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Amnesty International a publié ses rapports sur l’état des droits de l’homme et de leurs violations dans le monde. La situation des Kurdes est évoquée ainsi dans les rapports concernant l’Iran, la Syrie, la Turquie et l’Irak avec une section spécialement consacrée au Kurdistan d’Irak.
L’Iran continue, selon l’organisation de « marginaliser » ses minorités ethniques, et « particulièrement les Azéris, les Baloutches et les Kurdes », qui dénoncent la violation de leurs « droits économiques, sociaux et culturels ainsi que de leurs droits civils et politiques. » L’usage du kurde, comme des autres langues « minoritaires » est interdit dans les écoles et les administrations, et les Iraniens qui militent pour leurs droits économiques, sociaux et culturels sont fréquemment arrêtés, menacés et emprisonnés. Amnesty International pointe aussi l’irrégularité des jugements qui ont condamné à la peine capitale des Kurdes accusés d’appartenance au PJAK, la branche iranienne du PKK. L’organisation rappelle tout particulièrement le cas de Farzad Kamangar, cet enseignant kurde qui a toujours nié appartenir au PJAK et a été gravement torturé en détention. Il encourt la peine de mort. Entre le mois d’août et d’octobre 2008, plus de 50 prisonniers ont observé une grève de la faim pour protester contre l’exécution de Kurdes, et « pour réclamer le respect des droits civils pour un certain nombre de Kurdes en détention ».
De façon générale, la promotion de la langue et de la culture kurdes en Iran expose à des persécutions policières et des condamnations iniques. Détenu depuis juillet 2007, Mohammad Sadiq Kabudvand, qui a fondé et préside l’Organisation des droits humains au Kurdistan, a été jugé et condamné en mai 2008 à dix ans de prison pour avoir agi « contre la sûreté de l’État en créant l’Organisation des droits humains du Kurdistan » et un an pour « propagande contre le régime » Cette dernière peine a été annulée en appel, mais les dix ans d’emprisonnement ont été confirmés. Mohammad Sadiq Kabudvand a été détenu au secret, sans visite de son avocat ni de sa famille pendant longtemps. Il a aussi été privé de soins médicaux sur une longue période.
L’Etat n’a intenté aucune action pour protéger les femmes des violences domestiques, alors qu’un grand nombre d’immolations par le feu ont pour motif une oppression familiale. D’un autre côté, les militants féministes sont aussi en butte à la répression de l’Etat, même si leurs activités sont pacifiques, comme celles de Parvin Ardalan, qui risque d’être condamnée à une peine de prison. Les Kurdes étant majoritairement sunnites ou appartenant à des minorités religieuses comme les Ahl-é-Haqq, ils sont en butte à la persécution du pouvoir chiite, ou à diverses formes de discrimination. Ainsi, relève Amnesty, « les directeurs d’écoles devaient signaler aux bureaux locaux des services de sécurité la présence dans leur établissement de baha’is ou d’adeptes d’autres « sectes subversives », comme Ali-Ilâhi ou Ahl-e haqq. »
En Syrie, le rapport indique que « les membres de la minorité kurde souffraient de discrimination ; beaucoup étaient de fait apatrides et ne bénéficiaient pas pleinement de leurs droits économiques et sociaux. » Mashaal al Tammo a été arrêté le 15 août 2008 pour ses activités politiques au sein d’un mouvement kurde et encourt la peine de mort pour « tentative pour déclencher une guerre civile ou des dissensions confessionnelles », de « conspiration ». De façon générale, l’identité kurde est réprimée, notamment dans l’usage de la langue et de la culture. Le décret-loi n° 49 du 10 septembre 2008, restreint fortement le droit au logement et à la propriété dans les régions frontalières ; ce qui touche la plupart des zones de peuplement kurde.
En Turquie, le rapport est particulièrement sévère et la plupart des atteintes aux droits de l’homme et aux libertés concernent la question kurde. Le DTP risque toujours son interdiction par la Cour constitutionnelle, alors que l’AKP, le parti au pouvoir, y a échappé. Le conflit armé avec le PKK a fait des victimes civiles dans des attentats à l’explosif « souvent commis par des individus isolés ou des groupes non identifiés ». Hors du Kurdistan de Turquie, les Kurdes ont subi des agressions en raison de leurs origines : « certains ont été harcelés ou attaqués et des inconnus ou des groupes non identifiés s’en sont pris à leurs biens. En septembre, le département d’Altınova, situé dans l’ouest de la Turquie, a été le théâtre d’agressions de ce type durant plusieurs jours ».
La loi antiterroriste continue de réprimer toute manifestation culturelle kurde, au gré de la volonté des procureurs. Ainsi, « neuf enfants, tous membres de la chorale municipale de Yenişehir, un quartier de Diyarbakır, ont été poursuivis en vertu de l’article 72 de la loi antiterroriste pour avoir entonné un hymne en langue kurde, entre autres chants, lors d’un festival culturel. Ils ont été acquittés en première comparution, mais le mandat d’arrêt délivré contre la chef de chœur Duygu Özge Bayar a été maintenu. » Plusieurs fêtes de Newroz ont été interdites dans des villes du Kurdistan. Les mineurs ont eu à subir, de façon générale, un regain de violence et de mauvais traitements de la part des forces de l’ordre. Dans des manifestations interdites, souvent sans motif valable, « dispersées au moyen d’une force excessive, souvent même sans que des méthodes sans violence aient été tentées », des enfants ou des adolescents ont été durement frappés et emprisonnés avec des adultes.
Les exactions policières ou de la part de l’Etat en général ne sont que peu ou pas du tout sanctionnées. Ainsi, des « fonctionnaires ont été filmés alors qu’ils brutalisaient C. E., un adolescent de quinze ans qu’ils venaient d’interpeller en marge d’une manifestation à Hakkâri ; un procureur a classé sans suite la plainte relative à ces violences. En revanche, l’adolescent a été poursuivi pour sa participation à la manifestation. » Après les manifestations d’octobre en faveur de la libération d’Abdullah Öcalan, « une centaine de mineurs, voire davantage, ont été inculpés d’infractions passibles de plus de vingt ans de réclusion ». A Adana, le préfet a menacé de sanction collective « les familles dont les enfants avaient manifesté. »
La législation antiterroriste a aussi permis la condamnation de plusieurs personnes accusées d’appartenance au PKK à partir de faits douteux ou peu étayés. « Murat Işıkırık a été condamné à sept ans d’emprisonnement pour « appartenance à une organisation terroriste », sur la seule foi de sa présence aux obsèques d’un membre du PKK, au cours desquelles il avait été photographié en train de faire le « V » de la victoire. En septembre, Selahattin Ökten a été condamné à l’emprisonnement à vie pour avoir pris part à des opérations armées pour le compte du PKK. La déclaration de culpabilité était fondée sur un témoignage peu fiable qui aurait été obtenu sous la torture. »
Les conditions carcérales sont toujours mauvaises en Turquie, avec des mauvais traitements ou des mises en isolement infligés aux détenus. Amnesty International rappelle aussi le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) qui recommande qu’Abdullah Öcalan, le chef du PKK, « subisse certains examens médicaux, que les conditions matérielles de sa détention soient améliorées et que les autorités turques prennent des mesures pour qu’il ait davantage de contacts avec le monde extérieur. »
En Irak, Amnesty International a constaté une baisse significative des violences mais relève que « toutes les parties en présence ont commis des atteintes flagrantes aux droits humains. » L’ONG note aussi que « comme les années précédentes, le Kurdistan était moins touché par le conflit; des informations persistantes ont néanmoins fait état de violations des droits humains commises par les forces de sécurité et de violences contre les femmes dans cette région. » Parmi les 34 exécutions de condamnés à mort en Irak, 3 ont eu lieu dans laRégion du Kurdistan. Deux des condamnés avaient participé à un attentat qui avait fait 48 morts à Erbil, en 2005. La justice kurde a condamné en tout 9 personnes à la peine capitale, ce qui élève le nombre de prisonniers risquant d’être exécutés à 84, 33 à Erbil et 47 à Suleïmaniah. La Loi antiterroriste de 2006 qui a augmenté le nombre de crimes encourant la peine de mort a été prolongée pour 2 ans par le Parlement. Concernant la question des réfugiés, on recense près de 13 000 chrétiens qui ont dû fuir Mossoul en octobre après une série d’attaques contre leur communauté. Le rapport indique que « la plupart ont trouvé refuge dans des villages voisins ou à Dahuk, Erbil ou Kirkouk, mais 400 environ sont partis pour la Syrie. Selon les informations recueillies, un tiers des personnes déplacées avaient regagné Mossoul à la fin de l’année. »
La Région du Kurdistan d’Irak est la seule où l’organisation a constaté des « avancées » sur la question des droits de l’Homme. Ainsi, « plusieurs centaines de prisonniers politiques, dont beaucoup étaient détenus depuis plusieurs années sans avoir été jugés, ont recouvré la liberté. » Amnesty approuve aussi la suppression des peines d’emprisonnement pour « diffamation » lors du vote de la nouvelle loi sur la presse, ainsi que les limitations juridiques imposées à la polygamie.
Le rapport critique de façon plus détaillée les « atteintes aux droits humains » perpétrées par le service de sécurité de la Région, les Asayish, qui ne font l’objet d’aucun contrôle, et auraient eu recours à des arrestations arbitraires. On signale aussi des disparitions de personnes. Enfin, des cas de torture et de mauvais traitements sont évoqués. Ainsi « Melko Abbas Mohammad et sa mère, Akhtar Ahmad Mostafa, âgée de soixante ans, ont été maintenus à l’isolement pendant dix-neuf jours après leur arrestation, en mars, pour leur implication présumée dans un attentat à l’explosif. Melko Abbas Mohammad aurait été torturé durant sa détention dans la prison de l’Asayish Gishti (la Direction générale de la sécurité) à Sulaymaniyah. Il aurait été suspendu par les bras et les jambes et frappé à coups de câble; on lui aurait en outre administré des décharges électriques. En novembre, cet homme et sa mère ont été acquittés de toutes les charges pesant contre eux par un tribunal qui a ordonné leur remise en liberté; ils ont toutefois été maintenus en détention par l’Asayish. »
Les violences domestiques n’ont pas disparu, pas plus que les crimes d’honneur et des femmes ont été brûlées ou tuées par des membres de leur famille. Un foyer a été attaqué par des hommes armés venus « punir » une femme de leur famille qui s’y était réfugiée, et qui a été gravement blessée. Les associations de défense des femmes ont vu certaines de leurs membres menacées par les familles des victimes qu’elles protégeaient. Amnesty reproche surtout à la police kurde un certain laxisme dans l’identification et l’arrestation de plusieurs meurtriers impliqués dans ces crimes d’honneur. Le rapport sur les abus des Asayish a déclenché une protestation officielle du chef de ces services à Erbil, qui a relevé qu’en plusieurs points, les critiques étaient « dépassées », en raison de réformes déjà accomplies.
Malcom Smart, le responsable du département pour le Moyen-Orient et l'Afrique du nord-Amnesty international est revenu sur ce rapport et l'état des droits de l'homme au Kurdistan d'Irak, ainsi que sur les protestations des Asayish, lors d'un entretien télévisé donné à la chaîne KNN, alors qu’il venait tout juste de rencontrer le premier ministre, Nêçirvan Barzani, au sujet de ce rapport. Réitérant certaines de ses critiques, il s’est néanmoins déclaré « optimiste » sur la volonté politique du Gouvernement kurde d’avancer dans le respect des droits de l’Homme, en évoquant sa rencontre avec le Premier ministre, Nêçirvan Barzani : «Je dois dire que pour un entretien avec un Premier ministre, c'était assez inhabituel. Parce qu'il a dit clairement qu'il admettait ce rapport et réalisait qu'il était critique sur plusieurs points. Il a dit l'avoir lu et examiné les recommandations, qu'il a envoyées aux Asayish et à la police en leur disant de les lire et de les retenir. Une telle ligne politique est importante, et je l'approuve énormément. Bien sûr le temps montrera si cela a des effets. Mais j'en suis sorti très encouragé et j'ai senti une détermination à faire bouger les choses et à montrer l'exemple. » Interrogé sur le pourquoi d’une section spécialement consacrée à la Région du Kurdistan dans le rapport général sur l’Irak, Malcom Smart a répondu : « L'objectif principal de notre rapport était de dire que vous avez réussi de très bonnes choses dans la Région du Kurdistan, mais qu'il y a encore des points, au sujet de la Sécurité, qui doivent être corrigées. Le souci majeur est que les Asayish ne rendent pas assez de compte. Cela doit être fait à l'avenir ; et nous voulons aussi que plus de mesures concrètes soient appliquées pour résoudre la violence contre les femmes et aussi pour la défense des droits de l'homme. C'est le plus important pour vous, qui vivez dans la Région du Kurdistan. Cela est aussi précieux si cela envoie un message au reste de l'Irak, qu'une voie meilleure existe. »
Alors que la date des élections présidentielles et législatives de la Région du Kurdistan d’Irak a été fixée au 25 juillet prochain, six candidats à la présidence se sont déclarés au cours de ce mois, comme l’a annoncé, le 25 mai, date limite du dépôt des candidatures, la Haute-Commission irakienne électorale indépendante. Il s’agit du président sortant Massoud Barzani, de Halo Ibrahim Ahmed, le beau-frère de Jalal Talabani, du Dr Kamal Mirawdeli, un écrivain et universitaire vivant à Londres, Hussein Garmiyani, un homme d’affaires, Ahmed Mohammed Rasul et Ahmed Kurda. Helo Ibrahim Ahmad, qui résidait en Suède et en Grande-Bretagne, avait démissionné l’année dernière de l’UPK et a fondé, au début de cette année, son propre parti, Al-Taqadom (le Progrès).
Près de deux millions et demi d’électeurs pourront voter pour la présidence au suffrage direct ainsi qu’aux législatives pour renouveler le Parlement d’Erbil qui, pour le moment est dominé par la liste commune PDK-UPK, laquelle a remporté 80 sièges sur 111 aux élections de 2005. Concernant les élections législatives, deux listes principales sont en lice pour les 111 sièges de députés, rompant avec le bipartisme traditionnel au Kurdistan d’Irak, depuis les élections de 1992 : La liste Kurdistani, qui comprend le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani, l’Union patriotique du Kurdistan, de Jalal Talabani et la Liste du Changement menée par Nawshirwan Mustafa, un ancien haut dirigeant de l’UPK qui a fait scission depuis : « Nous voulons changer le système politique », explique ce dernier, dont la campagne s’articule principalement autour de la dénonciation de la corruption et l’amélioration de la qualité de vie au Kurdistan d’Irak.
Autre liste à concourir, celle des « Services et de la réforme », une coalition de quatre partis islamiques, menée par Ali Bapir. Les partis islamistes sont régulièrement présentés comme un danger pour la vie politique kurde si le mécontentement des électeurs envers le PDK et l’UPK les amenait à reporter leurs voix sur ces mouvements religieux. Mais, depuis 1992, aucun de ces partis religieux n’a pu s’imposer réellement et pour cette campagne, il leur a même été impossible de trouver une entente commune pour former une liste unique les rassemblant tous. C’est ainsi qu’Irfan Ahmed Kake, du Mouvement islamique, dénonce le refus des autres partis religieux, l’Union islamique du Kurdistan et le Groupe islamique du Kurdistan de répondre à son appel et de s’unir pour les législatives. Le journal Awene affirme également que tous ces petits partis religieux espéraient rejoindre la liste Kurdistani, mais que ni le PDK ni l’UPK n’avaient accepté de les intégrer. L’Union islamique du Kurdistan est d’ailleurs soupçonnée par les mouvements laïques d’être soutenue par le parti de l’AKP, le parti du gouvernement turc et le mouvement islamique turc de Fetuhllah Gulen.
Comme en 2005, la liste Kurdistani vise à atteindre un statu-quo dans le partage du pouvoir entre l’UPK et le PDK, à la fois au gouvernement et au Parlement, ce qu’a confirmé au site Internet Rudaw Sa'di Ahmad Pira, membre du bureau politique de l’UPK, rappelant aussi que l’actuel président du Kurdistan, Massoud Barzani, étant à la tête du PDK, à l’UPK revenait, de plein droit, le poste de Premier ministre, occupé actuellement par Nêçirvan Barzanî. Le responsable politique n’a pas donné de nom, mais il est probable que ce soit le Dr. Barham Salih, l’actuel Vice-premier ministre d’irak qui remplace le neveu du président à la tête du gouvernement.
Certains craignent que cette remise en question du bi-partisme au Kurdistan ne ravive les spectres de la guerre civile si le PDK et l’UPK voyaient menacer leur prépondérance, mais le président Jalal Talabani se veut rassurant en espérant que « l'élection se déroulera d'une manière civilisée et conformément aux traditions du Kurdistan. » Le président irakien s’est rendu le 9 mai à Suleymanieh, Halabja et Shahrazur pour une rencontre avec les responsables de son parti et aussi ce qui apparaît comme un début de campagne électorale. Jalal Talabani a ainsi insisté sur la nécessité d’une politique d’assistance envers les classes sociales les plus démunies, tout en soulignant que le niveau de vie au Kurdistan d’Irak s’était beaucoup amélioré, comme en témoignent les chiffres donnés par le ministère de la Plannification et que, concernant les chiffres du développement, la province de Suleymanieh tient la première place en Irak. Parmi ses propositions électorales, figurent un programme et un budget spécialement alloués à la reconstruction des villages kurdes et aux forages de puits, l’ouverture de centres culturels pour les femmes et les jeunes.
L’ancien n°2 de l’UPK, Nawshirwan Mustafa, lui, se présente en candidat du changement, qui est d’ailleurs le nom qu’il a donné à sa liste : « Les vieux politiciens et les partis traditionnels dominants ne se soucient pas d’apporter des changements au Kurdistan. Ils veulent garder les choses en l’état. Nous voulons changer le système politique. » L’amélioration de la qualité de vie au Kurdistan fait aussi partie de son programme, ainsi que la lutte contre la corruption. De fait, d’autres voix, au sein de la société civile, et surtout parmi les jeunes, souhaitent un renouvellement des dirigeants politiques. Cet ancien haut responsable de l’UPK peut-il prendre des voix à son ancien parti ? Officiellement, les responsables du bureau politique de l’UPK se veulent confiants et assurent que les électeurs resteront fidèles aux deux grandes formations kurdes. « Les gens au Kurdistan sont très sensés et ne risqueront jamais leur avenir en votant pour de nouvelles listes. Les gens font confiance à leurs leaders et aux partis qui ont déjà accompli beaucoup de réformes ces dernières années » assure Saaddj Ahmed Pera, un responsable de l’UPK. Mais Nawshirwan Mustafa est relativement populaire et apprécié pour son franc-parler. Certains estiment qu’il peut emporter des sièges au parlement, ce qui induirait des alliances politiques nouvelles et la fin d’un statu-quo figé, héritage de la guerre civile. Il peut aussi profiter des dissensions internes de l’UPK et du désarroi de ses électeurs traditionnels, qui n’auraient sans doute pas été jusqu’à voter PDK, mais trouveront peut-être, avec la liste du Changement, une troisième voie pour un « vote sanction ».
Né en 1944 à Sulaymaineh, Nawshirwan Mustafa a étudié les sciences politiques à l’université de Bagdad. De retour au Kurdistan, il a dirigé un hebdomadaire, Rizgarî (Libération), tout en fondant clandestinement avec d’autres intellectuels kurde un parti, le Komala. Ses activités politiques l’obligent à s’exiler en Autriche, où il continue d’étudier. Il revient au Kurdistan dès le début de la « révolution kurde » de 1975 et devient l’un des dirigeants les plus en vue du groupement politique qui allait donner naissance à l’UPK. A partir de 1976, ses fonctions sont autant politiques que militaires. Il participe ainsi au soulèvement de 1991. A partir de 1992, il retourne à des activités intellectuelles et écrit plusieurs livres, tout en exerçant des fonctions politiques au sein de l’UPK. Mais en raison de désaccords avec le bureau politique de son parti, il se retire peu à peu de l’UPK, fonde d’abord son groupe de presse et puis son propre mouvement politique.
L’attaque d’une fête de fiançailles dans le village de Bilge, province de Mardin, par huit hommes armés et masqués a fait 44 morts. Au-delà des problèmes récurrents de crimes d’honneur et de rivalités claniques que l’opinion publique turque prête volontiers aux régions kurdes, cette affaire relance aussi le débat sur l’institution fortement contestée des « gardiens de village », puisque les assaillants étaient tous membres de cette milice villageoise.
Selon les récits des survivants, l’attaque a été lancée de plusieurs endroits différents, alors que l’imam qui venait de conclure la cérémonie religieuse. La fiancée était la fille de l’ancien mokhtar (chef de village). Elle a été tuée ainsi que son fiancé et la jeune soeur de ce dernier, ses parents, la jeune soeur et l'imam. Parmi les autres victimes figurent 6 enfants et 16 femmes, dont trois étaient enceintes. 48 enfants du village ont perdu au moins un de leurs parents et 31 d’entre eux les deux à la fois, ont déclaré les services sociaux locaux, qui ont indiqués que les orphelins seraient recueillis dans leur proche famille. D’après le récit d’une jeune femme survivante, la mort des femmes et des enfants n’a pas été un dégât collatéral dans l’affrontement. Les attaquants les ont en effet rassemblés dans une pièce avant de les mitrailler. Les meurtriers se sont ensuite enfuis à la faveur de l’obscurité et d’une tempête de sable. L’armée les a traqués plusieurs jours avant de les capturer près de la frontière syrienne.
« Dans cette région, les concepts d'honneur, de réputation et de dignité sont portés à des extrémités qui défient l'entendement occidental », a pour sa part déclaré Mazhar Bagli, chercheur en sociologie à l'université Dicle de Diyarbakir. « Dans le langage populaire, on dit qu'un homme 'vit pour son honneur. Mais c'est le drame le plus sanglant lié à une question d'honneur dont j'ai jamais entendu parler. ».
Il semble en effet qu’un conflit entre deux familles soit à l’origine de la tuerie. Mais l’appartenance des meurtriers à la milice gouvernementale des « Gardiens de village » a relancé la polémique sur l’existence de ces groupes armés kurdes, initialement et officiellement fondés en 1985 pour lutter contre le PKK, d’autant que les armes utilisées lors du carnage étaient celles fournies par l’Etat. De nombreuses plaintes pour meurtres, viols, trafic de drogue se sont déjà faits entendre au sujet de ces milices assurées d’une certaine impunité contre les villageois kurdes ayant refusé de s’enrôler.
Les gardiens de village seraient au nombre de 60 000 aujourd’hui et leur démantèlement poserait également un problème de sécurité. Les désarmer serait les exposer aux représailles des familles kurdes ayant souffert de leurs exactions. Le chômage endémique dans les régions kurdes pose aussi le problème de leur reconversion. Sous le feu des critiques, le ministre de l’Intérieur n’a cependant pas envisagé réellement leur totale dissolution, admettant seulement que leur statut devait être « reconsidéré », et niant que l’existence même de cette milice pose un problème de sécurité : « Des gardiens de village sont impliqués dans cet incident, mais le système des gardiens de village n’en est pas la cause directe. », a-t-il affirmé, avant de reconnaître que les milices avaient certaines « dimensions qui devaient être critiquées, débattues et révisées », et que cela avait déjà été fait, en partie. La députée DTP Emine Ayna a réclamé la suppression immédiate de la milice lors d’une conférence de presse à Ankara, ainsi que Sevket Söke, député du parti d'opposition CHP et l’organisation Human Rights Watch (HRW).
Le 8 mai, le gouvernement régional kurde a annoncé que ses exportations de pétrole brut commenceraient le 1er juin, via le pipeline qui part du nord de l’Irak pour le port turc de Ceyhan. Quelques jours après, le gouvernement irakien a annoncé qu’il approuvait ce programme d’exportation de pétrole de la Région du Kurdistan. Cette « autorisation » délivrée par le ministre irakien du Pétrole a été confirmée par les autorités kurdes. Le ministre des Ressources naturelles du Kurdistan, Ashti Hawarami, a ainsi déclaré à l’agence Reuters avoir reçu « un message par email de Hussein Sharistani, avec qui, pourtant, le Gouvernement kurde entretient de très mauvaises relations. Dans sa déclaration officielle, le Gouvernement régional kurde envisage d’exporter environ 60 000 barils par jour. Ce pétrole brut sera commercialisé par l’Organisation irakienne du commerce et les revenus reviendront au gouvernement fédéral, afin d’être redistribués à l’ensemble des provinces irakiennes, selon leurs besoins. La Région kurde, elle, doit recevoir 17% du budget total de l’Irak.
Mais le litige entre Hussein Sharistani et le Gouvernement kurde n’est pas pour autant réglé concernant la signature, par le GRK de contrats avec des sociétés étrangères pour l’exploitation du pétrole kurde, sans passer par Bagdad. Aussi, le ministre irakien a tenu à réitérer ses allégations « d’illégalité » au sujet des contrats déjà passé entre Erbil et des compagnies étrangères : « La position du ministre du Pétrole n’a pas changé concernant les contrats signés par le Gouvernement régional kurde avec les compagnies pétrolières étrangères. Autoriser les Kurdes à exporter ne veut pas dire approuver les contrats qu’ils ont signés. » a déclaré à Reuters son porte-parole, Asim Jihad. « Tout ce que nous en disons est que ces contrats sont illégaux et illégitimes. La Région n’a pas le droit, pas plus qu’aucune autre province, de signer des contrats au nom de l’Irak sans autorisation » a renchéri le ministre Sharistani, interrogé par la télévision irakienne. « Tous les contrats doivent être soumis au ministère. »
Cela n’empêchera pas, cependant, la société nationale coréenne Oil Corp (KNOC) de commencer à forer dans la Région du Kurdistan, dès octobre prochain. Pour le gisement de Bazian, ses parts s’élèveront à 50.4 %, tandis que l’autre société coréenne SK Energy prélèvera 15.2 %. Les Coréens se disent confiants, maintenant que les exportations ont été officiellement approuvées : « Avec cette annonce, les projets de la KNOC concernant l’extraction du pétrole brut dans la Région kurde vont s’accélérer », a déclaré la compagnie, en ajoutant que les exportations devraient commencer dans un temps très proche. La KNOC possède en tout des parts dans cinq gisements du Kurdistan, dont celui de Sangaw, où les forages devraient commencer au début de l’année prochaine, et celui de Qush Tepe, fin 2010. Ces deux sociétés coréennes avaient été écartées en avril dernier des appels d’offre pour l’exploitation des gisements du sud de l’Irak en raison des contrats passés avec Erbil, sans l’accord de Bagdad. Parmi les autres sociétés étrangères impliquées dans l’exploitation des champs pétrolifères kurdes, il y a la norvégienne DNO, la turque Genel Enerji et la canadienne Addax Petroleum Corp.
Le peu de sympathie émanant du gouvernement de Bagdad pour les activités pétrolières kurdes a amené certains officiels irakiens à douter de la véracité de l’annonce des exportations kurdes qui doivent démarrer en juin. Mais le calendrier a été reconfirmé par le président de la Région kurde, Massoud Barzani dans une déclaration à la presse : « C’est un pas très important, qui va avec l’application de la constitution et est dans l’intérêt du peuple irakien. C’est un succès pour tous les Irakiens, mais ce succès a été remporté par les Kurdes. C’est comme lorsqu’un joueur de football marque un but, l’équipe entière en bénéficie. »
Le ministère du Pétrole irakien est, pour sa part, fortement critiqué pour n’avoir pu remonter la production de pétrole dans son pays, qui stagne à 2.3 ou 2.4 de millions de barils par jour, un montant bien inférieur à ce qu’était la production avant la chute de l’ancien régime, en 2003. Interrogé sur la position intransigeante de Hussein Sharistani, Massoud Barzani s’est contenté de répondre : « Je ne crois pas qu’il se comprenne lui-même, ni ce qu’il fait, mais ce qu’il dit n’a aucune importance pour nous. » Le président de la Région kurde a également écarté l’idée que le litige sur les contrats signés par son gouvernement pourrait faire l’objet d’un « marchandage » avec Bagdad à propos du statut de Kirkuk. Mais quelques jours plus tard, Hussein Sharistani a indiqué que les revenus que tiraient les Kurdes de leur pétrole reviendraient en totalité au gouvernement central pour être redistribués dans toutes les régions d’Irak. Certains y ont vu l’amorce d’un assouplissement dans ce conflit persistant, bien que le ministre ait répété que tout accord passé avec les Kurdes devait être officiellement présenté à son gouvernement. Cette mise en garde a eu peu d’effets sur les Kurdes comme l’avait déjà indiqué Massoud Barzani.
Le 18 mai, fort de ce premiers succès, le Gouvernement régional du Kurdistan a salué publiquement l’annonce par plusieurs sociétés, dont la United Arab Emirates' Crescent Petroleum (UAS), en partenariat avec la société autrichienne OMV et la société hongroise MOL, ainsi que la Dana Gas, d’investir dans la Région pour accélérer l’exploitation des réserves de gaz naturel, les commercialiser via le pipe-line en projet, Nabucco, qui doit relier la Turquie à l’Europe centrale en 2014. Le ministre des Ressources naturelles kurde présente lui-même ces investissements comme un renforcement des « liens entre la Région du Kurdistan et la Turquie » et une contribution à « la stabilité régionale », notamment en renforçant la position stratégique de la Turquie comme partenaire de l’Europe dans le domaine de l’énergie. Cette fois-ci, l’annonce de ce second projet d’exportation n’a pas eu la faveur de Bagdad et le même Hussein Sharistani a immédiatement rejeté ce projet. Son porte-parole Asim Jihad, a répété que le gaz et le pétrole « irakiens » devaient être commercialisés uniquement par le gouvernement, tandis que le porte-parole du gouvernement, Ali Al-Dabbagh indiquait que si l’Irak projetait bien de fournir l’Europe en gaz, ces plans ne prévoyaient pas les accords signés en toute indépendance par le Gouvernement régional kurde : « Le gouvernement rejette tout accord qui n’inclue pas le ministère irakien du Pétrole. »
Mais le soutien du gouvernement central au ministre du Pétrole n’empêchera peut-être pas sa mise en difficulté par le Parlement de Bagdad, peut-être excédé des résultats désastreux concernant la production pétrolière en Irak, au regard des développements positifs et rapides de la Région kurde. 140 députés irakiens ont ainsi convoqué Hussein Sharistani à l’Assemblée nationale pour qu’il rende compte de sa gestion durant ces trois dernières années. Si une motion de défiance est votée, il pourrait être relevé de ses fonctions par le Premier ministre Nouri Al-Maliki, comme l’a indiqué à l’AFP le député kurde Mahmoud Othman. Ezzedine Al-Dawlah, un député arabe sunnite au sein du Front national de la Concorde, le plus important bloc sunnite, a confirmé le projet de convocation, mais sans mentionner de date précise.
Ce ne serait pas la première fois qu’un ministre irakien serait démis de ses fonctions après un vote de défiance du Parlement, car le 14 de ce mois, une action similaire des députés a abouti au départ du ministre du Commerce, Abdel Falah al-Sudani, impliqué dans des affaires de corruption et de détournement de fonds destinés au programme d’aide alimentaire national. Il a dû présenter sa démission au Premier ministre, qui l’a acceptée. Des soupçons de corruption pèsent aussi sur Hussein Sharistani, mais Asim Jihad, son porte-parole, a affirmé que seule la gestion du ministre et la production insuffisante de pétrole était mise en cause par le Parlement.
Le dissident kurde Mashal Tamo, âgé de 52 ans, a été condamné à 3 ans et demi de prison par un tribunal syrien, qui l’a jugé coupable « d’affaiblir le moral de la nation ». Un de ses avocats, Mohammad Al Hassani, a dénoncé les conditions de ce procès : « On ne nous a pas permis de le défendre réellement. Les sept témoins que nous avions présentés en sa faveur ont été rejetés. »
Un autre dissident a été condamné pour les mêmes motifs, alors qu’il purge déjà une peine de 2 ans et demi de prison, ce qui inspire à Al-Hassani cette remarque ironique : « Comment peut-on affaiblir le moral d’une nation derrière les barreaux ? » Mashal Tamo milite pour la défense des droits des Kurdes en Syrie.
Arrêté l’été dernier, alors qu’il circulait en voiture entre Kobani et Alep, des tracts politiques avaient été retrouvés dans sa voiture. Il avait été détenu au secret 12 jours par la police politique de Damas, jusqu’à son transfert à la prison Adra à Damas, le 26 août 2008. Amnesty International a condamné cette peine, en disant que Mashal Tamo devait être considéré comme un prisonnier d’opinion, emprisonné pour avoir exprimé de façon pacifique ses opinions, et a appelé à sa libération immédiate. L’organisation exprime sa préoccupation sur le déroulement du procès et le refus du tribunal d’entendre les témoins invoqués par l’accusé et la défense.
Qala Mere, alias Qadir Abdullah Zada, grand compositeur et joueur virtuose de shemshal (flûte) est mort le 21 mai. Des milliers de personnes ont assisté à ses funérailles, au cimetière de Nalashkena, où il repose aux côté de cet autre grand artiste kurde, Hassan Zirek
Qala Mere était né le 23 octobre 1925 dans le village de Kulidja, au Kurdistan d'Iran, dans la région de Bokan. Musicien fou amoureux de son instrument, c'était aussi un homme engagé, et ce dès la république de Mahabad, qu'il avait servie. Admirateur et fidèle d'Abdurrahman Ghassemlou, le secrétaire général du PDK-Iran assassiné en 1989 à Vienne par les services iraniens, il avait évoqué sa mémoire les larmes aux yeux lors d'une interview récente à Tishk TV, et avait déclaré qu'il espérait qu'un jour Dieu vengerait les souffrances des Kurdes et que les quatre parties du Kurdistan seraient libérées de leurs occupants.
Qala Mere racontait ainsi le début de sa précoce vocation : « C'était en automne. J'étais invité à une fête, où mon frère et deux autres parents jouaient du shemshal. Je voulais jouer avec eux, mais ils m'ont chassé. Alors je suis parti en pleurant et je me suis réfugié dans une maison de torchis. Après avoir encore beaucoup pleuré, je me suis endormi. Quelqu'un est venu me trouver en rêve et m'a dit : "Abdol Qader ! Réveille-toi ! Tu ennuies Dieu avec tes pleurs. Arrête de pleurer et joue du shemshal !" Alors je me suis réveillé et personne ne pouvait m'égaler au shemshal. »
Ce shemshal, qui avait, selon lui, dans les 140 ans, l'a accompagné toute sa vie, car il ne s'en séparait jamais, de jour comme de nuit, le glissant dans ses vêtements ou sous son oreiller quand il dormait. Il racontait être tombé amoureux de cet instrument, alors qu'il appartenait encore à son ancien propriétaire, un « sayyid » (descendant de Mahomet). Il lui demanda à maintes reprises de le lui vendre, mais l'autre refusa jusqu'à sa mort. Dès que le musicien apprit la nouvelle du décès, il alla trouver les fils du défunt et échangea le shemshal contre un mouton. Cet instrument devint, selon ses propres dires, son unique ami. "Nous avons grandi ensemble, dormi ensemble, nous bavardions. Parfois il était impoli et m'injuriait ! Nous avions souvent des entretiens privés de la sorte."
Alors qu'il souffrait déjà d'une longue maladie, les médecins lui avaient dit d’arrêter de jouer, mais il refusa jusqu'au bout, et est finalement mort à 84 ans. Qala Mere avait également enregistré pour la télévision Kurdsat. Il était célébré au Kurdistan d'Irak et avait reçu un prix qui récompense chaque année les personnalités artistiques les plus éminentes. Il avait émis le vœu que son instrument soit légué à un musée de la Région du Kurdistan d'Irak et son shemshal doit revenir ainsi au musée d'Erbil.