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Bulletin N° 283 | Octobre 2008

 

 

APRES L’ATTAQUE D’AKTÜTÜN L’ARMEE TURQUE ACCUSEE DE « NEGLIGENCE »

Le 3 octobre, une attaque du PKK contre le post militaire turc d’Aktütün, dans la province de Hakkari, a fait 20 morts parmi les soldats turcs et 23 morts parmi les combattants kurdes selon le bilan officiel de l’armée, tandis que le PKK donnait pour bilan neuf victimes dans ses rangs contre 62 morts et plus de 30 blessés parmi les soldats turcs. L’armée a riposté en bombardant les bases du PKK, dans le Kurdistan irakien, sans pouvoir établir de chiffres précis sur les victimes. Quelques jours plus tard, une autre attaque visant cette fois des policiers à Diyarbakir, faisait cinq victimes dont quatre membres des forces de l’ordre. Selon la version des autorités turques, des membres du PKK ont mitraillé un car de police. L’attentat n’a cependant pas été revendiqué par l’organisation kurde.

Comme à l’habitude, l’enterrement des soldats turcs a donné lieu à des manifestations nationalistes et vengeresses rassemblant des dizaines de milliers de personnes. L’importance des effectifs de la guérilla impliqués dans l’attaque et le nombre des victimes a secoué l’opinion publique turque. Mais cette fois-ci, la presse et les partis d’opposition ont remis en cause ouvertement les compétences de l’armée.

Dès qu’ils ont appris l’attaque, Abdullah Gül, le président de Turquie a annulé un déplacement en France qui devait avoir lieu la semaine suivante, tandis que le Premier Ministre Recep Tayyip Erdogan revenait précipitamment d’une visite au Turkménistan.

Une fois encore, le gouvernement turc a demandé à l’Irak d’ « assumer ses responsabilités ». Mais le porte-parole du gouvernement irakien, Ali Al-Dabbagh, s’il a condamné l’attaque, a appelé Ankara à agir avec « sagesse et mesure ».

Dans une conférence de presse, le général Metin Gurak, qui dirige le bureau de la presse de l’état-major des armées, a affirmé que les pertes les plus lourdes étaient dues à des tirs à l’arme lourde qui venaient de l’autre côté de la frontière, en territoire irakien. Il a fait état de 23 combattants kurdes « neutralisés ». Mais le porte-parole du PKK, Ahmed Danis, a affirmé que les pertes turques étaient bien plus élevées que le bilan officiel de l’armée, sans pouvoir indiquer de chiffres précis.

L’attaque est survenue peu de jours avant l’expiration de l’autorisation d’un an accordée par le Parlement turc à l’armée d’opérer contre les bases du PKK à l’intérieur du Kurdistan irakien. Mais loin de tirer avantage de ces événements, cette fois l’armée a dû faire face à une salve de critiques, notamment dans la presse. L’importance de l’assaut, le fait qu’il soit survenu en plein jour, ait duré plusieurs heures, et le grand nombre de combattants kurdes, près de 350, ont fait s’interroger beaucoup d’observateurs sur une défaillance des services de renseignements, ou bien sur la capacité de certains officiers à tenir compte des avertissements concernant la sécurité du front.

Au moment de l’attaque, le commandant des unités de la région était à un mariage, aucune alerte n’a été donnée aux troupes alors même que des informations avaient déjà circulé sur une possible opération du PKK. Enfin, le poste d’Aktütün, de part sa position géographique, a été fréquemment la cible d’attaques, sans que l’armée ait, semble-t-il, pris des mesures particulières pour le sécuriser. « Est-ce que les soldats assurent la sécurité aux frontières et dans le pays ? Et n’ont-ils pas besoin, en ce cas, d’assurer leur propre sécurité ? Comment se fait-il que le même poste-frontière soit attaqué depuis 16 ans et combien de soldats y sont tombés en martyrs ? » interroge Mehmet Altan du Daily Star, tandis qu’Oktay Ek?i, de Hürriyet se fait plus direct : « Est-ce que quelqu’un va demander s’il y a eu faute après de tels incidents ? Est-ce que quelqu’un va demander qui est responsable ? Est-ce qu’il va y avoir une enquête officielle ? »

Chose rare, l’armée s’est crue obligée de tenir une conférence de presse afin de répondre aux critiques de la presse. Le chef-adjoint de l’état-major, le général Hasan I?s?z, a ainsi nié toute faute de la part des officiers ou des services de renseignements militaires, en réaffirmant que la plupart des pertes étaient surtout dues à des tirs provenant de l’autre côté de la frontière, et non à une infiltration du territoire turc.

De l’avis de Gareth Jenkins, de la Fondation Jamestown, interviewé par Zaman, il faut plus y voir un «  mélange d'incompétence et d'arrogance. Les militaires ont pu penser qu'il n'y avait pas de problème, qu'il [le poste-frontière] pouvait être défendu. Ils répugnent probablement à reconnaître qu'ils ne pouvaient pas le défendre. » De fait, les photos diffusées dans la presse turque montrent un poste-frontière délabré, avec des défenses pour le moins précaires, alors que sa position le rend particulièrement vulnérable aux attaques du PKK (38 depuis 1992). En réponse aux attaques de la presse concernant l’insuffisance des informations fournies par les Etats-Unis, le général I?s?z nie qu’il y ait eu faille dans le système de renseignements. Il a par contre indiqué que les Kurdes d’Irak pouvaient, d’où ils étaient, suivre les moindres mouvements du PKK mais qu’il n’y avait pas, à ce jour, de partage d’informations instauré avec le Gouvernement régional du Kurdistan. Le général turc a également accusé le GRK d’abriter les blessés de la guérilla dans ses hôpitaux et de le laisser librement circuler, ce que les autorités d’Erbil ont toujours nié.

Alors que certaines voix au sein de l’armée protestent contre la limitation de leurs pouvoirs par les réformes constitutionnelles faites en vue de l’adhésion à l’Union européenne, et demandent l’adoption de nouvelles lois « anti-terreur » d’autres voix parmi les « faucons » pointent surtout le besoin d’un renouvellement de stratégie et l’amélioration des tactiques militaires jusqu’ici employés pour lutter contre la guérilla, en remettant en cause les compétences des dirigeants de l’armée. Ainsi Önder Aytaç, un instructeur de l’Académie de police d’Ankara, prône une plus grande initiative laissée aux corps de police et dénonce le manque de coordination entre les services de renseignements en Turquie. Prenant le contrepied du discours officiel de l’armée selon lequel la cause des pertes turques venaient de tirs lancés de l’autre côté de la frontière, il affirme que l’assaut d’Aktütün pourrait aussi bien avoir été mené par des unités du PKK opérant de l’intérieur : « Ils étaient équipés d’armes lourdes, ce qui signifie qu’ils ont eu besoin de véhicules ou de chevaux pour porter ces armes. Il est hautement probable que cette attaque ait été menée par des terroristes du PKK basés en Turquie. Et si ces terroristes ont infiltré la Turquie à partir du nord de l’Irak, la situation est encore plus grave. » Et Önder Aytaç d’ajouter que plusieurs responsables, allant du commandant militaire du poste-frontière au directeur de la police du département, devraient être relevés de leurs fonctions si une telle attaque devait se reproduire.

Selon ?hsan Bal, de l’Organisation internationale de recherches stratégiques (USAK), basée à Ankara, c’est également la coordination et une coopération entre la gendarmerie, les gardes-frontières et la police qui font défaut. Il réclame par conséquent qu’une plus grande autorité soit accordée au ministre de l’Intérieur. Mais pour Nihat Ali Özcan, un analyste de la Fondation de recherche en économie politique (TEPAV), spécialisé dans les questions sécuritaires, des mesures dans ce domaine ne peuvent résoudre que très partiellement le problème : « Ce n’est pas normal d’avoir 6000 hommes en armes dans les montagnes. Si vous persistez à traiter cette situation comme étant normale, alors vous ne parviendrez à aucun résultat. Vous devez mettre en place des objectifs politiques, développer des stratégies et y mettre les moyens nécessaires, en temps et en argent, pour appliquer ces stratégies. »

Mais de nombreux éditoriaux dans la presse turque soulignent, au contraire, que la question kurde en Turquie ne peut plus être considérée sous un aspect uniquement militaire ou sécuritaire, mais qu’il a une dimension « politique, culturelle, internationale, psychologique et sécuritaire » (Ak?am, 5 octobre).

Enfin cette affaire, qui survient un an après la très controversée attaque de Da?l?ca, à propos de laquelle le journal Taraf avait déjà fait état de zones d’ombres, ravive les suspicions d’instrumentalisation de la violence par « l’Etat profond », alors que se poursuit le procès de l’Ergenekon. Le même journal a publié et diffusé sur son site des images infrarouges aériennes. Ces images, prises d'un drone, montrent clairement un groupe de combattants venant poser des mines dans le secteur près de trois-quarts d’heure avant le déclenchement de l’assaut. Puis, alors que les unités du PKK se font de plus en plus importantes, certains prennent position au sommet des collines, étant bien en vue des caméras du drone. Quant à l’assaut il a été entièrement filmé de la même façon. Taraf en conclut que les forces de sécurité turques ne pouvaient ignorer aucun des mouvements du PKK avant et pendant les combats, puisque ces images ont été transmises directement, durant plusieurs heures, à l’état-major. De plus, le journal publie des rapports de sécurité envoyés à ce même état-major l’avertissant de l’imminence d’une attaque, rapport où figurent même les noms, âges et date de naissances des combattants du PKK prévus pour l’opération.

Enfin le journal conteste ouvertement les propos du porte-parole de l’état-major, Hasan I?s?z, qui, lors de sa conférence de presse avait affirmé qu’une troupe de soldats et des gardes s’étaient déployés avant l’attaque et que des avions de guerre F-16 étaient venus en renfort. Or les informations rapportées par Taraf montrent que les renforts en soldats ne sont venus que plus tard et que seuls deux hélicoptères Cobra étaient intervenus en forces aériennes. Hasan I?s?z avait également affirmé que Bayraktepe, une colline proche du poste, n’avait jamais été prise par le PKK, tandis que les renseignements publiés par Taraf indiquent que la guérilla a pris et tenu ce sommet 8 heures durant avant de se replier.

Faisant le parallèle avec l’attaque de Da?l?ca survenue l’année dernière, Taraf fait la liste des mêmes manquements militaires ayant abouti aux mêmes pertes : dans les deux cas, l’armée avait été informée de l’imminence d’une attaque, 9 jours avant, dans le cas de Da?l?ca, 10 jours pour celui d’Aktütün. Pour l’assaut d’octobre 2007, l’enquête avait plus tard établi que la guérilla avait, durant toute une semaine, infiltré la Turquie avec de petits groupes et des mules, mouvements qui avaient été observés par l’armée, comme en a fait état l’enregistrement des communications entre les officiers et les soldats. Dans les deux cas, se pose la question de la lenteur des forces militaires à réagir en fonction des renseignements fournis. Enfin, dans ce même journal, Avni Özgürel voit dans la guerre contre le PKK un intérêt vital pour l’armée, en plus de lui permettre de garder une grande emprise sur la vie politique du pays : « Les revenus de l’héroïne ont été utilisés pour financer la guerre contre le PKK. Du Sud-Est à Edirne, l’héroïne est transportée dans des convois de véhicules militaires blindés. Ceux qui participent à ce trafic se disent : « Pourquoi devrais-je mettre ma vie en danger dans les montagnes face au PKK? Voire infiltrer le PKK pour recueillir des renseignements pour le compte du JITEM? Je préfère partager les gains de l’héroïne, m’enrichir et former un gang. »

La poursuite de la guerre ne profite pas qu’aux trafiquants de drogue. Elle permet surtout à l’armée de justifier son budget et ses effectifs démesurés et de maintenir sa tutelle sur la vie politique du pays, au nom de la « défense de la patrie en danger ». La guerre contre le PKK permet également de brandir constamment la menace d’une intervention militaire au Kurdistan irakien, prenant ainsi en otage la population kurde irakienne et ses institutions démocratiques.

A cet égard, il est très symptomatique que la tuerie d’Aktütün soit intervenue quelques jours avant la date d’expiration de l’autorisation donnée à l’armée d’intervenir au-delà des frontières. Nombre d’observateurs se demandent si l’armée n’a pas délibérément tendu un piège au PKK en lui offrant une proie facile afin, dans l’émotion de l’opinion publique suscitée par la mort des soldats turcs, de faire adopter par le Parlement la prolongation de son autorisation d’intervenir.

Comme en témoigne le procès d’Ergenekon, l’histoire turque récente fourmille de ce genre de coups tordus et de manipulations.

Dans ce climat de malaise et de suspicions, au cours d’une réunion de crise rassemblant des membres de l’état-major et du gouvernement, les militaires ont présenté, dans un rapport préparé par le commandement du Second corps de l’armée, basé à Malatya, une version des faits qui lave l’armée de toute défaillance dans la défense et la sécurité. Le général Ilker Ba?bu? a ainsi démenti les propos du journal Taraf, en affirmant par exemple, que les images infrarouges publiées ne provenaient pas d’Aktütün et qu’elles montraient un groupe localisé à 125 km du poste. Indiquant aussi qu’il s’agissait d’images venant d’appareils américains, le Premier Ministre Recep Tayyip Erdo?an a demandé au ministre des Affaires étrangères Ali Babacan de prendre contact avec les responsables américains pour en déterminer l’origine et expliquer comment elles avaient pu se trouver en possession du journal Taraf. Après l’exposé, les nombreuses questions posées par les ministres montrent que ces derniers se sont montrés insuffisamment convaincus par cet exposé des faits.

La réunion portait aussi sur les mesures proposées pour lutter contre le PKK, parmi lesquelles des pourparlers directs avec les autorités du Gouvernement régional du Kurdistan.

DEBUT DE DIALOGUE ENTRE ANKARA ET ERBIL

Le 14 octobre une rencontre « tripartite » a eu lieu à Bagdad, avec le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, le président de l’Irak Jalal Talabani et le Premier Ministre Nouri al-Maliki et une délégation turque qui avait à sa tête Murat Ozçelik, le représentant spécial de la diplomatie turque pour l'Irak. C’est la première rencontre « officielle » entre la Turquie et le Gouvernement régional du Kurdistan. Jusqu’ici, le gouvernement d’Ankara s’était toujours refusé au moindre geste politique pouvant induire une reconnaissance officielle de la Région kurde, et persistait à ne vouloir passer que par Bagdad, notamment pour résoudre la question des bases du PKK, installées dans les monts Qandil. La presse turque présente volontiers cette rencontre, qui a duré deux heures, comme un moyen d'amener les Kurdes d'Irak à agir contre le PKK sur leur sol, mais Murat Özçelik est resté bien plus évasif, en parlant « d'action décisive à prendre pour contrer la menace terroriste du PKK » sans en dire davantage et aussi de l’ouverture dune « nouvelle page » dans les relations entre Erbil et Ankara. Tout aussi concis, Fuad Hussein, le directeur de cabinet de Massoud Barzani, a parlé d'entretien « positif et constructif ». Les Etats-Unis, qui poussaient depuis longtemps à une prise de contacts directs entre leurs deux principaux alliés au Moyen-Orient se sont naturellement félicité de cette rencontre.

De retour au Kurdistan, commentant la discussion, Massoud Barzani l’a lui aussi qualifiée de « page nouvelle » et de « chemin ouvert pour le dialogue » : « Avant, la Turquie refusait toute sorte de contacts avec nous. A présent, Ankara a fait un pas pour améliorer ses relations avec nous, ainsi qu’avec le gouvernement de Bagdad. Cette rencontre a été un début. Un début pour trouver des solutions positives aux problèmes qu’il y a entre nous. »Le président kurde a confirmé la tenue ultérieure d’autres rencontres, sans donner un agenda précis, en indiquant simplement que cela se ferait « ici et en Turquie ». Il a également nié que les conversations aient porté exclusivement sur le PKK, même si ce sujet sera de nouveau abordé entre les deux parties. Propos confirmés par le Premier ministre de la Région du Kurdistan, Nêçirvan Barzanî : « Nous ne voulons pas que nos relations se cantonnent uniquement au problème du PKK. Nous voulons nouer des liens étendus avec toutes les régions. » Le Premier Ministre a confirmé que d’autres rencontres sont prévues, mais non encore fixées dans le temps. Il a aussi révélé avoir eu des entretiens avec Murat Özçelik à Londres au mois de juillet dernier afin de planifier cette rencontre avec Massoud Barzani.

Ce changement ouvert d’attitude survient alors que l’armée turque, affaiblie par l’attaque du poste d’Aktütün, doit répondre de sa stratégie à la fois devant l’opinion publique et auprès du gouvernement. Dans une conférence de presse, le général Ilker Basbug a ainsi appelé publiquement au dialogue : « Il faut dialoguer avec le président de la Région du Kurdistan pour mettre fin à la violence. Au vu de cette question, les efforts sont positifs. » Le général a aussi souhaité des « solutions démocratiques pour la question kurde », en expliquant que les réponses militaires ne résoudraient rien et n'empêcheraient pas les jeunes de partir dans la guérilla. Il a également émis le souhait que des programmes en langue kurde soient émis le plus tôt possible sur les télévisions turques.

Le journal turc Milliyet, reprenant un article du journal kurde Kurdistani Nuwe, a même annoncé qu’après sa prochaine visite à Bagdad, le président turc Abdullah Gül se rendrait à Erbil, où il devrait inaugurer l’aéroport de la capitale régionale kurde. Cette annonce n’a pas été formellement confirmée par l’entourage du président turc, qui, s’il ne nie pas qu’un prochain déplacement dans la capitale irakienne est prévu, indiquent que la date et l’éventualité de se rendre à Erbil sont toujours en discussion : « Il n’y a pas de visite prévue à Erbil ou au nord de l’Irak » a répondu de même Burak Özügergin, le porte-parole du ministre des Affaires étrangères. « Il est trop tôt pour cela. Cela n’a pas été discuté »

TURQUIE : LES ATTEINTES A LA LIBERTE D’EXPRESSION DENONCEES PAR LES INTELLECTUELS

Alors que la Turquie était l’invitée cette année de la Foire du livre de Francfort, plusieurs intellectuels, écrivains et éditeurs en Turquie en ont profité pour dénoncer les atteintes à la liberté d’expression et de publication auxquelles ils doivent toujours faire face dans leur pays. L’écrivain Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2006, a ainsi déclaré, lors de la cérémonie d’inauguration, à laquelle assistait aussi le président turc Abdullah Gül : « L'Etat turc continue malheureusement à punir des écrivains et à interdire des livres. Sur la base de l'article 301 du code pénal turc, avec lequel on essaie d'intimider des écrivains comme moi, des centaines d'auteurs et de journalistes sont traînés en justice et condamnés. »

Orhan Pamuk a aussi rappelé les interdictions multiples visant des sites Internet, comme Youtube, émanant de juges qui ont le pouvoir de bloquer l’accès de tout un pays à des plates-formes du WEB parmi les plus utilisées mondialement.

Répondant à l’écrivain, Abdullah Gül a affirmé que « la Turquie remplissait désormais en grande partie les exigences européennes en matière de liberté d'expression et de respect des différences culturelles », avant d’ajouter que le « succès n’était pas complet » et qu’il restait « beaucoup à faire. » Le président turc a tenu à remercier Orhan Pamuk pour sa « contribution à la reconnaissance culturelle de la Turquie »

Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a reconnu lors de cette même cérémonie que « la Turquie a encore du chemin à faire. Mais il faut la soutenir. Je ne peux pas imaginer de réussir la politique d'intégration en Allemagne sans intégration européenne de la Turquie.

Mais d’autres voix dissidentes se sont exprimées avec plus de sévérité envers la Turquie. Ainsi l’opposant turc Ali Ertem, qui vit en Allemagne, a interpellé les intellectuels de son pays afin qu’ils s’opposent aux persécutions dont sont victimes les citoyens non turcs de la Turquie, dont les Kurdes. « Aujourd’hui l’Etat turc nie les crimes commis contre l’humanité, dans son histoire proche, et maintenant il emploie toute sa force pour faire disparaître la culture kurde. Les défenseurs de la paix et de la démocratie, les écrivains, les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme comme Musa Anter, Hrant Dink, Ak?n Birdal ont été victimes d’assassinat, ont été emprisonnés, ont été empêchés de s’exprimer librement. Le dernier exemple est l’interdiction, il y a quelques jours, du journal Taraf. Des dizaines d’intellectuels sont poursuivis au titre de l’article 301 du code pénal turc, en raison de leurs opinions. Tout comme l’interdiction de la langue kurde dans la vie administrative : L’enseignement en langue kurde est empêché, l’utilisation des sons comme ‘X’, ‘Q’ et ‘W’ est bizarrement interdit dans les textes. »

Un incident a d’ailleurs eu lieu durant le salon, des nationalistes turcs s’en prenant violemment à un stand kurde qui arborait le drapeau kurde et une carte du Kurdistan.

La dénonciation de la censure bloquant Youtube, Wordpress ou Dailymotion n’a pas empêché, le 20 octobre, la justice turque de fermer soudainement le site Blogger, soit le plus grand hébergeur de blogs au monde. La décision a été prise par la 1ère Chambre criminelle de Diyarbakir, sans que les raisons en soient, dans un premier temps, indiquées. Il s’agissait en fait d’un problème de droits de diffusion de rencontres de football, droits détenus par la chaîne de télévision Digitürk. Plusieurs bloggeurs ayant publié sur leur site les résultats des match et des images des rencontres, Digitürk a porté plainte. La cour de Diyarbakir a ainsi ordonné la fermeture de l’accès à l’ensemble des blogs. De nombreux bloggeurs turcs, excédés, ont manifesté leur mécontentement en créant un site commun, Sansuresansur.com, qui permet de contourner le blocage. Devant la publicité faite autour de cette interdiction, Blogger a pu rapidement être de nouveau accessible en Turquie. Mais Reporters sans frontières, qui réclame depuis plusieurs mois la levée de l’interdiction contre Youtube, s’est indigné contre cette mesure subite et disproportionnée : « Ni notifications aux utilisateurs, ni assignations à comparaître ! Les blogs hébergés sur cette plateforme ont été fermés par surprise. Il ne s’agit pas seulement d’une question de droits d’auteurs et de piratage. Cette décision est encore un exemple qu’en Turquie, des sites sont fermés entièrement en raison de la publication d’un seul contenu problématique sur un blog isolé. »

L’ONG a réclamé l’abrogation de la loi 5651, adoptée le 4 mai 2007 qui prévoit le blocage des sites Internet contraires à la loi 5816 (datant, elle de 1951 et condamnant les « délits contre Atatürk », l’incitation au suicide à la pédophilie, aux abus sexuels et à l’usage de stupéfiants).

« Suite à ces blocages abusifs successifs, nous avons la preuve que cette loi est la source principale de la détérioration de la liberté d’expression sur Internet. De plus, les fournisseurs d’accès doivent eux-mêmes bloquer l’accès aux sites qui vont à l’encontre de la loi, les rendant complices de la censure. Nous demandons la révision de la loi 5651 dans les plus brefs délais. Plutôt que de bloquer un site dans son intégralité, seul le contenu jugé « sensible » doit faire l’objet d’un litige », a déclaré Reporters sans frontières, qui a classé la Turquie au 102e rang de la liberté de la presse en 2008.

MOSSOUL : LES CHRETIENS FUIENT EN MASSE

Le débat sur l’adoption de la loi pour les futures élections provinciales n’a pas faibli ce mois-ci, au sujet de l’abrogation dans la loi électorale de l’article 50 qui garantissait des sièges aux minorités ethniques et religieuses. Les protestations sont toujours aussi vives de la part des groupes minoritaires concernés, comme les Yézidis et surtout les chrétiens, en butte à de récentes et meurtrières attaques dans la ville de Mossoul. Dès septembre, le représentant de l’ONU en Irak, Staffan de Mistura a appelé à la réintégration de cet article dans la constitution irakienne, et les minorités irakiennes ont aussi été relayées par le Gouvernement régional du Kurdistan.

A Telkif et au temple yézidi de Lalesh, les représentants de l’ONU, dont Staffan de Mistura, ont donc rencontré des délégations chrétiennes et yézidies. « La délégation de l’ONU a rencontré les directions des unités administratives. Ils ont discuté des moyens d’accorder des droits équitables aux minorités religieuses au moyen de l’article 50 » a résumé Dirman Sleman, le chef du Conseil provincial de Telkif. « La rencontre a porté principalement sur la requête que tout le peuple irakien soit représenté proportionnellement à la population, dans la loi sur les élections provinciales. » Le prince Tahsin Beg, chef des Yézidis, a indiqué qu’ils avaient souligné l’importance, auprès de l’ONU, des quotas de représentation, en estimant que la délégation de l’ONU leur avait fait part de sa « compréhension » concernant leur prise de position. Andrea Kilmer, l’adjoint de Staffan de Mistura a affirmé dans une conférence de presse que les Nations Unies « feront de leur mieux » pour garantir les droits des minorités en Irak et tout particulièrement ceux des Yézidis et des chrétiens.

Le Conseil spirituel des Yézidis a déjà émis une déclaration diffusée dans leurs centres culturels et religieux : « Au nom de tous les Yézidis, nous demandons et insistons pour la réinsertion de l’Article 50 dans la loi sur les élections provinciales ainsi que sa révision pour garantir une représentation équitable des Yézidis de Ninive. » Selon ce Conseil, la population yézidie s’élèverait dans cette province à 450,000 principalement à Sindjar, Shekhan, Telkif, et Bashiqa. Les Yézidis demandent aussi à l’ONU et au Conseil de présidence irakien le respect de leurs droits et d’être considérés comme une des composantes du peuple irakien.

Dans la Région du Kurdistan, ainsi que dans les zones protégées par les forces kurdes, les chrétiens, en plus de manifester contre l’abrogation ont également réclamé une autonomie dans leurs zones de résidence. « Nous manifesterons et protesterons jusqu’à ce que nous obtenions les droits à l’autonomie pour les chrétiens dans nos districts ainsi qu’une représentation religieuse équitable pour les minorités” » a ainsi déclaré Djamil Zeito, qui dirige le Conseil public des Syriaques-Chaldéens. Des milliers de chrétiens ont ainsi pris part aux manifestations, dans les villes d’Al-Qosh, Tel-Saqif, Qarqush, et à Duhok.

Le Gouvernement régional du Kurdistan a réitéré son soutien aux minorités. Le président du Parlement d’Erbil, Adnan Mufti a qualifié la suppression de l’article 50 d’anticonstitutionnelle : «  Le Parlement du Kurdistan soutient la demande des chrétiens et des autres composantes ethniques et religieuses concernant la loi sur les élections provinciales. La constitution régionale du Kurdistan reconnaît davantage les droits des minorités que la constitution fédérale de l’Irak. Au Kurdistan, les minorités participent au processus démocratique et jouissent de tous leurs droits civils, culturels et administratifs. » De son côté, Nêçirvan Barzanî, le Premier Ministre de la Région kurde, a déclaré « soutenir pleinement » la réintégration de l’Article 50 dans la constitution irakienne : « Nous devons garantir les droits des communautés minoritaires de sorte qu’elles aient une représentation dans notre gouvernement. Dans un nouvel Irak, fondé sur les principes du fédéralisme, de la démocratie et du pluralisme, nous ne devons pas permettre que de petits groupes de citoyens se sentent aliénés ou séparés. Nous devons toujours nous rappeler que notre gouvernement doit servir son peuple et n’existe que pour protéger ses droits et promouvoir leur bien-être. Dans la Région du Kurdistan, nous avons été vigilants afin de protéger les intérêts de toutes les minorités, et c’est une des raisons pour lesquelles les citoyens de toutes religions et ethnies y vivent en paix. »

Les protestations et les craintes des minorités religieuses de se voir marginalisées de la vie politique irakienne s’inscrivent dans un contexte sombre pour les chrétiens de Mossoul qui, dans le même temps, ont dû faire face à une vague d’assassinats, de menaces, d’intimidations et de chantage, de la part de groupes obscurs, qui semblent s’être donnés pour mission d’éradiquer toute présence non arabe et non musulmane à Mossoul. C’est ainsi que près de 300 chrétiens ont dû fuir la ville en quelques jours. Dès le 10 octobre, l’archevêque de Kirkouk, monseigneur Louis Sako, dénonçait, au sujet de plusieurs attaques, une « campagne de liquidations » contre les chrétiens du pays : « Nous sommes la cible d'une campagne de liquidations, une campagne de violences aux objectifs politiques ». Ces attaques ne sont pas les premières, et ne seront malheureusement pas les dernières. Il a aussi dénoncé l’inertie du gouvernement de Bagdad devant ces exactions : "Nous avons entendu beaucoup de paroles du Premier ministre Maliki, mais cela ne s'est malheureusement pas traduit dans les faits. Nous voulons des solutions, pas des promesses. »

De fait, le Premier ministre chiite, Nouri Al-Maliki, s’il a condamné les meurtres et les actes d’intimidation contre les chrétiens, n’a pas fait état de mesures précises concernant la protection de la population. L’indifférence des autorités irakiennes est durement pointée par monseigneur Rabban Al-Qas, évêque d’Erbil et d’Amadiya, dans un appel lancé sur Asia News : « Ce qui se passe à Mossoul aujourd'hui est précisément le résultat de l'immobilisme de l'Etat ainsi que d'une mentalité tordue, fanatique et fondamentaliste. Cette tragédie - qui rappelle la situation des chrétiens aux premiers siècles - a débuté immédiatement après la chute de Saddam Hussein en 2003. Des milliers de chrétiens et de musulmans kurdes ont été chassés, tués, enlevés, obligés de quitter Mossoul. A présent, il reste moins d'un quart de la population chrétienne de Mossoul. Les menaces, les représailles, les discriminations, le chantage, la propagande islamiste dans les écoles, les slogans sur les murs ont amené même les musulmans modérés à cesser de défendre leurs frères chrétiens contre l'intolérance. Auparavant, leurs maisons étaient ouvertes aux chrétiens. Maintenant, par crainte du fanatisme et du terrorisme, ils n'osent même plus montrer qu'ils ont des amis ou des connaissances parmi les chrétiens. Ce qui se passe ces jours-ci est le résultat d'un long silence de la part du Premier Ministre et du gouvernement de Bagdad, qui se sont montrés incapables de stopper la vague de violence contre les chrétiens. Ce qui se passe ces jours-ci est de leur responsabilité, sans oublier la responsabilité des forces américaines et des représentants des Nations Unies. »

Devant l’urgence de la situation, douze évêques chaldéens se sont réunis à Erbil avec le nonce du Vatican, le 29 octobre. De leur côté, dès le milieu du mois, le parlement kurde a tenu une session extraordinaire pour débattre de la situation à Mossoul et du sort des chrétiens fuyant la ville. Il a été décidé aussi d’envoyer une délégation du GRK sur place, afin de rendre compte des besoins de cette population menacée. Le Parlement a alloué 100 millions de dinars irakiens pour venir en aide aux réfugiés et le Gouvernement régional du Kurdistan a fait une déclaration condamnant les agissements des terroristes et demandé « à tous les ministères, départements et organisations concernés de porter assistance aux victimes autant qu’il leur est possible.

Dans un reportage du Kurdish Globe, daté du 16 octobre, Romeo Hakkari, le secrétaire général du Parti démocratique Bet-Nahrain, un parti chrétien, après une visite d’inspection auprès des familles réfugiées en hâte dans les alentours de Mossoul où la population est majoritairement chrétienne, faisait état de 14 chrétiens tués depuis le début du mois et de 1400 familles déplacées, trois maisons chrétiennes détruites, et d’un grand nombre de blessés. Pour Romeo Hakkari, il s’agit d’un plan visant à chasser tous les chrétiens de Mossoul, et le secrétaire général accuse ouvertement les groupes islamistes et les anciens membres du Baath. « Beaucoup de familles chrétiennes ont reçu des menaces directes afin qu’elles quittent Mossoul, ou bien indirectement, sur leur téléphones portables. » Romeo Hakkari ajoute que même après leur départ, ces chrétiens ont continué de recevoir des menaces par téléphone, afin de les dissuader à jamais de rentrer chez eux.

Interrogés par les journalistes du Kurdish Globe, les réfugiés confirment l’absence de réaction des autorités de Mossoul. « Nous avons quitté Mossoul sous les yeux de la police irakienne » accuse Samil Georges, un chrétien de la ville, qui a fui trois jours auparavant avec sa famille. Selon lui, il se peut même que certains policiers aient pris part, en sous-main, à ces actions visant à chasser les Assyro-Chaldéens. Réfutant les allégations d’un député arabe du Parlement de Bagdad, Osama Al-Nadjifi, de la Liste nationale irakienne, accusant les Kurdes d’être à l’origine de ces exactions, le père Zaya Shaba, un prêtre de la ville de Shaqlawa, dans la province d’Erbil, qui abrite de nombreux réfugiés, arabes musulmans ou chrétiens rétorque : « Au Kurdistan, le gouvernement kurde nous construit des églises, alors qu’au centre de l’Irak et à Mossoul, des extrémistes font exploser les églises. » Le père Shaba rappelle par ailleurs que les attaques antichrétiennes ne sont pas une nouveauté et se perpétuent depuis longtemps à Bagdad ou à Basra.

S’exprimant officiellement sur le site du Gouvernement kurde, le Premier Ministre Nêçirvan Barzanî expose ainsi la situation et les forces en présence : « Les terroristes qui étaient derrière les attaques et le déplacement des chrétiens à travers l'Irak ont poursuivi et étendu leur campagne de terreur à Mossoul. Les chrétiens qui ont fui Mossoul ne viennent pas seulement d'un ou deux districts de la ville de Mossoul, ils viennent aussi de 52 districts distincts des régions alentour. Il y a eu beaucoup de victimes à Mossoul. Des milliers de Kurdes ont été tués en raison de leur ethnie, ce qui a eu pour conséquence de chasser des milliers de familles. La ville de Mossoul est devenue aujourd'hui un refuge pour beaucoup d'organisations terroristes et des membres de l'ancien régime du Baath. Le soi-disant « Etat islamique » par exemple est devenu une organisation parapluie sous laquelle tous ces terroristes opèrent. Il est vrai que la plupart de ses membres sont arabes, mais les groupes comprennent aussi des Turkmènes et des Kurdes. Ajoutons à cela qu'il y a même des chrétiens qui sont d'anciens membres du régime du Parti Baath, qui se qualifient eux-mêmes de « résistance », qui luttent activement contre le gouvernement actuel et les Forces de la Coalition. Les terroristes ont recruté des soutiens parmi un mélange de groupes ethniques et religieux, afin de semer le doute, la crainte et les tensions parmi les gens de Mossoul. C'est une tactique terroriste classique. »

Réfutant ironiquement les accusations lancées par le député Osama Al-Nadjifi et relayées par une certaine presse hostile aux Kurdes, le Premier Ministre rétorque que les intérêts des Kurdes et des chrétiens, ainsi que des autres minorités de Mossoul, sont au contraire liés dans la région, et que les Kurdes ont tout à perdre de cette épuration ethnique et religieuse : « En ce qui concerne les intérêts nationaux kurdes, la présence de Kurdes yézidis et shabaks et de chrétiens dans la ville de Mossoul est importante pour les chiffres proportionnels de la population lors des prochaines élections provinciales. Dans ce cas, comment est-il logiquement possible que les Kurdes essaient de diminuer le nombre de chrétiens dans la ville et de donner aux Arabes la majorité parmi la population ? Ceux qui ont accusé les Kurdes de chasser les chrétiens et les autres hors de Mossoul sont les mêmes qui ont auparavant accusé les Kurdes de politique expansionniste à Mossoul et dans d'autres régions. Maintenant ces accusateurs ont complètement changé leurs assertions, en disant que les Kurdes chassent les chrétiens et les Kurdes yézidis et shabaks. Les Kurdes, politiquement, ont le plus à perdre de ces incidents, puisque la proportion des Arabes augmente. »

VAGUE D’EMEUTES EN TURQUIE

Une série d’émeutes a agité la Turquie ce mois-ci, déclenchées par divers incidents, en apparence insignifiants, mais tous au cœur de la question kurde dans le pays. Ainsi, en début de mois, des émeutes antikurdes ont éclaté dans la ville d’Altinova, près de la mer Egée, après une altercation qui avait fait deux victimes turques, tuées par un Kurde. Environ 48 personnes ont été interpellées, selon les autorités locales et 18 d’entre elles doivent comparaître devant un juge.

L’origine de ces affrontements ne tient qu’à un fait divers. Lors d’une querelle, un Kurde a renversé avec sa camionnette, deux Turcs tués sur le coup. Il a été immédiatement arrêté, mais après les obsèques, plus de 3000 personnes ont défilé en brandissant des drapeaux turcs au cri de « Altinova nous appartient ». Les émeutiers s’en sont pris alors à des boutiques tenues par des Kurdes, les attaquant à coups de pierre. Au-delà de ce fait divers, les raisons de ces tensions interethniques peuvent s’inscrire aussi dans la vague d’indignation nationaliste qui a suivi l’attaque du poste frontière d’Aktütün et les appels à la vengeance après la mort de 17 soldats turcs.

Deux semaines plus tard, c’est à l’est du pays qu’éclataient une série de violentes manifestations, après que les avocats d’Abdullah Öcalan, le leader du PKK, aient affirmé, le 18 octobre, que leur client avait été bousculé et « menacé de mort » par un de ses gardiens. Le 20 octobre, durant un meeting du DTP à Dogubeyazit, des manifestants se sont heurtés aux forces de l’ordre, faisant un mort et des douzaines d’arrestations. Le 25, des heurts avec la police se sont produits à Van et 7 personnes ont été arrêtées. Le 26 octobre, à Gaziantep, la police a usé de gaz lacrymogènes et procédé à une dizaine d’arrestations. A Yuksekova, une petite ville près de la frontière irakienne, la police a également utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser la foule.

A Diyarbakir, la capitale du Kurdistan de Turquie, 5000 personnes ont défilé et la police a chargé quand certains manifestants ont commencé de lancer des pierres, arrêtant plusieurs dizaines de personnes.

L’ouest du pays, qui comprend une nombreuse population kurde, déplacée durant la guerre, n’a pas été épargné. A Istanbul des affrontements ont eu lieu dans le district d’Umraniye, et à Kucukcekmece, un centre commercial a été dévasté avec des cocktails Molotov. Les protestations du PKK et de ses sympathisants se sont également multipliées en dehors de la Turquie. Le 21 octobre, des manifestants ont tenté d’incendier l’ambassade turque à Helsinki. 5 suspects arrêtés ont été depuis relâchés. A Beyrouth, des centaines de Kurdes ont manifesté devant les bureaux des Nations Unies le 26 octobre. Le 29 octobre, en Arménie, des défilés ont eu lieu avec les drapeaux arméniens et ceux du PKK.

Bien que le ministre de la Justice, Mehmet Ali Sahin, ait nié ces allégations, elles ont été appuyées et relayées par le parti DTP, en la personne de son leader, Ahmet Türk, qui a, dans une déclaration à la presse, protesté contre les « mauvais traitements » qu’aurait subi Abdullah Öcalan et a réclamé l’envoi d’une délégation, comprenant plusieurs membres de son parti, à Imrali, lieu de détention du leader kurde. Alors que le DTP est menacé d’interdiction et que les prochaines élections vont opposer activement ce parti à l’AKP dans les régions du Kurdistan de Turquie, Ahmet Türk a une fois de plus appelé à la résolution du problème kurde par des moyens pacifiques : « La question kurde est un problème politique et elle ne peut être résolue que par des moyens politiques. La mentalité qui pousse à se dire « si je remporte les élections dans les régions kurdes, si je balaie le DTP de ces mêmes régions, alors j’éliminerai le problème » montre de quelle façon humiliante et irrespectueuse les Kurdes sont considérés. »

Au sujet de la répression policière, Amnesty International a par ailleurs dénoncé la mesure envisagée par le gouverneur d’Adana, de couper l'accès aux soins aux manifestants et à leurs familles. « La réponse des autorités doit être en accord avec les droits de l'homme et ne pas induire de punition collective » a déclaré Andrew Gardner, d'Amnesty International, responsable du département de la Turquie. En Turquie une « carte verte » permet aux familles les plus pauvres d'avoir accès aux soins, très chers, même pour les classes moyennes. Il a été également envisagé de leur couper le charbon, fourni gratuitement par la Fondation de l'assistance sociale et de la solidarité. « Ces mesures pour priver de soins et autres aides les enfants soupçonnés d'avoir participé aux manifestations, ainsi que leur famille sont une forme de punition collective et violent le droit de la personne aux soins et à un niveau de vie décent, sans aucune discrimination », ajoute Andrew Gardner. « Plutôt que de violer les droits de l'homme, les autorités turques doivent s'assurer que leurs réponses aux manifestations sont compatibles avec leurs obligations de respecter et de protéger les droits de l'homme à l'intérieur de leurs territoires. »

Cette série d’incidents montre surtout le fossé grandissant entre les populations kurde et turque, la première étant stigmatisée comme « complice du terrorisme ». Quant aux Kurdes, selon Sezgin Tanrikulu, le président du barreau de Diyarbakir, leur confiance en des solutions pacifiques et démocratiques ne fait que s’effriter. Dans les villes kurdes, les célébrations du 29 octobre, date anniversaire de la fondation de la république turque, ont été largement boycottées par les mairies DTP. Les maires de Diyarbakir, ?irnak, Tunceli, Cizre et Hakkari n'ont ainsi organisé aucune manifestation, afin de protester ouvertement, comme Kazim Kurt, le maire de Hakkari, contre la future interdiction de leur parti.

IRAK : LES DIFFICILES NEGOCIATIONS DU « SOFA »

Plusieurs rencontres entre les Kurdes d’Irak et des responsables américains, ainsi que la visite de Massoud Barzani à Washington, ont porté principalement sur le « SOFA » (Status of Forces Agreement). Un accord doit en effet permettre aux Etats-Unis de maintenir une présence militaire à long terme en Irak, après que le mandat de l’ONU ait expiré, soit le 31 décembre 2008. Mais les négociations autour des modalités de l’accord n’avancent guère, en raison des réticences irakiennes.

Dans son fief de Salahaddin, le président de la Région du Kurdistan Massoud Barzani a d’abord reçu le général Raymond Odierno, le commandant des forces multinationales, accompagné d’une délégation. Le Premier Ministre du gouvernement kurde, Nêçirvan Barzanî, était également présent, ainsi que plusieurs responsables du GRK.

En plus des questions liées aux régions réclamées par les Kurdes comme Khanaqin, et de façon plus large, les problèmes de sécurité dans le pays, notamment à Mossoul, l’entretien a surtout porté sur le Pacte de sécurité actuellement débattu entre les Américains et l’Irak, les Kurdes s’y montrant, de toutes les composantes politiques de l’Irak, les plus favorables.

Autre visite éminente à Salahaddin, celle de John Negroponte, le Secrétaire d’Etat adjoint américain, venu lui aussi discuter du pacte et des accords bilatéraux Irak-USA. Auparavant, John Negroponte avait rencontré à Suleïmanieh Jalal Talabani, le président de l’Irak et visité Kirkouk. Dans une conférence de presse commune, Massoud Barzani a de nouveau réitéré son soutien à cet accord.

Le président kurde s’est ensuite rendu à Bagdad pour participer à la réunion du Conseil politique de sécurité nationale durant laquelle les principaux responsables politiques irakiens devaient discuter de nouvelles modalités apportées à l’accord final, alors que les Etats-Unis sont réticents à toute modification. Mais le Premier Ministre irakien, Nouri Al-Maliki a tout de même annoncé qu’il allait soumettre à la Maison Blanche une nouvelle version du SOFA.

De retour, il a déclaré à la presse, dès son arrivée à l’aéroport d’Erbil : «  Nous sommes clairement en faveur de la signature du projet d'accord. Il y a des forces qui soutiennent ce traité, d'autres qui hésitent, d'autres encore qui sont embarrassées et d'autres enfin qui ont peur de déclarer leur position. Nous avons participé dimanche soir à la réunion du Conseil politique de sécurité nationale où nous avons affiché clairement notre position. L'accord comporte beaucoup de points positifs en faveur de l'Irak. Il a été décidé d'en référer au gouvernement et au Parlement et chaque partie est libre de donner sa position. L'alternative en cas de rejet est inquiétante : cela signifie soit la continuation de la situation actuelle quand un officier américain a les prérogatives pour arrêter tous les ministres, soit les Etats-Unis quittent l'Irak et renoncent à leurs engagements envers notre pays. Nous avons toujours déclaré notre opposition à tout accord qui viole la souveraineté du pays mais la dernière version de l'accord proposée par les Américains prend en compte cette souveraineté. »

Une semaine plus tard, Massoud Barzani s’envolait pour Washington afin de discuter avec les responsables américains de ce même accord, alors que le camp irakien, et notamment les chiites, se montrent réticents. « La question de l'accord stratégique a été le thème principal de la rencontre », a déclaré le président à la presse, après son entretien avec Condoleeza Rice, avant d’ajouter que l’accord avait été discuté « en détail. »

Le président George Bush a indiqué avoir reçu du gouvernement irakien plusieurs demandes de modification et en avoir discuté avec Massoud Barzani, sans que leur teneur ait été révélée à la presse. Il a reconnu que le président kurde était un défenseur actif de cet accord. Condoleeza Rice, comme George Bush, se sont déclarés confiants sur le fait que l’accord puisse être signé avant la fin de l’année 2008, mais ce n’est pas un sentiment unanime au sein de l’administration américaine. L’expiration du mandat, si le SOFA n’était pas signé, ôterait toute légalité à la présence militaire des USA en Irak, ce qui entraînerait la suspension de toute opération armée, et le cantonnement des soldats dans leurs casernes. « Les avancées en matière de sécurité qui ont été accomplies commenceront de se défaire, car nous n’aurons plus de mandat légal pour opérer », estime ainsi le porte-parole du Pentagone, Geoff Morrell.

Une autre solution, qui serait d’obtenir de l’ONU qu’elle reconduise ce mandat, nécessiterait d’obtenir l’accord de la Russie et de la Chine, qui pourraient y apposer leur veto.

AINSI QUE...

MORT D’UN MILITANT TURC SOUS LA TORTURE

Un militant d’extrême-gauche, Engin Ceber, est mort à l’hôpital le 10 octobre des suites des tortures subies après son arrestation le 28 septembre dernier. Il était âgé de 29 ans. Dès l’annonce de sa mort, Amnesty International a demandé une enquête complète, relayé par de nombreuses ONG turques : « La mort d’Engin Ceber est une nouvelle preuve que les actes de torture et les mauvais traitements sont monnaie courante dans les lieux de détention en Turquie.  »

Cette affaire relance la question de la torture en Turquie dans l’ensemble de son appareil policier, judiciaire et même pénitentiaire car Engin Ceber aurait en effet subi des sévices tant de la part des gendarmes et des policiers que lors de sa détention, ce qui renvoie aux plus mauvais jours des prisons turques, notamment après le coup d’Etat.

Engin Ceber avait été arrêté ainsi que d’autres militants lors d’une manifestation qui mettait en cause les autorités turques dans une autre affaire, celle de la mort de Ferhat Gercek militant abattu par la police un an auparavant. Selon son avocat, immédiatement après son arrestation, Engin Ceber aurait été déshabillé et passé à tabac, frappé avec des matraques en bois non seulement durant sa garde à vue mais au cours de sa détention provisoire. Hospitalisé le 7 octobre pour des traumatismes crâniens, il a succombé trois jours plus tard.

.Le 14 octobre, le ministre de la justice, Mehmet Ali ?ahin a officiellement présenté ses excuses à la famille du militant, au nom de son gouvernement et de l’État. Il a également annoncé la suspension de 19 fonctionnaires et promis une enquête complète.

Si certains journaux turcs, comme Hürriyet ont salué l’effort de transparence du gouvernement - « C’est la première fois qu’un ministre s’excuse de la sorte » indique le journaliste Ahmet Hakan – d’autres voix, comme celle du père de la victime ne se contentent pas de ce mea culpa et réclament des sanctions plus sérieuses pour les coupables qu’une simple suspension. Cela ne satisfait pas non plus Amnesty International qui a demandé à ce que « les responsables présumés de la mort d’Engin Ceber » soient traduits en justice. L’organisation demande également à ce que les deux autres militants arrêtés le même jour d’Engin Ceber, toujours en détention provisoire dans la même prison Metris à Istanbul ne soient pas soumis aux mêmes actes de torture et soient suivis médicalement.

Malgré les promesses de « tolérance zéro » en matière de torture prises par la Turquie en vue de son adhésion à l’Union européenne, ces pratiques n’ont pas disparu et l’IHD (Association des droits de l’homme en Turquie), a recensé pour l’année 2007 678 plaintes « pour tortures et mauvais traitements infligés par la police et la gendarmerie », ce qui présente tout de même une légère amélioration au vue des années précédentes (708 pour 2006, 825 pour 2005 et 1040 pour 2004).

ERBIL : UNE LOI RESTREIGNANT LA POLYGAMIE ADOPTEE

Le 31 octobre, le Parlement d’Erbil a voté la loi sur le statut de l’individu, qui comprend un certain nombre de différences par rapport aux lois irakiennes, notamment en ce qui concerne la polygamie et le divorce. En 2001, la loi n° 62 votée par le parlement kurde avait déjà interdit cette pratique, sauf dans certaines conditions. Dès le 28 octobre, 200 militantes appartenant à près de 40 mouvements féministes manifestaient devant le Parlement en réclamant l’abrogation totale de la polygamie et l’égalité absolue entre les sexes pour tout ce qui regarde les dispositions matrimoniales et familiales. Mais le 31, la loi adoptée par les députés n’est pas allée jusqu’à l’interdiction, se contentant de limiter fortement le recours à cette pratique. Alors que la religion musulmane admet qu’un homme puisse prendre jusqu’à quatre épouses, la loi du GRK ne tolère qu’un second mariage, uniquement dans les cas avérés de stérilité ou si la femme souffre de maladies sexuellement transmissibles. « Nous n’avons pas réussi à interdire la polygamie, mais nous avons réussi à la limiter strictement », a déclaré à AFP la députée Khaman Zirar. Pour sa part, Laila Abdullah, de l’Union des femmes kurdes regrette ce résultat partiel, en indiquant que son groupe continuera de faire pression sur la classe politique pour parvenir à l’interdiction.

Autre disposition adoptée, une loi autorisant les femmes à divorcer, liberté qui sera stipulée au moment du mariage, comme une des conditions du contrat, signé en présence de deux témoins. Quant à l’âge légal du mariage, il a été fixé pour les deux sexes à 16 ans, après qu’un certificat médical ait établi qu’ils sont aptes physiquement et mentalement à contracter une union, sous réserve de l’accord parental de la future mariée, ou à tout le moins de sa mère si elle est veuve.

LA CONSTRUCTION DU BARRAGE DE HASANKEYF COMPROMISE

L’Allemagne, l’Autriche et la Suisse, principaux soutiens financiers pour la construction controversée du barrage d’Ilisu, qui doit noyer la ville et la vallée de Hasankeyf ont amorcé, après plusieurs avertissements, un processus de retrait du projet turc. Selon le sous-secrétaire du ministre de la Coopération économique et du développement, Erich Stather, les trois pays réunis le 7 octobre ont envoyé une requête ferme au sujet des problèmes d’environnement posés par le projet et auxquels la Turquie n’a apporté que peu de réponses et de garanties. Si Ankara ne satisfait pas dans les 60 jours aux demandes exprimées par les gouvernements européens, ils cesseront de se porter garants pour les sociétés impliquées dans le projet, ce qui aboutirait de fait à un gel du projet. Les ONG qui luttent pour la préservation de la ville de Hasankeyf estiment qu’il est absolument improbable que les conditions exigées pour préserver l’environnement puissent être remplies en deux mois par la Turquie, soit jusqu’au 6 décembre 2008 dernier délai.

Selon Ulrich Eichelmann, de l’ECA Watch Austria, un tel geste est une première dans « l’histoire européenne de l’économie d’exportation ». Heike Drillisch, qui mène de l’Allemagne la campagne contre le barrage d’Ilisu, se félicite de cette décision longuement attendue et assure qu’ils resteront vigilants contre tout compromis de dernière minute avec le gouvernement turc.

Depuis plus d’un an, des experts indépendants n’avaient cessé de souligner le fait que la Turquie ne remplissait pas ses engagements ni les critères internationaux en matière d’environnement et de garanties envers les habitants qui devaient être expropriés. En mars 2007, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse s’étaient portés garants pour les sociétés Andritz AG, Zueblin AG et Alstom., lesquelles avaient pu alors emprunter à plusieurs banques, la banque autrichienne UniCredit, la banque allemande Deka et la Société générale. Le montant total des crédits était estimé à 450 millions d’euros. Le désistement des gouvernements incitera probablement les banques à se retirer à leur tour du projet, surtout dans le contexte de crise actuelle. Ainsi, les contrats avec les sociétés de construction seront eux aussi compromis.

Le maire de Hasankeyf, Abdulyahap Kusen, a exprimé sa satisfaction : « Le probable retrait des Européens est une bonne nouvelle pour les habitants de Hasankeyf et une motivation supplémentaire de poursuivre en Turquie notre lutte, étape par étape, contre le projet. Nous avons réellement une possibilité de sauver notre habitat, avec son patrimoine culturel et naturel, vieux de milliers d’années. »

IRAN : UN MILITANT KURDE CONDAMNE EN APPEL A ONZE ANS DE PRISON

La politique de durcissement contre les militants féministes et des droits de l’homme se poursuit en Iran. Le 23 octobre, la cour d’appel de Téhéran a ainsi confirmé la peine de onze ans de prison infligée à un militant des droits de l'homme et journaliste kurde, Mohammad Sadigh Kaboudvand pour « atteinte à la sécurité nationale » a annoncé à l’AFP son avocate Nasrin Sotoudeh. Son seul tort est en fait d’avoir fondé une organisation de défense des droits de l’homme.

« L’accusation d’atteinte à la sécurité nationale est sans fondement » s’insurge Reporters sans Frontières. Il est absurde de considérer la défense des droits de l’homme comme une atteinte à la sécurité nationale. Ce n’est qu’un prétexte fallacieux pour faire taire un journaliste qui écrivait depuis longtemps sur les discriminations des minorités en Iran. » RSF a également dénoncé l’absence de traitement médical que nécessite l’état de santé du militant kurde. Détenu depuis juillet 2007 dans la prison d’Evin à Téhéran, centre de détention de sinistre réputation, Mohammad Sadigh Kaboudvand souffre de douleurs à la prostate et ne fait l’objet d’aucun soins. Son épouse, Parniz Hassani, a indiqué à RSF qu’elle n’avait pas obtenu l’autorisation de lui rendre visite depuis le 24 septembre dernier.

En juillet dernier, Amnesty International avait publié un rapport alarmant sur les discriminations religieuses et culturelles et les persécutions subies par les minorités, et principalement sur les 12 millions de Kurdes, en Iran.