Le 11 décembre, en début d’après-midi, alors que les musulmans célébraient la fête du Sacrifice (Al-Adha), un attentat s’est produit à Kirkouk, dans un restaurant très fréquenté en cette période de fête. Le bilan s’élève à 55 morts et une centaine de blessés, dont 30 dans un état grave. Selon un serveur, Abbas Fadel, un kamikaze a fait actionner une ceinture d’explosifs dans le restaurant Abdallah, où se rendent en famille toutes les communautés de la ville, kurde, arabe, turkmène, et qui avait fait salle pleine en ce jour de fête musulmane. Le ministère de la Défense irakienne a ultérieurement confirmé la version du témoin.
Certains officiers de police font aussi état de la présence, dans ce restaurant, de membres du Conseil local de Huweija, une bourgade de la province de Kirkouk, qui pouvaient être une des cibles du terroriste. « Il est possible que la présence des membres du Conseil de Huweija ait attiré l’attention de groupes armés, comme ceux d’Al-Qaïda ou Ansar al-Islam », a déclaré à la presse le général de brigade Qader. Selon le dirigeant du Conseil de Huweidja, les salles étaient remplies de femmes et d’enfants : « Après avoir pris notre thé, une énorme explosion a eu lieu. J’ai vu des corps au sol. Comme nous nous sommes précipités hors du restaurant, nous avons vu des civils et des femmes blessés. » Autre cible possible, des chefs de tribus déjeunaient avec des représentants du président d’Irak, Jalal Talabani, afin de discuter des derniers développements politiques de Kirkouk. Mais, se trouvant dans une autre salle, aucun d’entre eux n’a été blessé. En raison de l’affluence, les gardiens du restaurant n’auraient pu procéder à l’entrée à une fouille complète des familles venues déjeuner. En octobre dernier, un membre des forces de sécurité kurde était mort dans une attaque imputée à la rébellion et trois policiers avaient été blessés. En novembre 2008, une bombe avait explosé dans un terrain vague de la ville, tuant deux enfants et en blessant deux autres.
Avec ses 55 tués, ce dernier attentat à Kirkouk dépasse largement le nombre de victimes de l’attentat qui a frappé un marché de Bagdad le 10 novembre dernier (28 morts et des dizaines de blessés) et celui du quartier d’Al-Hourriyah, toujours à Bagdad, qui a causé le 17 juin 2008 la mort de 51 personnes et fait 75 blessés. L’attentat le plus meurtrier de l’année 2008 reste le double attentat-suicide du 1er février, commis dans deux marchés de la capitale irakienne, qui a tué 98 personnes et blessé 208. Le président de l’Irak, Jalal Talabani s’est rendu le jour même dans la ville de Kirkouk. Quant au Gouvernement régional du Kurdistan, il a publié, le 13 décembre, un communiqué pour condamner vigoureusement l’attentat, en le qualifiant d’ « affront à l’humanité, à la démocratie et à la religion. » Le gouvernement kurde a indiqué que, bien que Kirkouk se situe en dehors de la Région du Kurdistan, il avait envoyé des équipes médicales sur place et demandé à tous ses ministres de fournir une assistance si nécessaire. Les hôpitaux de la région ont été préparés à recevoir les blessés. Le gouvernement du Kurdistan a également présenté ses condoléances aux familles des victimes et aux blessés.
Une semaine plus tard, la police retrouvait à Kirkouk le corps décapité de Nahla Hussein al-Shaly, 37 ans, qui dirigeait la ligue féminine du Parti communiste kurde.
Selon la police, les meurtriers ont abattu la victime à l’arme à feu avant de la décapiter. Le porte-parole du Parti communiste, Azad Gaharib, a indiqué que le militantisme féministe de Nahla Al-Shaly en faisait une cible pour les islamistes. Selon le bilan sécuritaire de la police de Kirkouk, pour l’année 2008, 214 personnes ont perdu la vie en raison d’attentats, dont 196 hommes et 18 femmes, et 722 blessées, dont 655 hommes et 67 femmes. 61 ont été enlevées et 11 ont été victimes d’assassinats. La police a recensé également 16 suicides. Parmi les personnes tuées dans ces attaques, on compte 170 civils, un fonctionnaire, 17 policiers, 17 soldats, 3 hommes des forces de sécurité et 6 hommes des forces paramilitaires al-Sahwa. Parmi les blessés, 131 sont des policiers, 36 des militaires, 3 appartiennent aux forces de sécurité et 41 aux milices al-Sahwa. Parmi les victimes civiles, il y a eu 506 blessés. S’ajoutent enfin à cette liste 5 fonctionnaires. Enfin la police a indiqué avoir été alerté 20 929 fois au cours de l’année 2008 pour des faits en relations avec des actes ou des activités terroristes à Kirkouk.
Le 30 décembre, les forces de sécurité kurdes ont arrêté 8 hommes soupçonnés d’appartenir au groupe terroriste Al-Ansar Al-Islam, dans la province de Suleimanieh. « Les forces kurdes de sécurité, en coopération avec d'autres forces de sécurité, ont pu arrêter un groupe de huit terroristes », a annoncé le général Hassan Nouri, qui commande les forces de sécurité de Suleimanieh. « Les membres du groupe sont tous Kurdes et sont liés au groupe terroriste Ansar al-Islam. Ils ont avoué avoir l'intention de perpétrer des attentats. Nous avons confisqué des cartes et des explosifs. » Selon Hassan Nouri, les terroristes projetaient d’utiliser des bombes magnétiques contre des responsables politiques, ainsi que des « produits toxiques ».
TURQUIE : LEYLA ZANA CONDAMNEE A DIX ANS DE PRISON
La Commission des Affaires étrangères de l’Union européenne a adressé ses avertissements au gouvernement turc, après la publication d’un rapport dont les constatations ont été sévères à l’égard du bilan de l’AKP, le parti au pouvoir, concernant la modernisation et la démocratisation du pays. Le rapport pointe notamment l’enlisement presque total des réformes politiques promises par ce parti lors de sa réélection en 2007. “Un signal a été envoyé au gouvernement turc afin qu’il procède à des réformes, lesquelles ont été ralenties ces trois dernières années” a commenté la députée sociale démocrate des Pays-Bas, Ria Oomen-Ruijten, qui a rédigé le document, et qui a déclaré attendre des actes de la part de la Turquie et non des promesses.
Dans ce texte, il est notamment déploré que les efforts initiaux déployés pour réformer la constitution en Turquie (l’actuelle datant du coup d’Etat militaire de 1982) se soient concentrés sur la question du foulard islamique dans les universités. L’Union européenne incite le gouvernement turc à rédiger enfin une nouvelle constitution, qui garantirait les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Il a également demandé que les partis politiques et la société civile, ainsi que les minorités ethniques et religieuses soient étroitement impliqués dans ce processus de réformes.
Le jour même de la publication de ce rapport, le ministre turc des Affaires étrangères, Ali Babacan, en visite à Bruxelles, loin de réfuter ces appels à la réforme, les a au contraire approuvés, en déclarant que son pays avait besoin « d’une révision constitutionnelle en profondeur » : « C’est une réalité et nous devons l’accepter comme telle. Il est impossible à la Turquie de continuer éternellement avec cette constitution. » Pour Ali Babacan, l’absence de toute réforme aggraverait l’instabilité interne du pays.
Mais un autre membre du gouvernement, Cemil Çiçek, l’adjoint du Premier Ministre, s’est défendu dans le journal turc Zaman, en expliquant qu’un changement de constitution avait été rendu “impossible” et évoquant le cas où la Cour constitutionnelle avait annulé un amendement voté au Parlement, qui levait l’interdiction de porter le voile islamique dans les universités. « Le gouvernement voudrait bien changer tous les articles de la Constitution, sauf les quatre articles intouchables, et nous sommes le seul parti prêt à cela. Mais désirer est une chose, et la réalité une autre. » Si l’annulation de cet amendement bloque toute autre réforme, selon Cemil Çiçek, c’est parce qu’il l’a été non pour des raisons de procédure, mais pour sa “substance”. Pour l’adjoint au Premier Ministre, ce précédent ouvre la voie à toute annulation de loi votée au Parlement et limite, en tout cas, les actions législatives du gouvernement : « Changer la constitution est devenu à présent aussi difficile que de déplacer une montagne. » Cette décision de la Cour constitutionnelle, qui date d’octobre 2008, a été fortement critiquée en Turquie, comme une tentative d’empiéter sur les prérogatives du Parlement, et comme un moyen futur de bloquer toute réforme constitutionnelle.
Par ailleurs, sur la question kurde, la Turquie continue de souffler le froid et le chaud, tiraillée entre les promesses gouvernementales de libéralisation et l’activité sourcilleuse de ses juges, toujours enclins à poursuivre et condamner l’ensemble de l’opposition kurde. L’ancienne élue parlementaire du parti DEP, Leyla Zana, qui avait été condamnée à quinze ans de prison en 1994 pour « appartenance à un groupe armé (le PKK) » et libérée en 2004, a de nouveau été condamnée à dix ans de prison pour « éloge du PKK », c’est-à-dire pour avoir déclaré qu’Abdullah Öcalan était un des leaders du peuple kurde dans un discours public. L’ancienne députée a été également interdite de vote et de se présenter aux élections, ce qui de fait l’élimine des municipales de mars 2009, alors qu’elle envisageait de se présenter à la mairie de Diyarbakir.
Dans le même temps, le gouvernement turc doit décider, au printemps 2009, s’il mettra fin ou non à l’isolement carcéral du chef du PKK comme le demande le Comité antitorture (CPT) du Conseil de l'Europe. Le Conseil avait rendu visite au prisonnier en mai 2007 et au vu de la « dégradation de son état mental » avait demandé à ce qu’il soit mis fin à son isolement. Jusqu’ici, la Turquie s’y est toujours refusé. Cette fois, le ministre de la Justice, Mehmet Ali Sahin, a laissé entendre, sur la chaîne NTV, qu’un assouplissement des conditions de détention pouvait être envisagé : « Nous avons lancé une construction pour de nouveaux logements de gardiens à Imrali et cette construction doit se terminer, je crois au printemps, en mai, après quoi nous déciderons d'y envoyer ou pas des détenus. Nous envisageons d'augmenter le nombre de détenus dans cette prison mais la décision finale n'est pas encore prise. » Le nombre de prisonniers envoyés dans l’île d’Imrali, où est détenu Abdullah Öcalan, pourrait s’élever à cinq ou six.
SYRIE : UNE LOI SUR LA PROPRIETE GELE L’ECONOMIE DES REGIONS KURDES
Les Kurdes de Syrie protestent contre une loi nouvellement promulguée visant à limiter les droits de vente et de location de terres situées en zone frontalière. Par le décret n°49, des restrictions sévères à la propriété et à l’usage de terres en bordure d’Israël et de la Turquie ont été instaurées. Les régions kurdes étant toutes à cheval sur la Syrie et la Turquie, ainsi que sur l’Irak, les habitants se plaignent que de telles mesures entravent l’économie locale. Il est en effet énoncé que les habitants des zones frontalières ne pourront plus vendre de terres sans avoir obtenu, au préalable, l’accord des autorités, c’est-à-dire des ministères de l’Intérieur, de l’Agriculture et de la Défense. Une autorisation semblable devra être requise pour la location de terre sur une période de plus de trois ans.
Selon Radif Mustafa, avocat et président du Comité kurde pour les droits de l’homme, cette mesure vise principalement les Kurdes. « La frontière d’Al-Quneitra est un cas particulier, puisqu’elle est occupée par Israël, mais pourquoi les régions le long de la frontière turque sont comprises dans cette loi, alors que les relations syro-turques sont meilleures qu’elles n’ont jamais été ? » Le mois dernier, près de 200 Kurdes avaient manifesté à Damas contre cette nouvelle réglementation. Les protestations étaient pacifiques, ce qui n’empêcha pas une réaction brutale des autorités. Ainsi, Hirfin Awsi, qui participait à la manifestation, raconte ainsi avoir été battue à coups de barres de fer : « Nous n’avions rien dit contre le gouvernement ou le président. Notre protestation était pacifique.” Loqman Oso est membre du comité Azadî, l’un des sept partis kurdes qui depuis le mois d’octobre s’élève publiquement contre le décret. Il assure que son parti, malgré la répression, est prêt à continuer ce genre de démonstrations : « Nous avons réussi à rassembler un grand nombre de partis kurdes, et nous continuerons notre lutte pacifique et démocratique, jusqu’à l’abolition du décret. »
Mais Khalaf al-Jarad, qui dirige le groupe de presse Al-Wahda, lequel journal publie les annonces officielles de l’Etat syrien, assure que la loi a été “mal interprétée” par les Kurdes : “Je me sens très attristé, plein de regrets, et suis très étonné de voir comment le décret n°49, qui réglemente la propriété, est interprété », a-t-il déclaré à l’agence Al-Quds. « C’est un décret de réglementation qui ne vise pas un individu ou un groupe spécifique, mais ne concerne que les questions de vente et d’achat. Si certains parmi nos frères kurdes veulent exagérer, ils seront perdants, car personne ne croira la façon dont ils interprètent le décret. »
Mais Suleïman Ismail, un avocat, pointe la confusion qui règne à présent dans les régions frontalières, depuis que la loi a été publiée : « Tous les actes juridiques dans le domaine de la propriété ont été gelés, parce que les juridictions ne peuvent plus prendre aucune décision sur ces questions sans instructions de l’exécutif, et rien encore n’a été divulgué. Nous n’avons aucune idée de ce que deviendra, à l’avenir, le secteur immobilier dans la région. » Les autorités chargées d’appliquer la loi ne semblent guère mieux informées, comme le reconnait le bureau d’enregistrement des propriétés de Hassaké : « Nous avons reçu l’annonce du décret et on nous demande de l’appliquer immédiatement, mais nous n’avons reçu aucune instruction sur les moyens de le faire. On nous a simplement dit de stopper tous les enregistrements d’actes de propriété. » Aussi, les répercussions économiques d’une telle situation se font sentir depuis le mois d’octobre, comme l’explique Hussein Abbas, un ingénieur civil de Hassaké : « Nous avions l’habitude de vendre cent tonnes de fer par mois, et maintenant nous en vendons à peine dix. Les entrepreneurs en bâtiment n’achètent plus de fer ni de ciment, puisque les nouveaux permis de construire ne sont plus délivrés pour le moment. Mohammad Salih Salo, entrepreneur à Qamishlo, confirme que la nouvelle loi et l’incertitude qu’elle fait naître, dissuade beaucoup de gens d’acheter ou de vendre des terres et des biens immobiliers : « Le travail dans le bâtiment a été stoppé, parce que beaucoup de gens souffrent d’un manque de confiance. Auparavant, nous pouvions vendre et acheter des biens immobiliers, payer et obtenir un permis. A présent, les gens qui ont de l’argent n’achètent plus rien puisque les actes de propriété ne peuvent plus être validés à leurs noms dans les registres gouvernementaux, et cela crée des problèmes de confiance entre vendeurs et acheteurs. Nous voulons obtenir les permis nécessaires, nous voulons travailler, de quelque façon que ce soit. Mais les bureaux gouvernementaux n’ont aucune instruction relative au nouveau décret, ce qui fait que nous sommes tous en attente. » Certains Kurdes, en raison de ce gel économique, ont déjà été forcés d’émigrer. Mohammed al-Khatib, charpentier, a une femme et une enfant à charge. Il a dû partir pour Damas et trouver un emploi dans une boutique : “Je suis parti à Damas parce que l’entrepreneur pour lequel nous travaillions n’avait plus de travail à nous fournir. La plupart des gars avec qui je travaillais sont de la province de Hassaké, et la majorité sont des Kurdes. Ils veulent gagner de quoi vivre, peu importe comment. »
Malgré les dénégations officielles sur les visées cachées de telles mesures, l’histoire des Kurdes de Syrie depuis les années 60, principalement dans les régions orientales, les incite à se méfier d’une réglementation limitant leur droit à la propriété. En 1962, la Syrie appliqua une politique appelée « Ceinture arabe » qui prévoyait d’expulser tous les Kurdes de la Djézireh, en bordure de la Turquie et de les remplacer par des colons arabes. Près de deux cent mille de Kurdes ont été du jour au lendemain privés de leur nationalité et déclarés : «étrangers se trouvant illégalement en Syrie» et ce statut se transmet aux enfants qui naissent ainsi « étrangers » sur leur sol natal. Un plan secret d’arabisation rédigé en 1963 par la police de Hassaké, intitulé «Étude de la province de Jazira sur les aspects nationaux, sociaux et politiques» , recommandait ainsi, entre autres mesures, la dispersion des Kurdes de Syrie et leur mise au chômage, l’instauration d’une « ceinture arabe » peuplée d’ »Arabes purs et nationalistes » qui vivraient dans des « fermes collectives », et de façon générale, la suppression des droits civils pour toute personne ne parlant pas l’arabe. Des terres kurdes ont été ainsi saisies et redistribuées à des colons arabes et aujourd’hui la question des Kurdes « sans papier » est l’un des points majeurs des revendications du Kurdistan de Syrie.
TURQUIE : VERS L’OUVERTURE DE DEPARTEMENTS DE KURDOLOGIE DANS LES UNIVERSITES ?
Alors que, comme dans toutes les universités développées, les universités turques offrent aux étudiants des départements permettant d’étudier la langue et la civilisation de peuples disparus (Sumériens, Hittites, Assyriens), en plus des langues et des littératures vivantes du monde entier, jusqu’à ce jour, aucun département d’arménien ni de kurde ne figurent au programme des facultés. Mais une proposition émanant du DTP, via un de ses députés, Osman Özçelik, d’ouvrir un département de langue kurde à Istanbul n’a pas suscité l’émoi nationaliste qu’une telle demande n’aurait pas manqué de déclencher, quelques années auparavant.
Interrogé à ce sujet, le Président du Conseil de l’Enseignement Supérieur (YOK) Yusuf Ziya Ozcan a répondu au journal Radikal au sujet d’un tel projet : « Si les universités font une telle proposition, nous pourrons discuter de la question avec nos amis et faire ce qui est nécessaire ». Un département de langue et de littérature arménienne doit ouvrir prochainement à l’université de Nevshehir, qui comprend déjà un département d’hébreu. Quant au grec, il dispose d’un département à l’université d’Ankara depuis 1936 et à Istanbul depuis 1983. Même si aucun interdit constitutionnel ne peut empêcher, dans le principe, l’ouverture d’une section semblable pour la langue et la littérature kurdes, une telle demande, faite au début des années 2000 par le HADEP n’avait jusqu’ici rencontré aucun écho favorable. Mais, signe d’une certaine décrispation sur la question, initiée avec le lancement officiel en janvier d’une chaîne kurde, une telle perspective n’a cette fois pas rencontré d’opposition ouverte dans le monde universitaire. Le recteur de l’université d’Ankara, Cemal Talug, a ainsi déclaré que « Si notre Faculté Langue, Histoire et Géographie offre d’ouvrir un département, nous travaillerons sur le sujet avec plaisir » Bien sûr les universités du Kurdistan de Turquie se sont montrées les plus enthousiastes et les plus promptes à envisager l’ouverture d’un département kurde. Serdar Bedii Omay le recteur de l’Université de Mardin s’est dit prêt à s’atteler dès maintenant au projet et à le soumettre « dès que possible » au YOK. Le recteur de l’Université de Hakkari, Ibrahim Belenli, a également fait part de son avis favorable et le recteur de l’Université de Sirnak Ali Akmaz, bien que sa faculté soit, en principe, vouée aux sciences et non à la littérature, se dit également prêt à accueillir dans ses murs la langue et la littérature kurdes : « Un département de langue et littérature kurdes peut s’ouvrir dans notre Faculté de Science et des Lettres. Nous n’avons pas de faculté littéraire encore, cependant, quand les lois pour ouvrir le département seront publiées et qu’une telle proposition adoptée par l’université, je pourrais la soumettre au YOK ».
GRK : EMULATION ENTRE ERBIL ET SULEIMANIEH
Longtemps considérée comme la ville du Kurdistan d’Irak la plus développée et surtout la plus dynamique en matière d’activités culturelles, Suleimanieh serait en passe de se faire distancer par Erbil depuis 2003, au moins en ce qui concerne la construction et l’urbanisation.
Répondant à ces propos, émanant d’observateurs et de media locaux, le gouverneur de Suleimanieh, Dana Ahmed Madjid reconnaît qu’Erbil, dont la croissance urbaine est phénoménale dans tous les domaines, semble aujourd’hui plus dynamique. Juste après 2003, il y avait entre les deux villes, un nombre égal de constructions en cours, mais Suleimanieh a vu beaucoup de ses projets laissés inachevés, en raison de retards et d’imprévus, laissant les habitants de plus en plus sceptiques et critiques sur la gestion de leur gouvernorat. Ces critiques se sont trouvées renforcées par l’activité spectaculaire d’Erbil, et même les transformations radicales d’anciennes petites bourgades de province telles que Duhok. Aujourd’hui la capitale du Kurdistan d’Irak, avec ses larges artères de circulation, ses passages souterrains, et sa vie trépidante, attire massivement les investisseurs.
Mais interrogé par le journal SOMA, Dana Madjid conteste cette suprématie en mettant en avant d’autres points sur lesquels, selon lui, sa ville devance la capitale : « Nous avons achevé 90 à 95% du système d’égout, alors qu’Erbil doit encore refaire le sien. Nous avons préféré terminer les travaux souterrains avant de démarrer des projets en surface. » Madjid met aussi en avance les différences de terrain : « Suleimanieh n’est pas comme Erbil, concernant la configuration du sol. Une grande partie de leur terrain est plat, ce qui leur facilite la tâche pour identifier les problèmes, et ce n’est pas le cas à Suleimanieh. » Le gouverneur met aussi en avant d’autres travaux tels que les infrastructures : « Le nombre de bâtiments construits n’est pas important contrairement au nombre de routes que nous avons achevées, et cela pour le bien-être de la population. Au Nouvel An, nous avons annoncé que six passages souterrains allaient être construits à Suleimanieh, et la raison pour laquelle nous n’en avons pas commencé un seul, réside dans le fait que nous cherchons d’abord des voies de passage alternatifs pour les gens, et ensuite parce que nous cherchons une société capable de les terminer en temps et en heure. » Le gouverneur de Suleömanieh revient sur les spécificités du terrain qui, à Suleimanieh, augmente le coût des infrastructures : « Quand 10 kilomètres de routes coûte 5 milliards de dinars irakiens à Suleimanieh, cela coûte 3 milliards à Erbil car leur pays est plus plat que le nôtre, aussi cela requiert moins d’excavation et moins de travail. » Le développement impressionnant de la Région du Kurdistan, depuis la chute du régime baathiste, est un des traits frappants qui distinguent, en plus de la sécurité, la zone kurde de celles du reste de l’Irak. La loi sur les investissements étrangers, votée en 2006, avait pour but de doper cette expansion avec l’arrivée de capitaux, par des mesures très favorables aux sociétés privées. Ce que le gouverneur Madjid regrette à certains égards : « Il y a une partie, dans cette loi, que personnellement je considère comme une faute. La loi a été rédigée pour que tous les bénéfices reviennent aux investisseurs et aucun au gouvernement, ni à la population. Les projets d’investissement ont été faits de telle sorte qu’ils ont obtenu des terrains, de l’eau, de l’électricité, qu’ils ne paient aucune taxe et que parfois, tout l’équipement leur est offert. Leurs activités sont poursuivies sans contrat, notamment en ce qui concerne les prix, ce qui est une erreur. Ne recevant pas de taxes, le gouvernement leur donne tout sans rien obtenir en échange et ils emploient du personnel étranger, ce qui fait que notre population n’en profite pas. »Malgré ces réserves, Dana Madjid reconnaît que la Gouvernement régional du Kurdistan ne pourrait survivre longtemps sans les investissements venus de l’étranger.
D’autre part, le secteur agricole, le plus sinistré depuis l’Anfal, détruit à 90% par la politique de la terre brûlée et les destructions de villages ordonnées par Saddam, reconnaît un timide renouveau, perceptible dans les marchés locaux, et le gouvernement kurde a décidé de soutenir cette activité pour l’année 2009. « Cette année, le gouvernorat de Suleimanieh a acheté une valeur de 16 millions de dollars US d’orge aux fermiers, afin qu’ils puissent nourrir leur bétail, et 8 millions de dollars US en blé leur a été donné à des fins agricoles. Pour les soutenir durant la sécheresse, nous avons dépensé 25 milliards de dinars irakiens en apports d’eau, pour approvisionner les régions durement touchées. » Bien que ces initiatives d’aide à la production locale aient eu un certain impact sur l’amélioration de la production agricole, les fermiers kurdes connaissent toujours des difficultés sur les marchés, en raison de la concurrence des importations étrangères. « L’année dernière à Penjwin, la récolte de tomates a été abondante. Les fermiers avaient creusé des puits pour l‘irrigation ; ils avaient eu besoin de générateurs électriques et de beaucoup d’essence. Ils ont donc dépensé beaucoup pour produire et quand ils sont arrivés sur le marché, quoi qu’ils tentent, ils ne pouvaient pas casser les prix. Les tomates iraniennes étaient tellement meilleur marché que nous avons dû sortir un décret en hâte pour stopper l’importation le temps d’écouler la production locale. » Sans soutien gouvernemental, les producteurs kurdes seront toujours incapables de faire face à la concurrence étrangère : « Le ministre de l’agriculture a mis en place un plan quinquennal dont le coût est de 10 milliards de dollars pour terminer tous les projets en cours sur cette durée. Mais cela dépasse les moyens du Gouvernement régional qui a dû recourir à un prêt. » Le gouvernorat de Suleimanieh a demandé un budget de 700 milliards de dinars irakiens auprès d’Erbil pour mener à bien leurs plans de développement. En attendant, certains plans ont été déjà msi en route, à Penjwin, Kalar, Halabja, Qala Dize. Un vaste projet de développement est prévu pour 2009 à Chamchamal et une société doit venir prospecter le Hawraman pour mettre au point un programme touristique.
SULEIMANIEH : UNE EXPOSITION COMMEMORE L’ANFAL ET LA REPRESSION DES KURDES
Pour la seconde fois, Ali Al Madjijd, dit « Ali le chimique », cousin de Saddam Hussein et acteur majeur du génocide kurde a été condamné à mort, pour « crimes contre l'humanité et meurtres prémédités », cette fois pour le massacre de chiites en 1991, lors des représailles du soulèvement contre le régime baathiste. Il avait déjà été condamné à la peine capitale l’année dernière pour avoir ordonné la mort de 182.000 Kurdes durant l’opération dite « Anfal », le 24 juin 2008. La sentence avait été confirmée en septembre dernier.
Âgé de 67 ans, Ali Hassan Al Madjid était ministre de l'Intérieur sous le régime baathiste. Il avait été aussi gouverneur militaire du Koweit après son invasion par l'Irak en août 1990. Abdulghani Abdul Ghafour, le dirigeant du Baath pour la région Sud de l’Irak a été également condamné à mort pour les mêmes motifs. Le verdict doit être cependant transmis à la Cour suprême irakienne, qui peut casser cette décision. Quatre autres inculpés ont été condamnés à la prison à vie, 6 à 15 ans de prison et trois ont été acquittés. Les mêmes charges pesaient sur eux, mais la cour leur a épargné la peine de mort, après que les accusés aient présenté leurs « excuses et leurs regrets », ce qui n’est pas le cas d’Ali Al Madjid et surtout d’Abdul Ghafour, lequel s’est toujours montré extrêmeemnt vindicatif et agité durant tout le procès. L’ancien chef adjoint des opérations des forces armées, Rachid al-Tikriti et le général Sultan Hachem al-Taï, ancien ministre de la Défense, ont été respectivement condamnés à la réclusion à perpétuité et à 15 ans de prison.
Dans le même temps, dans la ville kurde de Suleimanieh, une exposition sur l’Anfal s’est ouverte, principalement destinée à enseigner les jeunes Kurdes sur le génocide passé. Parmi les objets-témoins exposés, la corde qui servit à pendre des milliers de Kurdes victimes de l’ancien régime. Le commissaire de l’exposition, Abdelkarim Ali Haldani, qui dirige aussi la Fondation des Martyrs de la région autonome de Suleimanieh, avance le chiffre de 16.000 victimes de la province, mortes sous la torture ou exécutées dans les prisons baathistes. Mais ces faits doivent être rappelés aux générations de jeunes Kurdes trop jeunes pour se souvenir de la répression ou même l’avoir vécue : « Il existe une nouvelle génération de Kurdes qui n'ont jamais connu l'oppression et cette exposition leur fera connaître la vie de leurs aînés sous un régime inique. Ceux qui ne respectent pas le passé n'ont pas d'avenir », a ainsi déclaré à l’AFP Jamal Agha, collaborateur du président de l’Irak Jalal Talabani. En plus de la « corde d’Ali le Chimique », objet hautement symbolique qui donne le ton de l’exposition, des documents de l’Etat baathiste sont exposés, comme les sentences de mort, mais aussi des témoignages de la vie quotidienne dans les prisons du régime : lettres de prisonniers, objets fabriqués par les détenus, dont un jeu d'échec. Osmane Saïd, âgé de 40 ans et surnommé « Osmane le prisonnier » a été détenu cinq ans à Abu Ghaib : « Cette exposition exprime la souffrance de centaines de milliers de Kurdes, d'Arabes et de Turcomans qui ont tout sacrifié pour combattre l'ancien régime injuste et oppresseur. Cela me rappelle mes jours de captivité. Je voyais de ma cellule des condamnés à mort attendant leur exécution. Parmi eux figuraient mes meilleurs amis. ».
BELGIQUE : UN CINEASTE KURDE RECOMPENSE
Le cinéaste Sahim Omar Kalifa a remporté le prix du meilleur film au festival international du court-métrage de Louvain, en Belgique pour sa dernière œuvre « Nan » (Le Pain). La décision du jury a été rendue publique le 6 décembre. Le prix décerné est accompagné d’une somme de 60 000 euros.
“Nan” raconte l’histoire d’une famille kurde. Saman et Alan sont deux frères, vivant avec leurs mères respectives, Nazdar et Hemze, qui les envoient dans la rue voler et mendier. Un jour, Saman rencontre un vieil homme désireux d’aider la famille. Mais celle-ci va tenter d’exploiter la situation.
Sahim Omar Kalifa est né à Zakho, dans le Kurdistan irakien, en 1980. Il a tourné son premier film à l’âge de dix-sept ans. Emigré en Belgique depuis 2001, il entre en 2004 à l’école de cinéma Saint Lukas de Bruxelles. Il a depuis tourné 14 courts-métrages. L’un d’eux, « Ava resh » (L’eau noire) a été récompensé en 2007 au premier festival du film kurde de Melbourne, en Australie.
Ce même mois, trois autres cinéastes kurdes ont été projetés au 13ème festival international du cinéma de Kerala, en Inde : « Niwe Mange » (Demi-Lune), du Kurde iranien Bahman Ghobadi, « Réfugiés », un film turc, allemand et kurde de Reis Çelik, et « Gitmek » ou « My Marlon and my Brando » de Hüseyin Karabey. D’autre part, les critiques du journal anglais The Times ont publié la liste des « cent meilleurs films » sortis en Grande-Bretagne pour l’année 2008. Parmi eux, Niwe Mange de Ghobadi a été sélectionné. Ce film, qui a également obtenu la Coquille d’or, a été interdit de projection dans les salles iraniennes.