Le nouveau cabinet du Gouvernement régional du Kurdistan a été officiellement formé, avec, à sa tête, Barham Salih, ancien vice-Premier ministre du gouvernement irakien, et membre de l’UPK, qui succède ainsi à Nêçirvan Barzanî. La nomination des ministres a été approuvée par le parlement d’Erbil le 26 de ce mois.
Au début de la séance, présidée par Kamal Kirkouki et à laquelle assistait aussi le vice-président du Parlement Arsalan Baiz ainsi que le Secrétaire de l’assemblée, Farsat Ahmed, la commission des lois a présenté en article 1 la dissolution de trois ministères : Celui des Droits de l’Homme, celui des Affaires extra-régionales, celui de l’Environnement. Après débat, la dissolution a été adoptée sans modification à la majorité des voix.
Le second article de cette loi énonçait la création d’un ministère des Transports et des Communications, approuvée à l’unanimité ; le troisième concernait la création d’un ministère de l’Agriculture et des ressources hydrauliques, adoptée à la majorité. Le quatrième article reconduisait l’existence d’un ministère de la Culture et de celui de la Jeunesse et des Sports, approuvé à la majorité. L’article 5, fusionnant le ministère du Tourisme et celui des Municipalités a aussi été adopté à l’unanimité ; le 6ème , fusionnant le Commerce et l’Industrie a été approuvé à la majorité sans modification.
L’article 7 se rapportait à la réorganisation et à la restructuration des ministères, avec diverses dispositions légales adoptées à l’unanimité.
Le lendemain, 28 octobre, le nouveau Cabinet prêtait serment, avec Barham Salih comme Premier Ministre. Né à Suleïmanieh en 1960, il a rejoint le Parti de l’Union patriotique du Kurdistan en 1976, à l’âge de 16 ans. Entre 18 et 19 ans, il a été arrêté à deux reprises par le régime baathiste, emprisonné et torturé. Libéré, il poursuit ses études et obtient la troisième place des résultats généraux du baccalauréat irakien. Il part ensuite au Royaume-Uni pour échapper à de nouvelles persécutions et exerce de longues années des fonctions de représentations de l’UPK auprès des instances internationales, ainsi que des actions d’information et des campagnes militant contre le régime dictatorial irakien, tout en poursuivant des études d’ingénieur. En 1983, il obtient son diplôme de génie civil et de construction à l’université de Cardiff et en 1987, un doctorat en statistiques et applications informatiques dans l’ingénierie à l’université de Liverpool. Après 1991 et l’émergence de la Région autonome du Kurdistan d’Irak il est nommé représentant de l’UPK à Washington. Entre 2001 et 2004, il est Premier Ministre de la zone UPK au Kurdistan d’Irak. Puis, après la réunification de la Région kurde et la chute du Baath, il exerce les fonctions de ministre la Planification au sein du Gouvernement provisoire irakien et finalement celle de Vice-Premier ministre du Cabinet de Nouri Al-Maliki. En plus de sa langue maternelle, Barham Salih parle couramment l’arabe et l’anglais.
Le vice-Premier ministre est Azad Barwari, un membre vétéran du PDK, le parti de Massoud Barzani. Né, comme ce dernier, en 1946 à Mahabad, d’une famille de Peshmergas qui participèrent à l’épopée de la République et aux combats de Mustafa Barzani. En 1963, de retour en Irak avec sa famille, il est emprisonné 3 mois pour activisme en faveur des droits des Kurdes. Libéré, il adhère au PDK en 1964. Il étudie la chimie à l’université de Mossoul puis de Basra, et en 1970, devient secrétaire de l’Union des étudiants du Kurdistan. Après l’effondrement de la révolution kurde de 1975, il se réfugie en Iran où il travaille étroitement avec Idris Barzani, le frère de l’actuel président. Il est élu au Comité central du PDK en 1979. En 1982, il dirige le bureau du PDK en Syrie. Il joua un rôle important dans le soulèvement de 1991 et fut élu au Bureau politique du PDK en 1993, où il y a occupé diverses fonctions jusqu’à ce jour. Azad Barwari parle couramment l’arabe et le persan.
Le ministre de l’Intérieur est Abdul Karim Sultan Sinjari, qui exerçait déjà les fonctions de ministre d’État pour l’Intérieur dans le gouvernement réunifié du 7 mai 2006. Il est d’abord avocat à Bagdad, en 1973, puis devient Peshmerga et est nommé à la direction provisoire du PDK de 1976 à 1980. Puis il s’exile en Suède jusqu’en 1988, avant de retourner au Kurdistan à la tête des services de sécurité du PDK. Après les élections législatives de 1992 dans la Région autonome, il est nommé directeur général des services de sécurité du Kurdistan, avant d’être nommé ministre de l’intérieur pour le Gouvernement d’Erbil, tout en exerçant des fonctions au Comité central du PDK, jusqu’en 2001. Karim Sinjari parle le suédois, l’anglais, l’arabe et le persan.
Le ministre des Finances et de l’Économie est Bayiz Saeed Mohammad Talabani, qui avait déjà remplacé Sargis Aghajian dans le précédent cabinet, lorsque le ministre assyrien avait dû démissionner pour raisons de santé.
En plus des ministères cités plus haut, les autres ministères conservés sont ceux de la Justice, l’Éducation, de l’Électricité, des Affaires religieuses, de la Santé, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, du Logement et de la Reconstruction, celui du Travail et des Affaires sociales, le ministère des martyrs et des victimes de l’Anfal, celui des Ressources naturelles, à la tête duquel Ashti Hawrami est reconduit dans ses fonctions, les Peshmergas, la Plannification. Le gouvernement réduit ainsi fortement le nombre de ses membres, passant de 42 à 20 ministères. Seuls 4 des anciens ministres sont reconduits, Karim Sinjari, Ashti Hawrami, Bayiz Talabani et Jafar Mustafa Ali (ministre des Peshmergas).
Au total, le nouveau gouvernement se compose comme suit :
Premier Ministre : Barham Salih
Vice-premier ministre : Azad Barwari
Ministre de l’Intérieur : Abdul Karim Sinjari
Ministre des Finances et de l’Économie : Bayiz Saeed Mohammad Talabani
Ministre de la Justice : Raouf Rashid Abdulrahman
Ministre de l’Agriculture et des ressources hydrauliques : Jamil Sleiman Haider
Ministre de la Culture et de la Jeunesse : Kawa Mahmoud Shakir
Ministre de l’Éducation : Safeen Mohsin Diyazee
Ministre de l’Électricité : (en attente de confirmation)
Ministre des Affaires religieuses : Kamil Ali Aziz
Ministre de la Santé : Taher Abdullah Hussein Hawrami
Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche : Dlawer A. A, Ala’Aldeen
Ministre du Logement et de la reconstruction : Kamaran Ahmed Abdullah
Ministre du Travail et des affaires sociales : Asos Najib Abdullah
Ministre des Martyrs et de l’Anfal : Majid Hamad Amin Jamil
Ministre des Municipalités et du tourisme : Samir Abdullah Mustafa
Ministre des Ressources naturelles : Ashti Hawrami
Ministre des Peshmergas : Jafar Mustafa Ali
Ministre de la Planification : Ali Osman Haji Badri Sindi
Ministre du Commerce et de l’industrie : Sinan Abdulkhalq Ahmed Chalabi
Ministre du Transport et des communications : Anwar Jabali Sabo
Président du Conseil des ministres : Nouri Othman
Président du Bureau des Investissements : Herish Muharam
Secrétaire du Cabinet : Mohammad Qaradagi
Directeur du département des Relations internationales : Falah Mustafa Bakir
Ce mois-ci a connu une amélioration concrète des relations diplomatiques entre la Turquie et le Kurdistan d’Irak, qui s’est traduit par une visite, le 31 octobre, du ministre des Affaires étrangères turc à Erbil et l'annonce de l’ouverture prochaine d’un consulat turc dans la capitale kurde.
M. Ahmed Davutoglu est le premier ministre turc à visiter la Région du Kurdistan d’Irak, car, jusqu’ici, la Turquie se refusait à reconnaître officiellement le gouvernement kurde comme un véritable partenaire politique, même si les contacts informels n’ont jamais cessé depuis la création de la zone autonome kurde en 1992. « Il est grand temps que chacun prenne des mesures audacieuses »a déclaré le ministre. « Arabes, Turcs, Kurdes, chiites et sunnites, tous ensemble nous rebâtirons le Moyen-Orient. »
Le ministre des Affaires étrangères est venu le 31 octobre, accompagné du ministre du Commerce, Zafer Caglayan, 20 journalistes et une délégation de 80 personnes, officiels et hommes d’affaires, qui ont été accueillis à l’aéroport d’Erbil par le tout nouveau Premier ministre du Kurdistan Barham Salih et le ministre irakien des Affaires étrangères, le Kurde Hoshyar Zebari, Ils ont ensuite rencontré le président de la Région Massoud Barzani, qui a loué la décision turque d’ouvrir un consulat dans sa capitale : « La décision d’ouvrir un consulat à Erbil est un pas extrêmement positif. Le rôle de la Turquie est important pour l’avenir de la Région et le développement de nos liens économiques. La Région du Kurdistan fait office de pont entre l’Irak et la Turquie. » Ahmed Davatoglu a lui aussi mis l’accent sur l’interdépendance économique et géographique de la Turquie et de l’Irak : « L’Irak, en tant qu’État multi-ethnique est très important pour nous et nous considérons toute menace sécuritaire sur l’Irak comme une menace pour nous. Nous sommes votre porte de l’Europe, et vous êtes notre porte pour le Sud, la Région du Golfe. »
Bien qu’Ahmed Davotuglo ait souhaité une coopération « contre le terrorisme », ce qui est, au fond, le préambule obligé de tout homme politique ou journaliste turcs s’adressant à leur opinion publique ou parant d’avance les critiques émanant des milieux bellicistes, avant de parler des relations entre les Kurdes d’Irak et leur État, Massoud Barzani a aussi soutenu et félicité l’actuel gouvernement turc pour ses tentatives de résolution de la question kurde en Turquie : « Je pense que les dirigeants turcs peuvent traiter le problème du PKK. Ils ont pris une décision très courageuse et nous soutenons totalement la politique de rapprochement avec les Kurdes de Turquie. Dieu veuille que la violence cesse aussitôt que possible et que la jeunesse kurde et turque n’aie plus à verser son sang. » Selon le ministre turc, les Kurdes et la Turquie ont un rôle commun à jouer pour assurer la stabilité non seulement de leurs frontières, mais de tout le Moyen-Orient, qui doit être, selon lui, un espace politique de sécurité, de dialogue et de coexistence multiethnique et multi-religieuse, souhaitant que « les gens voyagent de Basra à Edirne sans problèmes de sécurité. »
Quant à la délégation d’hommes d’affaires turcs qui accompagnaient le ministre du Commerce, ils ont participé à une rencontre avec des responsables du Gouvernement kurde à l’Erbil Convention Center, ainsi qu’un dîner organisé par la Chambre du commerce et de l’Industrie du Kurdistan et l’Union des entrepreneurs de la Région du Kurdistan. Pour sa part, le ministre du Commerce, Zafer Caglayan, a annoncé l’ouverture de deux passages frontaliers supplémentaires avec l’Irak fin 2010, après la signature d’un memorandum par les deux États.
Les relations turco-irakiennes avaient cependant été soumises à plusieurs questions sensibles en début de mois, alors que le Premier ministre turc se rendait à Bagdad. Ainsi, la reconduite par le Parlement de Turquie de l’autorisation donnée à son armée de franchir à nouveau la frontière en cas d’opération menée contre le PKK, contre laquelle s’est élevé, une fois de plus, le gouvernement irakien. Nouri Al-Maliki a déclaré que l’Irak « cherchait à protéger sa souveraineté ». Les deux Premiers ministres avaient également discuté de l’assèchement de l’Euphrate dont souffre l’Irak, en proie à la sécheresse, et de la polémique autour du débit que laisse passer la Turquie en ouvrant les vannes de ses barrages. Alors que le mois dernier, le ministre turc de l’Énergie et des ressources naturelles avait affirmé que son pays assurait, pour l’Euphrate, un débit de 517 m3 par seconde, le ministre syrien de l’Irriguation avait au contraire dénoncé un débit tombé à une moyenne de 400 m3 par seconde pour les onze derniers mois. Le porte-parole du gouvernement irakien, Ali Al-Dabbagh, a, pour sa part, fait état d’un débit de 440 m3 par seconde, avant d’ajouter qu’un protocole était en cours de discussion. Mais Recep Tayyip Erdogan a réaffirmé que la Turquie assurait actuellement un débit de 550 m3, en rappelant qu’un précédent accord, signé en 1987, ne prévoyait que 500 m3.
Le 19 du mois, 26 réfugiés kurdes de Turquie, du camp de Makhmur, au Kurdistan d’Irak, dont neuf femmes et quatre enfants, ainsi que 8 combattants du PKK venus de Qandil annonçaient leur intention de retourner en Turquie, en tant que « groupe de paix », pour rencontrer d’abord des délégations du parti kurde DTP, et selon les responsables du PKK, « créer un dialogue et ouvrir la voie à des négociations » avec la Turquie.
Le président turc, Abdullah Gül a, dès cette annonce, émis un avis favorable sur cette initiative, qui est en fait une reprise des délégations du PKK qui s’étaient de même rendues en Turquie peu de temps après l’arrestation d’Öcalan et sa demande de cessez-le-feu unilatéral. À l’époque, la délégation avait été immédiatement arrêtée, jugée et emprisonnée. Depuis, une loi d’amnistie permet aux membres du PKK venus se rendre d’être graciés s’ils n’ont pas participé à des actions armées contre les forces de sécurité.
Le premier “groupe de la paix” est donc entré en Turquie le 19 dans la ville de Başverimli (Tılqebin) dans le district de la ville frontalière de Silopi. Selon l’agence de presse Firat, le groupe venu de Makhmur était porteur de letters à l’intention du president, du Premier minister et du Parlement turcs. Les deux co-présidents du DTP, Ahmet Türk et Emine Ayna sont allés accueillir le groupe dans la matinée, où ils ont fait une déclaration commune : « Nous ne devons pas exploiter les bonnes intentions du PKK et nous ne devons pas aborder ce processus dans un esprit d’élimination. Des groupes pacifistes ont été envoyés en Turquie auparavant, en 1999, mais l’État n’a pas saisi cette occasion comme il le fallait. Tout au contraire, les délégués ont été emprisonnés. Dix ans après, la Turquie est devant une autre occasion importante, qui ne doit pas être gâchée. La Turquie ne doit pas répéter les erreurs passées. Nos attentes, nos espoirs et nos souhaits reposent là-dessus. Nous appelons l'Etat et les gouvernements à aborder cette étape de façon responsable et, saisissant cette occasion de paix, à trouver une solution. » Un haut responsable du PKK, Duran Kalkan, a, de son côté, exposé les demandes de ce groupe : Arrêt des opérations militaires, fin bilatérale du conflit et cessez-le-feu ; annonce de la feuille de route d’Öcalan qui sera remise à ses destinataires ; entamer des discussions sur une réforme de la constitution turque ; une reconnaissance de l’identité kurde garantie par cette constitution ; liberté d’usage de la langue kurde ; liberté de donner aux enfants des prénoms kurdes, de les éduquer dans leur langue maternelle ; liberté d’étudier la culture, l’histoire, les arts kurdes. Des fuites dans la presse turque, émanant de hauts gradés de l’armée, laissaient attendre l’arrivée d’autres groupes de reddition, « si le processus n’était pas ‘saboté’ » (Murat Yetkin, dans Radikal).
Très vite, le premier groupe fut emmené et brièvement interrogé par quatre procureurs, venus tout spécialement à leur rencontre afin d’évaluer les charges pouvant être retenues ou non contre eux, tandis que des dizaines d’avocats proches ou membres du DTP se « tenaient prêts » à défendre les éventuels accusés.
Dans le même temps des manifestations avaient lieu dans plusieurs villes kurdes, dont Batman, Mardin, Dersim (Tunceli) Van, Mush et enfin Diyarbakir où environ 5000 personnes avaient répondu à l’appel du DTP. À côté de slogans en faveur d’Öcalan, la foule scandait des appels en faveur d’une « paix honorable ». En dehors des villes kurdes, 2500 personnes ont défilé à Istanbul, sur l’avenue Istiklal en brandissant une banderole : « Ouvrez la route pour la paix ». Les premières réactions gouvernementales à l’arrivée du groupe ont été plutôt favorables. Le ministre de l’Intérieur, Besir Atalay, a ainsi déclaré à Ankara : « Nous espérons que cela continuera. Laissez-moi souligner que les combattants dans les montagnes voient que leur voie est sans issue ».
Le ministre turc a également indiqué à l’agence de presse Anatolia s’attendre à ce que le PKK envoie ainsi entre 100 et 150 personnes, « par petits groupes ». Mais cette version du gouvernement, présentant les délégations comme des groupes de reddition, laissant présager une reddition complète du PKK était parallèlement démentie par les dirigeants du PKK, dont Cemil Bayik, affirmant que ses troupes ne se rendraient pas sans contrepartie, notamment la reconnaissance des Kurdes en Turquie et l’octroi de droits politiques. Il s’agit donc, pour les officiels du PKK, de groupes d’ «émissaires » venus proposer des négociations, alors que le discours de l’AKP, pour le moment, est de refuser toute négociation avec ce parti.
Du côté gouvernemental, la satisfaction a très vite laissé place à l’embarras, devant les manifestations organisées par le DTP et l’accueil triomphal fait aux émissaires, donnant plus l’impression d’un cortège victorieux qu’une reddition, comme l’analyse Nihat Ali Ozcan, un expert de l’Institut de recherche de politique économique d’Ankara : « Les images de célébrations à la télévision, semblable au retour de César à Rome après une victoire, est susceptible de provoquer des lignes de cassure dans tout le pays. » De fait, l’opposition politique, dès le début fortement critique devant les initiatives annoncées par l’AKP pour résoudre le problème kurde, a redouble ses attaques contre le gouvernement et la clémence des autorités envers le groupe, dont les membres ont finalement tous été laissés en liberté, en vertu de la loi d’amnistie déjà existante, ou bien en attente de leur jugement.
Une association de familles de soldats tués au front a accusé le gouvernement d’organiser une « cérémonie officielle pour accueillir les terroristes » et son président, Hamit Kose, n’a pas hésité à parler de trahison. Mis au pied du mur, Tayyip Erdogan a finalement critiqué lui aussi la tournure que prenait l’événement en qualifiant les manifestations de soutien de « provocation irresponsable », faisant allusion aux drapeaux du PKK brandis dans la foule et aux slogans en faveur d’Öcalan. Puis, cela a été au tour du ministre de l’Intérieur, Besir Atalay d’”averter” que la façon “irresponsable” de faire un show de la reddition des 34 envoyés du PKK ne serait plus davantage tolérée : « Il est impossible d'accepter de telles scènes qui dérangent tout le monde. Personne ne devrait même penser à la tenue de telles scènes à nouveau. Personne ne devrait même penser que nous allons faire preuve de tolérance à de pareilles scènes à nouveau. La République de Turquie est un pays d'État de droit. »
Quelques jours plus tard, c’est au tour du chef de l’état-major de l’armée. Ilker Basbug de s’élever contre ces convois : « Personne ne peut accepter ce qui s’est passé en Turquie récemment. Je partage les sentiments de nos vétérans et des parents de nos martyrs. » Mais le DTP n’a pas semblé, dans un premier temps, vouloir renoncer à ses manifestations “pour la paix” et a même annoncé, pour le 28 octobre, qu’un autre “convoi” de membres du PKK devait partir d’Europe. Mustafa Avci, le co-président du DTP d’Istanbul, qui a fait cette annonce, a ajouté qu’il avait l’intention de fêter l’arrivée de ces nouveaux arrivants, et qu’il demanderait pour cela une autorisation officielle du gouvernement : " Le DTP est devenu un bouc émissaire après le dernier meeting. Les membres du PKK viendront à l’aéroport des roses à la main. Les Kurdes veulent la paix." Les membres du PKK attendus d’Europe devaient être au nombre de 15, venus de Düsseldorf et devaient tenir une conférence de presse à Bruxelles le 27 avant de partir de cette ville pour Istanbul le 28.
Mais finalement, ni ce groupe ni le 3ème , qui devait partir de Qandil n’a gagné la Turquie, Recep Tayyip Erdogan ayant décidé de faire une pause dans ces opérations de reddition médiatique, sans doute le temps que les esprits et l’opinion publique se calme, espérant aussi peut-être faire pression sur le DTP pour qu’il change sa tactique de communication. Le PKK, en la personne d’un de ses porte-paroles, Zubeyir Aydar a aussitôt déclaré sur la chaîne satellite Roj-TV, que la Turquie « avait fermé ses portes à la paix »en repoussant l’accueil des prochains groupes à une date indéterminée.
Répondant aux critiques, le co-président du DTP Ahmet Türk, qui avait rencontré récemment le Premier ministre pour débattre d’une solution de paix, s’était défendu d’avoir orchestré un « show » : « Ce n’est pas un show, c’est l’enthousiasme du peuple. Tout le monde doit comprendre cet enthousiasme et y participer. Les groupes sont venus pour le processus de paix. Cet enthousiasme est pour la paix. Aussi, nous allons continuer notre action pour poursuivre le processus de paix, avec le peuple turc et les partis politiques. La paix est notre seul désir. Tous nos efforts seront faits en conséquence. »
Dogu Ergil, un analyste politique, explique ainsi le choc des téléspectateurs turcs, voyant arrivés les membres du PKK dans leur tenue de combat, accueillis en héros par les Kurdes : « Nous attentions que les rebelles expriment des remords et fassent de la prison, ce qui nous aurait permis de nous dire que nous les avions vaincus. Mais le PKK a refusé de jouer le rôle qu’on attendait de lui… et nous nous sommes sentis offensés. La vision de la paix, dans nos esprits, est celle de l’un amenant l’autre à plier le genou. »
Début octobre, Danielle Mitterrand s'est rendue en visite au Kurdistan d'Irak, sur invitation officielle du président Massoud Barzani. La veuve du président François Mitterrand, fondatrice de France-Libertés a été aussi reçue officiellement au Parlement d'Erbil et a inauguré deux écoles françaises au Kurdistan d'Irak, l'une à Erbil, qui porte son nom et l'autre à Suleïmanieh, où l'enseignement sera assuré en français, anglais, kurde et arabe et le personnel enseignant de nationalité française.
Discours de Danielle Mitterrand au Parlement kurde :
"Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs les députés
Je suis très heureuse et émue de prendre la parole devant vous. Cela m’arrive d’ailleurs rarement de m’adresser à une assemblée élue. Mais au Kurdistan je me sens chez moi, nous sommes en famille. Et c’est avec ce sentiment que j’aimerais vous dire quelques mots.
Vous venez d’être élus.
Je voudrais d’abord vous féliciter et vous dire combien les amis des Kurdes sont fiers de la façon dont ces élections libres et démocratiques ont été organisées. Je suis heureuses de voir que les femmes sont nombreuses dans votre Parlement, proportionnellement plus nombreuses que dans le Parlement français, que toutes les tendances politiques et les composantes sociales, religieuses et linguistiques de la population sont représentées.
Cette diversité est une richesse et sa représentation fait honneur à votre Parlement. De même, la présence d’une opposition parlementaire est un signe de bonne santé démocratique et de maturité politique. Car la démocratie ne se résume pas à des élections périodiques, aussi libres soient-elles. C’est une culture de débats pluralistes, un système de pouvoirs et de contre-pouvoirs. Pour bien fonctionner, elle a besoin d’institutions solides, d’une société civile active, d’une justice indépendante, de media libres mais responsables.
Je dois dire que le Kurdistan a fait des progrès impressionnants sur la voie de la démocratie. J’ai encore en mémoire les souvenirs vifs de mes tout premiers voyages dans cette partie du Kurdistan.
Quand, fin avril 1991, je suis venue à votre rencontre à travers le Kurdistan iranien, j’ai vu un peuple sur les chemins d’exode, fuyant les persécutions et les armées de Saddam Hussein. J’ai dû franchir la frontière illégalement, à en croire le gouverneur iranien qui m’accompagnait. J’y ai rencontré Massoud Barzani et les autres dirigeants de la résistance à Haj Omaran sur un pré à quelques mètres des champs de mines.
Les images de cet exode m’ont bouleversée tout comme les témoignages des réfugiés kurdes rescapés des attaques aux armes chimiques que j’avais rencontrés en mai 1989 dans les camps de Mardin, Diyarbekir et Mush, au Kurdistan de Turquie.
Ces images ont également bouleversé l’opinion politique française et internationale. La France a alors joué un rôle actif pour faire adopter par le Conseil de sécurité des Nations Unies la fameuse résolution 688 qui a constitué la base juridique de la création d’une zone de protection au Kurdistan. C’est, me dit-on, la première fois dans l’histoire de l’ONU, qu’une résolution faisait mention du peuple kurde. C’est dire combien la diplomatie internationale peut parfois être coupée des réalités humaines des peuples. Il aura donc fallu des dizaines d’années de persécutions, de drames pour que l’ONU s’aperçoive enfin de l’existence de votre peuple et s’intéresse brièvement à votre sort.
Fruit d’un compromis onusien et du sacro-saint principe de non ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat souverain, cette résolution 688 avait beaucoup de défauts que vous connaissez. Elle a néanmoins eu le mérite de vous permettre de retourner sur vos terres, dans vos foyers, de ne pas devenir un peuple de réfugiés et de prendre progressivement votre destin en main.
Je me souviens de mon voyage de juillet 1992 pour assister à la mise en place de votre premier gouvernement d’union nationale issu des élections. J’ai parcouru un pays dévasté, en ruines où les ONG, comme ma fondation, avec beaucoup de bonne volonté et des moyens modestes essayaient de reconstruire avec vous des écoles, des villages, des ponts. Pour assurer la rentrée scolaire nous avions dû imprimer en France, à l’imprimerie nationale, des centaines de milliers de manuels scolaires acheminés par camions. Vos instituteurs, payés à peine quelques dollars par mois, ont fait preuve d’un dévouement extraordinaire pour scolariser les enfants et construire avec eux l’avenir du Kurdistan.
Malgré le double embargo dont vous avez été victimes, malgré les ingérences multiples, y compris militaires, de vos voisins et malgré aussi la période noire du conflit inter-kurdes, vous avez su reconstruire votre pays, bâtir des routes, des aéroports, des écoles, des hôpitaux, des universités. La prospérité économique, la liberté et la sécurité de votre région sont souvent citées en exemple et font rêver vos frères kurdes des pays voisins.
Cependant, vu de loin, nous avons le sentiment que ces progrès, pour remarquable, qu’ils soient, restent encore fragiles. Certes, la redoutable dictature de Saddam Hussein n’est plus là mais vos problèmes institutionnels avec Bagdad ne sont pas encore réglés. Vos voisins ne vous veulent pas tous du bien et l’avenir de l’Irak reste incertain.
Bref, le Kurdistan n’est pas encore la Suisse. Face aux défis nombreux qui vous attendent, vous avez plus que jamais besoin de renforcer l’unité de votre peuple et de déployer des efforts sérieux pour faire connaître votre cause à l’opinion publique internationale et multiplier vos réseaux d’amitié et de solidarité.
L’unité du peuple ne se décrète pas. Elle se construit par des efforts constants pour que le peuple ait confiance dans son système politique. Pour cela, le système doit être démocratique, transparent, juste et solidaire. Dans la tragédie, vous avez été solidaires, fraternels, vous avez partagé le même sort. Si dans la paix vous suivez du libéralisme sauvage sans foi ni loi, vous allez créer une société très inégalitaire au détriment du plus grand nombre. Les phénomènes de corruption vont gangréner la société et affaiblir les liens de fraternité qui faisaient la force de votre peuple.
J’ai entendu dire que certains proposeraient de transformer le Kurdistan en Dubaï ou Qatar. J’ignore si cette perspective est réaliste. Mais en tout cas ce serait bien dommage de vouloir faire de ce pays de haute culture, qui fut l’un des berceaux de la civilisation humaine, un émirat pétrolier rentier et consumériste. Votre peuple y perdrait son âme et son identité.
Je rêve pour ma part pour le Kurdistan d’un modèle de développement durable juste et solidaire. Vous avez la chance d’habiter des terres fertiles, de disposer des ressources en eau relativement abondantes. L’agriculture et l’élevage qui, pendant des millénaires ont fait la richesse de la haute Mésopotamie, semblent aujourd’hui à l’abandon. Et c’est bien dommage. L’autosuffisance alimentaire est la base de la survie d’un peuple. L’eau est une richesse beaucoup plus importante que le pétrole. Car l’humanité a pu vivre sans le pétrole pendant des millénaires mais elle ne peut survivre sans l’eau.
La question du contrôle et de la gestion des ressources en eau va être le grand enjeu stratégique du 21ème siècle et cela nécessite aussi une prise de conscience au Kurdistan.
La Fondation France Libertés se consacre aujourd’hui à promouvoir une idée toute simple qui, cependant se heurte à tous ceux, Etats comme sociétés multinationales, qui méprisent les droits humains les plus élémentaires : l’eau ne peut être traitée comme une marchandise ; c’est un bien commun de l’humanité, la condition essentielle de la vie comme le soleil, la terre et l’air qui conditionnent, ensemble, le maintien de la biosphère. L’Humanité doit respecter l’eau et lui définir son statut de bien inaliénable ; c’est mon combat comme celui de tous les hommes de bonne volonté.
Je sais que ce message sera entendu et compris du peuple kurde et que votre Gouvernement saura rejoindre le mouvement international des « Porteurs d’eau » que la Fondation France Libertés a initié et qui s’étend aujourd’hui sur tous les continents.
Vous savez mieux que moi que l’avenir de la nation kurde toute entière se joue aujourd’hui au Kurdistan irakien. Si vous réussissez à construire une démocratie exemplaire, cela inspirera les Kurdes des pays voisins et convaincra l’opinion publique internationale que les Kurdes sont capables de gérer leurs affaires dans le cadre des frontières étatiques existantes. Cela ne peut que favoriser le règlement pacifique de la question kurde dans les pays voisins.
Votre Gouvernement, qui a désormais accès aux chancelleries occidentales, peut agir discrètement en ce sens. Il serait de son intérêt et de l’intérêt de tous les Kurdes qu’il y ait dans les principales capitales du monde des représentations diplomatiques, des institutions culturelles kurdes actives et puissantes pour populariser votre cause et renforcer les rangs des amis du Kurdistan.
Dans les moments les plus difficiles de votre histoire, vous avez pu bénéficier de la solidarité active de nombreuses personnalités à travers le monde, d’Andreï Sakharov à Edward Kennedy et Nelson Mandela. Des chefs d’Etat comme François Mitterrand et Bruno Kreisky, des intellectuels comme Sartre et Simone de Beauvoir ont pris votre défense grâce aux efforts de sensibilisation de la diaspora kurde d’Europe.
Cette diaspora est une chance et une grande richesse humaine pour vous. Ne la négligez pas !
De même, il me semble que vous avez un devoir de solidarité active envers vos frères kurdes des pays voisins. Ce sont souvent les intellectuels et artistes kurdes de Turquie qui ont fait connaitre votre cause à l’étranger. J’en suis témoin et j’ai vu aussi l’accueil fraternel réservé par les Kurdes de Turquie et d’Iran aux réfugiés kurdes irakiens. J’ai vu comment les Kurdes de tous bords se sont mobilisés quand nous avons fait venir des camps de Turquie les rescapés d’Anfal, en France.
Maintenant, c’est à vous de faire preuve de fraternité et de solidarité envers eux, ne serait-ce que dans les domaines de la culture, de l’éducation, et des média. Ce sont vos meilleurs alliés des jours difficiles. En les aidant à devenir à leur tour libres, à sauvegarder leur langue et leur culture, vous renforcerez l’unité du peuple kurde, garant ultime de votre propre survie.
Bref, n’agissez pas envers eux comme les gens des Emirats envers leurs frères palestiniens ou égyptiens. Agissez comme les Kurdes ont toujours su agir, en partageant fraternellement, ce qu’ils ont, même leur pain sec.
Au cours de ces presque 30 ans de fréquentation des Kurdes j’ai appris à aimer votre peuple qui est quelque part devenu aussi le mien. Je sais que votre cause est juste et vos traditions sympathiques, attachantes. C’est pourquoi je suis convaincue que le jour où les Kurdes s’entendront entre eux, le monde entier sympathisera avec eux et agira pour leur liberté. On m’a souvent appelée « la mère des Kurdes ». Une mère veut toujours que ses enfants s’entendent bien et qu’ils soient solidaires.
En m’adressant aujourd’hui à vous les élus du peuple, j’ai voulu vous ouvrir mon cœur et partager avec vous mes préoccupations. Comme dans une réunion de famille. L’avenir sera ce que vous en ferez.
Bonne chance à vous.
Et vive le Kurdistan !"
Longtemps resté marginal et condamné à une certaine confidentialité, voire un statut clandestin, le cinéma kurde connaît peu à peu une audience internationale, mais encore freinée par un nombre encore restreint de cinéastes ayant la possibilité de tourner dans leur langue maternelle et s’affichant désormais sous l’étiquette « cinéma kurde ».
Alors qu’à Londres, un festival de cinéma kurde existe depuis 2001, le premier festival du film kurde de New York s’est déroulé du 21 au 25 octobre, avec un choix assez large de courts et de longs métrages, de fictions et de documentaires, sous le thème : « Cinéma sans frontières ». Neuf longs-métrages ont été projetés, dont le dernier film de Bahman Ghobadi, « On ne sait rien des chats persans » et « Vodka Lemon », de Hiner Saleem, présent au festival, qui a exposé à la critique et aux spectateurs américains, les conditions particulières du cinéma kurde : « Malheureusement, aujourd’hui, pour les Kurdes de Turquie, de Syrie, d’Iran, il est très difficile de faire des films. Il est très difficile de travailler car il existe un apartheid envers les Kurdes, il n’y a pas d’égalité, pas de droits de l’homme, pas de libertés. Mais des jeunes très courageux, des Kurdes, filles et garçons, font des films dans des conditions très dures. » Mais concernant le public kurde de la diaspora, Hiner Saleem constate un manque d’intérêt pour les films kurdes racontant leur propre tragédie, par rapport aux grosses productions américaines. De même, au Kurdistan d’Irak, les chaînes de télévision préfèrent suivre les goûts du public, qui se portent sur les feuilletons mélodramatiques égyptiens ou turcs, au détriment des œuvres socialement ou politiquement engagées. Jano Rosebiani, lui aussi Kurde d’Irak, vivant en Californie, présentait son film, Jiyan, racontant l’histoire d’une orpheline de 10 ans, rescapée des attaques chimiques sur Halabja. Selon lui, un des freins au développement du cinéma dans son pays est la menace terroriste, qui ne permet pas l’ouverture de salles de cinéma pour des raisons de sécurité : « Dans cette région, personne ne veut aller s’assoir dans une salle sombre remplie de gens, pas maintenant, en tout cas. Si bien que le cinéma ne s’y est pas encore vraiment implanté. »
Autre obstacle, les difficultés matérielles : Jano Rosebiani raconte ainsi qu’en 2000, quand il a tourné Jiyan, il a dû importer clandestinement son matériel de Turquie, car il n’y en avait aucun d’utilisable au Kurdistan. Après le tournage, les pellicules ont été envoyées en Belgique pour le montage et la post-prod. La chute du régime baathiste et l’ouverture du Kurdistan d’Irak sur le monde n’a pas suffi à développer une industrie cinématographique ni toucher un large public kurde, comme l’explique le réalisateur : « Nous n’avons pas encore d’industrie du cinéma au Kurdistan car la majorité du public vivant dans les régions kurdes n’ont pas le droit de voir des films kurdes. Alors que 60 à 70 % des régions kurdes se trouvent en Turquie, vous ne pouvez y voir des films kurdes, par exemple. C’est la même chose en Iran et en Syrie. La seule partie où vous pouvez voir des films kurdes est au Kurdistan d’Irak, mais cela ne fait que 5 à 6 millions de gens… dont la moitié n’a pas l’âge de voir des films ! »
Yuksel Yavuz, un Kurde de Turquie vivant en Allemagne, raconte qu’en 2004, il a eu la surprise de recevoir un appel de la part d’une société de distribution turque, souhaitant projeter son film, « Un peu de liberté », en Turquie. Quand il s’est rendu un peu plus tard dans ce pays, et qu’il a voulu voir où son film était projeté, il a découvert que l’unique salle où l’on pouvait le visionner à Istanbul était minuscule et située dans les locaux d’un cinéma de pornographie…
« Bawke » est un court métrage de 15 minutes, œuvre d’un Kurde d’Irak, Hisham Zaman, racontant la tentative d’un père et de son fils de traverser l’Europe pour y trouver asile. Vivant en Norvège depuis 17 ans, Hisham Zaman juge que le cinéma kurde, quoique encore peu développé, a déjà des caractéristiques qui lui sont propres : « Le cinéma kurde pour moi, ce qui le rend différent des autres cinémas, est peut-être la façon dont il représente les êtres humains, la façon dont il se sert d’acteurs amateurs, la façon dont il montre leur existence, leurs conditions de vie, et leurs traditions culturelles. »
Le festival présentait aussi une séance réservée aux cinéastes féminines, intitulé « Les femmes dans le cinéma kurde », avec des courts-métrages faits par et sur des femmes kurdes. Le débat prévu a malheureusement été annulé, la modératrice prévue, Müjde Arslan, n’ayant pu obtenir son visa pour les États-Unis.
Une semaine plus tard, c’est en Turquie que l’on pouvait voir plusieurs films kurdes en compétition au festival de l’Orange d’or d’Antalya, qui concourait au milieu de films turcs.
L’un d’eux, « Min dît » (J’ai vu) raconte l’exécution d’un couple de Kurdes par la police secrète turque, sous les yeux de leurs enfants, abordant le thème de la « sale guerre »au Kurdistan, à travers le regard des deux enfants. Malgré le thème très politique, l’aspect le plus sensible de ce film est en fait la langue dans laquelle il a été tourné, entièrement en kurde, comme le relate son réalisateur Miraz Bezar : « Quand nous avons fait ce film, nous ne savions pas où ou quand il allait être vu en Turquie. Quand nous l’avons écrit et filmé, nous ne savions pas si la Turquie accepterait sa représentation. C’est très paradoxal, d’un côté, ils autorisent une chaîne kurde sur la télévision d’Etat ; de l’autre, ils interdisent aux parlementaires kurdes de parler dans leur langue. Nous faisions donc un premier pas en le tournant en kurde, et avec ce thème qui est tabou. Et bien sûr, vous avez besoin ensuite d’être suivi, soutenu afin de pouvoir le montrer. Et nous sommes heureux que cela a été fait, je suis vraiment soulagé. »
La projection du film à Antalya ne s’est pas faire sans remous. Beaucoup de spectateurs ont quitté la salle. Lors du débat avec Miraz Bezar, une femme l’a accusé de « diviser le pays »en parlant de « honte ».
Cependant, la majeure partie des spectateurs qui ont choisi de regarder le film jusqu’au bout ont applaudi à la fin.
Un documentaire a été aussi très remarqué. Il s’agit de « Sur le chemin de l’école », d’Özgür Dogan et d’Orhan Eskikov. Il montre la classe d’un instituteur turc, Emre Aydin, envoyé dans une petite ville kurde, avec des élèves qui ignorent le turc, pour la plupart. « Notre plus grande attente est de lancer un débat par le biais de ce film » explique Özgür Dogan, qui défend l’enseignement scolaire en kurde comme un droit de l’homme fondamental. La situation actuelle pénalise les élèves comme les professeurs et le documentaire montre les difficultés et les désillusions d’un jeune instituteur enthousiaste se heurtant à une situation totalement inattendue. Le succès de ce documentaire a permis sa diffusion sur une chaîne de télévision turque.
Auparavant, un film non pas kurde, mais traitant du Kurdistan a ouvert le 4ème Festival de Rome, le 15 octobre. Il s’agit de « Triage » du réalisateur bosniaque Danis Tanovic, racontant le destin de deux photoreporters couvrant le génocide kurde, l’Anfal en 1998. Les acteurs principaux en sont l’américain, Colin Farrell, le mythique acteur anglais Christopher Lee, âgé de 84 ans, et l’Espagnole Paz Vega. Adapté du roman de Scott Anderson, l’histoire est celle d’un photographe Mark Walsh confronté à la violence de la guerre au Kurdistan d’Irak, qui n’en reviendra pas psychologiquement indemne. « Il ne s’agit pas d’un film de guerre, c’est un film sur les réactions humaines (face à la guerre) et ce que ressentent les gens des deux côtés » a déclaré Christopher Lee, qui a lui-même combattu dans les rangs de la Royal Air Force lors de la Seconde Guerre mondiale et a participé à de nombreuses opérations secrètes au sein du fameux