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Bulletin N° 297 | Décembre 2009

 

 

TURQUIE : INTERDICTION DU DTP, RAFLE POLICIÈRE DANS LES MILIEUX POLITIQUES KURDES

Les 11 juges de la Cour constitutionnelle ont statué à l’unanimité : Comme la plupart des observateurs politiques s’y attendaient, le principal parti pro-kurde de Turquie, le DTP, a été dissous par la cour constitutionnelle turque le 11 décembre, au motif d’être : « un foyer d'activités préjudiciables à l'indépendance de l'Etat et à son unité indivisible ». 37 cadres de ce parti et ses deux co-présidents, Ahmet Türk et Aysel Tugluk ont, quant à eux, été bannis pour 5 ans de toute vie politique. Ces deux derniers, députés, ont ‘té déchus d’office de leur mandat de député.

Cette décision met dans l’embarras le gouvernement AKP, tant vis-à-vis de l’Union européenne que des interlocuteurs kurdes dont il espérait un certain soutien dans sa politique de résolution du conflit, mais a été accueillie avec satisfaction par l’opposition, notamment le président du CHP, Deniz Baykal, qui a parlé de « décision juste et fondée juridiquement. » D’abord enclins à se retirer du Parlement, les 19 députés DTP ont finalement choisi de rester et de fonder un autre parti, le Parti de la démocratie et de la paix (BDP). Les débats ayant eu lieu ouvertement à l’intérieur du DTP comme du PKK, et les représentants du DTP n’ayant pas caché que c’est sur les « conseils » du leader du PKK, Abdullah Öcalan, que la décision de rester au parlement avait été finalement retenue, un autre acte d’accusation a été lancé contre Ahmet Türk, le 23 décembre.

L ‘interdiction du DTP a été critiquée par l’Union européenne, ainsi que par le gouvernement AKP, qui fait face à une opposition ferme de la part des milieux nationalistes et militaires dans ses tentatives de résoudre la question kurde en Turquie. La nouvelle de cette dissolution a d’ailleurs provoqué plusieurs incidents violents, allant de manifestations tournant à l’affrontement, notamment dans les grandes villes de l’ouest où vivent nombre de Kurdes déplacés, jusqu’à des émeutes dans les grandes villes kurdes comme Diyarbakir ou Hakkari, principaux fiefs électoraux du DTP.

Critiqué par les uns pour « complicité avec les séparatistes », par les autres pour l’insuffisance des mesures annoncées, Recep Tayyip Erdogan et son équipe soufflent le chaud et le froid sur la question kurde, tout autant que sur les milieux nationalistes, notamment par de soudains coups de filets policiers, tant dans le cas de l’affaire Ergenekon que dans les milieux kurdes, régulièrement accusés de liens avec une organisation « terroriste ». C’est ainsi que le 24 décembre, la police de Diyarbakir a arrêté plus de 80 personnes à leur domicile, toutes suspectées de « menées séparatistes » et de liens avec le PKK. Le coup de filet a eu lieu simultanément dans 11 provinces. C’est la troisième fois cette année que de telles opérations policières ont lieu, mais celle-ci a frappé et indigné particulièrement l’opinion kurde, car venant juste après la dissolution du DTP et semblant confirmer les avis sceptiques sur la réelle volonté de réformes de l’AKP. Les maires kurdes arrêtés sont Selim Sadak, le maire de Siirt ; Abdullah Demirbas, le maire de la vieille ville de Diyarbakir (Sur), qui a eu fréquemment des démêlés avec l’appareil judiciaire, en raison de ses initiatives pour la promotion des langues kurde, syiaque, arménienne et arabe dans sa ville ; Aydin Budak, le maire de Cizre ; Ethem Sahin, le maire de Suruç ; Ferhan Türk, maire de Kiziltepe ; Leyla Güyen, maire de Viransehir et NecdetAtalay, maire de Batman. 35 autres prévenus sont membres de partis kurdes ou d’ONG, de mouvements de défense des droits de l’homme.

Le président du tout nouveau parti BDP, Demir Çelik, a condamné l’opération qui ne peut, selon lui, qu’accroître les tensions et pointe l’incohérence de la politique turque à l’égard des Kurdes : « Je tiens à souligner que ces opérations témoignent d’une évolution qui ne correspond pas au processus et aux plans du gouvernement. » Dans un entretien donné au journal turc Bianet, le bâtonnier de Diyarbakir, Mehmet Emin Aktar, y voit, lui, une grave erreur de jugement de la part de l’AKP : « La position du gouvernement n’est pas claire (…) Toutes les opérations d’arrestations et de détention ne font qu’aggraver la douleur des Kurdes. Il est faux de croire que le peuple kurde perdra sa force armée une fois que tous les recours légaux auront été épuisés. En faisant cela, ils continueront d ‘affronter des jeunes qui ont grandi durant les confits des années 1990. » Plus virulent, le maire de Diyarbakir, visiblement exaspéré, a lancé aux caméras de télévision : « Je n’ai qu’une chose à dire aux personnes qui font la distinction parmi nous entre les faucons et les colombes et c’est d’aller se faire f... ! » provoquant un scandale dans des media turcs comme le journal Hurriyet, plus prompt à se scandaliser d’écarts de langage que de manquements aux droits de l’homme. Osman Baydemir a ajouté : « Après 80 ans, pour la première fois, l’État turc lançait des initiatives pour vivre ensemble avec les Kurdes. Nous y avons cru et nous l’avons soutenu. Mais une fois de plus, nous voyons que c‘était un piège pour anéantir le combat des Kurdes. »

Malgré la colère kurde, la volonté de maintenir un groupe parlementaire au parlement l’a finalement emporté et un nouveau groupe de députés s’est formé, composé des 19 ex-DTP auxquels s’est rallié un député indépendant d’Istanbul, Ufuk Uras. La nouvelle composition de l’assemblée nationale est donc la suivante, sur un total de 544 députés : Parti de la Justice et du développement (AKP) : 338 sièges ; Parti républicain du peuple (CHP) : 97 sièges ; Parti du mouvement nationaliste (MHP) : 69 sièges ; Parti de la paix et de la démocratie (BDP) : 20 sièges ; indépendants : 10 ; Parti démocratique de gauche : 8 ; Parti de la Turquie : 1. Cela n’a pas empêché la poursuite de violents affrontements dans les rues kurdes, entre manifestants et policiers, faisant une dizaine de blessés à Diyarbakir, dont deux policiers, et entrainant une dizaine d’arrestations. À Hakkari et Yuksekova, les forces de l’ordre ont à nouveau dû se heurter à des adolescents cagoulés qui leur ont jeté des pierres, bravant les jets de gaz lacrymogène et les jets d’eau.

La décision d’interdiction du DTP, outre qu’elle a suscité la désapprobation de l’Union européenne, a été également vivement condamnée par Massoud Barzani, le président de la Région du Kurdistan d’Irak et peut avoir aussi une incidence sur le devenir des réfugiés kurdes du camp de Makhmour, que le récent climat de détente relatif sur la question kurde, de la part du gouvernement AKP, avait remis sur le devant de la scène. Ayant fui le Kurdistan de Turquie et la guerre en 1996, les quelques 12 000 réfugiés du camp de Makhmour, installés par le Haut-Commissariat aux réfugiés, sont dans une situation politique et sociale difficile, à la fois très « encadrés » par les cadres du PKK, et maintenus dans une zone intermédiaire, ni tout à fait en Irak ni tout à fait au Kurdistan, puisque Makhmour fait partie des territoires revendiqués par le GRK et cités dans l’article 140. À l’automne dernier, leur rapatriement avait été accepté par Ankara, mais les conditions posées par le PKK à leur retour, ainsi que les manifestations de liesse qui avaient accompagné à la fois un groupe de civils de Makhmour et des combattants descendus de Qandil en « émissaires de paix », et qui avaient choqué l’opinion publique turque, avaient plus ou moins ralenti le calendrier de ce retour, sans toutefois l’annuler définitivement. Les dernières rafles policières dans les milieux militants kurdes en Turquie incitent donc les Kurdes de Makhmour à une certaine défiance et, alors que le ministre de l’Intérieur turc, Besir Atalay, était en visite officielle à Bagdad, ils ont défilé dans les rues de la ville pour protester, en brandissant des portraits d’Öcalan et des drapeaux du PKK. Enfin, rompant quelque peu avec le ton d’apaisement et d’optimisme qui s’était instauré ces derniers mois au sujet des relations kurdo-turques, Massoud Barzani a fait part, dans un communiqué, de sa « colère » après la dissolution du DTP, tout en approuvant les récentes initiatives du gouvernement turc :« La présidence (de la région autonome) exprime sa colère après l'interdiction par la Cour constitutionnelle turque du DTP mais en revanche salue l'ouverture du gouvernement du Parti de la justice et du développement . Elle espère que le verdict de la Cour constitutionnelle ne stoppera pas le processus et appelle toutes les factions turques à s'engager dans une politique de réconciliation pour qu'elle réussisse. »

IRAK : LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES FIXÉEES EN MARS 2010

Après maintes controverses et protestations de diverses factions politiques ou religieuses irakiennes, la loi électorale des législatives de 2010 a été adoptée par le Parlement de Bagdad. Prévues initialement pour janvier 2010, les retards successifs de cette adoption ont contraint la Commission électorale irakienne à reporter le scrutin au 7 mars prochain. Les 325 députés auront eux-mêmes en charge au printemps prochain d’élire le Premier ministre et le président irakiens. Le même jour, un référendum est aussi prévu, demandant aux Irakiens de se prononcer sur la présence des troupes américaines en Irak. L’accouchement de cette loi a été difficile et son approbation plusieurs fois rejetée. Les principaux points litigieux en ont été le nombre de sièges répartis entre les provinces, ou bien réservés aux minorités et aux Irakiens en exil ; autre source de conflit, les registres électoraux de Kirkouk, que des partis turkmènes et arabes hostiles aux Kurdes dénoncent comme étant falsifiés. La Mission d’assistance de l’ONU en Irak (UNAMI) a aussi recommandé de transformer le système électoral, afin que chaque électeur puisse voter pour des candidats particuliers aussi bien que pour des partis et non pour une seule liste fermée comme cela était le cas auparavant. Mais ce système de listes ouvertes a rencontré une opposition de la part des Irakiens, même chiites, hostiles à Maliki, comme le religieux Ali Al-Sistani, craignant que ce système nominatif n’avantage le Premier Ministre, même si la plupart des partis irakiens l’ont accepté, pour finir.

L’UNAMI, après avoir renoncé à une répartition pré-électorale « ethnique » des sièges de Kirkouk, avait tenté un compromis sur la question des listes électorales controversées de Kirkouk, en proposant de « mixer » les listes de 2004 et celles de 2009, ce qui, bien sûr, s’est heurté à l’opposition des Kurdes. Pour finir, les listes électorales de 2009 serviront à ces élections mais les résultats à Kirkouk seront « temporaires » dans un délai d’un an, la Commission électorale irakienne devant durant ce temps enquêter sur d’éventuelles irrégularités avant de les valider définitivement. Dans un premier temps, la loi électorale est passée par 141 oui contre 54 non, 80 députés, principalement les Kurdes, ayant quitté la salle pour protester contre le faible nombre de sièges supplémentaires que les trois provinces de la Région du Kurdistan se sont vus allouer, alors que le nombre de députés en Irak passe de 275 à 325, dont 16 réservés aux minorités : 5 aux chrétiens, 1 chacun pour les yézidis, les shabaks et les mandéens. Mais le vice-président, le sunnite Tariq Al-Hashimi, avait, pour sa part, exigé que 15% des sièges soient réservés aux Irakiens en exil et avait mis son veto à la loi, approuvée par le président Talabani et l’autre vice-président, un chiite. Sa position sur cette question s’explique par le grand nombre d’Irakiens sunnites, plus ou moins compromis avec l’ancien régime, qui ont dû fuir le pays après 2003.

Mais Ayad Al-Samarrai, le président du parlement irakien, a pu contourner le veto en arguant que la question de la répartition des sièges relevait de la Commission électorale mais n’était pas constitutionnelle ; or, le veto du Conseil de présidence sur les lois irakiennes ne peut s’appuyer que sur leur caractère anticonstitutionnel. La loi put ainsi repasser au Parlement. Cependant, le premier vote ayant eu lieu sans la présence des députés de l’Alliance kurdistani car la Région du Kurdistan n’avait obtenu que 3 sièges supplémentaires et le président de la Région, Massoud Barzani, avait d’abord menacé de boycotter ces élections. Finalement, le nombre de sièges alloués aux Kurdes fut augmenté, mais au détriment des régions sunnites, ce qui fut parfois compris comme une forme de « rétorsion » après le blocage manqué de Al-Hashemi, et fit dire à des analystes politiques que le vice-président sunnite avait tenté, avec son premier veto, de jouer une partie de poker au bluff, et finalement perdu. La presse irakienne a même parlé de « catastrophe » pour les sunnites arabes. Les nouvelles dispositions revotées par le parlement ne tiennent effectivement plus compte de l’augmentation de la population irakienne depuis 2005, mais haussent de 2.8% par an le nombre des sièges de chaque province, de sorte que les Kurdes sont, de l’avis des sunnites irakiens et de la presse politique en général, les seuls bénéficiaires du nouveau système. La frustration et la colère des sunnites laissent augurer un climat politique difficile après mars 2010. La faute en est cependant attribuée uniquement à Tariq Al-Hashemi, fortement critiqué par ses coreligionnaires pour avoir joué de façon hasardeuse, et quasi-personnelle, la future représentation des sunnites arabes au parlement. Les Kurdes ayant finalement accepté de participer, malgré les dispositions particulières sur Kirkouk, la rumeur a circulé, dans les milieux politiques irakiens, d’une tractation secrète entre Massoud Barzani et l’administration américaine, pressée de résoudre la question avant le retrait total des troupes. Certaines tribus sunnites de la province accusent ainsi les USA d’avoir cédé aux Kurdes sur la tenue effective du référendum prévu par l’article 140, ce qui a été plusieurs fois démenti par Nouri Al-Maliki. Quant aux partis kurdes, ils vont peut-être rompre avec leur habitude du « front uni » aux élections irakiennes, le nouveau parti Gorran, dont les relations sur le terrain avec l’UPK sont assez tendues, ayant refusé de rejoindre l’Alliance kurdistani et fera donc cavalier seul aux législatives.

Dans le même temps, les partis islamistes kurdes, déjà fortement divisés lors des élections législatives kurdes de juillet 2009, n’ont pas davantage réussi à s’unir et l’Union islamique du Kurdistan a rejeté toute alliance avec le Mouvement islamique du Kurdistan et le Groupe islamique du Kurdistan. Les sunnites arabes sont aussi divisés. Le parti sunnite le plus important a compté, lui aussi, beaucoup de démissionnaires, dont le controversé Tariq Al-Hashemi qui a fondé son propre parti, la liste du Renouveau, alliée avec le Mouvement national irakien de l’ancien Premier Ministre Iyad Allawi et le parti du Front national du dialogue irakien, de tendance baathiste. Ahmed Abu Risha, à la tête du Mouvement du réveil qui a remporté la plupart des sièges de la province sunnite d’Anbar aux élections provinciales de 2009 avait, au préalable, entamé des pourparlers avec le Premier ministre chiite Maliki pour rejoindre sa coalition État de droit, victorieuse en janvier 2009. Il a finalement opté pour une alliance avec le ministre de l’Intérieur, Jawad Al-Blani, un chiite indépendant et le sunnite Ahmed Abdul Ghafour Al-Samarrai, tous deux de la coalition Unité de l’Irak.

IRAN : MANIFESTATIONS ET « GUERRE DE LA TOILE »

De nombreuses manifestations ont émaillé ce mois de décembre, prouvant que l’opposition de la rue iranienne ne désarme pas, malgré la violence avec laquelle elle est réprimée. On assiste même à une radicalisation des affrontements, l’enjeu dépassant de très loin, à présent, la réélection suspecte d’Ahmadinejad : c’est le pouvoir même du Guide suprême, Ali Khamenei, qui est dénoncé et défié, même au sein des cercles religieux.

Le 7 décembre, « Journée de l’Étudiant » en Iran, s’est ainsi transformée en journée de la contestation sur les campus universitaires. La police a rapidement cerné les facultés, empêchant le reste de la population d’y rejoindre les étudiants, mais n’y parvenant pas toujours : Ainsi, à l’université Amir Kabir, la foule a forcé les portes et s’est mêlée aux étudiants. Malgré les coupures d’accès à Internet et celle des réseaux portables, le mot d’ordre a été efficacement relayé dans les milieux estudiantins, et des images video des manifestations, captées sur des portables ont, une fois de plus, fait le tour du monde sur le Web, alors que les journalistes étaient, une fois encore, interdits sur les lieux.

C’est lors de cette journée que l’on a pu observer que la contestation de la jeunesse iranienne a franchi un pas, en s’attaquant cette fois aux symboles, jusque-là tabou, du pouvoir religieux et du caractère islamique de la république. : Un drapeau iranien sans le nom d’Allah figurant dessus a été brandi à l’université Khajeh Nasir de Téhéran, un portrait d’Ali Khamenei a été brûlé aux cris de « Mort à toi ! » et même celui de l’ayatollah Khomeiny, ce qui a scandalisé les milieux proches du pouvoir, qui ont fustigé Moussavi et Karroubi, les deux principaux leaders de l’opposition en appelant à leur arrestation. Ces derniers ont parlé de « provocations » de la part de milieux bassidji (milices gouvernementales), argument relayé aussi par certains groupes d’étudiants. Quoi qu’il en soit, cela n’a pas empêché le pouvoir iranien de se fissurer davantage, faisant même craindre une « désobéissance civile de l’armée ».

Ainsi, des sites Internet ont relayé un appel rédigé par des officiers et soldats des armées de Terre et de Mer, protestant contre les exactions des Gardiens de la révolution (Pasdaran). Même si ce texte n’a pas été émis de façon officielle, un certain nombre d’observateurs iraniens en exil, journalistes ou hommes politiques, le jugent authentique :

“Au nom de la pureté divine.L’armée est le refuge du peuple. Durant les années de guerre lorsque nous combattions aux côtés de nos frères des gardiens de la révolution, nous défendions la terre, la dignité, la survie et les biens du peuple iranien. La richesse de notre pays tient en la valeur de son peuple. L’arme des militaires et des gardiens de la révolution doit servir le peuple, il en va de même de leurs vies. Jamais nous n’aurions pensé, au moment où, main dans la main nous donnions notre vie pour défendre notre patrie, qu’aujourd’hui un groupe isolé parmi les honnêtes soldats des gardiens de la révolution retournerait ses armes contre le peuple. L’armée se sait être le refuge du peuple et ne se fera jamais l’outil de la répression des citoyens par les politiciens. Nous n’irons pas à l’encontre de la neutralité que notre fonction exige de nous, mais nous ne pouvons garder sous silence les souffrances et les viols que subissent notre peuple. Nous exigeons des soi-disant gardiens de la révolution d’arrêter de violer et de prendre la vie, la dignité et les biens du peuple iranien sous peine d’avoir en retour la colère des braves soldats de l’armée. L’armée est le refuge du peuple et elle défendra jusqu’à la dernière goutte de son sang ce peuple digne et pacifiste.”(traduction whereismyvote.fr).

L’Ayatollah Ali Khamenei est donc monté aux créneaux une fois de plus, tentant de discréditer l’opposition, et notamment Moussavi et Karroubi, accusés de faire le jeu des puissances occidentales, voire même de leur être inféodés : “Ils devraient s’inquiéter lorsqu’ils voient des gens corrompus, des monarchistes, des communistes, des danseurs et musiciens exilés les soutenir” Ceux qui crient ces slogans au nom de ces personnes (leaders de l’opposition), brandissent leur portrait et parlent d’eux avec respect, sont à un point qui est l’exact opposé de l’Imam (Khomeiny), de la Révolution et de l’Islam”.

Parallèlement la « guerre de la Toile » se poursuit, parfois sur le mode de l’humour. Ainsi, l’étudiant Majid Tavakoli, un des leaders du mouvement, arrêté le 7 décembre, a été photographié affublé par les Pasdaran d’un tchador féminin, afin de le ridiculiser, les Gardiens de la révolution l’accusant d’avoir tenté de fuir déguisé en femme, ce que contestent d’ailleurs les témoins de son arrestation. La photo a été publiée par l’agence Fars News, proche du gouvernement, qui en fait un parallèle avec la figure de Banisadr, le premier président de la république islamique, accusé lui aussi, en son temps, d’avoir fui sous des vêtements de femme. Mais loin de discréditer le prestige de Tavakoli, le cliché, montage ou non, a immédiatement été détourné de son but premier par des centaines d’Iraniens dans le monde, qui se sont fait tous photographier dans leur profil facebook, ou sur Twitter, ou filmés dans des vidéos diffusées sur You Tube, vêtus de tchador, avec le message : « Nous sommes tous Majid ». Parmi eux, des personnalités en vue, tels que Hamid Dabashi, professeur à l’université Columbia, ou Ahmad Batebi, le leader étudiant des révoltes de 1999, qui vit aujourd’hui aux États-Unis. Enfin, des portraits de Khamenei et d’Ahmadinejad ont également circulé affublés du même tchador.

En représailles dans cette « guerre de la Toile » le site Twitter a été brièvement piraté par un groupe se présentant comme la “Cyber Armée iranienne”, qui ont remplacé la page d’accueil de Twitter par un drapeau vert encadré de deux étoiles rouges, avec les mots « Vive l’Imam Hossein » suivi de : “Nous devrons frapper si le Guide l’ordonne, nous devrons perdre nos têtes si le Guide le souhaite”. “Ceux qui mènent le combat sur le chemin de Dieu l’emportent”. Selon l’opposition iranienne, il s’agirait d’un groupe de hackers (pirates) russes, employé par les Pasdaran, qui a piraté des sites dissidents.

Le 18 décembre, jour de l’Achoura, la célébration religieuse la plus solennelle pour les chiites, commémorant la mort de l’Imam Hussein, n’a pas été épargnée par les violences, ce qui rompt une fois encore un tabou, jamais violé depuis la révolution de 1979 : ce jour-là, en effet, doit être exempt de tout sang versé, même celui d’animaux. La veille, avait été organisée une « manifestation de soutien » au pouvoir, aux cris de « Mort à Moussavi ! »s’inspirant sans doute du prêche de Mohammad Hassan Rahimian, ancien représentant du Guide suprême pour la Fondation des martyrs, qui, lors de la prière du Vendredi avait réclamé l’exécution des leaders de l’opposition. Le succès de ces défilés est incertain, l’agence officielle de presse IRNA parlant de « millions de manifestants », des témoins contactés à Téhéran n’en indiquant que quelques milliers, souvent des fonctionnaires plus ou moins volontaires, ou des membres de milices. Ni Mehdi Karroubi ni Hossein Moussavi n’avaient appelé à une contre-manifestation, par crainte de violents affrontements. Le lendemain, jour de l’Achoura donc, les manifestations d’opposants ont eu lieu dans les grandes villes et ont été violemment réprimées, faisant plusieurs morts, au moins huit selon les chiffres officiels. Les jours suivants, plusieurs personnalités proches de Moussavi étaient arrêtées, tandis que la voiture de Mehdi Karroubi était attaquée.

SYRIE : ARRESTATIONS ET GRÈVES DE LA FAIM

Un avocat kurde, Mustafa Ismaïl, a été arrêté et mis au secret par les autorités syriennes le 12 décembre. Amnesty International a aussitôt appelé à sa libération, en faisant état de risques de torture et de mauvais traitements encourus par le prisonnier. Mustafa Ismaïl écrivait régulièrement sur la condition des Kurdes en Syrie et en Turquie sur de nombreux sites Web étrangers. Convoqué par les services de sécurité de la Force aérienne d’Alep, il a disparu depuis. Sa famille, qui s’est rendue à Alep le 17 décembre dans ces mêmes services s’est entendue répondre que jamais Mustafa Ismaïl n’avait été vu dans leurs bureaux, et on lui as intimé l’ordre de rentrer chez elle.

Pourtant, la veille de son arrestation, le 11 décembre, l’avocat écrivait sur le site Levant News, basé à Londres, qu’il venait de recevoir une convocation pour se rendre au bureau de la sécurité de la Force aérienne d’Alep en ajoutant qu’il devrait entrer dans le Guiness des records pour le nombre de fois où il avait été appelé à se rendre dans les bureaux des services de sécurité depuis 2000. Ainsi, le 3 octobre dernier, il avait été interrogé par le bureau de la Sécurité politique, le 5 octobre par la Sécurité militaire, les 7 et 8 novembre par la Sécurité d’État. Les interrogatoires portaient toujours sur ses activités dans les media, et notamment les entretiens téléphoniques qu’il avait donnés à la chaîne Roj-TV.

Mustafa Ismaïl n’est pas le seul Kurde de Syrie à avoir « disparu » en 2009. Le 1er août, Un adolescent de 15 ans, Shahab Othman, qui vivait dans la région de Koban, a été également arrêté et emmené par la Sécurité politique et sa famille est depuis sans nouvelle. Le 17 novembre, Aziz Khalil Abdi a été arrêté par la même Sécurité politique et son sort demeure inconnu. Le 28 décembre, quatre autres Kurdes ont été arrêtés et emprisonnés à Qamishlo. Hassan Saleh, Maarouf Mala Ahmed et Muhammad Mustafa sont des responsables du parti interdit Yekitî. Anwar Nasso est un artiste militant. Les motifs précis de leur détention sont inconnus.

Par ailleurs, depuis le 30 octobre, des prisonniers kurdes qui poursuivaient une grève de la faim dans la prison d’Adra, à Damas, pour protester contre leurs conditions de détention et leur isolement, ont interrompu leur action. Mais selon le Comité exécutif du Parti de l’union démocratique, les grévistes ont été torturés et alimentés de force. Les prisonniers réclament un procès régulier, la fin de leur isolement, le droit de sortir de leur cellule, le droit de recevoir des visites de leurs proches et parents, et celui d’avoir accès, comme les prisonniers de droit commun, à la radio et aux informations télévisées. Dix jours après l’interruption de leur grève de la faim, des visites ont été autorisées pour des familles de prisonniers qui, selon elles, portaient sur eux des traces de torture. Ils ont raconté avoir été enfermés, seuls, dans des cellules étroites, où on les a forcés de s’alimenter. Le leader du mouvement, qui négociait avec les autorités de la prison, s’est fait promettre que leurs demandes seraient prises en considération, mais jusqu’à ce jour, rien n’a changé selon le Comité. Certains détenus voyaient leur famille pour la première fois depuis le début de leur emprisonnement. Les visites se sont déroulées dans le bureau du colonel de la prison, mais ont été immédiatement écourtées quand le kurde était utilisé dans les conversations ou que les prisonniers rapportaient ce qui s’était passé. Certains détenus ont particulièrement souffert des mauvais traitements et des tortures endurés : Muhammad Habash Rashi Bakr, détenu depuis 7 ans, Nuri Mustafa Hussein, et de Salah Mustafa Misto détenus depuis 6 ans.

Enfin, le 30 décembre, le parti Yekitî annonçait la libération d’Ibrahim Burro, qui avait été arrêté en avril 2009 et condamné à un an de prison en octobre dernier, pour « appartenance à une organisation clandestine ». Lors d’une réception officielle donnée par Yekitî, Ibrahim Burro a relaté en détail ce qu’il avait vu et subi en prison. Il a ainsi indiqué que de nombreux adolescents, sans grande expérience politique, se trouvaient en détention uniquement pour avoir brandi les emblèmes de partis politiques kurdes et que beaucoup d’arrestations dans les milieux kurdes étaient totalement arbitraires.

CULTURE : DEUX FILMS SUR LA QUESTION KURDE EN HAUT DU BOX-OFFICE TURC

"Le Souffle : Vive la Patrie""  (Nefes: Vatan sagolsun), de Levent Semerci, relatant la vie d’une garnison turque dans les années 1990, à l’époque de la « sale guerre »au Kurdistan rencontre un succès inattendu en Turquie, avec 2,4 millions d’entrées depuis sa sortie en octobre, passant ainsi loin devant les films à succès comme Harry Potter (640.000 entrée). Le film a d’ailleurs fait l’unanimité parmi les camps politiques les plus opposés, même si les avis divergent sur son message, puisqu’il est loué par le chef d’état-major des armées, le général Ilker Basbug, comme étant "l'un des plus beaux films jamais tournés sur la lutte contre le terrorisme", tandis que le journal Taraf y voit l’intention d’opposer « à la guerre la beauté de la vie ». Mais pour le critique de cinéma Attila Dorsay, il s’agit bel et bien du ‘premier film vraiment anti-guerre du cinéma turc", car ‘la guerre n'est pas idéalisée, rien n'est anobli .Les gens sont allés voir ce qui est arrivé à leurs enfants, leurs cousins, leurs parents. Ils ont été directement touchés par ce film.

C’est le premier long métrage de Levent Semerci qui n’avait, jusqu’ici, que tourner des spots publicitaires et des clips musicaux. L’histoire est tirée du livre Güneydoğu'dan Öyküler (Récits du sud-est) écrit en 1999 par l’écrivain Hakan Evrensel, qui a participé à l’écriture du scénario. Une unité de 40 hommes, commandée par un officier, Mete, très affecté par la perte récente de deux de ses hommes, est envoyée protéger contre les attaques du PKK une base assurant les transmissions sans fil au sein de l’armée, à Karabal, sur une des plus hautes montagnes du pays (2 365 mètres d'altitude), à la frontière turco-irakienne. Ils ont peu à peu le sentiment de leur mort prochaine et le seul contact avec le monde extérieur sont les conversations téléphoniques qu’ils ont avec leurs proches. C’est alors qu’un combattant du PKK, se faisant appeler « le Docteur » réussit à interférer lors d’un appel de Mete à sa femme et une série de dialogues, à la fois hostiles et routiniers, s’instaurent entre les belligérants.

Enfin le film "Iki dil bir bavul" (Deux langues, une valise), un documentaire réalisé par deux étudiants en cinéma, Özgür Dogan et Orhan Eskiköy, respectivement kurde zaza et turc, sur l’arrivée d’un instituteur ne parlant que le turc dans un village où ses élèves ne parlent que le kurde, atteint 78.000 entrées.