tags: Farzad Kamangar, Hüseyin Karabey, Serdesht Osman. Kirkouk
Farzad Kamangar, un instituteur kurde âgé de 35 ans, accusé d’appartenance au mouvement kurde armé PJAK, a été exécuté le 9 de ce mois. Il avait été condamné à mort à l’issue d’un second procès, le 25 février 2008, par la Branche 130 de la Cour révolutionnaire d'Iran, pour atteinte à la sécurité nationale.
L'accusé a toujours plaidé non coupable. Son avocat avait souligné l'irrégularité du procès, qui n'était pas public et sans jurés Farzad Kamangar attendait depuis deux ans dans les couloirs de la mort, après avoir échappé plusieurs fois à une exécution imminente. Il a finalement été pendu le 9 mai au matin, dans la prison d'Evin, avec quatre autres prisonniers politiques, sans que leurs familles, ni même leurs avocats n'aient été informés. Farzad Kamangar, Shirine Alamhouli, Ali Heidarian et Farhad Vakili étaient accusés d'appartenance au PJAK (branche iranienne du PKK). Mehdi Eslamian d’appartenance au au Tondar, un mouvement monarchiste.
Farzad Kamangar a été instituteur durant 12 années à Kamiaran, au Kurdistan d'Iran. Il était marié et père de famille. Il était membre du syndicat des enseignants et d'autres associations militantes. Il écrivait pour la revue Royan, de l'Education de Mamiyaran et pour les journaux d'associations de droits de l'Homme locales. Il a été arrêté le 19 août 2006, à Sanandaj (Sine) par les services secrets. Durant les 4 mois qui suivirent son arrestation, sa famille n'eut aucune nouvelle et les autorités niaient être pour quoi que ce soit dans sa disparition. Farzad Kamangar avait été en fait transféré dans la Prison n° 9 d'Evin de Téhéran, un centre de détention secret, non-officiel du VEVAK, les services secrets iranien, dignes successeurs de la SAVAK du Shah. Des activistes pour les droits de l'Homme en Iran, faisant état d'une lettre que l'enseignant avait fait sortir clandestinement de sa cellule, racontent qu'il fut tenu au secret et isolé, en même temps que torturé gravement. Il rapporta ainsi avoir été battu avec un tuyau de jardin, lors d'un interrogatoire, pour la seule raison qu'il était Kurde. Il est resté aussi 24 heures attaché sur une chaise, dans un espace extrêmement restreint, dans une immobilité complète, sans nourriture ni pouvoir aller aux toilettes. Il fut ensuite emprisonné dans une cellule minuscule et sans air, sans voir aucun avocat ni avoir de contact avec sa famille. Il a aussi été soumis à un chantage psychologique, notamment des menaces de représailles sur les siens et l'arrestation d'une jeune fille avec qui il était lié. Il a alors commis une tentative de suicide en se jetant du haut d'un escalier, mais échoua à se tuer. Son état était si mauvais qu'il dut être soigné dans un hôpital pour détenus. Son avocat confirme ses déclarations en faisant état de la mauvaise condition physique de son client lors de leur première entrevue. En plus de graves brûlures aux mains, dues à l'eau bouillante, il souffrait aussi d'une infection rénale et de sang dans les urines. Entre 2006 et 2007, il fut plusieurs fois transféré soit à Kermanshan soit à Sine (Sanandaj) pour être torturé et interrogé. Il mentionna ainsi que sa cellule à Kermanshan, où il resta en février et mars 2007, mesurait 1m x 1m x 0.6m. Il fut également torturé et battu, en plus de sévices sexuels, spécialité de la prison Evin, entre autres, visant à briser psychologiquement les détenus. Ce n'est que sept mois plus tard que sa mère et son frère furent alors autorisés à le voir, pour un temps très court, en présence d'agents de renseignement, qui les leur interdirent de parler kurde durant l'entretien.
Farzad Kamangar n'avait toujours pas eu connaissance des chefs d'accusation que l'on portait contre lui et n'avait pu rencontrer son avocat, qui n'avait aucune information sur son dossier. Finalement, il sut plus tard être accusé de "miner la sécurité nationale". Farzad fit plusieurs grèves de la faim, avec d'autres détenus, pour protester contre ses conditions de détention et dut être hospitalisé à plusieurs reprises. En janvier 2008, il était à la prison de Gohardacht, secouée par une révolte des prisonniers et, après une intervention musclée des services, il fut emmené et séparé des autres, avec Farhad Vakili et Ali Heydaran. Pour protester contre son exécution, ainsi que celle de quatre autres condamnés kurdes, dont une femme, une grève générale a été lancée dans la semaine qui a suivi les pndaisons, dans plusieurs villes kurdes en Iran, à Sine (Sanadadj) Meriwam, Mehabad...
Farzad Kamangar, dont les écrits étaient publiés sur un blog, avait écrit, en avril dernier, dans les couloirs de la mort, une lettre adressée à d'autres enseignants en prison. Cette lettre, une des dernières qu'il aura écrites, a été publiée par la Human Rights Activists News Agency (HRANA) et s'intitule « Soyez forts, Camarades ». Farzad Kamangar expliquait lui-même ce titre en rapportant l'histoire suivante : "Il y a huit ans, la grand-mère d'un de mes élèves, Yassin, du village de Marab écoutait la cassette audio de l'histoire du professeur Mamoosta Ghootabkhaneh. Elle me dit alors : "Je sais que ton destin, comme celui du professeur qui a écrit et enregistré ce poème, est d'être exécuté ; mais sois fort, Camarade." La grand-mère disait ces mots tout en tirant sur sa cigarette et en regardant les montagnes."
Le conte du petit poisson noir auquel il est fait allusion fut écrit en 1967 par l'enseignant et dissident Samad Behrangi. Le livre fut interdit sous le régime du Shah. Il raconte l'histoire et les aventures d'un petit poisson qui défie les règles de sa communauté pour entreprendre un voyage, afin de découvrir la mer. En chemin, il affronte courageusement ses ennemis. Le conte est considéré comme un classique de la littérature de résistance iranienne. Son auteur, Samad, se noya dans l'été 1968. Certains pensent que les circonstances de sa mort sont suspectes et accusent les agents du Shah de l'avoir assassiné.
« Il était une fois une mère poisson qui avait pondu 10 000 œufs. Seul avait survécu un petit poisson noir. Il vivait dans un ruisseau avec sa mère. Un jour le petit poisson dit à sa mère : "Je veux partir d'ici." La mère demanda : "Où cela ?" Le petit poisson répondit : "Je veux voir où finit le ruisseau.".
Salut à vous, compagnons de cellule ! Salut compagnons de douleur ! Je vous connais bien : Vous êtes les professeurs, les voisins des étoiles du Khavaran [un cimetière à l'est de Téhéran où plusieurs dissidents politiques furent exécutés dans les années 1980 et enterrés dans des fosses communes], les condisciples par dizaines de ceux dont les dissertations ont porté sur leur dossier judiciaire, les professeurs des étudiants dont le seul crime fut une pensée humaine. Je vous connais bien : Vous êtes les collègues de Samad et d'Ali Khan. Vous vous rappelez de moi aussi, n'est-ce pas ? C'est moi, l'enchaîné de la prison d'Evin. C'est moi, l'élève tranquille assis derrière les pupitres d'école cassés et qui aspire à voir la mer dans un lointain village du Kurdistan. C'est moi qui, comme vous, récitait les contes de Samad à ses élèves, mais au cœur des monts de Shahû. C'est moi qui aime tenir le rôle du petit poisson noir. C'est moi, votre camarade dans les couloirs de la mort.
Maintenant, les vallées et les montagnes sont derrière et le fleuve traverse un champ dans la plaine. À droite et à gauche, d'autres rivières la rejoignent et ce fleuve à présent charrie plus d'eau encore. Le petit poisson se réjouit de cette eau abondante... le petit poisson veut atteindre la fin du fleuve. Il a pu nager autant qu'il a voulu sans se cogner contre quoi que ce soit. Soudain, il aperçut un grand banc de poissons. Ils étaient 10 000, l'un d'entre eux dit au petit poisson noir : "Bienvenue dans la mer, Camarade !"
Mes collègues emprisonnés ! Est-il possible de s'asseoir derrière le même bureau que Samad, regarder les enfants de ce pays dans les yeux, et rester silencieux ? Est-il possible d'être instituteur et ne pas montrer le chemin vers la mer aux petits poissons de ce pays ? Quelle différence cela fait, s'ils viennent des fleuves Aras, Karoon, de Sirvan, ou Sarbaz ? Quelle différence cela fait quand la mer est un destin commun, d'être unis comme un seul ? Le soleil est notre guide. Que la prison soit notre récompense est une très bonne chose ! Est-il possible de porter le lourd fardeau d'être un instituteur, dont le devoir est de semer les graines de la connaissance, et de rester silencieux ? Est-il possible de voir les gorges nouées des élèves, leurs visages maigres et affamés, et de rester tranquille ? Est-il possible d'être dans l'année de l'injustice et de l'iniquité, et de faillir à enseigner le E de l'espoir et le E d'égalité, même si un tel enseignement doit vous mener à la prison d'Evin et à la mort ? Je ne peux imaginer être instituteur au pays de Samad, de Khan Ali et d'Ezzati, sans rejoindre l'éternité de l'Aras. Je ne peux imaginer être témoin de la souffrance et de la pauvreté du peuple de ce pays et de faillir à donner à nos cœurs la rivière et la mer, à rugir, à inonder. Je sais qu'un jour, cette route dure et accidentée sera pavée pour les instituteurs et que les souffrances que vous endurez seront une marque d'honneur, aussi tout le monde peut voir qu'un instituteur est un instituteur, même si son chemin est barré par le processus de sélection, la prison, l'exécution. C'est le petit poisson noir et non pas le héron qui fait honneur à l'enseignant.
Le petit poisson nageait tranquillement dans la mer et pensait : Affronter la mort n'est pas dur pour moi, ce n'est pas non plus regrettable. Soudain le héron fondit sur lui et engloutit le petit poisson. La grand-mère poisson acheva son histoire et dit à ses 12 000 enfants et petits enfants qu'il était temps d'aller au lit. La grand-mère alla dormir elle aussi. Un seul petit poisson rouge ne pouvait dormir. Ce poisson réfléchissait profondément.
Un instituteur dans les couloirs de la mort, prison d'Evin, Farzad Kamangar.
Le Kurdistan d’Irak a été secoué par l'enlèvement et le meurtre d’un étudiant, Serdeşt Osman, étudiant en dernière année d’anglais à l’université Salahaddin d’Erbil, et qui travaillait aussi occasionnellement pour plusieurs journaux de la presse indépendante, soit en tant que traducteur soit en tant que chroniqueur. Le ton critique et polémique de ses écrits, ainsi que le mécontentement général de la presse envers les autorités et l’establishment politique ont tout de suite ont transformé immédiatement cette affaire trouble en règlement de compte entre la presse et le monde estudiantin et le pouvoir en place.
Le 4 mai dernier, Serdeşt Osman est déposé par son frère, Serdar Osman, devant l'entrée principale de l'Institut des Beaux-Arts de l'université Salahaddin, à Erbil, en plein cœur de la Région du Kurdistan. D'après des témoins, il a été alors kidnappé par un groupe d'hommes armés circulant dans un minibus de couleur blanche. Son frère Serdar, lui, n'a pas vu l'enlèvement, en raison du nombre de gens qui ont masqué la scène. Il se souvient seulement avoir vu à l'entrée de l'Institut une dizaine de soldats de l'unité Zerevani gardant cette porte, comme à l'habitude.
Le 6 mai, la famille apprend que le corps a été retrouvé à Mossoul, hors de la Région, donc. Selon les forces de l'Union patriotique du Kurdistan qui y sont basées, la police de Mossoul les a alertées après avoir découvert le corps, lié aux mains et aux jambes, portait des marques de torture et le décès est dû à un coup de feu tiré dans la bouche. Bien que l'un des frères de la victime, Zerdeşt Osman, ait déclaré ignorer la cause du meurtre, et ne suspecter personne, les soupçons de la presse d’opposition se sont immédiatement portés sur le pouvoir kurde lui-même, déjà en raison du lieu où s'est déroulé le rapt - Erbil est totalement sous le contrôle des forces de sécurité kurdes- et surtout en raison des activités de journaliste du jeune homme, qui, en plus de ses activités de traducteur, écrivait pour le magazine Aştîname (Lettre pour la Paix), sous le pseudonyme de Deştî Osman, et collaborait à plusieurs autres sites de presse, sbeiy.com, Hawlati.info, Awene.com, rudaw.net et lvinpress.com, tous souvent très critiques à l’égard du gouvernement.
Ainsi, Sbeiy.com, dans ses gros titres, n'hésite pas à accuser directement le gouvernement kurde, en donnant pour mobile un article que Serdeşt Osman avait écrit mettant en cause un haut responsable du GRK, Kosrat Rasul, vétéran de l'UPK, le journal tenant cette version d'un "ami proche de la victime". De même, un autre des frères de Serdeşt, Başdar Osman, a déclaré au Comittee to Protect Journalist, (CPJ) ainsi qu'à Hawlatî, sa conviction que Serdeşt a été tué pour cet article écrit dans Aştiname, en avril dernier : "Ces derniers mois, mon frère a reçu des menaces par téléphone, lui demandant de cesser de se mêler des affaires du gouvernement."
Ce rapt et ce meurtre, le premier visant un journaliste dans la Région du Kurdistan (et non le second comme le titre Reporters sans Frontières qui semble ignorer que Kirkouk n'est pas encore intégré dans le Kurdistan fédéral), a créé une onde de choc parmi les étudiants et le monde de la presse au Kurdistan. Le département de langue et de littérature anglaise a annulé plusieurs de ses examens en raison de l'émotion des étudiants.
Plus de 60 écrivains et journalistes kurdes ont condamné ce meurtre et interpellent directement le gouvernement et les forces de sécurité : "Kidnapper un journaliste dans la capitale régionale, l'emmener hors de la Région du Kurdistan, et finalement le tuer, soulève de sérieuses questions. Cet acte ne peut avoir été commis par une seule personne ou un petit groupe de gens. C'est pourquoi nous pensons en premier lieu que le Gouvernement régional kurde et les forces de sécurité doivent prendre leurs responsabilités. Nous devons faire le maximum pour retrouver les coupables."
Les signataires de la pétition adressée au Gouvernement régional affirment dans leur communiqué, qu'un tel enlèvement ne peut être l'œuvre d'une seule personne, ni d'un petit groupe de gens, ce qui éliminerait, d'emblée, une vengeance personnelle. De plus, ils avancent le fait que, dans le cadre d'un acte mafieux ou terroriste, il n’est guère plausible d'envisager qu'un groupe venu de Mossoul puisse entrer dans Erbil, enlever en plein jour, sous le nez des Peshmergas, un étudiant sur le seuil d'une université fréquentée, l'embarquer dans son minibus, ressortir de la ville, ressortir de la Région et gagner Mossoul sans être inquiété aux différents check-points de Peshmergas qui contrôlent les allées et venues entre Erbil et Mossoul, sachant la dangerosité de cette frontière avec la province de Ninive. C'est ce point précis sur lequel s'appuient des journalistes et des proches de Serdeşt Osman pour accuser les forces de sécurité kurdes des deux partis d'être impliquées directement dans le crime.
Plus affirmatif, Reporter sans Frontière accuse, lui, directement, bien que sans fait tangible, les services secrets du PDK, qui ont à leur tête Masrur Barzani, le fils du président Massoud : Erbil est en effet contrôlé par ses membres et non par l'UPK. Sur le motif du crime, les hypothèses varient, Serdeşt Osman ayant été l'auteur de plusieurs articles mettant en cause différents responsables des deux partis. Le Comité pour la protection des journalistes a d'abord mentionné un article publié dans le quotidien Aştîname, critiquant un haut responsable du gouvernement, issu de lÚPK, Kosrat Rassoul. Selon Beşdar Osman, les menaces de janvier avaient été suivies d'autres avertissements par téléphone, lui demandant de cesser "de se mêler des affaires du gouvernement".
Mais la personnalité assez insignifiante, d’un point de vue politique, de Serdeşt Osman, qui n'était pas le seul à critiquer dans la presse le gouvernement et les partis au pouvoir, qui n'a pas été le premier à avoir été menacé ou intimidé, peut aussi laisser dubitatif sur les motifs d'une vengeance aussi extrême de la part d'officiels hauts placés. L'importance de la victime par rapport à tout ce qu'impliquerait un tel crime d'État frappe par sa disproportion. Le chef de la police d'Erbil, Abdul Khaliq Ta'lat, affirmait le 4 mai au journal Rudaw ne pas avoir été informé auparavant de menaces qui pesaient sur la victime alors que dans un article antérieur, Serdeşt Osman racontait sa tentative infructueuse de porter plainte auprès de ce même chef de police, dans un article daté du 21 janvier de cette année, ce que Abdul Khaliq Ta'lat continue de nier.
Autre point qui interpelle les signataires : le silence prolongé des media gouvernementaux ou des organes des partis sur l'affaire, jusqu'à ce que, protestations et accusations se multipliant, il n'a plus été possible de l'ignorer. Le 7 mai, le journal Xebat (PDK) rapporte laconiquement que le corps de Serdeşt Osman, un étudiant kurde, a été retrouvé dans la province de Mossoul, après avoir été kidnappé à l'université Salahaddin et qu'une enquête a été ouverte par la police de la Région. Les activités de « journaliste » de Serdeşt ne sont pas mentionnées, ni le fait que l'enlèvement s'est produit en plein jour, par un groupe d'hommes armés.
Reporters sans frontières n’hésite pas à faire le lien avec l'assassinat de Soran Mam Hama, autre journaliste tué à Kirkuk en juillet 2008, mais ce lien n'est guère convaincant. Certes, les deux victimes ont en commun d'être kurdes musulmans (et donc de n'avoir pas été tués pour raisons religieuses par des islamistes), d'avoir écrit des articles visant des officiels du Gouvernement kurde, et d'avoir reçu des menaces avant d'être assassinés. Cependant, Soran Mam Hama a été tué à Kirkouk, ville officiellement sous contrôle irakien et non kurde. Et puis le laps de 2 ans entre les deux meurtres ne permet pas d'y voir une politique suivie d'exécutions extra-judiciaires, comme celle du JITEM au Kurdistan de Turquie.
Le choc provoqué par le meurtre de Serdeşt Osman vient du fait que cela remet en cause la sécurité interne du Kurdistan et que, bien sûr, le Gouvernement kurde ne peut se défausser de sa responsabilité, quelle que soit la vérité mise à jour, si cela arrive : coupable si son implication est directe, non-coupable s'il s'agit de négligence, mais dans ce dernier cas de toute façon responsable. De plus, cet assassinat a cristallisé tout le mécontentement et la frustration d’une jeunesse estudiantine, qui se sent écartée du boum économique que connaît le Kurdistan et accuse les autorités de confisquer le pouvoir politique aux mains d’une classe de vétérans et de leurs familles, issus des grands partis. Des manifestations plus ou moins spontanées se sont formées (on ne peut exclure qu’elles aient été « encouragées » ou relayées par les partis d’opposition, même s’ils ne peuvent en être les seuls instigateurs) dans Erbil et Sulaïmanieh, dès l'annonce du meurtre. Le 10 mai, un cortège de centaines de protestataires est ainsi parti du département des Langues de l'université Salahaddin d'Erbil pour défiler dans les rues de la capitale et se rassembler devant le Parlement. Vêtus de noir, portant un cercueil de même couleur portant l'inscription Azadî (Liberté), ainsi que des portraits de Serdeşt Osman, les étudiants ont bravé les matraques des policiers anti-émeute déployés autour du bâtiment pour les empêcher d'entrer, en ripostant par des lancers de chaussures, de bouteilles d'eau et de morceaux de verre. Finalement, le président du Parlement, Kemal Kirkuki, est sorti parler aux étudiants et a promis d’insister auprès du gouvernement pour qu'une enquête approfondie ait lieu sur ce meurtre. Il a ajouté que le président de la Région kurde, Massoud Barzani, avait ordonné de découvrir et punir les coupables. Le président du Parlement a aussi appelé aux sanctions contre ceux dont la "négligence" a facilité le crime : "Ceux qui veulent vous punir pour vos écrits sont ceux qui ne peuvent affronter les mots de la vérité."
Le Comité des droits de l'homme au Kurdistan réclame, lui, des explications directes de la part du ministre de l'Intérieur, puisque ce sont les services de sécurité qui sont fortement soupçonnées par l'opinion publique, au mieux de "négligence", au pire de complicité voire d'avoir commis le meurtre. Ce même 10 mai, la direction des forces de sécurité d'Erbil a, dans un communiqué, qualifié le meurtre d'acte "terroriste" et prié instamment la population de ne pas sauter trop vite sur des « conclusions hâtives » et d'attendre les résultats de l'enquête sans prêter l'oreille aux "rumeurs" malencontreuses qui courent.
Avant cela, samedi 8, le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, s'était déclaré "attristé" par la mort de Serdeşt Osman, qu'il a décrit comme "un crime odieux visant à saper la sécurité de la Région". Il a aussi assuré que l'enquête était en cours et que les services compétents faisaient leur possible pour tirer tout cela au clair. Le président d'Irak, Jalal Talabani, qui est aussi à la tête de l'UPK, a lui aussi déploré le crime en présentant ses condoléances à la famille.
Dans son dernier rapport sur la Turquie, le constat d’Amnesty International est plutôt pessimiste, jugeant que ce pays n’a fait que peu de progrès en ce qui concerne le respect des droits de l’homme. Les cas de torture et de mauvais traitements en détention persistent, ainsi que les procédures judiciaires visant à limiter la liberté d’expression.
L’organisation pointe également le harcèlement judiciaire et les tracasseries administratives entravant les activités des associations de défense des droits de l’homme en Turquie. « Les défenseurs des droits de l’homme sont poursuivis pour avoir exercé leur travail de façon légitime et rapporter les violations des droits de l’homme. Certaines personnalités éminentes font régulièrement l’objet d’enquêtes criminelles. Ils sont aussi soumis à des contrôles administratifs abusifs et dans certains cas, des procédures judiciaires ont été lancées pour fermer des organisations. Ethem Açıkalın, qui dirige la branche de l’Association des droits de l’homme (IHD) à Adana a ainsi fait l’objet de plusieurs plaintes déposées contre lui en raison de ses activités de défense des droits de l’homme. En octobre dernier, il a été reconnu coupable d’ « incitation à l’inimitié ou à la haine parmi la population » et condamné à 3 ans de prison pour avoir dénoncé la détention, en 2008, d’enfants kurdes impliqués dans des manifestations de rue, ainsi que la suppression des aides de l’État alloués à leur famille. Il a fait appel. En décembre 2009, Muharrem Erbey, vice-président de l’IHD et directeur de la branche de Diyarbakir, a été arrêté car soupçonné officiellement d’appartenance à l’Union des communautés kurdes (KCK), considérée comme étant une branche du PKK. La police l’a interrogé en fait sur ses activités au sein de l’IHD et a saisi des documents relatifs aux abus des droits de l’homme de l’IHD de Diyarbakir. Il est actuellement en détention préventive.
Dans de nombreux cas, les plaintes pour manquements aux droits de l’homme de la part des autorités n’ont fait l’objet d’aucune enquête et les chances de voir juger un fonctionnaire pour de tels abus sont très improbables, alors que les procès irréguliers ont toujours cours, notamment dans le cadre de la législation « anti-terroriste » qui permet d’emprisonner et de punir des mineurs aussi sévèrement que s’il s’agissait d’adultes. Il arrive que des mineurs soient détenus avec les prisonniers adultes et, de toute façon, Amnesty note que le régime des prisons pour enfants offre peu de différence avec les autres centres de détention. En particulier, aucune disposition n’est prise pour que les enfants puissent poursuivre leurs études durant leur peine. Ces mineurs ont été jugés sous les mêmes procédures que pour les adultes, et condamnés sur des allégations douteuses, sans preuve tangible, pour participation à des manifestations ayant dégénéré en violences. De façon générale, le traitement des détenus en prison ne s’est pas amélioré et l’accès aux soins médicaux est régulièrement refusé. Autres manquements aux droits de l’homme : le statut d’objecteur de conscience continue d’être refusé pour échapper au service militaire, les droits des réfugiés et demandeurs d’asile continuent d’être violés. Les homosexuels et les transsexuels rencontrent toujours une grande discrimination dans leur vie quotidienne. Cinq transsexuelles ont été assassinées et un seul de ces meurtres a abouti à une condamnation. Les femmes sont toujours sujettes à des violences privées et familiales, sans que la protection de l’État soit adéquate, en raison du nombre insuffisant de foyers d’accueil, bien que la loi prévoie un foyer pour 50 000 personnes. En septembre 2009, le gouvernement a pourtant signé un protocole en vue de faciliter la coopération des institutions d’État pour lutter contre la violence domestique.
Les atteintes à la liberté d’expression et d’opinion, par le biais de procédures pénales et de condamnations, souvent très lourdes, n’ont de fait pas cessé et n’épargne aucun milieu. Ainsi, le chanteur kurde alévi Ferhat Tunç encoure-t-il 15 ans d’emprisonnement pour « propagande en faveur du PKK » et « agissement au nom d’une organisation illégale », le tout pour un discours tenu lors d’un festival, le 15 août dernier, dans la ville d’Eruh (province de Siirt). Le 15 août 1984 étant l’anniversaire du début de la lutte armée du PKK, l’acte d’accusation affirme par ailleurs que les festivités ont été directement organisées par le Parti des travailleurs du Kurdistan. Ferhat Tunç est poursuivi en vertu de l’article 7/2 de la loi Anti-Terreur sur la propagande pour organisation illégale, ainsi qu’accusé de « crime pour le compte dune organisation sans en être membre » du code pénal turc. Il doit être jugé par la haute cour pénale de Diyarbakir, un tribunal réputé pour sa sévérité et ses condamnations souvent disproportionnées au regard des faits reprochés. Le discours incriminé par la justice turque est celui-ci : « Depuis 25 ans, j’ai été un témoin et un artiste de ce que vous avez vécu dans cette région. J’ai été le témoin oculaire de ces meurtriers en uniforme, qui ont été jugés pour leurs liens avec l’organisation Ergenekon, qui ont tué, qui sont les auteurs d’assassinats non élucidés dans cette région. J’ai été le témoin de la façon dont ces meurtriers en uniforme ont transformé cette géographie paradisiaque en enfer. Oui, je ne suis pas seulement un artiste, mais aussi un témoin. Après 25 années, vous ouvrez, à Eruh, une fenêtre nouvelle vers la paix et la fraternité. Je suis aussi enthousiaste que vous en prenant ce tournant, que vous avez initié en donnant votre sang et votre vie, pour la paix (…) Nous soupirons après une Turquie où les gens pourraient vivre selon leurs croyances, leurs langues, leurs cultures, à égalité. Je dis et j’espère que nos appels pour la paix et la fraternité à Eruh, d’où fut tiré le premier coup de feu, sera entendu dans toute la Turquie. J’espère que notre cri pour la paix sera entendu par les Turcs, les Arabes, les Arméniens et les autres peuples de cette région. Parce qu’il n’y a pas d’autres moyens que la paix et la fraternité, et c’est avec ces sentiments que je vous fais part de mon amitié. »
Autre catégorie socio-professionnelle payant un lourd tribut au harcèlement judiciaire en Turquie : les écrivains, éditeurs et journalistes. Reporter sans frontières dénonce ce mois-ci la condamnation surréaliste de 166 ans et six mois de prison prononcée à Diyarbakir à l’encontre de Vedat Kursun, l’ancien rédacteur en chef du quotidien kurde Azadiya Welat. Vedat Kursun a été reconnu coupable en vertu des articles 314-3 et 220-6 du code pénal et de l’article 7-2 de la loi Anti-Terreur pour appartenance au PKK et propagande en faveur de cette organisation, sentence qualifiée d’ « absurde » par Reporters sans frontières. Arrêté à l’aéroport d’Istanbul le 30 janvier dernier, Vedat Kursun a dû répondre devant la justice turque de 103 chefs d’accusation, tous concernant le journal Azadiya Welat, accusé de « faire la propagande du PKK ». Alors que le procureur avait requis contre lui plus de 500 années de prison, le verdict a fait preuve d’une certaine « clémence » en ramenant la peine à 166 années d’emprisonnement. Le successeur à la tête d’Azadiya Welat, Ozan Kilinç, reconnu coupable des mêmes délits en 2009, a été condamné à 21 ans et 3 mois de prison le 10 février dernier. Un autre éditeur est détenu depuis 4 mois : il s’agit du propriétaire des éditions Aram, Bedri Adanır, dont 38 ouvrages ont été confisqués. En tant que propriétaire du journal kurde Hawar, il est poursuivi pour 4 articles. Le procureur de la Haute Cour pénale de Diyarbakir, Adem Özcan, a requis contre lui 50 années d’emprisonnement, pour « appartenance au PKK » et « propagande pour une organisation illégale », et pour avoir publié un recueil des déclarations d’Abdullah Öcalan, le chef de ce mouvement, adressées à la Cour européenne des droits de l’homme, en vue de sa défense. Ce livre avait été interdit par le ministère de la Culture.
Le vendredi 14 mai une conférence internationale organisée par l'Institut kurde de Paris a eu lieu au Palais du Luxembourg, réunissant, pour la première fois à Paris, le président et des membres du Haut Comité irakien pour l’application de l’article 140 de la Constitution, le gouverneur de Kirkouk, des personnalités kurdes et irakiens ainsi que des experts en géopolitique.
La première table ronde, animée par Jonathan RANDAL, ancien correspondant au Washington Post, réunissait le Dr. Khaled Salih, conseiller spécial du ministre du Pétrole du Kurdistan, qui a abordé l’enjeu de Kirkouk sous ses aspects économiques et surtout pétroliers, Gérard Chaliand, géostratège, et le dr. Noori TALABANI, professeur de droit, ancien membre du Parlement du Kurdistan qui a exposé en détail les racines de la « question de Kirkouk » dans son histoire démographique et politique.
Selon lui, « les changements qui ont eu lieu sur place sont le résultat des politiques de l'ancien régime irakien ; celles contre le droit international, responsables de la grave situation dans laquelle les citoyens de Kirkouk se trouvent actuellement. La raison pour laquelle nous nous concentrons sur Kirkouk en l'utilisant comme modèle pour la comparaison du passé au présent, est parce que cette ville a été au centre de la politique de l’ancien régime irakien. » En effet, après avoir tracé l’histoire des différentes communautés de Kirkouk et leur cohabitation paisible, Noori Talabani montre que la situation change à partir de 1963, date de l’arrivée au pouvoir du parti Baas : « En règle générale, les relations entre les Kurdes, les Turcomans et même les Arabes de Hawija, ainsi que d'autres groupes de minorités ethniques étaient bonnes jusqu'à ce que le parti Baas ait pris le pouvoir en 1963. Le nouveau régime utilisa la milice des «gardes nationalistes », qui était principalement des Arabes baasistes ainsi que des Turcomans, pour attaquer les Kurdes. Ils ont concentré leurs efforts sur les régions pauvres où ils ont détruit toutes les maisons. En Juin 1963, le régime baasiste a été responsable de la destruction de 13 villages kurdes près de Kirkouk. Les populations des 34 autres villages kurdes dans le district de Dubz, près de Kirkouk ont été forcées de partir, les Arabes du centre et du sud de l'Irak ont été ramenés et installés à leur place. Entre 1963 et 1988, le régime a détruit un total de 779 villages kurdes dans la région de Kirkouk avec leurs cimetières. Dans ces villages se trouvaient 493 écoles primaires, 598 mosquées et 40 petits centres médicaux. Le but évident de cette destruction était l'élimination de toute preuve de quelconque sorte d’habitation. En tout, 37’726 familles kurdes ont été chassées de leurs villages. Au cours de la guerre entre l'Iraq et l'Iran, le régime irakien a également détruit une dizaine de villages chiites Turcomans dans le sud de Kirkouk. Dans la ville de Kirkouk, le régime a pris de nombreuses mesures pour forcer les Kurdes à partir. Les employés de la compagnie de pétrole, les fonctionnaires, ainsi que les enseignants ont été transférés vers le sud et le centre de l'Irak. Les rues de la ville et les écoles ont été renommées en arabe, et les propriétaires des boutiques ont été forcées à adopter des noms arabes. Les Kurdes ne sont pas autorisés à vendre leurs biens immobiliers à une personne autre qu’arabe, et il est interdit d'acheter tout autre bien. Des milliers de logements ont été construits pour les Arabes et ils se sont également faits attribués des noms arabes. La citadelle historique, avec ses mosquées et son ancienne église a été démolie. Des dizaines de milliers de familles arabes ont été amenées dans la ville et se ont bénéficié de logements et emplois. Ces mesures ont été intensifiées après la guerre du Golfe de 1991. Le régime a empêché la plupart des Kurdes qui avaient fui leurs maisons pendant le soulèvement de cette année-là d'y retourner. En 1996, avant la préparation du recensement de 1997, la soi-disant «loi d'identité» fut adoptée, par laquelle les Kurdes et autres personnes non-Arabes étaient tenus de se faire enregistrer comme Arabes. Quiconque refusant de le faire, était expulsé vers la partie du Kurdistan irakien contrôlée par les Kurdes ou dans le sud de l'Irak. Dans son rapport de 2002, Human Right Watch estima que, depuis 1991, entre 120’000 et 200’000 personnes non-Arabes auraient été expulsées de force de la région de Kirkouk. Cette situation a perduré jusqu'à la chute du régime en avril 2003, lorsque la ville de Kirkouk a été libérée. »
Le dr Talabani conclut que « l’un des grands problèmes qui devraient être résolu par le nouveau gouvernement de l’Irak est celui de Kirkouk. Un gouvernement de coalition national avec la participation des Kurdes ne pourra être constitué sans que des garanties concernant l’application de l’article 140 dans un délai précis soient données. Cet engagement, qui doit cette fois-ci être donné par écrit, et qui doit imposer un délai strict d’application, est très essentiel pour les Kurdes. »
Autour de la seconde table ronde, consacrée plus particulièrement à l’application de l’article 140 et ses perspectives, animée par Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, ont débattu le Dr. Raid FAHMI, ministre irakien des sciences et de la technologie et président du Haut Comité pour l'application de l'article 140, le Dr. Mohammed IHSAN, ancien ministre kurde chargé des territoires hors du Kurdistan fédéral, le Dr. Najmaldin O. KARIM, député de Kirkouk, chef de file de l'Alliance du Kurdistan à Kirkouk, M. Tahsin KEHYA, membre turcoman du Haut Comité pour l'application de l'article 140, et M. Abdulrahman MUSTAFA, gouverneur de Kirkouk.
La présence de Mohamed Ihsan, ancien ministre chargé de tous les territoires kurdes concernés par l’article 140, et non pas seulement Kirkouk, a permis de replacer le problème de ces territoires dans une perspective plus larges, celle de toutes les régions kurdes démembrées par Saddam Hussein dans son découpage général de l’Irak en 18 provinces, qui avait pour but de disperser les populations non arabes en plusieurs administration afin de casser leur unité politique et une éventuelle velléité d’autonomie.
Le Dr. Karim, candidat de l’Alliance kurde à Kirkouk aux dernières législatives irakiennes, s’exprimant sur sa campagne électorale, a d’abord reconnu les craintes de la population sur les modalités de l’application de cet article, par exemple les difficultés pratiques que rencontrent au quotidien des familles déplacées pour faire valoir leur droit sur les biens dont elles ont été spoliées, ou bien le flou autour des compensations offertes en échange du retour des colons. Malgré les obstacles, le député kurde de Kirkouk se redit fermement attaché à l’application de cet article, même si elle ne sera pas aisée. Un des gestes indispensables envers les autres communautés, selon lui, est de les rassurer et de les convaincre que le rattachement à la Région kurde ne signifiera pas une autre phase de discrimination pour les Turkmènes ou un statut inférieur pour les Arabes. Pour cela un dialogue permanent doit être entretenu avec tous les Kirkoukis, qui ont tous souffert de Saddam et de la politique d’arabisation. Mais une des plus grandes chances de faire accepter le rattachement de Kirkouk par ses habitants, selon le docteur Karim, est la spectaculaire différence de développement économique, de sécurité, de liberté religieuse, qu’offre la comparaison entre la Région du Kurdistan et la province de Kirkouk, « complètement délaissée par Bagdad ».
Le cinéaste kurde de Turquie, Hüseyin Karabey, a été sélectionné à Cannes, par le 'Cinéfondation Atelier' du festival, qui distingue les nouveaux talents avec leur sprojets de film, ce qui a fait de lui le seul cinéaste kurde et même le seul cinéaste de nationalité turque à être représenté à Cannes cette année.
Son projet, 'Sesime Gel' (Viens à ma voix) sera un film de 90 minutes, tourné à Diyarbakir, à l'automne 2010, en langue kurde et turque. Comme Gitmek (My Marlon and my Brando) il mêlera fiction et documentaire. Dans un village de montagne enneigé de l’est de la Turquie, Berfê (une vieille femme) et Jiyan (sa petite fille) se retrouvent seules, confrontées à l'absence de l'unique homme du foyer. En effet, Temo, respectivement fils et père des deux femmes, est désormais incarcéré. L’officier en chef a été informé que des villageois dissimuleraient des armes. Il annonce alors que tous les hommes du village vont être gardés en détention jusqu’à ce que leurs familles capitulent et remettent les armes qu’elles sont censées dissimuler. Mais à la connaissance de ces deux femmes qui n’ont rien à se reprocher, ces armes n’existent pas. Désespérées, Berfê et Jiyan entament un périple pour trouver une arme contre laquelle échanger leur cher Temo. Leur innocence et leur naïveté leur permettront-elles de faire face à un système qui peu à peu les jette dans un monde terni par un conflit sans fin ?
Hüseyin Karabey, qui a écrit le script en collaboration avec Abidin Pırıltı, raconte ainsi l'action : "Durant le raid sur le village, tout le monde est rassemblé sur la place. Les soldats prennent alors un homme dans chaque famille et disent aux femmes : 'Amenez vos armes et nous les relâcherons.' Mais il n'y a pas d'armes dans ce village. Et c'est alors que les héroïnes du film entrent en scène : Berfê, âgée de 70 ans, entreprend un voyage avec sa peite-fille, Jiyân, qui a 8 ans, afin de trouver un fusil qu'il échangerait contre la liberté de son fils Temo. Mais en dépit de tous leurs efforts, elles ne peuvent en trouver un seul chez eux et doivent donc se rendre à la ville. Ensuite, tout le problème est de ramener le fusil acheté, dans leur village, sans se faire coincer en route. C'est pourquoi elles choisissent de passer par les montagnes. Parlant du comportement des soldats turcs, Hüseyin Karabey montre aussi le doute qui envahit les hommes "Par exemple, un soldat compare Berfê à sa propre mère âgée, à qui il écrit, dans une lettre, qu'il n'arrive pas à donner un sens à ce qu'il est en train de faire."
Hüseyin Karabey ajoute que les blessures des crimes commis ne sont pas encore guéries, et que son but est de relater un événement réel à travers le cinéma : « Ces 20 dernières années en Turquie, nous sommes face à une guerre « larvée ». A travers l’histoire de Grand-Mère Berfê, je souhaite montrer à quel point cette guerre pourrait devenir absurde. Mon objectif n’est pas de faire une déclaration politique implacable quant à cette situation, puisque nous savons qu’une mauvaise situation induit de part et d’autre des pertes et des souffrances. C’est pour- quoi je préfère faire appel à un dispositif et à une histoire pouvant générer à la fois du rire et des larmes, et espérons-le, offrir au spectateur de quoi nourrir ses pensées lorsqu’il sortira de la salle de cinéma. J’espère sincèrement qu’à l’occasion du périple de ces deux femmes, nous pourrons également découvrir beaucoup de choses sur nous-mêmes et le monde dans lequel nous vivons.
Sur l'usage de la langue kurde qui connaît un succès croissant dans le cinéma en Turquie, maintenant que les interdictions se lèvent progressivement, Hüseyin Karabey espère ainsi faire aimer le kurde aux Occidentaux et aux Turcs : "Nous devons utiliser le kurde avec richesse et poésie afin de donner au public l'envie d'apprendre cette langue."
Sur la récente "initiative kurde" lancée par le gouvernement AKP l'été dernier, le cinéaste estime que "les changements, les solutions, le statu quo et les blocages se mêlent tous ensemble. Parfois, vous pouvez voir les choses avec optimisme et parfois, rien de ce qui arrive n'a de sens. Afin de participer à ce processus, d'apporter ma contribution à une solution, j'essaie de raconter ce que vit le peuple kurde ; dans ses tragédies, il y a matière à beaucoup d'histoires, qui doivent être racontées." Sur l'état du cinéma turc en général, Hüseyin Karabey le juge passif, et plus enclin à se retrancher derrière des excuses d'ordre bureaucratique que mû par la bravoure de vouloir changer les choses : "La jeune génération fait un effort, mais en général, le cinéma turc est dominé par le conservatisme."