Les premiers procès des opposants à Ahmadinejad ont commencé en Iran. Ils se résument en fait à une « auto-confession » des accusés. La validité de ces aveux a tout de suite été dénoncée par la rue iranienne comme par l’opinion publique internationale et les avocats de la défense. Ainsi, le soir qui a suivi la retransmission télévisée de la confession de Mohammad Ali Abtahi, un partisan du camp Karroubi et ancien vice-président sous Khatami, des quartiers entiers de Téhéran ont vibré sous les cris des protestataires, grimpant sur les toits des immeubles ou ouvrant les fenêtres pour clamer « Allahu Akbar ! » cri de ralliement des manifestants.
Si ces manifestations ont habituellement lieu tous les soirs, à la même heure, on a pu observer qu’elles redoublaient de vigueur et en nombre à chaque diffusion de ces procès. Les aveux de Mohammad Ali Abtahi ont particulièrement scandalisé l’opinion publique iranienne, tant en raison de la popularité de ce dernier et du blog qu’il tenait, mais aussi par le contraste frappant que les téléspectateurs iraniens ont pu voir entre l’aspect juvénile et replet d’Abatahi avant son arrestation et le spectacle d’épuisement physique et moral que l’accusé, qui paraissait avoir vieilli de dix ans, a montré au tribunal. Peut-être conscients que ces auto-confessions ne convainquaient guère le public, ou bien réagissant aux rumeurs de tortures qu’auraient subi les prisonniers, une chaîne gouvernementale a retransmis également un entretien « en direct » entre Mohammad Ali Abtahi et sa fille, venue le voir et l’interroger « librement » devant les caméras. Objectif de cet entretien télévisé : faire démentir par Abtahi lui-même les pressions physiques et morales qu’auraient enduré les accusés et notamment le fait qu’on lui ait administré ou non des « pilules » (sic) qui l’auraient contraint à avouer.
Le mois d’août a vu aussi s’intensifier le bras de fer entre Mehdi Karroubi et le président du Parlement iranien, Ali Larijani. Réagissant aux lettres publiques adressées par Karroubi aux dirigeants iraniens et à la Justice, au sujet des tortures et viols de manifestants emprisonnés, Larijani avait tout d’abord annoncé qu’une enquête serait lancée à ce sujet, enquête à vrai dire accélérée, dont les résultats ne se sont pas fait attendre. Deux jours ont en effet suffi pour que le président du Parlement déclare qu’après une « enquête approfondie et des entretiens avec les détenus de Kahrizak, aucun cas de viol ou de torture n’a été constaté. Pourtant la prison de Kahrizak a bel et bien dû fermer ce mois-ci, en raison, dit-on, de la mort de plusieurs étudiants qui appartenaient à des familles dirigeantes. Une prison qualifiée de « camp de la mort » par d’anciens prisonniers : Mohammed Kamrani , âgé de 18 ans, a ainsi péri sous la torture. Un autre étudiant, Mohsen Rouhol-Amine, arrêté le 9 juillet, a été suspendu par les pieds et est aussi mort sous les coups. Un rescapé de Kahrizak a témoigné pour le site d’informations Iran Focus : « Kahrizak est un camp de la mort. Un entrepôt de fruits et de légumes transformé en prison de fortune ; les cellules sont des containers métalliques avec pour aération un petit orifice dont il faut se partager l’accès pour pouvoir respirer. » Un an auparavant, cette prison avait déjà fait scandale, quand le Conseil national de la résistance iranienne avait révélé que 18 prisonnières avaient été enfermées dans ces mêmes containers métalliques, la prison ne disposant pas de quartier réservé aux femmes. Laissées ainsi en pleine chaleur, elles étaient mortes d’hyperthermie et d’asphyxie. Malgré les dénégations d’Ali Larijani, de nombreux témoignages corroborent les faits dénoncés par Mehdi Karroubi, que ce soit auprès d’ONG, de partis politiques ou même la presse étrangère. Si la torture et les sévices sexuels sont habituels dans les prisons d’Iran, les récits de Kahrizak l’emportent en sauvagerie, et s’apparentent plus à des peines de mort par supplice qu’à des interrogatoires ou des actes d’intimidation. Tous ces récits racontent les mêmes faits : des détenus entassés à 40 ou 60 personnes dans des prisons de 30 m2, battus avec des barres de fer, des fouets métalliques ou bien brûlés à l’eau bouillante. Un manifestant emprisonné puis relâché raconte ainsi au journal Paris-Match : « On s'est retrouvés debout, serrés comme des sardines, dans des sortes de conteneurs par plus de 40 degrés, pendant deux jours, sans toilettes, sans eau ni nourriture, avec des rats. Quand nos gardiens bassidji nous ont fait couler de l'eau à travers la porte, nous avons été obligés de laper le liquide comme des chiens. C'était dégueulasse : des saletés et surtout du sang. Car nous étions sanguinolents, battus avec des gourdins, le visage démoli. On a tous les dents cassées. Moi je n'entends plus d'une oreille. Mais je suis mieux loti que des camarades qui sont morts. » Un autre témoin, âgé de 25 ans, raconte au site Iran-Focus : « Nous avons vu des membres de notre container pendus par les pieds pendant quarante-huit heures ; l'un d'entre eux, rendu à sa famille défiguré avec des yeux gonflés comme des balles de tennis violacées, est mort dans les bras de ses parents. Il y avait des viols tous les jours : trois des plus jeunes y sont passés, on entendait leurs hurlements. » Les prisonniers dénoncent aussi les exactions des « lebas shakhsi », sorte de milices de « voyou s en civil », utilisées pour la répression des manifestations, qui sévissent aussi dans les prisons pour frapper ou violer les détenus. Beaucoup se disent prêts à témoigner devant une commission internationale et accusent Ahmad-Reza Radan, commandant des Forces de Sécurité de l’Etat (FSE) de contrôler Kahrizak et d’être directement responsable de tout ce qui s’y déroule.
Malgré cela, Ali Larijani a menacé Mehdi Karroubi au sujet de ses « allégations » en le sommant de fournir des preuves de ce qu’il avançait, comptant sans doute sur la peur des victimes de témoigner ouvertement. Dans le même temps, le journal de Karroubi, Etemad Melli, qui publiait ses déclarations et lettres ouvertes a été fermé, tandis que les locaux étaient fouillés par la police et des documents confisqués. Mehdi Karroubi avait, dans une de ses lettres, affirmé détenir des documents prouvant la pression des sepah-e pasdaran sur les médecins ayant eu à soigner les blessés, leur interdisant de fournir des certificats ; il disait aussi posséder des CD avec les preuves des viols et des tortures en détention, et commentant la fermeture et la fouille de son bureau et maintenant de son journal, il a simplement indiqué que les CD étaient en lieu sûr.
Le 5 août, le Premier Ministre truc a rencontré officiellement Ahmet Türk, le chef du groupe DTP au parlement, pour un entretien à l’issue duquel Recep Tayyip Erdogqn s’est déclaré « optimiste », sentiment partagé par le leader kurde qui a parlé de « véritable dialogue », porteur d’espoir. Alors que jusqu’ici, M. Erdogan s’était refusé à consacrer franchement le DTP comme interlocuteur pour résoudre la question kurde en Turquie, allant jusqu’à refuser de serrer la main de ses élus, de signe de détente s’inscrit dans le « plan » annoncé par le gouvernement pour mettre fin au conflit kurde. De l’entretien, peu de choses ont percé, sinon qu’il était exclu, selon le Premier Ministre, d’inscrire constitutionnellement l’existence du peuple kurde comme composante de la république turque, même si l’article 66 de la Constitution qui lie l’appartenance ethnique à la citoyenneté turque pourrait être modifié.
Selon le journal Vatan, le plan d’Erdogan a pour objectif de résorber le chômage en 5 ans dans les provinces kurdes, en plus des promesses réitérées de développement accru de ces régions ainsi qu’un soutien économique. L’institution si contestée des Gardiens de village, qui a été à l’origine de plusieurs faits divers sanglants récemment, serait supprimée et la présence militaire des unités de gendarmerie disparaitrait pour ne laisser qu’une surveillance militaire aux frontières. Le gouvernement pourrait aussi élargir les amnisties déjà prévues pour un nombre assez restreint de membres du PKK et accepter le retour en Turquie des réfugiés du camp de Makhmur, au Kurdistan d’Irak. En ce qui concerne les revendications linguistiques des Kurdes, leur langue pourrait être enseignée dans les écoles publiques. Enfin, geste symbolique, des milliers de villages kurdes ou syriaques, qui avaient été rebaptisés en turc, pourraient retrouver leur nom d’origine.
S’exprimant lors d’un déjeuner où avaient pris part, en plus du Premier Ministre, plusieurs ministres et les représentants de différentes communautés religieuses, les patriarches arménien et grec, le vicaire syriaque, le grand rabbin, Recep Tayyip Erdogan a réaffirmé que « la Turquie n’avait pas d’autre choix que de résoudre la question kurde ». Par ces initiatives, l’AKP espérait sans doute prendre de vitesse le leader du PKK, Abdullah Öcalan, comme l’a dénoncé, deux jours avant la date prévue pour la publication de ce plan de paix, Murat Karayilan, le président du Conseil exécutif de la Confédération du Kurdistan (organe politique du PKK) qui a qualifié les gestes d’Erdogan de « manœuvre pour tromper la communauté internationale et atténuer la portée de la feuille de route de notre président ». Selon lui, cette feuille de route s’inspirerait de la constitution turque de 1921, qui reconnaissait l’identité kurde et accordait des droits politiques et culturels aux minorités ethniques. Les revendications du PKK se limiteraient à trois points précis : libération d'Öcalan, éducation en langue kurde, autonomie. Mais la divulgation de la feuille de route d’Öcalan a été repoussée à une date ultérieure et non précisée pour ce qui est de la version complète et définitive. Le leader du PKK s’est contenté d’énoncer quelques grandes lignes, assez vagues et contradictoires, rappelant par exemple que le PKK n’est plus un parti indépendantiste et qu’il ne demande pas non plus un statut fédéral pour le Kurdistan de Turquie, à l’instar du Kurdistan d’Irak, renonçant donc aussi à son projet ultérieur de « confédéralisme » entre l’Irak, la Syrie, la Turquie et l’Iran et ne mentionnant pas non plus l’autonomie réclamée par Murat Karayilan. Il appelle cependant la Turquie à reconnaître aux Kurdes le droit de former une « nation démocratique » et à avoir leur propre défense militaire, ce qui rappelle fortement le corps des Peshmergas kurdes en Irak. Du côté américain, le tournant politique annoncé par l’AKP a été apprécié et encouragé. L’ambassadeur américain James Jeffrey, qui a lui aussi rencontré Ahmet Türk, a également indiqué que son pays était prêt à accueillir un bureau de représentation du DTP à Washington. Mais ces succès diplomatiques à l’étranger n’ont rencontré que peu d’écho dans le reste des partis d’opposition turcs. Que ce soit de la part des leaders du CHP ou du MHP, les habituelles accusations de « concessions » faites au PKK ont fusé, tandis que l’armée choisissait, dans un premier temps, de ne faire aucune déclaration ni commentaire, ce qui a pu affaiblir la position de Deniz Baykal et Devlet Bahçeli, leur soutien habituel faisant défaut. Par contre, le président Abdullah Gül n’a pas manqué de faire part de ses commentaires approbateurs envers les gestes politiques de son Premier Ministre.
De retour d’une tournée dans les régions kurdes du nord du pays, il a lui aussi déclaré que la question kurde était le problème majeur de la Turquie, « pays qui aspire à entrer dans l’UE », ce qui conditionne le règlement du conflit. Abdullah Gül a ainsi exhorté son opposition à ne pas rester en dehors des initiatives pour le rétablissement de la paix. Mais l’armée qui, dans un premier temps, était restée muette sur cette nouvelle ligne politique, au point de faire songer à une approbation tacite, a fini par intervenir, le 26 août, en la personne du chef de l’état-major, Ilker Basbug, qui a rejeté tout arrêt de la lutte contre le PKK et envisage de surveiller de très près les réformes politiques, économiques et culturelles que proposera le gouvernement : « L’armée ne tolèrera aucune atteinte aux fondements de l’Etat-nation et de l’Etat unitaire. La Turquie est un Etat, un pays et une nation indivisibles dont la langue est le turc ». Le ministre de l’Intérieur, Besir Atalay, au sortir d’une grande tournée auprès de nombreux acteurs de la politique et de la vie sociale turques, a indiqué, dans une conférence de presse, que son gouvernement était à la recherche d’un « consensus » et avait pour but de démocratiser la Turquie. Il a également indiqué qu’il rendrait un rapport au Premier Ministre d’ici le 1er octobre, et que le plan de résolution de la question kurde serait soumis au Parlement, par ailleurs largement dominé par le parti gouvernemental. Pas plus que le plan de paix du PKK, la feuille de route l’AKP n’est donc connue dans ses détails, sinon qu’il n’était pas question de réelle révision constitutionnelle.
Le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki s’est rendu le 2 août dans la Région du Kurdistan, ce qu’il n’avait jamais fait depuis qu’il avait pris ses fonctions en 2006. Mais les points de désaccord grandissants entre Bagdad et Erbil, ainsi que la vivacité des échanges entre Nouri Al-Maliki et Massoud Barzani, le président kurde, ont incité les Américains à suggérer fortement la tenue de cette rencontre. C’est d’ailleurs après une rencontre avec le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, que Massoud Barzani avait annoncé l’ouverture de futures négociations avec le gouvernement central. Quant au commandant américain des troupes d’Irak, le général Ray Odierno, il a qualifié de « première source d’instabilité » le conflit arabo-kurde. Nouri Al-Maliki a été accueilli à l'aéroport de Souleimaniyeh par le président et le vice-Premier ministre irakiens Jalal Talabani et Barham Saleh, ainsi que par Kosrat Rassoul, le vice-président du Gouvernement régional du Kurdistan. Ils se sont ensuite rendus à Doukan, au quartier général de l'Union patriotique du Kurdistan, le parti de Jalal Talabani.
La rencontre avec Massoud Barzani a eu lieu le lendemain et s’est conclue par une conférence de presse conjointe, dont le ton s’est voulu apaisant et optimiste, de tous les côtés : « Une équipe commencera dès ce soir à discuter des conflits politiques et stratégiques et une délégation du Kurdistan viendra à Bagdad, et j'espère que Nêçirvan Barzani (l’actuel Premier ministre de la Région kurde) en fera partie, pour discuter des questions en suspens et régler les problèmes », a déclaré Maliki. « Nous avons différents points de vue et cela est naturel, car nous bâtissons un Etat démocratique sur les ruines d'une dictature (...) Je suis satisfait de la réunion (d'aujourd'hui) et nous nous sommes mis d'accord pour continuer à nous rencontrer à tous les niveaux. » Massoud Barzani s’est dit, pour sa part, « toujours flexible » : « Nous nous sommes mis d'accord pour résoudre les problèmes entre la région (du Kurdistan) et le gouvernement. La réunion d'aujourd'hui a été très positive ». « Cette visite a été productive et réussie. Nous avons eu une réunion honnête et fraternelle » a renchéri Jalal Talabani. Mais devant la persistance du désaccord kurdo-arabe à propos du statut de Kirkouk, de hauts responsables des forces de sécurité locales souhaitent ouvertement le maintien d’une présence militaire américaine dans cette province, même après le retrait définitif du reste des troupes américaines dans le reste du pays, prévu pour fin 2011. Ainsi le général Bakr, un Kurde responsable des forces de police de Kirkouk « espère » que ce retrait ne concernera dans l'immédiat pas la base américaine Warrior, dont il souhaite le maintien jusqu’à ce que les différentes factions de Kirkouk, ainsi que les gouvernements d’Erbil et de Bagdad, soient parvenus à un accord. Selon le général Bakr, un tel accord n’est pas utopique : « Le gouvernement autonome kurde sait que son avenir est avec l'Irak et le gouvernement irakien sait qu'il a tout à gagner d'une bonne relation avec le gouvernement autonome. »
Mais à Kirkouk, l’opposition arabo-turkmène pour faire abroger l’article 140 de la constitution irakienne, demandant que le statut de Kirkouk soit réglé par référendum, ne désarme pas et plusieurs partis arabes et turkmènes réclament du Parlement irakien cette abrogation. Ainsi, le vice-président du parti turkmène Al-Aadal, Hassan Torman, estime que « cette affaire n'est ni entre les mains du gouvernement irakien, ni dans celles du gouvernement régional kurde mais elle est du ressort du Parlement fédéral. C'est lui qui doit valider ou non cet article », nonobstant le fait que la constitution irakienne a tout de même été rédigée par une commission parlementaire composée de 55 élus irakiens et adoptée par référendum par plus de 80% des électeurs irakiens. Cependant, selon le journal officiel As-Sabah, l’actuelle commission parlementaire chargée de la révision de cette constitution pourrait modifier plusieurs articles, dont l’article 140, en supprimant la tenue du référendum, tandis qu’une indemnisation serait proposée aux personnes chassées de Kirkouk, mais sans relogement ni récupération de leurs biens. Mohammad Khalil Al-Joubouri, chef de la liste arabe du Conseil provincial de Kirkouk, estime par ailleurs que le délai ultime prévu dans l’article pour la tenue du référendum étant dépassé de bientôt 2 ans, cette disposition est caduque. Mais les Kurdes s’étaient déjà assurés, lors de la rédaction de cette constitution, que ces articles ne puissent être abrogés aisément par la suite. Les révisions constitutionnelles, en plus de devoir être approuvées par le Parlement et par référendum, comme la première fois, peuvent être bloquées si trois gouvernorats irakiens s’y opposent, ce qui donne ainsi, de facto, au Gouvernement régional du Kurdistan un droit de veto sur toute modification ou abrogation de cet article. Lors de sa visite du 2 août au Kurdistan, Nouri Al-Malik a reconnu lui-même le caractère constitutionnel de l’article 140, tout en appelant à une « solution pour préserver les intérêts des différentes composantes du peuple (...) dans le cadre de l'Etat irakien ». Sans répondre explicitement aux demandes des autorités de Kirkouk de prolonger leur présence militaire au-delà de 2011, les Etats-Unis ont cependant entamé des discussions avec le gouvernement irakien sur un accord éventuel qui permettrait à une force tripartite, kurde, arabe et américaine d’assurer provisoirement la sécurité dans cette province. Selon le général Ray Odierno, cette coopération à trois ne serait qu’une étape vers la formation d’une force « irako-kurde » qui pourrait opérer dans les territoires concernés par l’article 140, principalement Ninive, Kirkouk et Diyala, alors que, selon lui, « Al-Qaïda s'engouffre dans le fossé qui s'est creusé entre Arabes et Kurdes dans la province de Ninive et dans la région autonome kurde, et ce que nous cherchons à faire est combler ce fossé ».
Venant corroborer les dires du général américain, un attentat est survenu le 10 août dans le village de Khazna, à 20 kilomètres de Mossoul, peuplé de Shabaks, une secte religieuse kurde non musulmane, tout autant visée par les fanatiques d’al-Qaïda que les yézidis. Deux camions piégés ont détruit 35 maisons, faisant 28 morts et 155 blessés dans cette localité de 3 500 habitants. Le 16 août dans cette même région de Ninive, une bombe posée sur une route a blessé l’unique représentant, au sein du conseil provincial, de la secte religieuse kurde des Shabaks, alors qu’il circulait en voiture avec deux assistants. Ces attaques ont avivé la mésentente entre Kurdes et Arabes dans cette province, encore plus vive qu’à Kirkouk. Le parti Al-Hadba, une formation nationaliste d’Arabes sunnites, qui a remporté les dernières élections à Mossoul à la faveur de l’exode des Kurdes et des chrétiens fuyant la ville et ses violences, a accusé les Kurdes d’être à l’origine de ces attentats. Le gouvernement d’Erbil a démenti avec vigueur, en rappelant que les victimes des derniers actes terroristes sont tous des Kurdes, puisqu’en plus des meurtres visant les Shabaks, 21 yézidis ont été tués ce mois-ci dans une attaque-suicide perpétrée à Sindjar : « Nous avons été patients jusqu'à présent pour préserver la tranquillité et la stabilité et pour les empêcher de nous entraîner dans une confrontation aux conséquences terribles ; La réalité c'est que des membres de la liste al-Hadba, notamment deux frères (du gouverneur) sont responsables de la campagne d'attentats et d'assassinats qui visent les Kurdes yazidis et shabaks, les Turcomans et les chrétiens, et plus de 2.000 kurdes ont été tués à Mossoul sans mentionner le déplacement de centaines de familles chrétiennes et kurdes », a déclaré le porte-parole du Gouvernement régional kurde. Les accusations d’al-Hadhba ne semblent pas, en tout cas, avoir convaincu les Shabaks eux-mêmes, puisque dans une interview donnée au journal du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), un leader religieux de cette communauté, Molla Selim Djouma, affirme que « les peshmergas vont assurer la sécurité des 52 villages des chabacks en creusant des fossés et en mettant 12 gardes par village pour les protéger des attaques terroristes. »
Le mois d’août a vu la disparition de deux grandes figures de la musique et de la chanson kurdes, celles d’Aramê Tigran et de Hasan Yousefzamanî.
Le 6 août, Aramê Tigran est en effet décédé à l’hôpital d’Athènes, d’une tumeur cérébrale. Il était né en 1934, dans la ville kurde syrienne de Qamishlo. Lors du génocide de 1915, ses parents, arméniens, avaient fui Diyarbakir, leur ville natale. Il avait donc grandi dans la Djézireh syrienne, région de cultures et de langues multiples, mais où les Kurdes sont majoritaires, d'où son multilinguisme et son attachement à la culture kurde. Moins connu des Arméniens, c’était un des chanteurs les plus célèbres et les plus aimés des Kurdes à l’instar de Karapetê Khadjo; Il aura composé et chanté principalement en kurmandji avec 230 chansons et 7 en zazaki, 150 chansons arabes, 10 en syriaque et 8 en grec. Ayant appris le 'oud à l’âge de 9 ans, il avait quitté la Syrie en 1966 pour la capitale arménienne, Erevan. Là, il avait animé des programmes de musique kurde à Radio-Erevan, durant 18 ans. Ainsi, ses chansons furent écoutées très tôt des Kurdes de Turquie, à une époque où la langue kurde était totalement bannie. Il vivait à Athènes depuis 1995. Au Newroz 2008, il avait chanté dans la ville de Batman des chansons en kurde, turc, arménien et arabe et avait dédié l’une d’elles au journaliste arménien Hrant Dink assassiné le 19 janvier 2007 par un nationaliste turc. Dans cette ville et ses alentours, il avait retrouvé les traces de son passé familial et avait émis le vœu d’être enterré dans son cimetière arménien, comme il l’avait expliqué au journal Aknews : « C'était le rêve du siècle de venir à Diyarbakir. J'avais toujours l'habitude de dire : « Mon ’Dieu, ne verrai-je jamais l'endroit où mes parents ont vécu avant que je meure? » Il y a deux ans, après avoir acquis la nationalité grecque, je suis venu pour la première fois à Diyarbakir ». Il avait participé cette année au festival de culture et d'art de Diyarbakir, mais déjà très diminué par la maladie il n’avait chanté que trois chansons en kurde.
Un comité des obsèques, créé à Diyarbakir par des élus du DTP, avait prévu d’organiser une messe à l’église arménienne, avant l’inhumation du chanteur au cimetière arménien de la ville. Le responsable du comité, Firat Anli, avait déclaré à la presse : «Tigran est le nom qui vient naturellement à l'esprit quand on parle de la musique kurde. Chacun, au-delà d'un certain âge dans cette région, a fini par connaître la musique dans sa langue maternelle grâce à Tigran qui jouait des airs doux et émouvants accompagnés de son 'oud ». «C'était notre plus grand rêve, qu'il vienne jouer à Diyarbakır en concert. Cela nous a pris des années pour que cela puisse se réaliser. Auparavant, la situation en Turquie ne le permettait pas. Mais sa première arrivée fut un événement historique, comme un rêve. Des milliers de personnes ont eu des larmes aux yeux après l'avoir écouté.»
Mais, au dernier moment, le ministère de l’Intérieur en Turquie a refusé de délivrer l’autorisation nécessaire pour qu’Aramê Tigran soit inhumé à Diyarbakir, arguant que le défunt n’était pas de nationalité turque. Le comité a tout de même maintenu une cérémonie funèbre au cimetière arménien de Diyarbakir, en présence de son maire, Osman Baydemir, et de nombreuses personnalités politiques et artistiques kurdes.
Le 18 août, c’est une autre personnalité musicale kurde, Hasan Yousefzamanî, qui mourait au Canada, où il vivait depuis 1991. Né en 1931 à Sine, au Kurdistan d'Iran, Hassan Yousefzamani à la fois poète, musicien, compositeur et parolier, était un maître de la musique classique iranienne depuis près d'un demi- siècle. Jouant de la clarinette, du saxophone, du violon, il a composé près de deux cents musiques pour les plus grands noms de la chanson iranienne, ainsi le grand chanteur persan Mohammad Reza Shajarian, les Kurdes Shahram Nazeri et Mazhar Xaliqî, et Sima Bina la Khorassanî. C'est à l'âge de 15 ans qu'il étudia la musique à l'école militaire de musique de Sine. Il se produisit aussi pour les radios et fonda l'Orchestre kurde, dont l'audience fut grande dans tout le Kurdistan, par-delà les frontières de l'Iran, en Turquie comme en Syrie ou en Irak. Puis il partit étudier au conservatoire de Téhéran. A Radio Téhéran, il dirigea une formation de musique folklorique à partir de 1962, en plus d'être clarinettiste et violoniste dans plusieurs orchestres, avant d'être à la tête du Grand Orchestre de la radio et de la télévision nationales iraniennes.