Le 18 octobre s’est ouvert devant la Haute Cour criminelle de Diyarbakir le procès de 152 Kurdes, (dont 104 en détention), politiciens ou membres d’associations de défense des droits de l’Homme, accusés d’appartenance au PKK, par le biais de la Confédération démocratique du Kurdistan (KNC). Des intellectuels et défenseurs européens sont venus assister au procès qui se tient sous haute surveillance policière. L’acte d’accusation de 7500 pages peut faire encourir aux prévenus des peines de prison allant de cinq années à la perpétuité, pour appartenance à « une organisation terroriste », menace contre « l’unité de l’État », « propagande terroriste » et « soutien à une organisation terroriste ».
Parmi les accusés, le maire de Diyarbakir, Osman Baydemir, risque 36 ans d’emprisonnement. Onze autres maires kurdes sont jugés à ses côtés, tous membres du parti pro-kurde, le BDP. Mais dès l’ouverture du procès, les débats se sont déplacés de l’acte d’accusation proprement dit à la langue devant être utilisée par la défense. Les avocats ont en effet exigé de s’exprimer en kurde, ainsi que leurs clients, en alléguant du droit à être jugé et entendu dans sa langue maternelle. La demande a été d’emblée rejetée par la cour qui a aussi refusé d’enregistrer les propos tenus « en une langue inexistante » arguant aussi que les interrogatoires et les dépositions des accusés s’étaient tous déroulés en turc, et que le recours à des interprètes ne ferait qu’allonger le temps du procès, la lecture de l’acte d’accusation devant déjà prendre trois semaines.
L’avocat Sezgin Tanrikulu a comparé cette négation de la langue kurde à celle qui fut opposée à l’ancien maire de Diyarbakir, Mehdi Zana, quand, 25 ans auparavant, il avait lui aussi voulu assurer sa propre défense en kurde. Le tribunal avait alors refusé de prendre en compte sa prise de parole dans sa langue maternelle, déclarant que l’accusé avait simplement usé de son « droit de garder le silence ».
La défense a invité le professeur Baskin Oran à s’exprimer devant la cour, en tant qu’expert politique et juridique, sur le droit d’user de la langue kurde dans un tribunal, se fondant sur le traité de Lausanne, signé entre la Turquie et la Société des Nations et qui constitue le fondement juridique de l’État turc en droit international : l’article 39/5 de ce traité énonce en effet que « nonobstant l'existence de la langue officielle, des facilités appropriées seront données aux ressortissants turcs de la parole non-turque pour l'usage oral de leur propre langue devant les tribunaux», ce qui comprend donc la présence d’interprètes. La cour ayant refusé d’entendre Baskin Oran, ce dernier a déclaré que cela entraînait la possibilité d’invalider le jugement : « Le refus d'entendre un expert est une raison pour la Cour d'appel d'annuler un verdict. Même le fait que je n'étais pas entendu comme une personne seule est une raison pour la Cour d'appel d'infirmer le jugement ».
La tension n’a donc fait que croître et les avocats se sont plaints de la présence policière (des officiers en civil de la section Anti-Terreur) à l’audience, ainsi que d’un « cordon de sécurité » les séparant de leurs clients. Mais la cour a refusé de lever ce cordon et toute la journée du 20 octobre s’est passée à lire l’acte d’accusation, résumé en 990 pages.
Deux jours plus tard, le 22 octobre, 47 membres du KNC, dont 22 détenus, ont comparu devant la 8ème chambre criminelle dAdana. La même requête pour s’exprimer en kurde a émané de leur avocat, Vedat Özkan, qui a appelé la cour à « une décision courageuse », en invoquant le droit de ses clients de présenter leur défense en kurde. Parmi les accusés, tous arrêtés lors de la grande rafle du 15 août 2008, figurent le maire de Misis, Burhan Aras, l’ancien président du parti dissous, le DTP, pour la branche d’Adana, le maire du district de Seyhan, Mehmet Nardan, et celui du district de Yüregir, Durmaz Özmen. Également sur le banc des accusés, et pour les mêmes motifs, le journaliste Kenan Karavil, directeur de publication de l’Adana Radio Dünya. Il avait été arrêté un an plus tard, le 10 décembre 2009, et est toujours détenu. Il doit répondre de « crimes en faveur d’une organisation illégale » et de « propagande » pour la même organisation. Il encourt 22 ans et demi de prison.
Parmi les représentants d’association de défense des droits de l’homme, la FIDH, présente au procès de Diyarbakir, appelle le gouvernement turc à relâcher les accusés toujours en détention. Son président Souhayr Belhassen a ainsi déclaré, lors d’une réunion tenue le 22 octobre dans les bureaux de l’IHD (Association des droits de l’homme) d’Istanbul : « Il y a des accusés dans ce procès qui sont détenus depuis 18 mois et les avocats ne sont pas en mesure d'obtenir une copie des dossiers. Ces détentions s’opposent à la présomption d'innocence. Ce procès est totalement déséquilibré. » Belhassen a aussi rappelé l’état général des prisons en Turquie : pour une capacité de 65 000 détenus, on compte actuellement 122 000 prisonniers, ce qui entraîne des problèmes sanitaires et des mauvais traitements. 13 d’entre eux souffrent de cancer à un stade terminal. Indiquant avoir parlé de ces mourants avec le ministre turc de la Justice, Sadullah Ergin, le président de la FIDH a ajouté que promesse lui avait été faite de pouvoir visiter ces prisonniers, sans que cela ait eu de suite. Enfin, l’usage de la torture semble avoir augmenté depuis 2005, alors que sa suppression est un des engagements principaux faite par la Turquie à l’Union européenne en vue de son adhésion. Interrogé par un journaliste de Bianet sur le cas des enfants kurdes toujours emprisonnés pour « terrorisme », Souhayr Belhassen a jugé cette situation « inacceptable ».
Finalement, le 8 novembre, la 6ème chambre de Diyarbakir, après avoir coupé le micro à la défense dès qu’elle s’exprimait en kurde, a décidé de renvoyer le cas à la 4eme chambre criminelle, qui doit statuer sur le droit d’employer ou non une autre langue que le turc dans ce procès. Mais l’initiative a fait mouche et d’autres procès mettant en cause des Kurdes se sont trouvés devant la même demande, en y opposant le même refus : ainsi la 11ème chambre criminelle d’Istanbul a refusé à l’avocate Songül Sicakyz de pouvoir prendre la parole en kurde, puisqu’elle pouvait s’exprimer en turc. Il est à noter cependant que les actes de cette cour ont clairement mentionné la langue kurde, que, contrairement à la 6ème chambre de Diyarbakir, elle n’a pas qualifiée « d’inconnue », en justifiant son refus par le fait que les magistrats ne comprenaient que le turc (sans envisager le recours à des interprètes). Depuis, des manifestations de rue ont eu lieu, dans des villes comme Şirnak ou Kars, pour réclamer le droit des Kurdes de prendre la parole dans leur langue maternelle devant les tribunaux et d’être défendus dans cette même langue.
Par ailleurs, le sociologue Ismail Beşikçi, maintes fois condamné durant toute sa carrière pour avoir affirmé l’existence d’un peuple kurde, est maintenant accusé, avec l’avocat Zeycan Balci Şimşek, de propagande pour le PKK, une des preuves retenues contre lui étant l’usage de la lettre Q, qui ne figure pas dans l’alphabet turc et c’est une fois de plus la haute cour criminelle d’Istanbul, 11ème chambre, qui doit trancher. Zeycan Balci Şimşek, directeur de rédaction d’une revue, « Droit et Société contemporaine », publiée par une association d’avocats, est poursuivi pour avoir laissé paraître un article du célèbre sociologue : « Les Kurdes et le droit des nations à l’auto-détermination » ; mais ce qui aggrave le cas de Beşikçi, selon le procureur, c’est que pour écrire Qandil, le nom de la montagne du Kurdistan d’Irak où sont installées les bases du PKK, le sociologue a utilisé la lettre Q et non Kandil, dans sa forme turque. 7 ans et demi de prison ont été requis contre les deux accusés.
Leur avocat, Taylan Tanay a demandé à l’accusation si celle-ci écrivait « New York » ou Nev York, et si le procureur avait l’intention de demander la saisie sur l’ensemble du territoire turc de tous les claviers d’ordinateurs équipé d’un Q, sans obtenir de réponse.
Le 28 octobre la haute cour pénale d’Irak a condamné à la peine capitale trois hauts dignitaires de l’ancien régime, l’ancien ministre de l’Intérieur, Saadoun Shaker, le chef du Bureau de Saddam Hussein, Abed Hamid Hmoud, et l’ancien Vice-Premier Ministre, Tareq Aziz, âgé de 74 ans.
Seul chrétien à figurer dans l’équipe dirigeante du gouvernement Baath, Tareq Aziz s’était rendu de lui-même aux Américains en avril 2003. C’est, jusqu’ici, un des rares proches de l’ancien raïs qui a échappé à la pendaison. Vice-Premier Ministre depuis 1991, après avoir été longtemps ministre des Affaires étrangères, il occupait aussi les fonctions de porte-parole de l’ancien régime irakien, ce qui le fit connaître du grand public à un niveau international, en raison de ses prestations télévisées lors des deux guerres du Golfe. Tareq Aziz avait déjà été condamné à deux peines d’emprisonnement : 15 ans pour avoir participé à l’exécution de 42 commerçants irakiens en 1992, et 7 ans pour son rôle dans le déplacement forcé et massif des Kurdes de Kirkouk, durant les années 1980.
Très vite, de nombreuses voix de dignitaires politiques et de chefs d’État, celle du Vatican et d’ONG, se sont élevées pour demander à ce que cette peine de mort soit commuée, soit en raison de son âge et de son état de santé, soit en raison de sa confession, soit parce que son rôle est jugé assez mineur dans les exactions criminelles du régime de Saddam Hussein.
Le directeur de la Commission pour les droits de l’homme et la démocratie en Irak, Hassan Shaban, a déclaré au site d’information kurde, Aknews, que cette sentence était « sévère et contraire aux principes des droits de l’homme » : « Le code pénal irakien énonce que quiconque est âgé de plus de 70 ans doit échapper à la peine capitale. La décision de la cour fédérale comporte de graves erreurs. Le fils de Tareq Aziz a déclaré à la BBC que ce verdict n’était pas une surprise pour lui, bien que, selon lui, son père fût innocent : « Ils veulent tuer tous ceux qui ont participé à l’ancien gouvernement (…) C’était un politicien, il n’avait rien à voir avec la sécurité ».
Amnesty International a appelé de même les autorités irakiennes à ne pas procéder à ces trois exécutions. « Le gouvernement de Saddam Hussein était synonyme d’exécutions, de torture et d’autres graves violations des droits de l’homme, et il est juste que ceux qui ont commis de tels crimes se retrouvent devant les tribunaux, explique Malcom Smart, directeur du département du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord pour Amnesty International. Cependant, il est d’un intérêt vital que la peine de mort, qui est l’ultime déni des droits de l’homme, ne soit plus jamais utilisée, quelle que soit la gravité d’un crime. Il est temps aussi pour le gouvernement irakien de tourner la page de ce cycle funeste et un pas en avant serait accompli si l’on mettait fin à toutes les exécutions et si l’on commuait toutes les sentences de ceux qui attendent dans les couloirs de la mort, dont nous estimons le nombre à plusieurs centaines. » Amnesty International s’est dit aussi inquiète au sujet de l’indépendance des tribunaux face aux pressions politiques : « Des procès conformes aux critères internationaux sont essentiels et les pressions politiques ne devraient pas être admises pour aucun procès en général, mais tout particulièrement pour ceux qui encourant la peine capitale. »
Le 19 septembre avait eu la célébration d'un office religieux dans l'ancienne église arménienne d'Aktamar. Mais cette église ayant été reconvertie en musée et non redevenue lieu de culte à plein temps, la réaction avait été assez mitigée du côté arménien.
À Diyarbakir, par contre, la rénovation du toit de l'église Sourp Giragos effondré depuis une dizaine d’années, a donné lieu à une réception organisée par la mairie, et le bâtiment doit rester lieu de culte de l’église arménienne. Le maire de Diyarbakir, Osman Baydemir, a déclaré aux rares Arméniens encore présents dans sa ville, ainsi qu'à l'archevêque Aram Atesyan du patriarcat d'Istanbul et à des Arméniens d’Istanbul, venus pour l'occasion : « Cette ville est vôtre autant qu'elle est mienne. Vous avez autant de droits sur cette ville que moi. »
Cette déclaration aura l'heur de faire grincer des dents les ultra-nationalistes turcs pour qui il n'y a de Vatan (patrie) que dans une intransigeante « turcité », et pour qui les chrétiens (grecs, syriaques, arméniens) sont et devraient rester à jamais des « citoyens turcs de nationalité étrangère » (décision n°2 du Tribunal administratif d’Istanbul, datée du 17 avril 1996). Cela pourrait ouvrir aussi le spectre des « revendications territoriales » arméniennes sur les territoires orientaux, en cas de reconnaissance du génocide par la Turquie, à titre de dédommagements. Mais du côté kurde, cela consacre la réhabilitation historique de Diyarbakir, ville multiethnique et multiconfessionnelle et l’affirme dans son combat de pointe pour la reconnaissance de la diversité culturelle, religieuse, linguistique et politique du pays.
Sourp Girago, une fois sa restauration totalement achevée, sera gérée par le patriarcat arménien d’Istanbul. On estime le coût des travaux à 2,5 millions de $.
Le lac d'Urmia est en étendue le second lac salé au monde (après celui de Salt Lake City aux USA), avec une surface d'environ 464 mille hectares et une contenance de 37 milliards de cubes d'eau. Il est long de 135 km, avec une largeur qui varie de 18 à 55 km. Sa profondeur maximale initiale, avant 1995, était de 16 ou 12 m. Il possède aussi 102 îles, niches naturelles pour de nombreuses espèces animales, sédentaires ou migratrices.
Or ce lac salé (à cheval sur Kurdistan et l'Azerbaydjan d'Iran) s'est déjà tari à 60% et les experts estiment que si rien ne change, on peut envisager sa disparition dans les trois ans à venir, voir moins, selon les rapports alarmants de l'Agence d'Urmia pour la protection environnementale. Déjà le taux de salinité est un danger pour la santé de la population vivant sur ses rives et bien évidemment pour la faune. Grands responsables évoqués : les barrages de plus en plus nombreux sur les cours d'eaux alimentant le lac, ainsi que les déchets industriels s'y déversant.
En 1976, l'UNESCO avait pourtant classé ses rives comme une réserve de la biosphère. Mais depuis une quinzaine d'années le niveau des eaux ne cesse de baisser et la sécheresse qui sévit au Moyen-Orient depuis 2 ans n'a rien arrangé. Le niveau des eaux est tombé à 6m de profondeur depuis 1995 et cela ne cesse de s'aggraver. Son taux de salinité est actuellement de 340 grammes par litres (sa norme étant de 200 à 180g) et cette augmentation menace la faune et la flore locale, ainsi que les nombreuses espèces aviaires migratrices : flamands, pélicans, ibis, cigognes, avocettes et goélands. Des espèces mammifères comme les cervidés (le cerf jaune d'Iran) pourraient aussi disparaître de la région. En tout, le lac d'Urmia abrite 212 espèces d'oiseaux, 41 reptiles, 7 amphibies, et 27 espèces de mammifères. C'est aussi le plus vaste habitat naturel pour l'artemia salina, un crustacé qui constitue la nourriture des flamands et d'autres oiseaux migrateurs. L’agriculture et le tourisme étant pareillement menacés, des centaines de villages pourraient être désertés.
Le gouvernement iranien a admis l'évolution dramatique que connaît le lac d'Urmia, mais la commission officielle incrimine plutôt les changements climatiques, ou la présence supposée d'algues pour expliquer la coloration rougeâtre des eaux, tandis que d'autres experts insistent sur la nocivité de l'activité humaine. Ainsi, la construction d'une route longue de 130 km, dont une partie traverse le lac avec un pont de près d'un kilomètre et demi, ainsi qu'un barrage sur ce même lac. Son érection a nécessité un remblai de plusieurs millions de tonnes de terre et de pierres, prélevées dans les montagnes avoisinantes, qui empêcherait l'écoulement naturel des eaux. Inauguré en 2008, ce pont, a coûté 120 millions de dollars US. Il permet de rallier plus rapidement Urmia à Tabriz, la capitale de l'Azerbaydjan iranien. Un élargissement de cette route est d'ailleurs prévu ainsi que la construction d'un chemin de fer.
Près de 2 millions de dollars ont été alloués pour sauver le lac. Parmi les mesures projetées : l'ensemencement des nuages, une meilleure utilisation des eaux souterraines avoisinants le lac, une refonte du système d'irrigation des terres agricoles.
Le chanteur kurde Hama Jaza, artiste très populaire au Kurdistan d’Irak et ancien peshmerga, est mort à Suleïmanieh, le 30 septembre dernier. Il était âgé de 61 ans.
Né en 1949, Mohammad Hama Jaza s’était rendu célèbre dès les années 1970 par ses chansons patriotiques soutenant la résistance kurde, et poursuivant ses activités de combattant et d’artiste tout au long des années 1980 et 1990, avant d’émigrer avec sa famille au Danemark, où il n’a cessé de chanter. Il s’est alors produit dans plusieurs pays européens, aux USA et au Canada.
Revenu au pays depuis quelques années, il a fini par succomber au cancer dont il souffrait depuis deux ans, et est mort à Suleïmanieh, où il a été enterré, au milieu d’une foule d’admirateurs venus lui rendre hommage, de responsables gouvernementaux et d’ONG.