Ali Al-Madjid, surnommé Ali le Chimique, cousin de Saddam Hussein et principal ordonnateur et exécuteur de l'Anfal, a été exécuté par pendaison le 25 de ce mois. Il s’agissait de la quatrième sentence de mort prononcée à l’encontre d’Ali Al-Madjid, toutes pour des crimes commis à l’encontre des Kurdes ou des chiites irakiens. Il avait été ainsi condamné à mort en juin 2007 pour avoir ordonné l’attaque au gaz de la ville kurde de Halabja, le 16 mars 1988 et en décembre 2008 pour crimes de guerre, quand la révolte des chiites avait été écrasée dans le sang, en 1991. En mars 2009, un autre tribunal l’avait reconnu coupable du meurtre de dizaines de chiites en 1999, dans le quartier de Sadr City à Bagdad.
Étant l’une des principales figures du régime baathiste, considéré comme le bras droit de Saddam Hussein, il était membre du Conseil de commandement de la Révolution, organe suprême du régime de Bagdad et a ordonné et organisé plusieurs répressions brutales et sanglantes dans tout le pays. En mars 1987, il avait obtenu les pleins pouvoirs pour mater la rébellion kurde dans le nord du pays. Arrêté en août 2003, il avait fait partie des 52 personnes recherchées par les forces de la Coalition et dont les portraits avaient été imprimés sur un jeu de cartes. Ali Al-Madjid y figurait le roi de Pique.
Si l’annonce de l’exécution a été accueillie avec satisfaction par la majorité des populations kurdes et chiites, le Gouvernement régional du Kurdistan a fait état de ses regrets concernant la teneur de la sentence elle-même, qui ne comprend pas le crime de « génocide », ce que réclament les Kurdes, pour les actes commis au cours de l’Anfal. Madjid Hamad Amin Jamil, le ministre des Martyrs du Kurdistan a déclaré : « Après avoir consulté plusieurs avocats, nous pensons que les verdicts sur le plan individuel sont justes mais nous avons des réserves sur la charge de « crime contre l’humanité » car nous considérons le gazage de Halabja, qui a tué plus de 5000 personnes, comme un acte de génocide envers le peuple kurde. Nous avons décidé de faire appel de ce jugement. » La question de la reconnaissance d’actes génocidaires durant l’Anfal permettrait aussi, selon les Kurdes, d’augmenter le montant des compensations dues aux victimes, en plus d’apporter une plus grande reconnaissance internationale de cette page noire de l’histoire kurde. Des milliers de personnes souffrent encore de séquelles physiques dues aux gaz chimiques, sans compter les séquelles psychiques, comme l’explique un juriste kurde en faveur de l’appel, Bakir Hama Sidiq, qui a lui-même perdu 23 personnes de sa famille dans l’attaque du 16 mars 1988 contre Halabja : « Il est important que soit retenue l’incrimination de génocide, car il ne fait aucun doute que ce qui s’est produit à Halabja, le 16 mars 1988 est un acte de génocide. Cela aiderait les victimes à obtenir des dédommagements. Le gouvernement [de l’époque] a prétendu que Halabja était une base militaire, mais ce fut en réalité un message adressé à l’Iran sur le fait que les dirigeants irakiens n’avaient aucune pitié, même envers leur propre peuple. Ce fut un génocide. »
L’avocat général, Goran Adham, a déclaré que son équipe et lui soutenaient la sentence, mais qu’ils feraient malgré tout appel pour obtenir le verdict de génocide, même si la reconnaissance de « crimes contre l’humanité » à Halabja peut, selon les avocats, donner malgré tout aux victimes la possibilité d’une poursuite civile pour obtenir des dédommagements des préjudices subis : « Nous allons poursuivre en justice les sociétés étrangères [ayant vendu les gaz chimiques utilisés en armes] et le gouvernement central comme le Gouvernement régional du Kurdistan peut les attaquer devant les tribunaux internationaux. » Le porte-parole du Gouvernement régional du Kurdistan, Kawa Mahmud a apporté le soutien de son gouvernement à l’appel de ce jugement : « Nous considérons juste ce verdict mais ne pas reconnaître officiellement ce dossier comme étant un génocide a soulevé des craintes parmi nous. Nous sommes donc heureux que l’accusation fasse appel. » La volonté de faire appel du jugement ne signifiait pas, cependant, un report de la peine de mort. Goran Adham s’était même dit persuadé que la peine capitale serait appliquée avant même que la cour d’appel ait rendu son jugement, ce dernier processus pouvant prendre plusieurs mois, ce qui s’avéra juste.
D’autres condamnations ont déçu l’accusation : l’ancien ministre de la Défense, Sultan Hashim Al-Taie et l’ancien chef des Services secrets Sabir Azizi Al-Douri ont été tous deux condamnés à quinze ans d’emprisonnement chacun, ce que les procureurs jugent insuffisant. Aussi Goran Adham a-t-il également décidé de faire appel de leur jugement Hashim Al-Tae a été condamné à mort avec Ali Al-Madjid en 2007 pour des crimes commis durant l’Anfal. Mais à l’époque, le président irakien, le Kurde Jalal Talabani, et son vice-président sunnite Tariq Al-Hashemi avaient refusé de signer la sentence, pour finalement l’approuver, en février 2008.
Mais certains observateurs politiques ont estimé que la volonté de procéder rapidement à cette exécution pouvait n’être pas étrangère à des fins électorales, à l’approche des législatives de mars 2010, d’autant que les débats autour de l’interdiction de candidats proches de l’ancien régime ont ravivé les sentiments anti-baathistes, surtout dans les milieux chiites. « Le verdict d’une peine de mort prononcée contre Ali Hassan Al-Majid dans le dossier de Halabja pourra être utilisé par le Premier Ministre Nouri Al-Maliki dans sa campagne électorale », estime ainsi l’analyste Hadi Jelow Mari, dans le journal irakien Al-Mada. « Maliki dira ainsi à la rue irakienne que c’est lui qui a mené à bien l’exécution de Saddam Hussein et qu’il va continuer de prendre des mesures strictes à l’encontre des anciens adjoints de Saddam. » L’exécution a finalement eu lieu une semaine après que la sentence a été rendue. Cette fois, contrairement à l’exécution de Saddam Hussein, aucune vidéo de la pendaison n’a circulé, et seulement deux clichés ont été diffusés sur les chaînes télévisées, tous deux montrant le condamné avant l’exécution.
À Halabja, les réactions ont été mitigées, entre satisfaction ou indifférence par rapport à cette exécution et surtout la déception que l’accusation de génocide n’ait pas été retenue. Le jour de la sentence, une commémoration avait eu lieu au cimetière de la ville, où sont enterrées les milliers de victimes du 16 mars, dont certaines inconnues et dans des fosses communes. « Je ne suis pas heureux de cette exécution parce que cela ne changera rien pour nous, explique ainsi Yahya Nawzar, instituteur à Halabja, il aurait même pu être exécuté sans le verdict de Halabja. Ce qui est important pour nous est la reconnaissance du génocide. » Durant la cérémonie, de fait, des banderoles réclamant cette reconnaissance ont été brandies. Le maire de la ville, Khidr Karim Muhammad s’est déclaré cependant optimiste sur cette question, pensant que la Cour suprême finira par leur donner raison.
123 réfugiés se disant Kurdes de Syrie, ont été débarqués sur les côtes de Corse par leurs passeurs. Immédiatement transférés par les autorités françaises dans plusieurs centres de rétention administrative, sans avoir pu déposer dans les règles une demande d’asile, les réfugiés ont été finalement libérés par les tribunaux à l’issue d’une polémique opposant le ministre de l’Immigration, Éric Besson, aux associations de défenses des réfugiés et du droit d’asile, comme la CIMADE ou le Forum des réfugiés. En effet, la procédure pour les demandeurs d’asile prévoit de placer les requérants dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile et non dans des centres de rétention. Le ministre de l’Immigration a alors argué qu’il « était impossible d'amener en quelques heures à la pointe sud de la Corse des dizaines d'interprètes, d'avocats, de médecins et de trouver sur place un local de rétention administrative respectant l'ensemble des normes en vigueur. »
Mais la polémique portait aussi sur les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière dont les réfugiés ont fait l’objet avant même d’avoir pu déposer des dossiers de demandes d'asile. Finalement, les juges des libertés et de la détention de Marseille, Nîmes et Rennes ont décidé de libérer tous les réfugiés, en estimant que leurs droits ne leur avaient pas été notifiés et qu'ils n'étaient pas placés en garde à vue, ce qui induisait que leur détention n’avait aucun cadre juridique légal. Éric Besson a donc été contraint de faire marche arrière, en annulant l’arrêté de reconduit à la frontière et en acceptant l’hébergement des réfugiés « dans des lieux d'accueil gérés par l'Etat en partenariat avec la Croix-Rouge ».
Indépendamment d’une polémique juridico-politique purement française, le destin de ces 123 réfugiés a brièvement remis sur le devant de la scène médiatique le sort des Kurdes de Syrie, et particulièrement les Kurdes « sans-papiers », c’est-à-dire arbitrairement déchus de leur citoyenneté depuis le début des années 1960, et qui seraient plus de 300 000. Les persécutions contre les Kurdes, apatrides ou non, ne décroissent pas en Syrie et la pression contre les mouvements politiques et les militants pour les droits de l’homme s’accentue, sans pouvoir étouffer leurs revendications. Cela peut même, paradoxalement, les conduire à formuler de nouveaux objectifs politiques, jusqu’ici tabou dans l’espace politique syrien, et peut-être inspirés de l’expérience kurde en Irak : ainsi, quatre membres du parti politique Yekitî (interdit) ont été arrêtés ce mois-ci, ce qui n’est pas un fait nouveau en soi, mais pour avoir exprimé le souhait d’une « autonomie politique » pour les territoires kurdes de Syrie.
Cette revendication a été formulée ouvertement en décembre 2009 lors du Sixième Congrès du parti Yekitî. Les quatre hommes y avaient défendu l’idée d’autonomie comme solution à la question kurde en Syrie, idée qui avait été débattue à l’intérieur du Parti, jusqu’ici enclin à se concentrer sur la question des droits de l’homme, des libertés et du sort des sans-papiers. Par la suite, les quatre responsables politiques ont été arrêtés, sans que le lien direct entre leur prise de position et leur détention soit clairement établi. Les quatre politiciens arrêtés sont : Hassan Ibrahim Saleh, né en 1947, Mohamed Mustafa, né en 1962, tous deux résidant à Qamishlo. Marouf Mulla Ahmed, né en 1952, tous trois membres du Bureau politique de Yekitî, résident à Qamishlo. Le quatrième, Anwar Nasso, militant politique, est né en 1962 et à Amude. Leur arrestation a été condamnée par l’ensemble des partis politiques syriens et les ONG kurdes défendant les droits de l’homme en Syrie.
Des procès sont tenus aussi, pour des motifs encore plus arbitraires. Ainsi, sept hommes, dont certains faisant partie d’un groupe de musiciens professionnels, ont été arrêtés en octobre 2009 pour avoir chanté en kurde lors d’une noce. La fête a alors été dispersée par les forces de sécurité syriennes. Les musiciens et le frère d’un des garçons d’honneur ont été emmenés en détention dans une prison de Qamishlo. Des ONG locales ont reçu des témoignages attestant de tortures subies, ayant eu pour conséquences l’hospitalisation d’un des musiciens, Jamal Sadoun, qui présentait plusieurs lésions physiques, notamment aux pieds. Le 17 de ce mois, le juge militaire de Qamishlo a interrogé les détenus sur les charges pesant sur eux, à savoir « incitation à des conflits sectaires ». Les prisonniers, Jamal Sadoun, Mihad Hussain, Djawar Munir Abdullah, Djiwan Munir Abdullah, Hossan Ibrahim, Zahid Youssef, musciens, et Abdel Latif Malaki Yaco, le propriétaire du restaurant où avait eu lieu la noce, ont tous plaidé non coupables. Malgré l’indigence des faits, le juge n’a pas annulé le jugement, mais l’a seulement repoussé au 17 mars pour laisser le temps aux avocats de préparer leur défense.
Le même jour, le même juge a condamné d’autres détenus d’opinion à des peines de prison. Il s’agit de Khalil Ibrahim Ahmed, Mohamed Shekho Issa, Abdelsalam Sheikhmous Issa et Rami Sheikhmouss al-Hassan, détenus depuis la mi-mars 2009. Ils avaient participé à une commémoration du 16 mars 1988, jour où la ville kurde de Halabja avait été anéantie sous les bombes chimiques par l’armée irakienne. Ils avaient été auparavant condamnés à 6 mois de prison pour incitation aux conflits sectaires, mais leur peine avait été réduite à 3 mois chacun. Les trois hommes ont fait appel.
Mais en plus des pressions politiques, les Kurdes de Qamishlo subissent de graves difficultés économiques, aggravées par une sécheresse face à laquelle les agriculteurs, majoritaires dans cette région, ne reçoivent aucune aide gouvernementale. Beaucoup d’entre eux quittent leur village pour la capitale, Damas, ou d’autres grandes villes, ne pouvant plus vivre de leurs terres. La contrebande de cigarettes ou de produits électro-ménagers, d’essence et même de moutons est également florissante avec l’Irak. Beaucoup de villages dans ce nord-est de la Syrie offrent ainsi un aspect fantomatique, à demi-désertés. L’appauvrissement de toute une population a des répercussions inquiétantes, non seulement sur la santé mais aussi sur l’accès aux soins. La plupart des familles ne peuvent se rendre dans les cliniques privées très onéreuses et dépendent des établissements hospitaliers publics et des dispensaires, où les soins sont médiocres. La situation affecte aussi l’éducation. Des instituteurs témoignent du nombre croissant d’enfants manquant l’école, poussés par leur famille à travailler. De plus, les fournitures scolaires sont trop chères pour les foyers nécessiteux.
La Djezireh est pourtant une riche terre agricole, abondamment pourvue en cours d’eau, où sont traditionnellement cultivés le blé, le coton, des fruits et légumes. 30% des productions agricoles syriennes viennent de cette région. De l’avis d’experts, la sécheresse a été aggravée par une politique insuffisante en matière d’irrigation. Selon des sources gouvernementales, ainsi que des estimations de l’ONU, c’est plus d’un million de personnes qui seraient ainsi touchées par la sécheresse. 800 000 d’entre elles vivraient dans des conditions de survie très précaires. Toujours selon l’ONU, ce serait de 40 000 à 60 000 familles qui auraient quitté leur foyer pour vivoter dans les villes. En août dernier, la Syrie, relayée par des organisations humanitaires, avait tiré la sonnette d’alarme en parlant de « catastrophe humanitaire ». L’ONU avait lancé une demande d’aide alimentaire, d’un montant de près de 53 millions de dollars, destiné à la population et au bétail. Mais en raison des tensions politiques qui existent entre la Syrie et ses voisins, et de sa mauvaise réputation sur le plan international, les fonds mettent beaucoup de temps à se débloquer, comme l’a confirmé, en octobre dernier, un responsable des Nations-Unies en poste à Damas, dans une interview donnée au Financial Times. En plus des fonds provenant de l’ONU, les pays donateurs sont, pour le moment, l’Australie, l’Irlande, l’Arabie saoudite, la Suède. D’autres aides sont attendues des États-Unis et de l’Union européenne.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU prévoit en plus une aide alimentaire de 22 millions de dollars pour le mois de juillet prochain, qui devrait concerner 300 000 personnes dans les régions de Raqqa, Deir Ezzor et Hassakeh. Le responsable du PAM pour la Syrie, Mohannad Hadi, explique que « la majorité de la population touchée fait face à des difficultés extrêmes et a épuisé tous ses recours de survie. Le PAM a lancé une nouvelle opération d’urgence pour palier les déficits nutritionnels auprès de la population la plus vulnérable, avec une attention particulière pour les femmes et les enfants de moins de cinq ans. » Mais des responsables locaux estiment cette aide insuffisante au regard des besoins de la population vivant dans les régions sinistrées. « Il n’est pas exagéré de dire que les gens meurent de faim ici », affirme un représentant du Parti Baath pour la Djezireh, s’exprimant sous couvert d’anonymat. Selon lui, les autorités locales ont averti le gouvernement central à maintes reprises de la gravité de la situation, mais sans effet, même si en juin 2009, le gouvernement avait distribué des rations alimentaires, contenant de la farine, du sucre, de l’huile et autres produits pour les familles les plus en difficulté : « Les distributions de nourriture ne suffisent pas, parce que la corruption est générale et une partie de cette nourriture est volée. »
Mais la sécheresse n’est pas la seule responsable de l’appauvrissement de la Djezireh. Beaucoup critiquent l’absence de programmes de développement industriel et touristique dans la région, pourtant riche en ressources naturelles, comme le gaz ou le sulfure, ainsi qu’en vestiges archéologiques qui pourraient être attractifs pour le tourisme.
Les condamnations à mort se poursuivent en Iran et les militants kurdes sont parmi les groupes les plus touchés, quel que soit leur sexe. Dans son dernier rapport annuel, Human Rights Watch pointe les violations des droits de l’homme et de la liberté d’expression et d’opinion envers les Kurdes d’Iran, qui sont au nombre de 12 millions, soit environ 7% de la population iranienne au total.
Shirin Alan Hove, actuellement détenue dans la prison d’Evin, à Téhéran, a été ainsi condamnée à la peine capitale par le tribunal révolutionnaire, en tant que « mohareb » (ennemie de Dieu). Elle avait été arrêtée un an et demi auparavant dans la ville de Maku (province d’Azerbaïdjan occidental) où elle résidait. Deux autres détenus kurdes, Mohammad Amin Abdollahi et Ghader Mohammadzadeh, originaires de Mir-Abad (Bokan), ont été condamnés à mort par le tribunal d’Ourmiah. Âgé de 25 ans, Mohammad Amin Abdollahi, a été condamné à 20 ans de prison, avant d’être rejugé et condamné à être exécuté, le 16 de ce mois, pour « menace contre la sécurité nationale » et « agissements contre Dieu ». Ghader Mohammadzadeh, âgé de 32 ans, a d’abord écopé de 32 années d’emprisonnement, mais le même tribunal d’Ourmiah l’a rejugé et condamné à mort. Ces seconds jugements visant à aggraver les peines s’inscrivent dans une pratique qui se généralise et rappelle les circonstances de l’exécution d’Ehsan Fatahiyan, le 11 novembre dernier. Comme Ehsan Fatahiyan et tous les détenus politiques, les deux condamnés ont été torturés et soumis à de fortes pressions durant leurs interrogatoires. Amnesty International a appelé par ailleurs l’Iran à ne pas exécuter un autre Kurde, Habibollah Latifi, qui vient d’être transféré ce mois de son lieu de détention, à Sanandadj, pour une cellule isolée, dernière étape avant la pendaison. Habibollah Latifi est accusé d’appartenance au PJAK, branche armée du PKK en Iran. Arrêté en octobre 2007 à Sanandadj, il a été jugé à huit-clos, sans même la présence de son avocat.
Il y a, actuellement, 18 Kurdes prisonniers politiques en attente de leur exécution dans les « couloirs de la mort ». Par ailleurs, dix militants kurdes, de Sanandadj, de Kermanshah ou d’Ourmiah, ont été arrêtés le 14 janvier, alors qu’ils rendaient hommage à un étudiant, Ebrahim Lotfollahi, mort sous la torture deux ans jour pour jour dans les locaux des services secrets de Sanandadj. Les militants se sont rassemblés au cimetière Nehesht Mohammadi, devant la tombe d’Ebrahim Kotfollahi afin d’observer une minute de silence. C’est alors qu’ils ont été brutalement assaillis par les forces de sécurité et que dix d’entre eux ont été emmenés. Depuis, leurs familles sont sans nouvelles.
Metin Mirza, qui avait mis en scène et joué la pièce Reşe Şeve en langue kurde, ce qui était un événement en Turquie, revient sur les planches avec une autre pièce, cette fois sans dialogue, hormis deux mots prononcés en kurde. Jouée à Istanbul, avec la compagnie Destar, la représentation bénéficie d’une subvention du ministère de la Culture, d’un montant de 21 000 lires (environ 10 000 euros). Reşe Şeve (cauchemar) avait été jouée sans incident, et même avec succès, au théâtre de Van, il y a quelques mois. La langue en était intégralement le kurde, avec des sous-titres en turc.
La deuxième pièce, Cerb, qui dure 70 minutes, met en scène quatre prisonniers dans une cellule, privés du droit de parler. Dans une interview donnée au journal Hürriet, Metin Mirza, qui a écrit et dirigé la pièce, explique : « En raison de notre identité, nous étions devenus une partie de la politique, même si nous ne le voulions pas. Je souhaiterais pouvoir parler seulement théâtre ici, avec vous, mais je sais que cela est impossible, pour vous comme pour moi. Le jour où je réussirai à ne parler que de théâtre en Turquie, je saurai alors que les choses sont devenues normales dans ce pays »
Interrogé sur « l’initiative kurde » du gouvernement, Metin Mirza fait part de ses doutes : « Si l’État ne prend pas de mesures concrètes, l’initiative ne sera d’aucune utilité. » Metin Mirza et sa co-autrice Berfin Zenderlioglu ont tous deux appris le kurde seulement à vingt ans. Metin avoue avoir de grandes difficultés à jouer sur scène en kurde : « Un artiste de théâtre normal a la maîtrise de sa langue. Il ou elle joue avec les mots. Mais nous avons essayé d’apprendre le kurde sur une scène de théâtre. Ainsi, des intellectuels kurdes ont critiqué notre langue. Mais c’est le mieux que nous puissions faire. »
Bien plus que le cinéma, le théâtre kurde s’est développé dans la diaspora et n’a pas de tradition aux racines très profondes. Metin indique avoir eu des problèmes pour trouver de la matière : « Le théâtre est une forme d’information et d’accumulation. Il doit être nourri du passé et de sa propre culture mais, malheureusement, cela nous est impossible. C’est pourquoi nous profitons de la richesse des cultures anatoliennes. » En plus de ces problèmes, la société kurde n’est guère favorable au théâtre : « Malheureusement, la culture théâtrale de notre peuple est trop faible. Personne n’est intéressé, même si vous distribuez des billets gratuits. En fait, nous partons perdants dès le début. »
« Cerb » met en scène quatre prisonniers dans une cellule, interdits de parole. S’ils transgressent cet interdit, ils risquent toutes sortes de violences psychologiques et physiques. « Nous voulons montrer que des gens peuvent communiquer même sans parole. » L’avantage de cette absence de dialogue est que le public d’Istanbul peut suivre la pièce, quelle que soit sa langue.
Une conférence s’est tenue à Paris, au Sénat, les 28 et 29 janvier 2010, qui avait pour thème la question du nucléaire au Moyen-Orient, avec pour intervenants plusieurs diplomates, chercheurs et analystes du Moyen-Orient et la participation du ministre des Affaires étrangères français Bernard Kouchner, ainsi que Javier Solana, ancien responsable de la politique étrangère pour l’Union européenne. Les interventions concernaient principalement l’Iran, la Palestine et l’Irak.
Masrour Barzani, qui dirige les services de Sécurité pour la Région du Kurdistan d’Irak, a pris la parole au nom du gouvernement d’Erbil :
Mesdames et Messieurs, Je vous souhaite à tous la bienvenue.
C’est pour moi un honneur de m’adresser à vous, en ce jour, dans ce lieu qui a vu naître tant d’idéaux démocratiques vers lesquels nous tendons à présent. Me tenant ainsi devant vous, je me souviens des grandes traditions du peuple français : l’engagement pour la liberté, le droit à la propriété, à la sécurité pour tous les hommes, énoncés il y a deux cents ans dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ces valeurs restent fondamentales pour ceux qui recherchent un monde plus juste – un monde où tous les hommes sont représentés équitablement par leurs institutions politiques et où aucun homme ne souffre d’injustices brutales de la part de ceux qui ont en charge de protéger, de préserver et de promouvoir le bien commun. Sont inhérents à ce combat pour réaliser de tels objectifs les avertissements du baron de Montesquieu sur le fait que « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir a tendance à en abuser. Tout homme va jusqu’à ce qu’il trouve des limites ». Il reconnaissait sagement et l’histoire l’a prouvé depuis, qu’aucun gouvernement ne peut aspirer aux idéaux démocratiques les plus élémentaires, et qu’aucun peuple ne peut réaliser les plus fondamentaux des droits humains sans adhérer à une séparation des pouvoirs, et sans la connaissance que le gouvernement doit être « tel qu’un citoyen ne puisse craindre un autre citoyen. »
Il y a peu d’endroits qui symbolisent aussi clairement le danger d’ignorer cet énoncé que l’Irak. Depuis l’indépendance de l’Irak, les Kurdes, les Arabes et les autres communautés ont souffert de la réticence des leaders irakiens à accepter ces principes de base. Les minorités ethniques et religieuses ont subi des génocides de la part de leurs dirigeants, dont l’intention était de créer cet État idéalement fort et centralisé, cette fabrication de l’après-guerre qu’est l’Irak. Dans cette quête sans fin d’uniformité, ils n’ont trouvé aucune unité mais la division et la ruine. Les résultats ont été catastrophiques pour tous les intéressés – des centaines de milliers de gens massacrés – les riches promesses de notre peuple et de ses richesses pétrolières dilapidées. En tant que principaux opposants de l’Irak, les Kurdes ont subi une guerre génocidaire. Ils ont été victimes d’attaques chimiques et d’une série d’opérations ignominieuses, celles de l’Anfal, durant lesquelles 182 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, ont péri et 90% de nos villages ont été détruits et rasés. C’est une histoire bien connue, celle qui résulte d’un sentiment de profonde méfiance entre les individus, les communautés, le peuple et son gouvernement, où les plus désavantagés, les plus faibles, les plus vulnérables n’attendent du fort que le pillage ; où prévaut une culture de vengeance et de représailles. Nous avons espéré que ce cycle tragique soit brisé avec l’adoption de principes fédéraux démocratiques dans la constitution irakienne de 2005, ratifiée par 80% de l’électorat irakien ; qu’une ère nouvelle commence, où toutes nos différences ne seraient plus comprises comme notre plus grande faiblesse mais comme notre plus grande force ; où chaque composante concourrait pacifiquement et participerait à l’amélioration de tous ; un avenir où le pouvoir serait distribué et limité, où, comme Montesquieu le préconisait, aucun homme n’en craindrait un autre.
Mais ces dernières années ont montré que beaucoup de défis demeurent. Le vide sécuritaire existant dans beaucoup d’endroits de ce pays ont été une invite pour les terroristes locaux et internationaux, qui ont utilisé notre histoire de défiance mutuelle et ont gagné des segments de la population. Leurs attaques répugnantes ont ravivé le sentiment d’insécurité entre les communautés d’Irak, surtout les chiites et les sunnites, et ont miné les sentiments fondamentaux de fraternités entre elles. Des dirigeants faibles se sont tournés vers l’étranger, permettant à des entités étrangères aux intentions suspectes de jouer un rôle dans l’orientation de notre développement. L’incompétence a permis une corruption invasive qui a pénétré toute notre bureaucratie, attirant plus de profiteurs que de fonctionnaires civils. Dans ces circonstances, la loyauté à une secte et une ethnie continue de l’emporter sur le pays.
Telle est la réalité de l’Irak. Ni vœux pieux ni solutions idéalistes ne peuvent changer cet héritage. Nous devons l’accepter et le comprendre, si nous voulons le dépasser et changer le cours de l’Histoire. Personne en Irak ne pourra prospérer quand tant d’autres croupissent dans la peur. Ni progrès ni développement ne pourront être réalisés sans confiance dans les règles fondamentales du système.
La Région du Kurdistan, cependant, en dépit de tous ces défis, a largement contribué à l’unité du pays. C’est aujourd’hui la plus sûre et la plus sécurisée de l’Irak qui, à son tour, a aidé la Région à prospérer. Cela a été rendu possible surtout en raison de la culture dominante de tolérance et de coexistence religieuse. La totalité de l’expérience kurde et la réconciliation nationale pratiquée au Kurdistan pourrait être une indication claire de la façon dont l’Irak pourrait aller de l’avant. Il s’agit du cœur de notre lutte : établir une forme de séparation des pouvoirs et un État de droit, ce qui caractérise les démocraties modernes. Ces principes sont inclus dans notre Constitution mais c’est seulement par leur pleine et juste application que nous parviendrons à la paix et au progrès. Sans adhésion à ces principes, nous glisserons inévitablement vers le despotisme, quel que soit celui qui dirige. Car la Constitution est supérieure à tout conflit, problème ou loi. Elle va au-delà du pétrole et du gaz, de la répartition des sièges parlementaires ou des budgets. Elle induit ce que deviendra l’Irak, quel type d’État, de peuple, de communauté. C’est la source de notre capacité à nous sentir confiants et en sécurité, à savoir que le nouvel Irak rompra avec son passé répressif. Elle noue lie les uns aux autres, en tant que communautés différentes, en sécurité dans notre différence, mais unies dans des objectifs communs de progrès et de justice. Je me tiens devant vous, attaché aux principes fédéraux et démocratiques énoncés dans la constitution irakienne, non parce que je suis un Kurde, mais parce que, comme tous les Irakiens, je suis la victime d’un passé despotique.
Dans sa reconnaissance de l’importance de gouvernements locaux et régionaux forts, la constitution garantit ainsi au peuple qui a souffert si longtemps que le nouvel Irak évitera la sur-centralisation du pouvoir qui a causé une telle dévastation. Pour le mieux-être de tous les Irakiens, elle atténue la férocité de la compétition entre chaque bureau, en déléguant plus largement autorité et responsabilité. Cette délégation est essentielle pour lutter contre la corruption et amorcer un cycle vertueux d’une compétition pacifique qui réduira l’incompétence avec le temps. Le message que je vous adresse aujourd’hui n’est cependant pas pessimiste. Nous sommes avantagés à bien des égards. Nous avons les réponses à nos plus grands problèmes, nous avons voté pour elles, et accepté leurs promesses. Nous savons ce que nous devons faire. Il ne reste plus qu’à avoir la force morale, la sagesse, le courage de mettre en œuvre le système démocratique et fédéral qui s’est avéré si efficace pour gouverner des sociétés diverses et protéger les droits individuels. C’est le seul moyen d’aller de l’avant, le seul espoir qu’ont l’Irak et son peuple de créer une forme d’unité et de progrès que l’on trouve ailleurs. Nous, en tant que Kurdes, et plus largement en tant qu’Irakiens, et vous, en tant que Français, Européens et plus largement, de la communauté internationale, ne pouvons pas renoncer à notre attachement à ces valeurs communes. Afin de surmonter l’obstacle le plus important, celui de la désunion, l’Irak doit être capable de protéger son peuple et de leur donner confiance en sa bienveillance. Il doit nous garantir que le pouvoir ne sera plus jamais oppression ; et qu’indépendamment de leur origine, tous les Irakiens, de Zakho à Basra, d’Erbil à Bagdad, auront leur mot à dire sur leur destin, auront les droits que leur garantit la constitution. C’est là le fondement de notre fraternité et le seul espoir pour l’avenir de l’Irak.