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Bulletin N° 301 | Avril 2010

 

 

IRAK : UNE PÉRIODE POST-ÉLECTORALE INCERTAINE

Les élections législatives ont laissé dans l’embarras et la suspicion réciproque toute la classe politique irakienne, tant les résultats au coude à coude d’Iyad Allawi, le leader nationaliste « laïc » et de Nouri Maliki, le Premier Ministre sortant, de confession chiite, ne peuvent permettre d’envisager aisément la formation d ‘un nouveau gouvernement et d’un nouveau conseil de présidence sans concessions ni négociations de part et d’autre. La liste d’Allawi, Al-Iraqiyya, obtient en effet 25, 87 % soit 91 sièges, contre 25, 76% pour Maliki, 89 sièges, tandis que la liste de Jaffari, l’ancien Premier Ministre, chiite lui aussi, fait près de 19%. Mais elle regroupe des personnalités chiites peu favorables à Maliki, comme les partisans de Moqtada as-Sadr et le Conseil suprême de la Révolution islamique (CSRI).

Entre les blocs politico-confessionnels arabes, les Kurdes, jusque-là unis, pouvaient servir à la fois de tiers modérateur ou de « faiseurs de rois » comme on les appelait souvent. Cependant, l’Alliance du Kurdistan, qui regroupe les deux principaux partis kurdes, le PDK et l’UPK, ainsi que d’autres petits partis de gauche, ou bien musulmans ou chrétiens, doit maintenant composer avec les voix du parti d’opposition Goran, qui a remporté 8 sièges au parlement irakien (43 reviennent à l’Alliance, dont 30 pour le PDK et 13 pour l’UPK, 6 autres à de petits partis kurdes). Les Kurdes doivent aussi s’accorder pour soutenir ou non la reconduction de Jalal Talabani à la présidence irakienne, alors même que le mouvement Goran est né d’une mésentente entre d’anciens hauts reponsables de l’UPK et la direction actuelle du parti de Jalal Talabani. Mais comme on le voit, cette dissension nouvelle à l’intérieur des mouvements pro-kurdes, si elle pouvait leur nuire sérieusement face à un gouvernement irakien fort et unifié, n’oblitère guère leur poids à Bagdad, tant les positions entre les sunnites regroupés dans la liste d’Allawi et le parti de Maliki sont éloignées. De plus, le reste des chiites, comme ceux du CSRI ou les fidèles d’As-Sadr, s’ils n’aiment guère Maliki, qu’ils accusaient de vouloir confisquer le pouvoir à des fins trop personnelles, ont encore moins de sympathie pour le mouvement des nationalistes sunnites, issus pour la plupart des rangs de l’ex-parti Baath de Saddam Hussein. Les Kurdes, qui ont aussi connu des moments de tension et de désaccord avec le gouvernement Maliki, ne peuvent non plus espérer obtenir mieux du bloc nationaliste arabe au sein de l’Irak d’Iyad Allawi. Ils ont donc fait savoir, par de multiples déclarations, que Nouri Maliki pourrait bénéficier de leur soutien dans la formation d’un gouvernement, mais pas sans de solides « concessions » et mesures concrètes pour accéder aux principales demandes de l’Alliance kurde.

Cependant, au début d’avril, ils étaient à la fois courtisés par les chiites et les sunnites, chacun espérant les amener dans son camp. Allawi s’est ainsi rendu deux fois dans la Région du Kurdistan. Le vice-président chiite Adel Abdul-Mahdi s’est lui aussi rendu à Erbil, tandis qu’à Bagdad, Nouri Maliki rencontrait Jalal Talabani. Mais les Kurdes, échaudés par les déceptions que leur a causées le précédent gouvernement, demandent, cette fois, des assurances concrètes et non de vagues promesses, comme le souligne l’actuel Premier Ministre kurde, Barham Salih : « Nous devons être très sérieux en ce qui concerne les engagements que nous réussirons à obtenir du futur gouvernement, quel qu’il soit. L’Irak ne peut se permettre quatre années supplémentaires de stagnation politique. »

Même son de cloche dans les rangs du PDK, le parti du président Massoud Barzani : « Lors des alliances précédentes, les Kurdes ont commis l’erreur de passer des accords sans signer aucun document, confirme Fadhil Miranî, secrétaire du Bureau politique du PDK, cette fois-ci nous ne ferons pas cette erreur. » Revendication majeure des Kurdes : le référendum prévu par l’article 140 de la constitution irakienne, qui pourrait décider du retour de Kirkouk au sein de la Région kurde. Mais les derniers résultats électoraux, qui ont amené. A cause de la dispersion des voix kurdes entre trois listes, à égalité de sièges l’Alliance kurde et le parti d’Allawi rendent plus difficile l’application de l’article 140, tant les sunnites y sont farouchement opposés. Les Kurdes réclament aussi que les Peshmergas, l’armée de défense kurde, soient plus largement soutenus financièrement par Bagdad, comme une composante de l’armée irakienne, et soient payés et équipés à un niveau égal aux autres soldats. Enfin, le conflit portant sur les contrats passés entre le gouvernement kurde et des sociétés étrangères afin d’exploiter les ressources pétrolières du Kurdistan ne s’est pas assoupli entre Bagdad et Erbil, le gouvernement central réclamant le plein contrôle de ces accords, alors que le gouvernement kurde, s’il est prêt à céder à l’État fédéral la totalité des ressources tirées de ses hydro-carbures, contre 17% du budget irakien, n’entend pas laisser la politique énergétique de la Région aux mains des Arabes. En tout cas, il apparaît de plus en plus probable que, quelle que soit la coalition au pouvoir en Irak, les Kurdes en feraient partie et, par ailleurs, un gouvernement mixte composé aussi de sunnites et de chiites est envisagé, même si la durée et la viabilité d’une telle équipe à la tête de l’Irak sont sources d’interrogation. Massoud Barzani a ainsi déclaré, dans une interview télévisée, le 4 avril, que selon lui les quatre grands vainqueurs de ces législatives devaient être représentés au gouvernement, en raison du danger de sape et de blocage auquel pouvaient se livrer des mouvements politiques marginalisés.

L’autre question qui agite la politique irakienne est la future présidence de l’Irak. Le président sortant, Jalal Talabani, est soutenu par l’Alliance du Kurdistan, l’incertitude portant sur le parti Goran, qui n’entend pas accorder son soutien sans concession, sur des conflits qui relèvent cette fois de la politique intérieure kurde. Ainsi, un de ses représentants, Shoresh Hadji, a très vite déclaré que son parti soutiendrait la présidence de Talabani « sur le principe », à condition que l’Alliance, et surtout l’UPK, qui tient politiquement la province de Suleïmanieh, cesse ses « persécutions » contre son opposition. Le président irakien n’a pas cette fois le soutien de tous les blocs politiques du pays, contrairement aux élections de 2005 où les dissensions entre chiites et sunnites avaient amené les Arabes irakiens à souhaiter un président kurde « neutre ». La première attaque est venue du sein même de la présidence, en la personne de l’actuel vice-président sunnite Tariq Al-Hashimi, lequel avait déjà fait parler de lui en incorporant dans la liste des membres soupçonnés de baathisme.

Cette accusation n’est pas prête de s’éteindre d’elle-même, après que le sunnite a déclaré que « l’Irak est un pays arabe et il est légitime qu’un Arabe en soit le prochain président. » Tariq Al-Hashimi explique que cela aurait son importance dans les rapports de l’Irak avec les autres pays de la Ligue arabe. Cette affirmation s’est immédiatement attirée les foudres de Massoud Barzani qui a condamné ces propos comme visant à un « conflit sectaire ». La sortie malencontreuse de Tariq AlHashimi qui plus tard a tenté de se justifier en alléguant qu’il voulait seulement dire qu’un Arabe aussi avait le droit d’être président, a d’ailleurs suscité les sarcasmes du directeur général de la télévision irakienne Al-Arabiyya. Abdul Rahman Al-Rashid, jugeant d’emblée la remarque du vice-président « détestable » et « raciste », a de plus souligné qu’aucun pays ne pouvait dicter à l’Irak ses choix en matière de gouvernement.

Cela étant, les deux principales coalitions chiites ont apporté leur soutien à la candidature de Jalal Talabani à la présidence de l’Irak, qui dispose ainsi d’une importante majorité et semble ainsi à peu près assuré d’être reconduit pour un nouveau mandat.

IRAN : « LE PAYS ENTIER EST UNE PRISON POUR JOURNALISTES »

Condamnations et exécutions de prisonniers ne connaissent pas répit en Iran, visant tout particulièrement la communauté kurde, sans égard d’âge ou de sexe. Ainsi, le 2 avril, une mère de famille et ses deux enfants, âgés respectivement de 20 et 19 ont été condamnés à mort, la cour de Mahabad ayant estimé que cette famille « mettait en danger la sécurité de l’Iran ». Selon l’organisation Amnesty International, qui s’attend à une vague d’exécutions, ces sentences et leur application, sans commune mesure avec les faits reprochés aux accusés, sont en fait autant de signaux envoyés à la population du Kurdistan et à ses militants, d’une tolérance zéro du régime iranien envers tout mouvement d’émancipation des Kurdes.

Cette persécution systématique est confirmée par Human Rights Watch, qui a récemment publié un rapport dans lequel il note, lui aussi, une répression très lourde exercée contre les minorités d’Iran, et particulièrement les Kurdes, s’ajoutant à de nombreuses discriminations, tant religieuses que culturelles. Ainsi, pour le seul hiver 2009, les ONG ont relevé près de 181 cas avérés de violation des droits de l’homme dans la province du Kurdistan: menaces, arrestations, détentions de longue durée, cas de tortures et de morts suspectes de détenus, jugements irréguliers et de lourdes condamnations, allant jusqu’à la peine capitale. Ainsi, le 6 janvier dernier, Fasih Yasamani, un prisonnier politique kurde a été exécuté en vertu d’une condamnation à mort qui fut prononcée à l’issue d’un procès n’ayant duré que quelques minutes. Trois autres détenus sont, eux, morts au cours de leur emprisonnement, avant d’avoir pu être jugés. La surveillance et la répression s’exercent aussi bien évidemment dans les universités, avec, dans ce cas, une coopération entre les autorités universitaires et judiciaires. Toujours en hiver dernier, 110 étudiants kurdes ont été convoqués par des commissions disciplinaires, 22 d’entre eux renvoyés temporairement ou définitivement, pour des « délits politiques ». Enfin, 37 de ces étudiants se sont retrouvés accusés et détenus par les forces de sécurité. En tout, 143 personnes ont été détenues, dont certaines sont passées en jugement, et 29 peines ont été prononcées, allant de 22 mois à 6 ans de prison. Enfin, 17 prisonniers politiques kurdes condamnés sont toujours en attente dans les « couloirs de la mort ».

La sévérité des condamnations ne se limite pas aux cas de rébellion politique ou de faits de guérilla. Elle concerne aussi les journalistes et les militants pacifiques des droits de l’homme, ou du féminisme. Selon le journal kurde Rudaw, l’exercice du journalisme au Kurdistan d’Iran s’apparente à « une marche sur un champ de mines ». De nombreux collaborateurs de la presse sont arrêtés et des journaux interdits de publication. Selon le classement de Reporters sans frontières, l’Iran est même un des pires pays pour la liberté de la presse et la sécurité des journalistes, étant tombé de la 166ème place à la 172ème cette année depuis la réélection d’Ahmadinjad à la présidence, faisant du pays entier une « prison pour journalistes ». D’après Rudaw, plus de 350 journalistes ont été renvoyés de leur rédaction, plus de 100 arrêtés et 25 quotidiens et hebdomadaires interdits. Une soixantaine de responsables de presse ont été interrogés et font l’objet d’une enquête. La plupart des journalistes kurdes ont fui à l’étranger. Dix journalistes kurdes sont toujours détenus en Iran, dont Adnan Hassanpour, Hiwa Butimar, Muhammad Sadiq Kabudwand, Mukhtar Zarhi, Abbas Djalilian, Ali Muhammad Islampoor. Il n ’existe plus à l’heure actuelle un seul journal ou magazine kurdes indépendants qui n’ait été interdit : Ashtî, Rojhelat, Hawar, Peyamî Kurdistan, Peyam mardam, Rasan, Jiwar, Nadai Jamiha, Nadai Danishdjo, Khatun, Zilan et d’autres encore ont dû cesser officiellement de paraître.

RAPPORT D’AMNESTY INTERNATIONAL SUR LE KURDISTAN IRAKIEN

Amnesty International Royaume-Uni a publié ce mois-ci un rapport sur les violences en Irak perpétrées contre la population civile, intitulé Civilians under Fire, traitant en premier lieu de l'Irak mais avec des parties adjacentes concernant la Région du Kurdistan, étudiée à part.

Dans le tour d'horizon macabre des violences subies par la population civile irakienne dans son ensemble, il est ainsi spécifié que la Région « semi-autonome » du Kurdistan, soit les gouvernorats de Duhok, Erbil et Sulaïmanieh, « est beaucoup moins touchée par la violence que le reste du pays » et que « les autorités ont pris des mesures positives pour combattre la violence contre les femmes, même si ce combat doit être poursuivi et les mesures renforcées ». Par contre, comme dans le reste de l'Irak, les deux partis au pouvoir sont accusés d'agressions contre des journalistes et des militants de l'opposition.

Les violences exercées contre les femmes au Kurdistan sont le fait des familles qui s'en prennent aussi aux associations ou à tous ceux qui les défendent. Amnesty rapporte le témoignage d'une avocate kurde qui fait état de menaces de mort reçues sur son téléphone portable, en 2008, venant de parents d'une de ses clientes, maltraitée par son mari, en instance de divorce. À Sulaïmanieh, un foyer où des femmes peuvent trouver refuge a été attaqué le 11 mai 2008 par des hommes armés, soupçonnés d'être parents d'une fugitive hébergée, et qui a été sérieusement blessée par des coups de feu tirés d'un bâtiment voisin. Les autorités kurdes ont arrêté plusieurs des membres de cette famille, mais ont dû les relâcher, faute de preuves et jusqu'ici, aucun des auteurs de l'attaque n'a été identifié. Il est aussi évoqué le cas de Kurdistan Aziz, une Kurde du village de Kolkarash, près de Heran (Erbil), disparue en mai 2008. En février de la même année, elle avait fui avec un jeune homme qu'elle aimait. Les "enlèvements consentants" sont une pratique ancienne au Kurdistan, qui permet à des jeunes gens de s'épouser contre l'accord de leurs familles, s'ils ne sont pas rattrapés entre temps. D'un autre côté, cette pratique est passible de prison selon la loi kurde. Dans de tels cas, les fautifs font une peine de prison, qui est en fait un moyen, pour les autorités kurdes, de les soustraire provisoirement aux vengeances des familles, le temps que les choses s'apaisent. Fin février, la jeune fille avait pu rentrer chez elle après que ses parents se soient engagés sur sa sûreté auprès des autorités. Mais en mai 2008, Kurdistan Aziz disparaît. Le père de la jeune fille a déclaré à la police locale que son neveu l'avait appelé en s'accusant du meurtre. À ce jour, il semble que le meurtrier présumé soit toujours en liberté. Mais cette affaire montre à quel point la marge de manœuvre des autorités est parfois étroite dans les affaires familiales.

Le Gouvernement régional du Kurdistan a, depuis 2002, retiré la clause de "motif honorable" dans les cas de crimes d'honneur, qui était présent dans la loi irakienne baathiste. Aujourd'hui les femmes menacées peuvent se réfugier dans les centres d'accueil des ONG ou de l'État - ce qui n'est pas le cas dans le reste de l'Irak où seules des ONG assurent ce travail-, même si cela ne les met pas totalement à l'abri des représailles familiales. Dans la plupart des cas, le personnel du foyer, les officiers de police, les chefs de communauté sont impliqués dans les négociations avec les familles, lesquelles doivent s'engager par écrit à ne pas user de violence contre les femmes ou les filles qui accepteraient de retourner dans leurs familles. Mais Amnesty International indique qu'il arrive que ces accords soient violés et des femmes tuées ou blessées. L'amendement des articles 128 ôtant le motif "honorable" aux crimes d'honneur perpétrés contre des femmes ne concerne cependant pas encore les homosexuels. Ainsi, le 24 octobre 2005, la cour de cassation du Kurdistan a confirmé la sentence d'un an de prison pour un homme de Koya qui avait avoué le meurtre de son frère, homosexuel. La cour a jugé que le souhait de "mettre fin à la honte que la victime apportait à la famille en pratiquant la dépravation et en se livrant à la prostitution" pouvait être compté comme un motif "honorable" au meurtre.

Reporters Sans Frontière a relayé de nombreuses plaintes de journalistes au Kurdistan, surtout en période électorale, alléguant des pressions, des menaces, des attaques. Akar Fars et Rizgar Muhsin, tous deux journalistes à Yekgirtu TV (un parti d'opposition islamiste), qui faisait campagne pour l'Union islamique du Kurdistan, ont été tous deux battus par des hommes armés qui voulaient les empêcher de filmer un bureau de vote à Erbil, le 7 mars, jour des élections législatives. D'autres journalistes kurdes ont été menacés ou attaqués pour avoir écrit des articles critiquant les deux partis au pouvoir, le PDK et l'UPK. Sabah 'Ali Qaraman, âgé de 28 ans, a ainsi échappé à une tentative d'enlèvement le 19 janvier dernier, à Kifri (Sulaïmanieh). Il semble que ses critiques d'officiels de la Région aient déplu, en tout cas la victime affirme avoir reconnu parmi un des trois hommes stationnant en jeep devant son domicile, un ancien responsable de l'UPK, contre qui il a porté plainte. Jusqu'ici, ce dernier n'a pas été inquiété. Nabaz Goran, 32 ans, journaliste au magazine Jihan, a été attaqué le 29 octobre 2009 par trois hommes, près de son bureau, dans le district d'Iskan (Erbil). Les hommes – qu'il accuse d'être liés au PDK –, après lui avoir demandé son nom, l'ont frappé à la tête avec un objet métallique. Un fait plus grave, puisqu'il s'agit d'un meurtre, a eu lieu à Kirkouk. Souran Mama Hama, 23 ans, qui travaillait pour le magazine Levin, a été tué par une arme à feu, devant le domicile de ses parents, le 21 juillet 2008, par des hommes en voiture, vêtus en civil. Souran avait plusieurs fois critiqué la corruption et le népotisme du PDK et de l'UPK et avait reçu des menaces de mort quelques jours avant son assassinat. Plusieurs militants du parti Gorran se sont plaints d'attaques, dont certaines mortelles. En décembre 2009, 5 militants de ce parti ont été tués par des armes à feu, par des inconnus. Raouf Qadir Zaryani a ainsi été abattu devant son domicile le 25 décembre 2009, à Halabja Taze (Sulaïmanieh), par un inconnu à bord d'un véhicule. Sarda Qadir, homme d'affaire et candidat du parti Goran pour 2010, a été blessé chez lui, à Iskan, le 4 décembre 2009, par un coup de feu tiré par la fenêtre. Il a indiqué aux rapporteurs d'Amnesty qu'il n'avait jamais reçu de menaces, mais que les semaines précédant l'attaque, il avait été suivi et que, selon lui, cette agression avait des motifs politiques. Dara Tawfiq, officier, a rapporté à Amnesty avoir été agressé à coups de tringle de fer, devant chez lui, le 7 octobre 2009. Il n'a pu voir ses deux agresseurs, mais a reconnu chez eux un accent local. Il n'avait jamais reçu de menaces, mais pense que cette attaque a pour raison sa rupture avec l'UPK et son soutien à Goran. La campagne électorale a accentué les pressions contre l'opposition, surtout de la part de l'UPK contre ses membres dissidents passés à Goran, comme on peut le voir, et dans une moindre mesure, contre l'Union islamique du Kurdistan, dont le bureau a été attaqué par des inconnus armés à Sulaïmanieh le 14 février, tandis que le 18, plusieurs de ses membres étaient arrêtés à Duhok.

Les violences contre les minorités religieuses et ethniques épargnent la Région du Kurdistan.

Le passage sur les conflits territoriaux commence par rappeler l'origine de la question, à savoir l'expulsion par les autorités irakiennes, des Kurdes de Kirkouk ainsi que des ressortissants d'autres minorités, afin de les remplacer par des colons arabes venus du centre et du sud de l'Irak. Le rapport rappelle aussi qu'au cours de la campagne Anfal, à la fin des années 1980, des dizaines de milliers de civils kurdes ont été victimes de "disparitions", de persécutions et de bombardements aux armes chimiques. Cela a eu pour conséquences, entre autres, un nombre important de réfugiés et de personnes déplacées, principalement kurdes, tout au long des années 1990, fuyant ou expulsées de Kirkouk et des autres territoires revendiqués par le GRK. La plupart de ces réfugiés n'ont pu retourner encore dans leurs foyers d'origine. La constitution irakienne approuvée par référendum en 2005 prévoit donc un retour des colons arabes dans leur région d'origine, moyennant compensation et un référendum de toutes les régions disputées, afin qu'elles optent ou non pour le rattachement à la Région du Kurdistan. Amnesty pointe donc cette situation politique incertaine et instable comme source de violences et de tensions, et indique comme Human Rights Watch que les minorités non-kurdes et non-arabes sont prises en sandwich dans le bras de fer entre Bagdad et Erbil et que cela aussi se traduit par des divisions internes dans ces communautés, avec des camps et des partis aux préférences antagonistes concernant leurs "protecteurs". Les autorités kurdes ont ainsi établi un système d'auto-défense des minorités, en formant des milices de villages, surtout chrétiennes, mais aussi yézidies ou shabaks, à même de se protéger des attaques islamistes ou nationalistes arabes. Parmi ces minorités, des personnalités opposées au GRK accusent les Kurdes de mainmise sur les territoires disputés, par le biais de ces milices locales, et de menaces et mauvais traitements de la part des Peshmergas, surtout en période électorale. Ainsi Murad Kashti al-Asi, un yézidis de Sindjar, dont le parti s'oppose aux pro-Kurdes, a été plusieurs fois détenu, menacé et maltraité, la dernière incarcération, en novembre 2008, semblant coïncider avec la période des élections provinciales. Les autorités irakiennes ne sont pas en reste, et en octobre 2008, les Kurdes de Qaratepe ont subi un raid et des menaces de la part des forces de sécurité. Enfin le rapport mentionne que la constitution kurde votée en 2009 énonce maintenant les territoires revendiqués comme faisant partie du Kurdistan.

TURQUIE : « MIN DÎT » SORT DANS LES SALLES DE CINÉMA TURQUES

Le film "Min dît" venant tout juste de sortir en Turquie, son réalisateur kurde Miraz Bezar, interviewé par le journal Zaman, a expliqué qu’il avait voulu, par ce film, aborder la question kurde en Turquie « sans hésitation ni censure », au risque de plomber sa carrière de cinéaste par un sujet politique pouvant heurter le public non kurde en Turquie : « Si je m'étais uniquement préoccupé de buiseness ou de faire carrière comme certains de mes collègues, j'aurais tenté de me faire une place sur le marché en tournant d'autres films. Mais il y a certains problèmes qui me frappent, du point de vue d'un metteur en scène. Ce film a été rendu possible par une approche de la question kurde sans hésitation ni censure. Pour cette raison, ce film devait être en kurde. Car la langue que l'on parle là où il a été tourné est le kurde.

Aujourd'hui, ce film peut être projeté avec des sous-titres, comme un film américain. Si un film en langue kurde peut participer à une compétition nationale à Antalya, cela veut dire que nous avons eu raison. Cela peut aussi ouvrir la voie à de jeunes réalisateurs de Diyarbakir qui ont un avenir dans ce secteur. Maintenant, des familles kurdes d'Iran souhaitent que leurs enfants deviennent réalisateurs de film, et non médecins ou ingénieurs parce que le cinéma est une grande chance pour les Kurdes de s'exprimer à l'étranger. En Turquie, je suis allé à l'école jusqu'à l'âge de 9 ans. Quand je suis parti en Allemagne, mon enfance a été complètement bouleversée. J'ai essayé d'apprendre le kurde car c'était interdit en Turquie.

Mener une vie d'immigré après les années 70 et durant l'époque du Coup d'État en Turquie était très difficile. Mais si vous veniez d'une famille kurde politiquement engagée, vous étiez proche des problèmes que connaissait la Turquie. Par exemple, combien d'années ont passé avant que l'on commence à débattre du JITEM ? Pour moi, le JITEM était un problème datant de 1995, 1996. En vérité, la Turquie aurait dû s'émouvoir de ce problème après l'accident de Susurluk, mais cela n'a pas eu lieu. Si j'étais resté en Allemagne pour faire ce film, cela aurait été un point de vue entièrement extérieur. Aussi, j'ai dû partir et traiter d'autre chose que ce que nous savons ou avons appris sur le papier. »

Interrogé sur le titre de son film, « J’ai vu » en kurde, le réalisateur répond que ce regard est d’abord le sien, « le regard douloureux d'un Kurde », et aussi celui d’enfants portant un regard simple sur ce qu’ils vivent, tout en pouvant émouvoir un public a priori réticent ou hostile. « Les générations viennent et s'en vont, mais cette question n'a pu être résolue, et passe en héritage. Le message principal du film est de se demander ce que nous laissons aux générations futures. Cependant, j'ai investi cinq années dans ce film, et je suis stupéfait que certains laissent entendre que je fais cela pour la propagande. Quelle personne dotée d'une conscience peut accepter le fait qu'aujourd'hui, 3000 enfants sont en prison ? Mais en Turquie, malheureusement, les politiciens n'ont pas, au sujet des enfants palestiniens les mêmes commentaires qu'ils ont sur ces enfants lanceurs de pierre. "Ceux qui lancent des pierres aujourd'hui se retrouveront avec des armes demain", disent-ils. Par conséquent on ne doit pas les laisser lancer des pierres. Vous ne changerez pas leur monde en les mettant en prison. Vraiment, c'est quelque chose comme "Je te frapperai sur la tête jusqu'à ce que tu saches ta leçon". Ce que vous devez réellement faire est leur tendre les bras et les réinsérer. Sinon, ces enfants sentiront qu'ils sont seuls. 90% des enfants de Diyarbakir ont une telle expérience. Ainsi, nous créons une masse de gens qui ne savent s'exprimer que par la violence. J'ai pensé que si je racontais cette histoire avec les yeux d'enfants, les gens qui vivent dans l'Ouest de la Turquie et qui ne savent rien de ces incidents pourraient ressentir plus facilement une empathie. Nous vivons ensemble dans ce pays. Mais dans ce pays, on a payé des gens avec nos impôts pour qu'ils en tuent d'autres, en notre nom. Et ils n'ont pas eu à rendre de comptes sur de tels actes. Franchement, je crois qu'en Turquie, chacun est victime, et pas seulement les Kurdes.

Le mode de vie pluriculturel que j'ai expérimenté à Kreuzberg, à Berlin, peut aussi être expérimenté dans ce pays, mais cela est refusé aux gens. On a fabriqué certaines idéologies, des dogmes, de la peur. Des centaines de millions de dollars ont été dépensés dans cette guerre et n'ont ainsi pas servi aux écoles, à la science ou au développement du pays. Nous devons nous demander en premier lieu pourquoi cette guerre a été menée. Ceux qui prennent certaines décisions en notre nom, ceux qui disent que nous sommes tous frères et sœurs mais mènent des politiques sans fraternité, ceux qui les ont appliquées, doivent être questionnés aujourd'hui. J'ai dépeint le JITEM et ces meurtres non résolus dans mon film afin que ces plaies puissent être soignées et que ces gens puissent dire ce dont ils ont été victimes et éventuellement guérir de leur traumatisme. J'espère qu'un jour nous serons capables de parler du traumatisme causé ainsi aux soldats. Vraiment, nous devons répondre avec conscience à ces questions. »

Dans l’histoire, la mère des deux enfants communique avec eux sur la tragédie qui s’abat au moyen d’un conte de fée. Miraz Bezar révèle s’être inspiré pour le ton général de son œuvre, du conte des frères Grimm, Hansel et Gretel, où « des enfants sont laissés seuls dans les bois ou notre vaste monde » ou bien d’un conte kurde où les villageois ne tuent pas un loup qui leur a causé des dégâts, mais lui mettent une clochette autour du cou. « En tant que metteur en scène, je veux présenter un moyen de contenir la violence et d'empêcher sa perpétuation. Nous voyons que la violence nourrit la violence. Cela s'applique au fait de lancer des pierres. Cela veut dire qu'il est possible de développer une méthode alternative pour répondre à la violence. Concernant les personnages du film, les critiques disent que les Kurdes sont entièrement bons et les Turcs entièrement mauvais. La Turquie connaît une première expérience. Quand une personne parle turc dans un film en langue kurde, cela ne veut pas dire qu'elle est turque. Je vous parle en turc, mais je suis Kurde. Nous voyons les choses de la façon dont nous voulons les voir. »

Le lancement du film en Turquie a cependant été endeuillé par la mort, ce même mois, d’Evrim Alataş, la co-scénariste, qui a succombé à un cancer du poumon. Kurde et alévie, Evrim Alataş était également journaliste et avait débuté en 1994 au quotidien Yeni Politika. Elle avait, par la suite, travaillé pour plusieurs quotidiens, Evrensel, Birgün, le supplément de Radikal, Radikal İki, ou bien Demokrasi et Özgür Bakış, en tant que reporter ou éditorialiste. Elle était également auteur de nouvelles.

GRANDE-BRETAGNE : UNE POÉTESSE KURDE ENTRE DANS LES PROGRAMMES DE l’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Quatre poèmes de la poétesse kurde Choman Hardi ont été retenus par deux organismes d’examen britanniques au programme du Certificat général d’Enseignement secondaire anglais, (GCSE) examen qui sanctionne en Grande-Bretagne, la fin de l’enseignement secondaire pour les adolescents âgés d’environ 15 ou 16 ans. Les élèves du Royaume-Uni et du Pays de Galles devront à présent étudier « À la frontière » (1979), au programme de l’Assessment and Qualifications Alliance (AQA) tandis que l’Edexcel fera travailler ses élèves sur « Invasion », « Pénélopes de ma patrie » et « La cuisine de ma mère » .

Les textes de Choman Hardi prennent ainsi place dans les programmes de littérature anglaise aux côtés d’écrivains et de poètes anglais classiques tels que William Shakespeare, Wilfred Owen, W.H. Auden, William Blake, William Wordsworth, Dylan Thomas, Emily Bronte, Thomas Hardy, Ted Hughes, D. H. Lawrence, W.B. Yeats, ainsi que des auteurs contemporains comme Carol Ann Duffy, Gillian Clarke, Simon Armitage et Seamus Heaney (prix Nobel de littérature1995).

Choman Hardi poétesse, traductrice et peintre, est née en 1974 à Suleïmanieh, au Kurdistan d’Irak. Un an plus tard, sa famille a dû fuir en Iran après la chute de la révolution kurde, avant de retourner dans son pays en 1979, bénéficiant de l’amnistie générale. Mais en 1988, elle et les siens doivent fuir à nouveau l’Anfal et émigrent au Royaume-Uni en 1993. Choman Hardi étudie d’abord la psychologie et la philosophie à Oxford et à l’University College de Londres. Elle passe son doctorant à l’université de Kent, prenant comme sujet d’études les conséquences de l’émigration forcée sur les femmes kurdes d’Irak et d’Iran. Écrivant en langues kurde et anglaise, Choman Hardi a publié 3 recueils de poésie dans sa langue maternelle, et un recueil en langue anglaise, Life for Us paru en 2004. Elle a exercé un temps la présidence de l’association des Écrivains en exil et a organisé plusieurs ateliers d’écriture pour le British Council, ainsi qu’en Belgique, en République tchèque et en Inde. Elle a également exposé plusieurs ses œuvres de peinture, notamment en juin 2007 au centre artistique Hawth dans le Sussex. Elle effectue actuellement des recherches en post-doctorante à l’université d’Uppsala en Suède, au département des études sur le génocide et la Shoah et doit faire paraître en juillet prochain un ouvrage intitulé « Gendered experiences of genocide: Anfal survivors in Kurdistan- Iraq ».

Interrogée par le site Kurdish Media, Choman Hardi s’est dite très fière de figurer parmi les plus grands poètes et auteurs de la tradition anglaise : « Cela fait seulement dix ans que j’écris en anglais et c’est une grande consécration d’être ainsi introduite dans la tradition anglaise. Et puisque que mes poèmes traitent du problème kurde, j’espère que les étudiants aborderont ainsi des aspects de l’histoire kurde en les lisant.

«À la frontière », par exemple, parle de ce moment où, en 1979, à l’âge de cinq ans, jai franchi la frontière iranienne pour retourner au Kurdistan d’Irak et où j’ai réalisé combien tout ce que l’on m’avait raconté sur le Kurdistan d’Irak était faux. Les « Pénélopes de mon pays » parle des veuves de l’Anfal qui attendent, depuis la chute du régime Baath en 2003, le retour de leurs maris disparus.

 

À la frontière, 1979

C’est le dernier poste de contrôle dans ce pays !

Nous saisissons un verre dans nos mains.

Bientôt tout aura un goût différent.

La terre sous nos pieds continuait de même

séparée par une épaisse chaîne de fer

Ma sœur passe sa jambe de l’autre côté

‘Regardez, nous dit-elle,

ma jambe droite est dans ce pays

et la gauche dans l’autre pays.’

Le garde lui a dit d’arrêter.

Ma mère nous informe : ‘nous allons à la maison.

Elle dit que les routes sont plus propres’,

Le paysage est plus beau,

Et les gens sont bien plus gentils.

Des dizaines de familles attendent sous la pluie

‘Je peux sentir l’odeur de chez moi’, dit quelqu’un

Nos mères à présent se mettent à pleurer.

J’avais cinq ans, j’attendais au poste de contrôle

En comparant les deux côtés de la frontière.

Le sol d’automne continuait de l’autre côté

Avec la même couleur, la même texture.

Il pleuvait des deux côtés de la chaîne.

Nous attendions tandis que l’on contrôlait nos papiers,

nos visages soigneusement inspectés.

Et puis la chaîne a été ôtée pour nous laisser passer.

Un homme s’est courbé et a embrassé sa patrie boueuse.

Les mêmes chaînes de montagnes nous encerclaient tous.