Un référendum doit avoir lieu en Turquie, le 12 septembre, afin que les Turcs se prononcent sur une réforme de la constitution héritée du coup d’État militaire de 1980. Le paquet d’amendements récemment approuvé par le parlement turc prévoit de réformer 26 articles, et d’abolir l’article provisoire 15 de la constitution qui ne permet pas le jugement des membres du Conseil national de sécurité qui s’est formé après le coup d’État du 12 septembre 1980. Les nouveaux textes abrogent aussi l’interdiction des grèves générales et permettront aux citoyens d’adhérer à plus d’un syndicat.
Les Kurdes de Turquie ont exprimé leur point de vue sur le texte à approuver, point de vue dans l’ensemble critique. La plupart des leaders kurdes le considèrent insuffisant concernant leur question nationale, puisque les Kurdes ne sont pas mentionnés. Le PKK a ainsi appelé au boycott de ce référendum, par la bouche d’un de ses porte-parole en Irak, Farhan Omar : « Il n’y a rien de nouveau pour les Kurdes dans les amendements constitutionnels. Le PKK n’est pas favorable à ces changements constitutionnels. L’ancienne constitution interdisait la langue kurde. La nouvelle fait de même. Les enfants kurdes ne pourront être éduqués dans leur langue maternelle, ils ne pourront recevoir de prénoms kurdes, et ni les villes ni les montagnes kurdes ne pourront être appelées par leurs noms kurdes. »
Cet appel au boycott est, sans surprise, relayé par le principal parti kurde en Turquie, le BDP. Selahattin Demirtaş, le co-président du parti a ainsi déclaré qu’ils renverraient des urnes vides au gouvernement. Il accuse dans la foulée le Premier Ministre turc d’être responsable des récentes émeutes anti-kurdes menées par des groupes ultra-nationalistes dans l’ouest du pays, et même d’être complice du complot Ergenekon : « Nous sommes à l’avant-garde de ceux qui souhaitent vivre dans une constitution démocratique, mais il est clair pour nous que l’AKP nourrit de mauvaises intentions et soutient les comploteurs. » De façon plus pondérée, l’autre co-président du BDP a plutôt exposé le dilemme politique dans lequel les place ce référendum : selon Gülten Kışanak, voter oui serait soutenir ce qui n’est qu’un replâtrage de la constitution issue du coup d’État, alors que voter non serait la légitimer.
Le 1er août, des milliers de Kurdes ont défilé dans les rues d’Istanbul pour protester contre l’absence d’amendements concernant la question kurde. À l’opposé, les partis kurdes HAKPAR et KADEP appellent à participer au référendum et à approuver les réformes, considérant celles-ci comme un pas en avant dans le processus de démocratisation du pays. Les principaux partis d’opposition turcs, appellent, eux, à un non sans équivoque, tant il est clair que le succès de ce référendum sera aussi compris comme un plébiscite du gouvernement. Enfin, un groupe d’intellectuels, d’artistes et de journalistes turcs ont adopté une position finalement plus proche de celle des Kurdes, même si elle ne se traduit pas par un boycott : « oui, mais » soit « yetmez ama evet », ce n’est pas suffisant mais oui. Mais indépendamment des positions des partis et des appels au boycott, la question de l’attitude de l’électorat kurde se pose. Si le boycott est largement suivi, cela renforcera l’impact du BDP sur la politique kurde en Turquie.
À l’inverse, un boycott relativement faible serait interprété comme un vote de confiance des Kurdes envers l’AKP.
Dans un entretien accordé au journal Zaman, proche de l’AKP, l’ancien président du BDP, Ahmet Türk, expose plus longuement, et en des termes plus mesurés que Selahattin Demirbaş, les réponses possibles des Kurdes au référendum. Ainsi, pour le leader kurde, les progrès actuels dont bénéficient les Kurdes en Turquie, ne doivent rien à la classe dirigeante turque : « Ni le Parti de la justice et du développement (AKP) ni les gouvernements de Süleyman Demirel et de Bülent Ecevit n’ont dit : « Il y a des Kurdes parmi nos citoyens. Ces différences sont un atout. » Le point où nous en sommes, aujourd’hui, ne doit rien à leur mentalité. Au contraire, tous les progrès qui ont été faits, nous les devons à de nombreuses souffrances et au débat [sur la question kurde]. »
Jugeant insuffisante l’action de l’AKP pour résoudre la question kurde, Ahmet Türk cite en exemple l’Espagne qui a eu, à un moment, le « courage » nécessaire pour prendre des décisions politiques en faveur de la Catalogne et du Pays basque, alors que des milices d’extrême-droite faisaient peser sur le pays une menace similaire à celle d’Ergenekon en Turquie. Pour l’ancien leader du BDP, le problème vient de ce que la Turquie a toujours été gouvernée par une classe politique prônant le statu-quo, et qui se considère comme « propriétaire » de la république turque, et qui, de plus, n’ont pas grande confiance en la démocratie pour résoudre les problèmes.
Le 9 août, une rencontre a eu lieu entre le Premier Ministre irakien, Nouri Al-Maliki, leader du Parti l’Etat de droit et le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, pour un entretien portant la crise irakienne et la formation problématique d’un nouveau gouvernement, en suspens depuis le 7 mars. La dernière visite du Premier ministre au Kurdistan remonte au 21 mai. Alors que les deux blocs sunnites et chiites arabes sont arrivés au coude à coude lors des dernières élections, les Kurdes, bien plus unis, ont à jouer un rôle prépondérant dans le bon fonctionnement d’une future coalition.
Alors que de nombreux litiges ont souvent envenimé les relations entre Erbil et Bagdad – la question de Kirkouk, les contrats pétroliers, le budget – Massoud Barzani a cependant déclaré qu’il n’était pas absolument opposé à un second mandat ministériel pour Nouri Al-Maliki, tout en précisant que cette rencontre n’avait pas pour but la formation d’une coalition, mais de « renforcer une vieille alliance » et d’envisager de mettre fin aux innombrables problèmes dont souffre le pays.
Pour sa part, le Premier Ministre irakien a indiqué que son parti, État de droit, avait approché de la même façon tous les partis en lice lors des dernières élections, afin de pouvoir tracer une « feuille de route ». Nouri Al-Maliki a également rencontré le président de l’Irak, le Kurde Jalal Talabani, qui a affirmé être à l’origine de cette rencontre, qu’il avait conseillé au chiite, afin de balayer les craintes des Kurdes de voir, une fois de plus, leurs revendications écartées ou reportées sine die : l’application de l’article 140, les ventes de pétrole et de gaz, l’entretien des Peshmergas ainsi que la reconduction du mandat présidentiel du leader de l’UPK.
En réponse, l’Alliance du Kurdistan, la coalition principale des partis kurdes, a soumis ainsi une liste de 19 revendications, envoyée à chacun des deux principaux candidats, Iyad Allawi, qui mène la coalition sunnite Iraqiya et Nouri Al-Maliki. Jusqu’ici, aucun des deux Irakiens n’a apporté de réponse formelle à ces demandes qui sont :
1. S’engager à respecter la Constitution et tous ses articles, ainsi que préserver le système fédéral et démocratique.
2. La formation d’un gouvernement national qui inclurait tous les groupes clefs de la société irakienne.
3. L’adhésion au principe de partenariat dans la prise de décision doit être maintenue comme suit :
4. La formation d’un conseil fédéral pour une durée d’un an après celle d’un nouveau gouvernement. Le président de la république et ses vice-présidents doivent avoir le droit de veto.
5. La loi électorale doit être amendée afin de représenter équitablement tous les Irakiens.
6. Le recensement général doit être fait dans les temps prévus.
7. Reconsidérer le complexe des forces armées et des autres forces de sécurité, approuver et mettre en œuvre un principe d’équilibre.
8. Mettre en œuvre un principe d’équilibre dans toutes les institutions d’État, y compris les ministères, les commissions indépendantes, etc.
9. Appliquer l’Article 140 de la Constitution et allouer le budget nécessaire à cette application dans un délai qui ne doit pas dépasser deux ans.
10. Approuver le projet de loi final sur les ressources hydrauliques dans un délai d’un an après la formation du nouveau gouvernement.
11. Approuver le projet de loi final sur le gaz et le pétrole dans un délai d’un an après la formation du nouveau gouvernement.
12. Financer et armer les gardes de la Région du Kurdistan (Peshmergas) comme faisant partie du système de défense irakien.
13. Soutenir le candidat de l’Alliance du Kurdistan à la présidence de la République.
14. Dédommager les victimes de l’ancien régime, dont les victimes de l’Anfal et des armes chimiques utilisées à Halabja et en d’autres lieux. Les dédommagements devront être immédiats et justes.
15. Les Kurdes devront être gratifiés de postes-clef dans les ministères et au Conseil des ministres tout comme dans les commissions indépendantes de façon à prendre en compte avec justice les droits des nations.
16. La fraction du Kurdistan doit avoir un droit de vote pour l’approbation des ministres principaux et des autres ministères relatifs à la Région.
17. Le secrétaire général du Conseil des ministres doit être un candidat issu de l’Alliance du Kurdistan.
18. Le gouvernement de coalition sera dissout si l’Alliance du Kurdistan se retire en raison de violations graves de la Constitution ou du refus de respecter les termes du programme convenus.
19. Les membres du Parlement et les membres du gouvernement représentant le Premier Ministre doivent soutenir les projets antérieurs.
À la fin du mois, l’autre candidat irakien au gouvernement, Iyyad Allawi, doit lui aussi se rendre à Erbil pour rencontrer Massoud Barzani, comme l’a annoncé le journal Aswat Al-Iraq, de même, le leader du Conseil suprême islamique, Ammar Al-Hakim.
Une autre rencontre, interne au Kurdistan celle-ci, a eu lieu ce mois-ci, toujours dans le cadre d’une entente post-électorale. Elle réunissait de hauts responsables de l’UPK et les leaders du parti d’opposition Goran, parti issu des dissidents du parti de Jalal Talabani. Depuis les élections législatives de juillet 2009 et la campagne électorale assez vive qui les avait opposés, les relations entre les deux mouvements s’étaient encore envenimées. Des responsables des deux partis ont cependant salué la rencontre, vue comme une étape importante pour apaiser les tensions. Awat Sheikh Janab, un cadre de Goran, s’est ainsi dit optimiste sur les pas qui ont été faits, qu’il voit comme « un début » : « La situation politique du Kurdistan nécessite un tel accord et un rapprochement. » Mais la teneur de la rencontre est restée secrète. On sait seulement que Goran a soumis à l’UPK un certain nombre de conditions, en échange de quoi une union à Bagdad des députés de l’Alliance et de Goran (qui dispose de 8 sièges) pourrait renforcer les Kurdes, et surtout la question du soutien à la présidence de Jalal Talabani se posera aussi. Le leader de Goran, Nawshirwan Mustafa, un des vétérans de l’UPK, n’a pas encore rencontré directement Jalal Talabani. Sa’di Ahmed Pire, un des dirigeants de l’UPK ne pense pas que son président s’opposerait à une telle rencontre.
Mais récemment, l’Alliance du Kurdistan, qui rassemble le PDK comme l’UPK, a porté plainte contre un journal appartenant à Goran, Rozhnama, après que celui-ci a publié en première page un article accusant les deux partis au pouvoir de vendre du pétrole brut en contrebande à l’Iran afin de remplir leur caisse. Le PDK réclame des dommages et intérêts d’un montant si élevé qu’il ne pourrait aboutir qu’à la fermeture du journal. Des observateurs s’interrogent sur le fait qu’un rapprochement pourrait être un autre moyen de faire taire les critiques sur la corruption du gouvernement, principal argument électoral de Goran contre l’Alliance. Mais selon Muhamad Tofiq Rahim, un porte-parole de Gorran, la ligne de son parti ne changera pas, même en cas de détente politique.
Amnesty International a lancé un appel, le 7 août, aux autorités syriennes pour qu’elles libèrent ou accusent légalement et officiellement un Kurde détenu depuis deux ans, sans accusation ni jugement. Des témoignages sur place font état de craintes sur le fait qu’Abdelbaqi’ Khalaf serait torturé par la Sécurité d’État. Ce militant politique aurait été transféré de la prison centrale de Damas dans les locaux de la Sécurité d’État pour y « confesser » le meurtre de deux agents syriens de la Sécurité dans la ville kurde de Qamishlo, au début de l’année 2008, crime qu’il nie depuis le début. « Nous sommes très inquiets après que des rapports ont fait état des tortures répétées qu’Abdelbaqi’ Khalaf subirait lors de ses interrogatoires par les agents de la Sécurité d’État, afin de le forcer à confesser un crime qu’il dit n’avoir pas commis », a déclaré Philip Luther, directeur adjoint du département Moyen Orient et Afrique du nord d’Amnesty International. « Ces allégations doivent faire l’objet d’une enquête indépendante et impartiale, le plus vite possible, et les responsables doivent être traduits en justice. » « Abdelbaqi’ Khalaf doit pouvoir rencontrer immédiatement l’avocat de son choix et avoir accès à tous les soins médicaux dont il aurait besoin » a aussi réclamé Philip Luther. Ancien membre du parti politique kurde syrien Union populaire (Ittihad Al-Sha’b), Abdelbaqi’ Khalaf avait fondé une bibliothèque clandestine de livres en langue kurde, ce qui est interdit en Syrie, les Kurdes subissant dans ce pays toutes sortes de discriminations et d’interdits ; y passer outre les exposent immanquablement aux arrestations arbitraires, à la torture et à des détentions illégales.
Abdelbaqi’ Khalaf s’est vu refuser tout contact avec son avocat et sa famille n’a pu lui rendre visite, peut-être pour ne pas lui laisser voir des marques de torture trop évidentes, ou bien parce que l’état de santé du détenu ne le permet pas. En septembre 2008, des hommes masqués l’ont enlevé à Qamishlo alors qu’il fermait sa boutique de vêtements.
Il avait auparavant averti des amis que des agents de la Sécurité surveillaient ses mouvements. Jusqu’au début de l’année 2010, le militant a été détenu au secret en un lieu inconnu. Il aurait été pendu par les poignets et enchaîné à un mur durant sa première semaine de détention. La torture et les mauvais traitements sont largement pratiqués dans les lieux de détentions et les centres d’interrogatoire de Syrie.
Ces deux derniers mois, on déplore quatre morts de détenus peut-être dues à la torture. Par ailleurs, plusieurs dizaines de Kurdes sont emprisonnés et accusés d’avoir tué des agents de la Sécurité, même si, comme dans le cas d’Abdelbaqi’ Khalaf, leurs activités politiques ressortaient plutôt du domaine intellectuel et culturel. Ainsi deux frères, Nidal et Riyad Munthar, qui voulaient fonder une association pour promouvoir la culture kurde et des livres sur la question kurde ont été arrêtés pour le même motif. Ces deux frères avaient aussi ouvert une bibliothèque clandestine, (ce projet était soutenu par Abdelbaqi Khalaf), avec prêt de livres et publication d’auteurs kurdes.
Le documentaire de Bülent Gündüz, « Evdalê Zeynikê », qui a reçu une récompense au Sri Lanka et a participé au New York International Independant Festival, est maintenant projeté en Irlande. Le documentaire retrace la vie d’Evdalê Zeynikê, le « père des dengbêj », c’est-à-dire des bardes kurdes, récitant de mémoire des épopées longues de milliers de vers, le plus souvent sans accompagnement musical.
Lors du Vesak Buddhist Film Festival au Sri Lanka, qui s’est tenu entre les 18 et 22 juin, le film de Bülent Gündüz était en compétition avec 13 œuvres de différents pays, court ou long métrages, documentaires et fictions. Il avait obtenu la plus haute récompense. Également remarqué par la critique au New York International Independent Film Festival, « Evdalê Zeynikê » est maintenant invité au Festival international du cinéma en Irlande.
Par le biais de courtes scènes, tirées de ce que l’on sait de la biographie du dengbêj, le documentaire fait le portrait et l’histoire de la tradition littéraire orale des Kurdes. C’est aussi le premier documentaire Il est tourné intégralement en langue kurde, ce qui est une première dans ce genre cinématographique.
Le film a été tourné avec une équipe de quinze personnes, qui s’est rendue pour cela à Van, Bayezid, Igdir, Agri, Toprakkale, Tutak, Hinis, Hamur, Tekman et Karayazi, soit les lieux où Evdalê Zeynikê avait coutume de se déplacer dans un périple vagabond. Long de 72 minutes, ce documentaire met aussi à l’honneur les dengbêjs femmes, et a attiré l’attention des professionnels par sa technique autant que son contenu.
Au sujet de son film et de son succès dans les festivals, Bulent Gündüz s’est déclaré très heureux d’avoir pu emmener « l’enfant épique de la Mésopotamie de l’autre côté de la terre. Evdal, le meilleur depuis des siècles, chantera des kilem (poèmes chantés) interdits aux habitants de New York ; c’est un bonheur au-delà de toute description. Ce festival a montré une fois encore que la littérature orale et la tradition des dengbêj sont au cœur de la tradition kurde, et sont aussi une part du patrimoine culturel de l’humanité. »