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Le 25 juillet prochain, environ 2 millions et demi d'électeurs de la Région du Kurdistan vont se rendre aux urnes à la fois pour renouveler le parlement et élire un président. Pour le parlement, 24 partis politiques (dont 5 listes d'alliance) et des personnalités indépendantes sont en lice pour les 111 sièges de députés (11 réservés à plusieurs minorités ethniques et religieuses), ce qui fait un total de 507 candidats aux législatives.
La liste principale est la liste Kurdistani, fruit de l’alliance des deux grands partis kurdes, le PDK de Massoud Barzani et l'UPK de Jalal Talabani. Ces deux grands partis historiques, longtemps rivaux, sont réconciliés depuis 2003 et font bloc à la fois à Bagdad et à l'intérieur de la Région contre des partis qui, jusqu'ici, n'avaient pas beaucoup de poids, comme les partis religieux ou ceux d’extrême-gauche. Cette année, ils doivent faire face à un troisième concurrent un peu plus sérieux, la liste de Nawshirwan Mustafa, « Goran » ou « Changement » qui prône la réforme des institutions et du système politique, alors que la liste Kurdistani joue surtout la carte de la conservation des acquis, de la prudence politique face aux futurs défis et de l'expérience historique de ses leaders. Cela dit, on trouve peu de différence entre les programmes du PDK-UPK et de la liste Goran. Il est à noter que Nawshirwan Mustafa n'est pas candidat à la présidentielle et que le changement concerne surtout la politique interne du Kurdistan et surtout celle de l’UPK. Il vise un électorat composé d'anciens électeurs de ce parti et aussi de jeunes citoyens kurdes désireux de mettre fin à la mainmise des vétérans de la politique kurde sur les affaires du pays.
La liste du Service et de la Réforme est une coalition un peu hétéroclite de 4 partis politiques : Deux partis islamistes, l'Union islamique du Kurdistan (proche des Frères musulmans) et le Groupe islamique du Kurdistan (anciennement lié au groupe terroriste Ansar al-Islam mais assagi depuis en ce qui concerne le terrorisme quoique toujours soupçonné de liens étroits avec l'Iran), et deux partis de gauche laïcs, le Parti social-démocrate du Kurdistan, anciennement lié à la liste Kurdistani, et le parti du Futur, qui résulte d'une scission avec le parti des Travailleurs (proche de l'UPK). Leur mot d’ordre est la lutte contre la corruption et une plus grande participation des femmes dans la vie publique de la Région.
La liste du Parti conservateur du Kurdistan est menée par Zaïd Surtchi. C’est en fait un groupe de leaders tribaux, dirigé par la tribu Surtchi qui, depuis 1996, époque de la guerre civile, considère avoir une « dette de sang » avec les Peshmergas du PDK de Massoud Barzani. Longtemps soutenus par l’UPK, ils font maintenant cavaliers seuls. La tribu des Surtchi se répartit entre Erbil, Duhok et Mossoul.
La liste du Mouvement islamique du Kurdistan fondé en 1979 par Sheïkh Uthman Abdul-Aziz regroupe des mollahs sunnites. Le Mouvement a été très implanté à Halabja et dans la région autour de la ville, faisant de leur fief un petit Islamistan, nettoyé par l'UPK en 2003.
La liste de la Justice sociale et de la liberté est une alliance de 6 partis de gauche : le Parti communiste du Kurdistan, le Parti des travailleurs, le Parti du travail indépendant du Kurdistan, le Parti pro-démocrate du Kurdistan et le Mouvement démocratique du peuple du Kurdistan. Leurs principales revendications sont l’égalité des droits entre hommes et femmes, résoudre la crise du logement, donner priorité au secteur agricole et à la laïcité
La liste de la Jeunesse indépendante est menée par Hiwa Abdul-Karim Aziz un journaliste de 30 ans. La liste rassemble des avocats, des professeurs d'université, des journalistes et réclame une plus grande participation de la jeunesse aux affaires du pays.
Le Mouvement de la Réforme au Kurdistan est mené par Abdul-Musawwar Barzani. Il veut lutter contre la corruption et axe sa campagne sur le respect des droits de l'homme.
La liste de la Progression est menée par Halo Ibrahim Ahmed, beau-frère de Jalal Talabani, qui est aussi candidat aux présidentielles. Il promet d’améliorer le niveau de vie des Kurdes et que ses candidats, s'ils sont élus, rempliront leurs promesses dans une durée de 6 mois ou bien démissionneront. Halo Ibrahim Ahmet était lui aussi un ancien membre de l'UPK et en a démissionné pour former son parti. Il vivait surtout en Suède et en Grande-Bretagne.
La liste du Parti national démocratique du Kurdistan fondé en 1995 milite pour un « Grand Kurdistan » qui regrouperait les Kurdes d'Irak, de Turquie, de Syrie et d'Iran. A ses débuts, il était proche du PKK mais s'en est éloigné depuis pour se rapprocher du PDK. Son discours est toujours très hostile à la Turquie. Le Parti des Travailleurs et employés du Kurdistan existe depuis 14 ans. C’est un parti de gauche et sa campagne insiste beaucoup sur la justice et les droits pour tous.
La Liste de l'avenir radieux au Kurdistan est menée par le Dr. Muhammad Saleh Hama Faraj, qui a vécu en Grande-Bretagne de 1980 à 2008. Il souhaite la réécriture d’une nouvelle constitution.
Le parlement kurde réserve 5 sièges aux Turkmènes. 4 listes turkmènes sont concurrentes. La liste des Turkmènes d'Erbil est menée par Mahmud Tchalabi, un ancien membre du Front turkmène, qui a fait sécession. Cette liste réclame le rattachement de Kirkouk à la Région et est contre toute interférence turque dans les affaires du Kurdistan.
La Liste turkmène de la Réforme est menée par Abdul Qadir Zangana, qui veut renforcer le rôle des Turkmènes dans la vie politique de la Région. Il est proche du Front turkmène de Kirkouk et donc opposé au rattachement de cette province à la Région du Kurdistan.
Le Mouvement démocratique turkmène au Kurdistan a été fondé en 2004 et est mené par Karkhi Alti Barmak avec d'anciens membres du Front turkmène, le parti pro-turc de Kirkouk. Ayant opté pour une alliance avec les Kurdes ils souhaitent à présent le rattachement de Kirkouk à la Région, et sont opposés à la Turquie.
La Liste indépendante turkmène est menée par Kanhan Shakir Aziz. Selon lui, les Turkmènes sont en majorité à Kirkouk, qui doit donc être déclarée région indépendante.
5 sièges sont réservés aux chrétiens et 4 listes chrétiennes sont en lice. La Liste chaldéenne unifiée est une alliance du Parti de l'Union des Chaldéens et du Conseil national chaldéen. Ils étaient alliés à la liste PDK-UPK en 2005.
La Liste de l'autonomie chaldéenne syriaque assyrienne est une alliance de la branche assyrienne-chaldéenne du Parti communiste irakien et du Parti patriotique assyrien (dont le secrétaire général est ministre du Tourisme de la Région). Elle réclame une autonomie pour les districts chrétiens de Ninive-Mossoul, au sein de la Région du Kurdistan.
La liste Al Rafidain est celle du Mouvement démocratique assyrien menée par Yunadam Kanna, le seul député chrétien élu au parlement irakien, qui connaît des alliances politiques assez fluctuantes et est contesté dans son parti. Anciennement soutenu par la Région, il a semblé se rapprocher des nationalistes arabes l'année dernière. Il refuse une région autonome chrétienne pour Ninive-Mossoul qui serait rattachée au Kurdistan. Dans cette campagne, il insiste sur l'emploi renforcé de chrétiens dans les forces de sécurité de la Région kurde.
Le Conseil national des Chaldéens Syriaques Assyriens est mené par Sarkis Aghajan Mamendo, ancien ministre des Finances et de l'Economie du GRK, pilier de la « politique chrétienne » de la Région. Son mouvement est souvent vu comme la branche chrétienne du PDK, Sarkis Aghajan étant très proche des Barzani. Il veut une autonomie chrétienne à Ninive-Mossoul au sein de la Région. Un siège est réservé aux Arméniens, qui comptent 200 familles à Zakho. 3 candidats arméniens se présentent : Aram Shahine Dawood Bakoyan, Eshkhan Malkon Sargisyan et Aertex Morses Sargisyan.
Al Ammal, la liste qui présentait la branche du PKK pour le Kurdistan d'Irak, le PÇDK, a été interdite d'élections par les autorités judiciaires de Bagdad, comme l'a annoncé la Haute Commission électorale indépendante irakienne.
Contrairement aux précédentes élections dont le large boycott de l’électorat réformiste avait permis au conservateur Ahmadinejad de l’emporter, ces élections présidentielles ont été intensément suivies en Iran et les observateurs présents ont noté une large participation, le 12 juin, jour du scrutin. Sur une liste de candidats agréés par le Conseil des gardiens de la Révolution et le Guide suprême, seuls Ahmadinejad, le président sortant, et Hossein Mousavi pouvaient espérer l’emporter, ce dernier étant vu comme le grand favori.
Mais quelques jours avant le vote, Amir Taheri, un journaliste iranien en exil, rappelait dans un article publié dans le journal Asharq Alawsat que la victoire de Mousavi n’était pas si assurée. Amir Taheri rappelait en effet que le pouvoir dans ce pays était réellement détenu par Khamenei, le Guide suprême. Or, Ahmadinejad ayant été soutenu dans cette campagne par le Guide, voter contre lui équivaudrait à voter contre le Guide, ce que le pouvoir iranien ne peut tolérer.
Cette analyse était confirmée par Yves Bonnet, ancien directeur de la DST (Direction de la sécurité du territoire), auteur d’ouvrages sur l’Iran, dans une interview donnée à France Soir : « ... dans l’organisation politico-administrative de l’Iran, les élections ne jouent pas le rôle qu’elles ont en Occident. La seule élection véritable est celle du Guide suprême, dont le rôle est fondamental et qui cumule la totalité des pouvoirs dans un Etat, au niveau de l’exécutif, du constitutionnel et du législatif comme du judiciaire et du religieux. L’absolutisme est donc total, et le théocratisme absolu, au point de reléguer l’Ancien Régime français au rang des régimes particulièrement libéraux… Tout ce qui se fait en Iran ne peut se faire qu’avec l’aval du Guide suprême. Le système est très clair : une personne régit tout. » Selon Yves Bonnet, la liste des candidats retenus montre que l’ayatollah Khamenei a tout fait pour la réélection d’Ahmadinejad, en détaillant le parcours peu reluisant de la majorité des candidats, le religieux Mehdi Karoubi excepté : « Ahmadinejad, surnommé « l’homme aux 1000 coups de grâce » puisqu’il achevait les condamnés dans la prison d’Evin ; Mohsen Rezai, ancien chef des pasdaran (un peu l’équivalent des Waffen SS du régime hitlérien), qui fut conseiller pour la sécurité de Rafsandjani et fait l’objet d’un mandat d’arrêt international ; Hossein Moussavi enfin, ex-Premier ministre de Khomeyni, l’homme sous le regard duquel se sont perpétrés les massacres d’août 1988 quand 30.000 personnes furent tuées. En fait, le Guide suprême fait tout pour favoriser l’élection d’Ahmadinejad. »
De fait, dès le lendemain du scrutin, le président sortant fut annoncé vainqueur avec 64% des voix. Ces résultats ont été alors immédiatement dénoncés par les autres candidats, Hossein Mousavi et Mehdia Karroubi en tête, tandis que la rue iranienne explosait en manifestations spontanées. Très vite les accusations de fraude se multiplièrent, tandis que les chefs d’Etat étrangers restaient, pour la plupart, relativement prudents dans leurs déclarations.
Rapidement, les manifestations de protestation se heurtèrent aux violences des forces de l’ordre et des milices bassidji et des chiffres donnés en secret par des employés du ministère de l'Intérieur ont été repris par plusieurs sources, dont radio Farda, Voice of America, radio Zamane : Musavi serait arrivé en tête avec 19 millions de voix, en second, Mehdi Karroubi avec 13.3 millions et seulement en 3ème position Ahmadinejad, avec 5.7 ; Rezayi aurait obtenu 3.5.
L’ampleur des protestations dans la plupart des grandes villes d’Iran semble confirmer ce score, qui ne signifie pas forcément un soutien inconditionnel envers Mousavi (dont les appels à ne pas manifester ont été souvent conspués par les étudiants), qui est aussi un homme du régime, mais plutôt un rejet du système et surtout de la présidence d’Ahamdinejad. De plus, Hussein Mousavi a mené une campagne habile, contournant les censures et les obstacles policiers, comme l’explique un des innombrables blogueurs anonymes qui se sont exprimés de Téhéran, soit via Internet ou Twitter, sur les événements auxquels ils assistaient en direct, alors que les journalistes étrangers étaient consignés ou expulsés : «
Beaucoup de gens ne connaissaient rien des candidats. Tout ce qu'ils savaient de Karroubi et de Mousavi était que Karroubi est un mollah et que Mousavi porte un costume civil (et que donc il doit être plus moderne).Mousavi a eu beaucoup plus d'argent que Karroubi, et il a été très bon dans sa campagne. Prendre pour symbole la couleur verte était un coup de génie. Cela a rendu sa campagne publicitaire peu chère et facile. Une fois, à un meeting de Karroubi nous chantions des slogans sur la place Vali Asr. Les supporters d'Ahmedinejad nous ont attaqués. Ils ont coupé l'électricité de sorte que Karroubi ne puisse plus parler. Mais les supporters de Mousavi n'avaient qu'à porter la couleur verte. Cette couleur est devenue la couleur du « Non à Ahmedinejad. »
Ainsi, deux footballeurs iraniens ont porté un brassard vert avant un match se déroulant en Corée du Sud, retransmis à la télévision. Ils ont été interdits de jeu à vie mais l’impact d’une telle « révolution », menée à l’aide d’images vidéo diffusées dans le monde entier via You Tube, Daily Motion, Facebook, a frappé l’opinion publique par le caractère particulier de cette dissidence en images et en courts messages (un phénomène qui avait déjà eu lieu en Birmanie ou au Tibet) que n’a pu arrêter complètement la censure étatique. La mort en direct d’une jeune fille à Téhéran, frappée d’une balle en plein cœur par un milicien basidji a aussi fourni une icône à ce mouvement, et le visage ensanglanté de Neda Salehi Agha Soltan a fait rapidement le tour du monde, tandis que des veillées avec des bougies étaient organisées aussi bien en Iran qu’à l’étranger.
Bien que l’ampleur du mouvement ait pu surprendre le régime, certains analystes y voient aussi une occasion, pour le Conseil des gardiens de la Révolution, « d’épurer » leurs rangs en arrêtant et intimidant les mollahs « réformateurs » proches de Mousavi ou Karroubi. Ainsi, pour Aaron Rhodes, porte-parole de l’International Campaign for Human Rights in Iran, « les services iraniens et les forces de sécurité profitent des manifestations publiques pour mener ce qui semble être une purge majeure des individus favorables aux réformes, dont les vies pourraient être menacées en détention. » Aaron Rhodes cite notamment le cas de Saeed Hajarian, ancien conseiller de Mohammad Khatami, qui avait soutenu la candidature de Hossein Mousavi. Diminué physiquement par une tentative d’assassinat qu’il avait essuyée 9 ans auparavant, Hajarian a besoin de soins médicaux constants et son arrestation récente met ainsi sa vie en danger. Il y a aussi la mort suspecte, dans un accident de voiture, de Mohammad Asgari, un responsable de la sécurité des communications au ministère de l’Intérieur. Asgari était soupçonné de détenir (et d’avoir diffusé) les preuves de la fraude électorales et les résultats qui donnaient Mousavi vainqueur.
Pour le moment, l’ayatollah Khamenei ne semble pas vouloir céder d’un pouce et se réfère toujours à Ahmadinejad comme étant « le président élu », malgré un simulacre de recomptage des voix dans certains secteurs, qui s’est conclu par la confirmation de la réélection du président sortant. Khamenei a catégoriquement rejeté les demandes de Mousavi et de Karroubi sur l’annulation du scrutin.
Les provinces kurdes d’Iran ont aussi emboité le pas à l’agitation partie de la capitale, même si manifester dans une ville de moyenne importance est bien plus dangereux qu’à Téhéran. Dès le 16 juin, les sit-in d’étudiants commençaient à l’université Avicenne de Hamadan, malgré les attaques des forces de sécurité et l’arrestation de 12 étudiants. A Kermanchah, la population a défilé dans les rues en scandant des slogans hostiles au régime. Là aussi, les forces de sécurité et des agents en civils ont chargé les manifestants, en blessant un certain nombre et procédant à des arrestations.
Le 23 juin, la ville kurde de Saqiz était presque totalement paralysée par une grève générale, avec 80% des magasins qui avaient baissé leurs rideaux dans les avenues principales. Au cours de la journée, la fermeture des boutiques s’est progressivement étendue à toute la ville. Le même jour, à Marivan, le bazar était également fermé en signe de grève, malgré les patrouilles intensives des forces de l’ordre et des agents en civil, qui empêchent tout attroupement. A Sanandadj, les Gardiens de la Révolution surveillent la ville et ont installé des caméras qui filment 24h sur 24 les principaux carrefours et place. Mais 3000 personnes se sont rassemblées le lendemain dans cette même ville pour organiser une veillée mortuaire à la mémoire de Neda Salehi Agha Soltan, avec des bougies et la photo de la victime. La commémoration a été interrompue par l’assaut des forces de sécurité qui ont dispersé les manifestants avec des gaz lacrymogène.
A Kermanchah, un couvre-feu a été instauré dès le 24 juin. Tout rassemblement de plus de 3 personnes a été interdit à partir de 16 h. Un régiment de l’armée habituellement posté à la frontière a été envoyé en renfort. Cela n’a pas empêché d’autres manifestations d’avoir lieu, notamment lors des funérailles d’un jeune étudiant Kurde, Kianoosh Assa, mort en détention sous la torture. 6000 personnes suivaient le cortège et se sont heurtées avec les forces de l’ordre. Ce n’était pas la première victime kurde. Le 18 juin, la famille de Farzad Jachni, 17 ans, originaire de la province d’Ilam, était enterré en secret dans la ville d’Abdanan (Ilam), alors qu’il avait été tué à Téhéran par les miliciens du régime. Les forces de sécurité ont obligé la famille du jeune homme à garder le silence sur sa mort et à procéder à des funérailles quasi-clandestines.
Le 24 juin le Parlement kurde a voté et approuvé par 96 voix sur 111 (97 présents) la nouvelle constitution de la Région du Kurdistan d’Irak. 7 députés ont refusé de prendre part au vote, non pour des raisons tenant au texte lui-même mais en alléguant de ce que la légalité de ce parlement a expiré le 4 juin. En effet, les élections initialement prévues en mai ont été reportées au 25 juillet, pour des problèmes techniques et budgétaires qui dépendaient de l'Irak et de sa Haute Commission électorale. Les 7 députés protestataires se présentant sur des listes concurrentes à la liste qui détient actuellement la majorité du parlement, dont celle de Nawshirwan Mustafa, auraient préféré voter en tant que membres parlementaires nouvellement élus dans leur liste.
Mais le principal effet d’annonce de cette constitution a été la revendication de Kirkouk et des autres districts kurdes mentionnés dans la constitution irakienne (art.140), dans la définition des frontières du Kurdistan d’Irak : « Le Kurdistan d'Irak est une entité géographique et historique qui comprend les provinces de Dohouk, Souleimaniyeh, Erbil et Kirkouk » ainsi que 11 autres places situées dans les districts à majorité kurde des provinces de Ninive-Mossoul et de Diyala (comme Khanaqin). Concernant ses habitants, « le Kurdistan est composé de Kurdes, Turcomans, Arabes, Syriaques, Chaldéens, Assyriens, Arméniens et d'autres citoyens vivant dans cette région ». Au sujet des religions, le texte dit « reconnaître et respecter l'identité islamique de la majorité du peuple du Kurdistan en Irak » et la totalité des « droits religieux des chrétiens et des yézidis ». Comme la constitution irakienne, la constitution kurde reconnaît l'islam comme source principale de la législation (art. 6), ce qui est un recul par rapport à la volonté des Kurdes d'imposer, en 2004, la laïcité dans la loi pour la constitution irakienne, tout en énonçant, comme dans la constitution irakienne qu'aucune loi contraire à la démocratie et aux droits de l'homme ne peut être votée, ce qui est une façon de contrer la charia dans ses dispositions les plus conservatrices.
Les langues kurde et arabe sont les langues officielles de la Région, tandis que le turkmène et le syriaque seront langues officielles dans les zones où elles sont parlées par la majorité des habitants.
Le système politique de la Région du Kurdistan est parlementaire, républicain et démocratique, selon l'article 1 de la constitution, qui en comprend 122. L’ancien « Chef » de la Région du Kurdistan en 1992 est aujourd'hui le Président, élu au suffrage direct, et toujours commandant direct des Peshmergas (articles 60 à 65). Son mandat est de 4 ans et il peut être réélu une fois. Il a le pouvoir de proposer des lois et des amendements au Parlement ; délivrer des décrets présidentiels pour dissoudre le Parlement dans les cas mentionnés par la constitution; déclarer l'état d'urgence après consultation avec le président du parlement et le Premier ministre en cas de guerre, d'invasion, de désastres naturels, d'épidémies.
L'article 8 rappelle à Bagdad ses limites en tant que gouvernement central : aucun accord international passé avec l'Irak et concernant la Région du Kurdistan ne peut être valable s'il n'est pas approuvé par la majorité des députés kurdes, ce qui peut concerner le domaine des hydrocarbures et leur exploitation, grand sujet de litige avec Bagdad, mais aussi un éventuel accord militaire passé entre l'Irak et des troupes étrangères sans l'accord de la Région.
Dans le sens inverse, la constitution permet à la Région du Kurdistan de signer des accords avec d'autres pays ou régions qui devront être ultérieurement approuvés par le gouvernement fédéral. Si ce n'est pas le cas, les accords ne seront pas appliqués. Mais l'article précise que les accords devront être refusés à Bagdad « pour des raisons légales ou constitutionnelles ».
Comme la constitution irakienne est assez large et assez floue sur beaucoup de questions, notamment les pouvoirs fédéraux, cela laisse une marge de manœuvre à la Région pour passer outre le veto. La constitution reconnait à tous les citoyens la garantie de leurs droits. Tout aveu extorqué par la torture ou par la menace ne pourra être pris en considération. Les civils ne peuvent être traduits devant un tribunal militaire et les détentions arbitraires sont illégales. Les tribunaux d'exception sont interdits par l'article 84. Les juges et les membres du parquet ne peuvent être membres de partis politiques.
Dans une conférence de presse, le président du Parlement kurde Adnan Mufti a qualifié la journée "d'historique pour le peuple du Kurdistan qui possèdera désormais sa propre Constitution et pourra ainsi exercer ses droits". La constitution sera soumise au référendum dans la Région du Kurdistan. La date du 25 juillet avait été d’abord avancée (en même temps que les présidentielles et les législatives) mais la Haute Commission électorale a jugé que c’était techniquement infaisable et la date d’un tel référendum est donc repoussée à une date inconnue.
La définition sans équivoque des frontières du Kurdistan d’Irak a suscité immédiatement l’hostilité des partis nationalistes arabes en Irak ainsi que l’embarras de l’administration américaine. Le 30 juin, 50 députés irakiens, menés par le nationaliste Ossama Al-Nudiafi, qui vient de remporter les élections provinciales à Mossoul, ont signé une pétition condamnant la constitution kurde. « Non seulement elle n’est pas compatible avec la constitution fédérale mais elle la viole et donne à la Région plus de pouvoir qu’à Bagdad... Cette constitution attise la haine entre les différentes composantes de l’Irak et constitue une provocation à l’égard des voisins de l’Iral en essayant de bâtir un « grand Kurdistan ».
Parmi les députés pétitionnaires, on compte d’autres sunnites, comme Omar al-Juburi du Front de la Concorde, le principal bloc sunnite ou bien des membres du groupes sadriste chiite, comme Fawzi Akram qui juge que « cette constitution va mener à une crise dans les relations entre les différentes composantes du pays. »
Le prochain retrait américain attise les tensions et les craintes des différentes communautés de Kirkouk « Les Arabes de Kirkouk craignent que les forces de sécurité (kurdes) de la province qui travaillent pour les partis politiques prennent le contrôle de la ville après le retrait des forces américaines » déclare ainsi Mohammad Khalil al-Juburi, à la tête du « Bloc arabe » de la ville. « Même si la situation est stable aujourd’hui, du point de vue de la sécurité, il n’y a pas de participation équitable (entre les différentes communautés) dans ce secteur et c’est ce qui nous inquiète. »
La « participation équitable » au pouvoir, principale revendication des Arabes de Kirkouk, est en fait une distribution à parts égales dans les conseils provinciaux entre les communautés kurde, arabe et turkmène, sans égard à la démographie réelle et donc au fait que les Kurdes y sont largement majoritaires. C’est pourquoi les élections de ce conseil ont pour le moment été repoussées, les Arabes et les Turkmènes refusant une répartition des sièges à la proportionnelle.
Bien que l’armée irakienne tente, au moyen d’envoi de troupes, de reprendre le contrôle des régions disputées, comme Kirkouk et Khanaqin, pour le moment sécurisées par les Peshmergas, l’insuffisance des pouvoirs publics irakiens dans le domaine de la sécurité et des infrastructures n’est pas non plus pour rassurer la population après le départ des troupes américaines. Comme l’explique Turkan Shukur Ayoub, une Turkmène siégeant au Conseil de province de Kirkouk, « le gouvernement doit renforcer l’armée à Kirkouk après le retrait des USA car la police est faible et manque d’équipements. Nous espérons qu’ils nous écouteront et enverront des troupes supplémentaires. »
Mais ce n’est pas l’avis d’Ahmad al-Askari, un Kurde lui aussi membre du Conseil, qui se dit confiant sur la manière dont la police de Kirkouk pourra assurer la sécurité. Un autre conseiller kurde, Azad Jibari souligne que les Asayish (services de sécurtié kurdes) devraient être plus impliqués dans la protection de la ville, en raison de leur compétence dans la lutte contre le terrorisme.
Selon les chiffres des forces de sécurité, il y a actuellement 11.500 policiers à Kirkouk, dont 35% d’Arabes, 35 % de Kurdes, 28% de Turkmènes, avec quelques chrétiens.
En novembre 2004, l'assassinat par des policiers turcs d'Ahmet Kaymaz, âgé de 31 ans, et de son fils Ugur, âgé de 12 ans avait fait un certain bruit. Le père et le fils avaient été tués dans leur village de Qoser, (région de Mardin), sur le pas de leur maison. L'armée invoqua une opération de sécurité, et se borna à déclarer que des « terroristes » étaient morts lors de cette action militaire.
Très vite cependant, l'âge de l’enfant, les témoignages de la famille et des villageois infirmèrent ces allégations. Le frère d’Ahmet Kaymaz, Reshat Kaymaz avait déclaré alors raconté les faits à la presse : « Mon frère était chauffeur routier, c'était ainsi qu'il faisait vivre ses enfants. Voici ce qui s'est passé : Un soir, mon frère et son fils Ughur sont sortis, ils voulaient conduire le camion. Quand soudain ils ont été la cible d'un tir nourri de la part de la police et de l'armée. Mon neveu a reçu 13 balles et mon frère sept. Ce sont des martyrs, tout le monde a pu voir comment un père et son enfant ont été criblés de balles… c'est un crime et j'appelle le monde entier à ne pas rester siliencieux et à mettre fin à la sauvagerie de l'armée et de la police turques...”
Ahmet Kaymaz était connu comme un membre du Parti de la démocratie du peuple (DEHAP) et des membres de sa famille avaient été incités à devenir gardiens de village, ce qu'ils avaient refusé. Selon les rapports des médecins légistes qui furent publiés, c'est bien 13 balles que l'on dût extraire du corps d'Ughur, dont neuf d'entre elles avaient été tirées dans le dos, à bout portant du corps de l'enfant. La mère du gamin, qui avait assisté à la fusillade de sa maison, a affirmé avoir vu un officier de la Sécurité, le pied posé sur la nuque de son fils. L’instituteur du village, accouru très vite sur les lieux au bruit des coups de feu, corrobora les dires de la famille, réfutant également la possibilité qu'une arme retrouvée près du cadavre ait pu être utilisée par l'enfant. Selon lui, cette arme pesant près de 3 kilos était bien trop lourde pour la stature du jeune garçon. Autre fait troublant, et qui convient mal à l'équipement d'un « terroriste » en armes, c’est que l’enfant n’était chaussé que de savates d’intérieur.
L’affaire avait fait un certain bruit dans l’opinion turque et l’éditorialiste turc Mehmet Ali Birand avait appelé à une enquête sérieuse : « Maintenant il est temps d'écouter votre conscience. Il est temps de passer au crible les rapports, de découvrir la vérité et de prouver que cela n'a pas été un assassinat. Nous sommes en train de parler d'un garçon de 12 ans, tué devant sa maison, alors qu'il disait au revoir à son père qui partait pour un autre trajet en camion. Nous parlons d'un père qui devait rester hors de chez lui pendant des mois pour joindre les deux bouts. La vérité doit être faite. Personne ne doit être soustrait ou protégé de la justice. L'ensemble des lois que nous appelons les critères de Copenhague sont un choix de vie. En bref, ça s'appelle la démocratie. La démocratie est un régime qui doit s'appliquer à tous dans ce pays. Le gouvernement est confronté à un test de sincerité. Le moyen de prouver que la démocratie a réellement été instaurée en Turquie réside dans les efforts nécessaires pour enquêter sur le meurtre des Kaymaz. La route vers l'UE ne passe pas par Bruxelles mais par Kiziltepe, à Mardin. »
Mais en avril 2007, les quatre policiers responsables de la tuerie avaient été acquittés par le tribunal d’Eskishehir, même si une enquête parlementaire avait conclu à de « lourdes négligences » de la part des forces de l'ordre, lors de l'opération. Rejugés en appel ce mois-ci par la Cour suprême d’Ankara, Mehmet Karaca, Yasafettin Açıkgöz, Seydi Ahmet Döngel et Salih Ayaz ont été une fois de plus acquittés, le tribunal jugeant que les quatre policiers avaient agi ou s'étaient senti "en état de légitime défense". Reshit Kaymaz, frère et oncle de la victime a déclaré qu’il porterait l’affaire devant la Cour européenne de Strasbourg.
Le monastère syriaque de Mar Gabriel, fondé en 397 dans la région du Tur Abdin, en butte aux manœuvres procédurières à la fois de l’Etat et d’élus locaux AKP pour une expropriation de ses terres, a été condamné le 24 juin à « restituer » à la Turquie 34 hectares de forêts par le tribunal de Midyat, qui devait décider si le monastère était bien propriétaire des terres qui entouraient les bâtiments, convoitées par les villageois alentour. Les terres maigrement boisées d’arbustes autour des bâtiments ont été déclarés « forêt » et par là-même propriété du Département forestier d’Etat.
Une autre plainte concernait le mur que les moines avaient élevé autour des bâtiments pour se protéger lors des affrontements de l'armée avec le PKK. Ils sont accusés d'avoir violé la loi en bâtissant ce mur, et le procès est reporté au 30 septembre. Par contre, l'Autorité du trésor d'Etat perd contre Mar Gabriel. Cette institution réclamait, on ne sait pourquoi, 12 parcelles de terrain, dans et hors le mur controversé, le tout faisant 24 hectares.
Derrière cette hostilité à fondement religieux s'est en plus greffé un bras de fer politique entre les élus AKP (le parti au gouvernement) et le DTP (parti pro-kurde). Ainsi, le député AKP de Mardin Süleyman Çelebi a affirmé à la presse : « Nous sommes les propriétaires légitimes du monastère et les Syriaques sont sous la protection de la République. » Mais cela n’est pas exact car les Syriaques, qu'ils soient orthodoxes ou catholiques, partagent avec les Alevis l'inconvénient de ne pas figurer en tant que minorité religieuse dans le Traité de Lausanne. Ils ne sont donc pas sous la « protection de la République », pas plus que leurs bâtiments cultuels, alors qu’on ne peut spolier (en principe) des communautés grecques ou arméniennes.
Les élus DTP de la région ont, au contraire, adopté une politique de protection et de défense de toutes les cultures locales et ses représentants se sont plusieurs fois exprimés pour défendre les droits des moines. « Il n'y a ni or, argent, pétrole dans la région, mais des plants de chêne que les villageois voudraient utiliser. Je crois que le jugement sera rendu en faveur des Syriaques, à qui ces terres appartiennent », avait ainsi déclaré avant le jugement à Hürriyet Metin Kutlu, adjoint au maire du Midyat, qui accuse le parti au pouvoir de mener toute cette bataille juridique.
De fait, Süleyman Çelebi, le maire AKP de Mardin, n'apparaît pas comme un grand ami des chrétiens syriaques. Au sujet de sa ville qui comptait une importante population syriaque jusqu'au début des années 1990, et ce malgré le génocide, il a par exemple affirmé que les « Suryani » avaient quitté la région de leur plein gré dès les années 1980 (en fait chassés par la guerre). Et s'il nie soutenir les villageois dans leur action en justice, il ne cache pas son opinion sur la question en affirmant que les villageois étaient « conscients de leurs droits ».
Fondé en 397, Mar Gabriel est un des plus vieux anciens monastères du monde continuellement occupés. Midyat est actuellement le siège de l'évêché syriaque orthodoxe du Tour Abdin, avec à sa tête Mgr Timotheos Samuel Aktash. Le Tour Abdin est un des plus anciens et des plus prestigieux lieux d'occupation du christianisme oriental mais en raison de sa position frontalière avec la Syrie et l'Irak, la région a souffert des affrontements entre le PKK et l'armée. La population, qui comptait 130 000 Syriaques dans la région dans les années 1960 est aujourd'hui tombée à près de 3000.
Le monastère abrite 3 moines, 14 nonnes et 35 étudiants, à qui il est enseigné, en plus de la théologie, la langue syriaque, et c’est peut-être un point qui dérange aussi les autorités turques car, pas plus que le kurde, le syriaque n’a été reconnu et admis comme langue d’enseignement en Turquie. Même dans les villages où vivent encore des chrétiens, l’apprentissage du syriaque se fait encore de façon semi-clandestine auprès des plus jeunes. En novembre 2007, Abdullah Demirbas, l'ancien maire de Sur, une municipalité de Diyarbakir, et Osman Baydemir, le maire de Diyarbakir ainsi que 19 autres membres du Conseil municipal avaient été jugés et finalement acquittés pour avoir édité des brochures municipales en d’autres langues que le turc, dont l'arménien, le syriaque et le kurde.
Le cinéaste kurde Bahman Ghobadi a été arrêté le 2 juin puis relâché le 9 sous caution en Iran, alors qu’il rendait visite à sa famille, dans son village natal, près de la frontière irakienne. Il était accusé d’avoir formulé des « critiques sévères » contre le régime iranien, lorsque son dernier film, « On ne sait rien des chats persans » avait ouvert la section Un Certain Regard du festival de Cannes 2009, le 14 mai.
En avril dernier, sa fiancée et assistante, Roxana Sabri avait été arrêtée pour « espionnage » et condamnée à 8 ans de prison. La peine avait été commuée en appel à deux ans avec sursis et elle avait été libérée en mai, peu de temps avant l’ouverture du festival de Cannes. Il lui est interdit d’exercer son métier de journaliste en Iran pour une durée de cinq ans.
Les « critiques » formulées par Bahman Ghobadi à l’égard du régime des Ayatollahs étaient dans le sujet même de son film, montrant la vie nocturne et quasi-clandestine de la culture musicale underground d’Iran, avec des groupes de rap et de rock, normalement interdits pour « décadence » et « obscénité ». Le tournage a donc été tout aussi clandestin et tourné en 17 jours, avec un équipement sommaire. Le film raconte l’histoire de deux jeunes musiciens, tout juste sortis de prison, qui essaient de monter un groupe pour jouer dans un festival en Europe. Les acteurs principaux en sont un groupe de rock et de blues, Mirza, un rappeur, Hichkas, des musiciens de pop iranienne ou de heavy metal. Pour faire ce film, Bahman Ghobadi n’a même pas pris la peine de quêter une autorisation hypothétique, comme il le raconte lui-même à la presse : « Après Half Moon, en 2006, le ministère de la Culture m’a fait savoir qu’il me soupçonnait d’avoir une position séparatiste, en tant que Kurde iranien ».
Dans une interview donnée à Village Voice Blog, le cinéaste revient sur sa carrière : « Ces 30 dernières années, j'ai vraiment dû travailler dans des conditions misérables, sous la peur, pour tourner des films sous le contrôle entier du gouvernement. Je mentais constamment. Le ministère de la Culture, qui devrait nous enseigner la culture et l'éducation, nous a seulement appris à mentir. Depuis 30 ans. Dans un pays si civilisé - qui avait été civilisé- comme l'Iran, le ministre de la Culture en Iran est vraiment devenu comme une armée. Et le plus grand ennemi des créateurs en Iran est le ministre de la Culture. »
Au sujet de la jeunesse iranienne qu’il a côtoyée lors du tournage et sur les événements, prévisibles selon lui, qui ont suivi la réélection contestée d’Ahamdinejad : « J'ai eu l'impression que quelque chose était sur le point d'arriver. Ils étaient si tendus, si agités, dans un état d'esprit révolté. Je voulais me servir de ce film pour hurler contre cette situation, hurler comme tous les membres de ces groupes avec qui j'ai travaillé. Je voulais hurler avec eux, faire de ce film un manifeste contre la situation brutale qui nous écrasait tous. »
Le festival de cinéma SineMardin s’est déroulé du 15 au 22 juin dans la ville de Mardin. Forts d’un certain succès, les organisateurs ont conclu des accords avec la société Dox-Box et le Festival international du film de Damas pour la prochaine saison, en 2010, tout en soulignant espérer des aides de la Turquie et de la Syrie.
Le directeur des programmes, Zihni Tümer, a ainsi confirmé au journal turc Hürriyet Daily News que le prochain festival se tiendrait sans doute dans deux villes, Mardin et Damas : « Nous n’avons encore signé aucun accord, mais en tant qu’organisateurs nous avons discuté d’une collaboration, des dates et décidé de nous soutenir mutuellement. »
Ce festival s’est en effet voulu résolument multi-culturel, dans une ville qui ne l’est pas moins, et a commencé avec des chansons kurdes, arabes et turques, puis la projection du film « Gitmek- My Marlon and my Brando » du cinéaste kurde Hüseyin Karabey. Le film raconte l’histoire de deux acteurs, Ayca et Hama Ali, l'une de nationalité turque et l'autre irakienne, qui se rencontrent sur un tournage et tombent amoureux l'un de l'autre. Puis chacun retourne chez soi et la relation se poursuit par lettre, vidéo, téléphone. C’est donc une version contemporaine d'une histoire d'amour épistolaire, sur fond de violence, en attendant l'invasion américaine de l'Irak. Quand la guerre commence, Ayca décide de rejoindre Hama Ali à Suleïmanieh, et l'histoire devient un road-movie entre frontières turque, iranienne, irakienne...
Paradoxalement, ce film avait été censuré en novembre 2008, lors du festival Culturescapes – Türkei, alors qu’il devait être projeté dans huit villes de Suisse, dont Genève. Le ministre turc de la culture avait en effet fait pression sur les organisateurs du festival en menaçant de retirer tout soutien financier, soit 400 000 euros, s’il n’était pas déprogrammé.
Dans le même temps, avec l’accord de l’Etat obtenu grâce à un tour de passe-passe initial, le groupe de théâtre kurde Destar a pu monter et jouer une pièce kurde au Théâtre national de Van, le 22 juin.
Le théâtre Destar avait, en effet, accepté, avec la compagnie qui organisait leur prestation, de changer le nom de leur pièce et de lui donner un nom turc, avant de la soumettre au théâtre national de Van, comme le raconte au journal Hürriyet, l’actrice et co-auteure Berfin Zenderlioğlu : « Nous avons eu l’autorisation parce que le nom (de la pièce) était en turc. Ils ne se sont aperçus que plus tard que le texte était kurde. Nous avons alors été invités à refaire une demande officielle pour jouer la pièce. Nous l’avons fait, et ils ont accepté. »
Miraz Metin et Berfin Zenderlioğlu, tous les deux âgés de 28 ans, ont en effet décidé d’écrire une pièce sur les relations entre les sexes. Il y a trois mois fut ainsi achevé Reşeşevê (Cauchemar), traitant de l’enfermement des femmes dans un système dominé par les hommes. « Dirigeant la pièce, je me suis ainsi interrogé moi-même en tant qu’homme » raconte Mirza Metin.
La pièce, jouée à deux acteurs, montre ainsi le personnage féminin aux mains liées par une corde, comme un pantin animé par un homme qui est le « Cauchemar ». Durant les 75 minutes que dure lapièce, les deux personnages se livrent à une critique de la société et du chaos provoqué par un système de domination masculine.
Mirza Metin, auteur et metteur en scène de la pièce, évoque l’époque où, en raison de l’état d’urgence dans les régions kurdes, de 1987 à 2002, les tanks étaient rassemblés tout autour du théâtre lors des représentations : « Des policiers en civil avaient l’habitude de venir au théâtre et nous dévions jouer nos représentations sur fond de messages-radio policiers. Nous étions quelquefois emprisonnés et relâchés quand ils comprenaient que nous n’étions que des acteurs de théâtre. »
Mais Berfin Zenderlioğlu reconnaît que les temps ont changé : « Le directeur général des théâtres nationaux, Lemi Bilgin a déclaré récemment que les théâtres étaient ouverts aux pièces kurdes et cela a eu son effet. »
Mirza Metin présente Destar comme une compagnie de théâtre opposée à la guerre et à la violence. « Nous nous opposons à une politique créée par un système qui rend les gens ennemis les uns des autres. En tant que groupe théâtral, nous essayons de trouver le moyen d’échanger dans le domaine de la culture. » Selon Berfin Zenderlioğlu, Destar, fondé en 2008, a cependant essuyé beaucoup de refus de la part des clubs de théâtre et des festivals : « Aucun de nos dossiers n’était accepté. On nous disait que, parce que c’était joué en kurde, le public ne comprendrait pas. » Mirza Metin précise qu’ils avaient souvent invité des grands noms du théâtre turc à voir leur pièce, afin de bénéficier de leurs expériences et de leurs avis, mais qu’ils rencontraient toujours les mêmes objections : « Ils disaient ne pas comprendre le kurde et ne venaient pas nous rendre visite. J’aurais voulu leur demander comment ils faisaient pour comprendre la langue quand ils allaient au théâtre à l’étranger. »
Mirza Metin ajoute qu’un dialogue entre les deux publics, kurde et turc, ne sera possible que s’il est mis fin à tous les préjugés : « Nous pouvons nous rapprocher au moins par le biais de la culture et de l’art. L’art n’a ni langue ni religion. Il est pacifique et peut être un médiateur. »
Berfin Zenderlioğlu explique, pour sa part, qu’elle n’a pu étudier dans sa langue maternelle puisque le kurde était interdit en Turquie jusqu’à une période récente, qu’elle a parfois du mal à s’exprimer de façon fluide sur la scène, et que son turc est meilleur que son kurde. Mais elle refuse cependant de jouer des pièces en turc : « J’ai une mission, qui est de garder vivantes ma langue et ma culture. »