centre culturel juif à Buenos Aires ( Argentine) qui avait fait 85 morts et plus de 200 blessés. Les procureurs de Buenos Aires avaient accusé les responsables du gouvernement iranien d'alors d'avoir comploté cette attaque, la plus meurtrière en Argentine, en imputant son exécution à la guérilla libanaise Hezbollah. Téhéran avait démenti toute implication dans cette affaire et menacé de rompre ses relations diplomatiques avec l'Argentine.
Des soldats iraniens ont, le 25 novembre attaqué un camp du PKK selon les sources kurdes irakiennes. Moustapha Sayyed Kader, commandant adjoint des peshmerga de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), a indiqué que « des membres des forces armées iraniennes ont attaqué un poste frontière du PKK, sans toutefois franchir la frontière ». Un chef local du PKK, a pour sa part indiqué « des soldats iraniens ont pénétré en Irak dans la région frontalière de Nowzang. Ils se sont heurtés à une unité du PEKAK (Parti pour une vie libre) pendant près d'une heure avant de battre en retraite ». Un traité signé entre Ankara et Téhéran prévoit que l'Iran lutte contre le PKK, tandis que la Turquie combat l'opposition armée au régime des mollahs, les Moujahidine du peuple.
Par ailleurs, selon l’agence de presse iranienne Fars, la police iranienne a déjoué une tentative d'attentat contre un chemin de fer et arrêté quatre combattants kurdes. Mohammad Ali Zaker, commandant des gardes-frontières de la région de Khoi, ville située au nord-ouest de l'Iran, a, le 13 novembre, déclaré que « quatre hommes liés aux étrangers ont été arrêtés avec 20 kilos de T.N.T. Ils voulaient faire exploser le chemin de fer reliant l'Iran à l'Europe », faisant référence au train reliant Téhéran à Istanbul. « L'un des hommes arrêtés est un ancien membre du parti démocrate du Kurdistan d'Iran (PDKI) et tous les quatre font partie des rebelles de la région », a-t-il ajouté.
Fin septembre, une explosion s'était produite sur le gazoduc reliant l'Iran et la Turquie, non loin de la frontière entre les deux pays, et les autorités iraniennes avaient évoqué un acte de sabotage. De même, les autorités iraniennes avaient annoncé en août dernier l'arrestation de cinq combattants kurdes iraniens du Parti démocrate du Kurdistan d'Iran (PDKI) et quatre combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de Turquie lors d'un affrontement. La province du Kurdistan (ouest) est depuis plus d'un an le théâtre d'affrontements armés entre les soldats iraniens et des militants du PEJAK, un groupe kurde iranien proche du PKK.
Du 28 octobre au 9 novembre Montréal a été la capitale du cinéma kurde pour un premier festival à la Cinémathèque quebecoise. 21 films kurdes ont célébré la récente effervescence du cinéma kurde. Les 28 et 29 octobre, Kilomètre Zéro a inauguré le festival, suivi de Marooned in Iraq et Un temps pour l'ivresse des chevaux (Caméra d'or à Cannes en 2000) de Bahman Ghobadi. Le programme du festival conçu en collaboration avec l'Institut kurde de Montréal, comprend également des chefs-d'oeuvre du père du cinéma kurde ; Yilmaz Güney (Yol), de même que des œuvres de Kazim Öz (The Land) et Jano Rosiebiani (Life).
Par ailleurs, le renouveau du cinéma irakien doit également beaucoup aux cinéastes kurdes. Hiner Saleem, sélectionné en compétition officielle à Cannes en 2004 pour Kilomètre zéro, confiait : « En 80 ans, l'Irak a produit dans toute son histoire moins de films que l'Inde en produit en 3 heures ou que la France en produit en 2 jours, c'est-à-dire moins de cinq films. À huit ans, j'ai été surpris de découvrir qu'à la télé, les gens ne parlaient pas notre langue, et je me suis juré de faire passer le kurde dans cette machine ».