Le 21 décembre, les députés irakiens ont enfin approuvé la formation d’un nouveau gouvernement, mené par le Premier Ministre Nouri Al-Maliki, après 9 mois de négociations entre les différents blocs parlementaires issus des élections du 7 mars 2009, qui avaient amené au coude à coude chiites et sunnites.
Le nouveau cabinet comprendra 42 ministères dont 29 sont pour le moment pourvus et a dû composer avec tous les mouvements politiques irakiens pour maintenir une coalition viable, ce qu’a reconnu lui-même Nouri Al-Maliki : « La tâche la plus difficile au monde est de former un gouvernement d’union nationale dans un pays où il y a une telle diversité ethnique, religieuse et politique. » Ainsi le nouveau gouvernement comprend des représentants de toutes les factions politiques parmi les chiites, les sunnites (dont la liste rivale de Maliki, Al Iraqiyya) et les Kurdes.
Parmi les 13 postes non encore pourvus définitivement, la Défense, la Sécurité intérieure et extérieure, et le contrôles des forces irakiennes, seront attribués prochainement à des « personnalités indépendantes », c’est-à-dire non soupçonnées d’œuvrer pour le compte de pays voisins ou bien trop hostiles à l’une des factions irakiennes. Ainsi le camp sadriste s’est inquiété de la possible nomination de figures politiques hostiles à leur mouvement. D’autres députés auraient aussi souhaité que la totalité des 42 postes puissent être soumis au vote. En attendant, c ‘est le Premier Ministre qui en assure les fonctions, ce qui ne plaît guère aux parlementaires, comme l’explique le député kurde Mahmoud Othman : « Un accord doit être trouvé concernant tous les postes ayant en charge la sécurité. Pourquoi ceux-ci restent-ils vacants, à la charge du Premier Ministre et ce pour un temps indéterminé ? »
Les trois adjoints du Premier Ministre sont le Kurde Roj Nouri Shawis, le sunnite Saleh al Mutlaq et l’ancien ministre du Pétrole, Hussein Al-Sharistani, dont le bilan en matière de gestion des énergies et des hydrocarbures avait été pourtant souvent critiqué par l’opinion irakienne, et dont les rapports avec le gouvernement kurde, cette fois au sujet de la gestion par la Région du Kurdistan de ses propres ressources, ont toujours été plus que tendus. Enfin, ces nominations mécontentent aussi les sadristes (qui détiennent 40 sièges sur 325 au Parlement) qui espéraient ce poste pour un des leurs, bien qu’ils aient obtenu 8 des 10 autres ministères qu’ils réclamaient.
Composition provisoire du gouvernement irakien :
Nouri Al-Maliki, 60 ans, chiite, est reconduit dans ses fonctions de Premier Ministre qu’il occupe depuis 2006.
Jalal Tabalani, 77 ans, une des figures majeures de la politique kurde, est reconduit à la présidence de l’Irak.
Osama Al-Nujaifi, 54 ans, sunnite, devient président du Parlement. Avec son frère, le gouverneur de Ninive-Mossoul, il est l’un des principaux leaders sunnites du nord de l’Irak, connu pour sa ligne nationaliste et son opposition aux Kurdes.
Les 3 Vice-Premier Ministres :
– Saleh Al-Mutlaq, 64 ans, sunnite. Proche des anciens du Baath il avait été interdit de se porter candidat aux dernières élections, mais a finalement été réintégré dans la vie politique irakienne lors des accords finaux.
– Roj Nouri Shawiss, 64 ans, Kurde, issu du PDK, ancien Premier Ministre du Kurdistan ; il a exercé la vice-présidence de l’Irak sous le gouvernement Jaffari et ce poste de vice premier ministre entre 2005 et 2009. Il assure aussi, provisoirement, les fonctions de ministre du Commerce.
– Vice-premier ministre pour l’Énergie : Husseïn Al-Sharistani, 69 ans, chiite, ancien ministre du Pétrole.
Ali Al-Dabbagh reste porte-parole du gouvernement, Pour les principaux ministères, la Défense, la Sécurité nationale et l’Intérieur sont provisoirement gérés par le Premier Ministre. Aux Finances, est nommé Raffi Al-Issawi, un sunnite de la liste al-Iraqiyya. Aux Affaires Étrangères, le Kurde Hosyar Zebarî (du PDK) est reconduit à son portefeuille et assure en intérim le ministère des Affaires féminines. Le nouveau ministre du Pétrole est le chiite Abdul Karim Luabi, de la liste État de droit.
Pour les autres postes, Dindar Nejman, de l’Union islamique du Kurdistan, prend la tête du ministère de l’Immigration et des personnes déplacées. Majid Mohammed Amin, issu de l’UPK, devient ministre de la Santé. Le ministère des ONG doit revenir à un candidat de l’Alliance kurde.
Au Conseil national des stratégies politiques, nouvelle institution formée pour intégrer à la tête de l’Irak le rival d’Al-Maliki, Iyad Allawi assure la présidence.
La question du référendum sur le sort de Kirkouk et d’autres territoires disputés continue d’éroder la confiance de la population dans le gouvernement central irakien. D’autant que l’une des étapes préparatoires à la tenue du référendum, le recensement de la population, vient d’être à nouveau reportée. Initialement prévu pour le 5 décembre 2010, le Conseil des ministres a décidé en effet, le 30 novembre, de repousser le recensement général de la population irakienne, ce qui a satisfait les partis arabes et turkmène de Kirkouk qui craignent de voir ainsi entérinée la domination démographique des Kurdes dans cette province.
Ces mouvements opposés au rattachement accusent en effet les Kurdes d’avoir artificiellement gonflé leur population, que ce soit en falsifiant les registres électoraux, en installant en masse des réfugiés ou en expropriant des Arabes et des Turkmènes. Mais Turhan Al-Mufti, qui représente les Turkmènes au Conseil provincial, affirme ne pas contester le principe même du recensement, mais souhaite en faire, curieusement, un outil de « consensus » visant à satisfaire toutes les communautés dans une perspective égalitaire, ce qui sera sans doute, mathématiquement difficile à réaliser : “Nous, les Turkmènes avons combattu ces cinq derniers mois pour retarder le recensement, afin qu’il soit mené de façon plus correcte, de sorte qu’il réponde aux demandes de chacun. »
Le 14 décembre, un comité spécialement formé pour mettre en place le recensement à Kirkouk a tenu sa première réunion, à laquelle assistaient le gouverneur de Kirkouk, le président du Conseil provincial, le directeur du Bureau de recensement, le Bureau de l’Éducation de la ville, le commandant militaire de la 12ème division, le commandant de la 1ère Brigade des gardes de Kirkouk, des représentants du Bureau de la reconstruction ainsi que des responsables des forces armées américaines. Des députés de l’Alliance du Kurdistan, étaient présents mais aucun représentants des partis arabes et turkmène. Les débats ont porté sur les mesures de sécurité et l’organisation du recensement, assuré par le Bureau de recensement de Kirkouk. Les fonctionnaires chargés du recensement ont exprimé une volonté optimiste de mener à bien leur tâche. Adnan Baba, directeur du Comité, a déclaré au journal Aswat al Iraq être prêt pour cela, une fois que ses cadres auront achevé une formation spéciale dans ce domaine.
Najmaddin Karim, député au parlement irakien pour la liste de l’Alliance du Kurdistan, a accordé un entretien au même journal, dans lequel il indique que des préparatifs techniques et portant sur la sécurité ont été mis en place dans la province, en soulignant que ce recensement n’était pas une « demande kurde », mais qu’il allait servir les intérêts de tous les Irakiens. Commentant l’absence à cette réunion de la liste Al-Iraqiyya, le député kurde a indiqué que cette absence ne pouvait affecter le travail des réunions, mais qu’il espérait que les élus arabes assisteraient aux prochains débats, « puisque ni les Arabes ni les Turkmènes ne soutiennent le boycott du recensement. » Pour sa part, une autre députée kurde, Aala Talabani, a souligné que « la formation d’un comité spécial pour le recensement avait été en partie décidée en réponse aux demandes des Arabes et des Turkmènes. C’est pourquoi l’absence de nos collègues d’Al-Iraqiyya n’est pas une attitude très normale. Les blocs arabes et turkmènes, d’après leurs propres déclarations, ont souhaité participer au processus de recensement, mais les députés d’Al-Iraqiyya, qui représentent les Arabes et les Turkmènes de Kirkouk, n’ont pas assisté à la réunion, bien qu’ils eussent dû le faire. Ils représentent en effet non pas leurs propres personnes mais leur liste parlementaire, surtout qu’il y a eu un accord avec cette liste et le comité du recensement. »
Un député d’al-Iraqiya, Umar al-Jibouri, a justifié cette absence par un ‘déséquilibre’ des représentants de chaque ethnie de Kirkouk dans le Comité, même si les députés arabes et turkmènes de Kirkouk membres d’al-Iraqiyya avaient auparavant été informés de la façon dont le comité de recensement se formerait, par une ordonnance du ministère de la Planification : 3 députés de l’Alliance kurde, 2 députés arabes et un Turkmène.
Dans le même temps, le 10 décembre, se tenait le Congrès général du Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par Massoud Barzani. Devant 1300 membres et un large panel d’invités, dont le prédisent irakien Jalal Talabani, le Premier Ministre Nouri Al-Maliki, le président du Parlement d’Irak, Osama Al-Nujaifi et le Président du Conseil de Sécurité, Iyad Allawi, une délégation officielle turque dirigée par Abdulkader Aksu, l’un des adjoints du Premier Ministre Erdogan, le président du Kurdisan a rappelé le droit à l’autodétermination des Kurdes au cas où leurs demandes resteraient ignorées de la capitale, notamment le référendum des régions revendiquées par les Kurdes, réaffirmant que l’identité kurde de Kirkouk n’était pas « matière à marchandage ». Massoud Barzani a par ailleurs réaffirmé que le gouvernement de Kirkouk ne pouvait être unilatéral et que toutes les communautés devaient y être représentées.
Ce rappel solennel, traduisant le sentiment général des congressistes, a été largement applaudi, et aucun des invités arabes et turcs n’y a réagi, alors que les media arabes y ont donné un large retentissement. Bien que l’évocation du droit à l’autodétermination des Kurdes ne soit pas une nouveauté dans la bouche de Massoud Barzani, et bien que les officiels irakiens présents au meeting n’aient pas semblé en prendre ombrage, ces simples mots ont en effet enflammé la presse arabe, et des mouvements politiques irakiens, qui y ont vu la menace brandie d’une future « indépendance ». « Le droit à l’autodétermination concerne les peuples vivant sous occupation, et ce n’est pas le cas du Kurdistan, qui a un statut spécial en Irak », a protesté un député de la liste Iraqiyy, Alia Nusayaf. « Je me demande donc si les Kurdes ont demandé le fédéralisme avant tout pour se séparer ensuite de l’Irak. C’est une honte que parmi tous les politiques présents aucun ne se soit levé pour protester. »
Même son de cloche chiite, surtout parmi les partisans du mouvement sadriste. Ainsi, Jawad al-Hasnawi, un député de la liste chiite, considère qu’une telle déclaration ne peut qu’attiser les tensions : « Je pense qu’un Irak qui s’étend de Zakho (ville kurde à la frontière nord) à Basra est bien mieux qu’un Irak divisé. » Mais le Premier Ministre du Kurdistan, Barham Salih, a rappelé que Massoud Barzani n’avait fait qu’exprimer le sentiment général des Kurdes, en rappelant que cela ne signifiait pas forcément une déclaration d’indépendance : « Il y a, parmi les Kurdes, un consensus sur le fait que leur droit à l’autodétermination est légal, légitime. Quand nous avons appuyé un Irak fédéral, nous avons dit que c’était une forme d’autodétermination et nous n’avons jamais renoncé à ce droit. » Deux jours après le congrès, le neveu de Massoud Barzani, l’ancien Premier ministre Nêçirvan Barzani, a expliqué que le « droit à l’auto-détermination » ne signifiait pas que les Kurdes avaient, pour le moment, la volonté de se séparer de l’Irak. « Les Kurdes ont le droit à l’auto-détermination, mais nous avons décidé de rester dans un Irak uni. La déclaration du président Barzani a été mal comprise. Si nous avions opté pour l’indépendance, nous l’aurions annoncé, mais nous n’avons rien décidé de tel. Nous voulons rester dans un Irak uni et fédéral (…) L’auto-détermination est un droit naturel du peuple kurde, mais avec ce que nous avons obtenu en 2003 dans le nouvel Irak a fait que nous avons décidé de rester dans un Irak fédéral. »
Quelques jours plus tard, Massoud Barzani est revenu lui-même sur ses déclarations, mais sans reculer d’un pouce sur ce qu’il répète depuis le début de sa présidence : le maintien de la Région kurde au sein de l’Irak dépend du respect par le gouvernement central de sa constitution et que les Kurdes « resteraient dans un Irak fédéral, mais pas dans une dictature. « Des gens ont dit : les Kurdes veulent leur indépendance, laissons-les donc partir pour de bon. Mais nous répondons ceci : L’Irak est à nous, c’est notre pays. Mon message à nos frères arabes, sunnites ou chiites, à nos amis et alliés, est le suivant : Nous nous sommes engagés envers un Irak fédéral et démocratique, envers sa constitution. Mais nous ne sommes pas prêts à rester dans un Irak dominé par le chauvinisme. Les Kurdes sont une nation et par conséquent ont le droit à l’autodétermination. Le parlement kurde a décidé de rester, mais à une condition : l’Irak doit être un État fédéral. »
Le 10 décembre, l’Institut kurde de Paris a mis en ligne sa bibliothèque numérique, sur son site. La bibliothèque numérique est constituée d'écrits sur les Kurdes et le Kurdistan. Elle a pour but de mettre le patrimoine culturel kurde en données numérisées. La bibliothèque est conçue comme une collection patrimoniale et encyclopédique, la bibliothèque numérique offre au lecteur des données consultables par tous publics. Un large champ chronologique peut couvrir la plupart des domaines : sciences et histoire des sciences, économie, droit, politique, philosophie, littérature et récits de voyages, histoire et ethnologie. Le lecteur, du simple curieux à l'étudiant et au chercheur, pourra y trouver dans des éditions d'époque, des textes de référence, périodiques rares, ... jusqu'alors difficiles d'accès. Le site est interrogeable par des accès bibliographiques indexés ; la bibliothèque numérique offre aussi la possibilité de recherches en texte intégral sur les tables des matières des livres et des périodiques. La chronologie thématique donnera une vue d'ensemble de cette bibliothèque numérique et offre au lecteur une autre voie d'accès aux collections. Une présentation générale des fonds comportant aussi des liens hypertexte ajoutera un autre mode de navigation, notamment pour les non-spécialistes.
Les collections de textes numérisés sont majoritairement choisies parmi les textes appartenant au domaine public. Elles forment une bibliothèque encyclopédique de sciences humaines et sociales comportant des textes originaux, des éditions critiques, des ouvrages de référence et des séries de périodiques importants pour la recherche ou difficilement accessibles. Les contenus accessibles sur le site www.bnk.institutkurde.org sont pour la plupart des reproductions numériques d'œuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnK ou pour certaines des bibliothèques numériques libres d’accès.
Initialement, le projet se limitait à la numérisation des œuvres les plus importantes de la bibliothèque de l’Institut. Mais après une vaste consultation des usagers il a été convenu d’étendre substantiellement le projet aux 12.000 œuvres en 25 langues et aux milliers de documents de la bibliothèque de l’Institut kurde de Paris. Le projet ainsi actualisé était planifié sur 3 ans de réalisation. Malgré les difficultés techniques rencontrées et la réduction du nombre de bénévoles, un travail important a été réalisé en 2002 sur le projet de bibliothèque numérique.
La base de données de la Bibliothèque Numérique est créée en MySql. La création de cette base est terminée et elle peut donc recevoir les monographies. Un travail important de numérisation avait été réalisé: tous les bulletins mensuels d’information publiés depuis juillet 1983 à octobre 2010 par l’Institut kurde étaient numérisés.
Actuellement, ces bulletins représentent plus de 300 numéros, soit environ 50.000 pages au total. Les publications numérisées sont réparties en 15 thèmes : Art, dictionnaires, économie, généralités, histoire, linguistique, littérature, mémoires, musique, philosophie, poésie, politique, religion, sociologie, thèses.
L’exécution d’un étudiant kurde iranien, Habibollah Latifi, qui devait avoir lieu le 26 décembre, a été reportée, après une campagne d’ONG et de journaux kurdes pour réclamer que son procès soit révisé. Peut-être, de façon plus décisive, l’intervention du président de l’Irak, le kurde Jalal Talabani, pour demander sa grâce, a-t-elle été prise en compte par le gouvernement iranien, selon le journal kurde Awene.
Mais le fait que l’exécution soit reportée ne signifie pas que le prisonnier ne puisse être exécuté ultérieurement. Habibollah Latifi a été condamné en tant que ‘moharebeh’, ennemi de Dieu, ce qui entraîne automatiquement la peine de mort, par la Cour révolutionnaire de Sanandaj (capitale de la province du Kurdistan en Iran) pour appartenance au PJAK (branche iranienne du PKK). Le 25 décembre, plus de 200 personnes, militants de partis politiques, membres d’association, journalistes, avaient manifesté dans la ville kurde de Sulaïmanieh pour protester contre l’application de la sentence.
À Paris, très tôt le 26, une vingtaine de personnes se sont rassemblées devant l’ambassade iranienne, certains s’enchaînant devant les grilles. Amnesty International et Human Rights Watch avaient appelé les autorités iraniennes à commuer la peine de mort en prison à perpétuité.
Le directeur du département d’Amnesty International pour le Moyen-Orient, Malcolm Smart, a mis en doute la régularité du procès, ainsi que Joe Stork, adjoint à la direction Moyen-Orient de Human Rights Watch : « Il est clair que Habibolah Latifi n’a pas eu un procès régulier selon les critères internationaux. Les circonstances entourant l’arrestation de Latifi, sa détention et sa condamnation suggèrent fortement que les autorités iraniennes ont violé ses droits fondamentaux. Habibollah Latifi est actuellement détenu à la prison de Sanandadj. Plusieurs sources indiquent qu’il souffre d’infection intestinale, de problèmes cardiaques et d’insuffisance rénale.
Habibollah Latifi a été arrêté le 23 Octobre 2007 et amené à la prison de Sanandadj. Les rumeurs de sa prochaine exécution courent depuis le 7 juin dernier.
Sa famille a plusieurs fois demandé sa grâce, mais en vain. Le 27 décembre, des forces de sécurité iraniennes ont même opéré un raid à leur domicile, confisquant quatre ordinateurs et plusieurs documents. Ils ont aussi arrêté trois des sœurs du condamné, trois de ses frères, son père et sa belle-sœur. La plus jeune de ses sœurs, âgée de 10 ans, a, quant à elle, reçu du gaz poivre et perdu conscience plusieurs heures. Elle n’a depuis aucune nouvelle des membres de sa famille emmenés dans un lieu de détention inconnu.
D’autres informations indiquent que des personnes ayant soutenu la famille dans leurs démarches pour sauver Habibollah Latifi ont aussi été arrêtées, dont des journalistes et des militants. Une liste provisoire de noms circule : Abbas Latifi (père de l’accusé), Iraj Latifi (frère de l’accusé), Eqbal Latifi (frère de l’accusé), Shahin Latifi (sœur de l’accusé), Elahe Latifi (sœur de l’accusé), Bahar Latifi (sœur de l’accusé), Jiyan Matapour (belle-sœur de l’accusé), Simin Chaichi (poète et écrivain), Hamid Malek Alkilany (militant pour la défense de l’environnement), Saeed Saadi (journaliste), Mahmoud Mahmoudi (journaliste), Jiyan Zafari (ancien prisonnier politique), Wahid Majidy (ancien prisonnier politique), Zahid Moradian (militant), Hashem Rostami (militant), and Pedram Nasrolahi (militant). On signale aussi la disparition d’un étudiant militant, Mokhtar Zarei.
Cette vague d’arrestations pourrait être une nouvelle tactique de la part des autorités iraniennes, visant à intimider l’entourage des condamnés afin d’empêcher les campagnes internationales pour les sauver et les informations d’être diffusées hors d’Iran. C’est en tout cas l’avis de Mahmood Amiry-Moghaddam, porte-parole d’Iran Human Rights : « Nous ne devons pas oublier que l’exécution de M. Latifi n’a été que reportée et nous ne savons pas pour combien de temps. Il est possible que les membres de sa famille aient été arrêtés afin de les faire taire quand les autorités vont procéder à l’exécution. »
Mais ces arrestations n’ont pas empêché d’autres manifestants de se rassembler devant le tribunal et la prison de Sanandadj, en demandant des nouvelles des personnes détenues. En réponse, les forces de sécurité ont cerné la ville, tandis que les communications par téléphone et Internet étaient très ralenties. De nombreux prisonniers kurdes attendent ainsi dans les couloirs de la mort, en Iran. Douze d’entre eux sont condamnés pour appartenance au PJAK. En novembre 2009, l’exécution d’un autre activiste kurde, Shirkouh Moarefi, a été annoncée, puis reportée.
The Institute of Race Relations basé à Londres a récemment publié un rapport sur les populations refoulées de l’Union européenne. Parmi elles, le nombre des Kurdes de Syrie ne cesse de s’accroître, bien que beaucoup d’entre eux aient été forcés de fuir ce pays en raison de leurs activités politiques.
Les Kurdes de Syrie ont défrayé la chronique dès le début de l’année 2010, avec l’arrivée sur les plages corses d’une centaine d’immigrés clandestins, dont la majeure partie était kurde. Cette même année s’est conclue tragiquement sur le suicide d’un autre Kurde de Syrie, dont la demande d’asile avait été déboutée par le Damemark.
Mais entre ces deux événements médiatisés, il y a eu bon nombre de grèves de la faim, des jugements, des arrestations et des expulsions qui n’ont pas fait les gros titres des journaux. La Convention européenne des droits de l’homme (ECHR) s’engage pourtant à protéger toute personne risquant, dans son pays, d’être soumise à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. La Convention considère même que l’accusation ou les preuves de terrorisme pesant sur un demandeur ne justifie pas son expulsion si cela lui fait encourir le risque de mauvais traitements.
Malgré cela, les Kurdes de Syrie, ressortissants d’un pays régulièrement montré du doigt pour ses violations des droits de l’homme, et dont la lutte politique reste pacifique, sont régulièrement la cible d’arrestations et d’expulsion sans que leur situation soit prise en compte, accusent de nombreuses ONG. Or, Jawad Mella, président de la Western Kurdistan Association de Londres, rappelle qu’une personne ayant demandé l’asile et ayant, par ailleurs, milité pour les droits des Kurdes, sera fatalement condamnée, à son retour en Syrie, à un nombre d’années ‘illimité’ de prison.
Le rapport de l’ Institute of Race Relations (IRR) passe en revue plusieurs pays membres de l’UE où des Kurdes de Syrie ont déposé une demande d’asile.
En France, le 22 janvier 2010, un navire a débarqué en Corse, à Bonifacio, avec 123 passagers, la plupart des Kurdes de Syrie : il y avait en tout 57 hommes, 29 femmes dont 5 étaient enceintes et 38 enfants. Ils ont été emmenés par les autorités françaises dans 5 centres de rétention dispersés dans tout le pays : Marseille, Lyon, Rennes, Nîmes and Toulouse. Le 26 janvier, les juges saisis des dossiers ont déclaré l’un après l’autre que la détention des réfugiés était illégale et ordonné qu’ils soient relâchés afin qu’ils puissent déposer leur demande d’asile. La plupart d’entre eux ont très vite quitté la France pour l’Angleterre, ce qui a entraîné une certaine protestation de la part de politiques anglais, accusant la France de se débarrasser une fois de plus de ses clandestins en les laissant gagner la Grande-Bretagne.
En Norvège, le 19 août 2010, Abdulkarim Hussein, un Kurde syrien originaire d’Alep, né en 1959, a été expulsé de force vers la Syrie. Il avait demandé l’asile politique en 2006. Jan Erik Skretteberg, de l’association SOS Rasisme en Norvège, avait alors déclaré qu’Abdulkarim Hussein était en danger de mort, ayant à la fois travaillé pour SOS Rasisme et étant aussi le vice-président de l’Association des Kurdes de Syrie en Norvège, en plus d’avoir milité activement pour les droits de l’homme dans son pays et d’y avoir déjà été arrêté et torturé. De fait, dès son arrivée à Damas, Abdelkarim Hussein a été arrêté par les autorités syriennes et transferé à la prison Al Fayha Prison, contrôlée par une des branches de la Sécurité syrienne. Là, il a été placé en isolement, menacé, battu, a eu les testicules écrasées. Le 2 septembre, Abdelkarim Hussein a été relâché sans qu’aucune accusation n’ait été portée contre lui. Moins d’une semaine plus tard, il a pu fuir la Syrie en passant en Turquie et le 8 septembre, a demandé une protection internationale auprès du Haut Commissariat aux Réfugiés. Plusieurs personnes en Norvège réclament actuellement que ce pays lui accorde enfin l’asile.
À la mi-mai 2010, la communauté kurde a mené à Chypre une campagne de protestation, en observant une grève de la faim et en dressant des tentes autour du ministère de l’Intérieur, afin d’attirer l’attention sur la situation des Kurdes en Syrie et d’obtenir l’asile politique pour les réfugiés. Au bout de 4 semaines, la police chypriote a opéré un raid sur le campement, a arrêté les manifestants et en a placés 149 en centres de détention. Sur 42 mineurs, seulement un peu plus d’une dizaine ont été relâchés avec leurs familles. 82 Kurdes étaient en séjour illégal dans l’île, après le rejet de leur demande d’asile et tombaient sous le coup d’une extradition, ce qui se produisit le 11 juin pour 37 d’entre eux. L’Organisation kurde de défense des droits de l’homme et des libertés publiques en Syrie (DAD), a rapporté en octobre dernier que les services de sécurité syriens avaient arrêté 3 de ces Kurdes renvoyés en Syrie : Rakan Elias Junbuli (arrêté 5 mois après son retour), Mohammed Sheffa Junbuli (arrêté un mois après son retour), Hassan Elias Junbuli (arrêté une semaine après son retour). Hassan Junbuli était, en octobre, toujours détenu par les services syriens, Mohammed et Rakan Junbuli étaient détenus à la prison centrale de Hassaké.
Même quand ils retournent volontairement en Syrie, ces Kurdes encourant des poursuites judiciaires. Ainsi, Faiz Adnan Osman et sa femme, revenus de leur plein gré de Chypre en août dernier, ont été arrêtés tous les deux à leur retour à Damas. Adla Osman fut rapidement libérée mais son mari était toujours en détention en novembre 2010. Les services syriens l’accusent d’avoir participé aux manifestations de Nicosie. Plusieurs informateurs indiquent que Faiz Adnan aurait été torturé.
Le 4 décembre 2010, la Direction de la Sécurité politique de Hassaké a arrêté Ciwan Yusuf Muhammad (né en 1982). Ciwan Muhammad avait été extradé de Chypre en juin 2010, avec 26 autres Kurdes. Il avait dû remettre son passeport aux autorités de l’aéroport de Damas. Il est depuis son arrestation interrogé par différents services.
Au Danemark, 28 Kurdes ont entamé une grève de la faim le 14 septembre 2010, devant le Parlement. L’un d’eux a déclaré à la presse : « Si vous aviez été dans une prison syrienne, vous feriez tout ce qui est possible pour ne plus jamais y retourner. » Au bout de trois semaines il a été mis fin à la grève, à la fois pour des raisons de santé, plusieurs des grévistes ayant dû être hospitalisés, mais aussi parce que les forces de sécurité syriennes ont commencé à harceler et menacer leurs familles restés sur place, d’après un reportage de la chaîne kurde Roj TV.
Le 22 septembre 2010, Adnan Ibrahim a été expulsé en Syrie après avoir passé 18 mois au Danemark où vivent les deux-tiers de sa famille. La sœur d’Ibrahim, Golzar, a indiqué n’avoir plus de nouvelles de son frère depuis qu’il a été remis par la police danoise à la police syrienne de l’aéroport de Damas. Le 15 novembre 2010, Abid Mohammed Atto, né en 1982, a été expulsé, bien qu’un groupe de militants danois ait tenté d’empêcher son embarquement à l’aéroport. Né en 1982, c’est un Kurde ‘sans-papier’ de Dêrik. Il a été mis en détention dès son arrivée en Syrie par une section des services de sécurité. Il avait fui ce pays en août 2009. Enfin, un des cas les plus tragiques est celui de ce Kurde de 26 ans, Ramazan Hajji Ibrahim, qui s’est suicidé au centre des demandeurs d’asile d’Auderød. Son entourage affirme qu’il craignait ce qui l’attendait en Syrie après que sa demande d’asile avait été rejetée. Paradoxalement, ce Kurde n’était extradable que de son vivant, et sa famille n’a pu récupérer le corps : le rapatriement, assuré par des organisations kurdes, a été refusé par les autorités syriennes, le défunt étant officiellement apatride ! Il a donc été inhumé à Copenhague, le 18 décembre et c’est l’Association culturelle kurde qui s’est chargé des funérailles.
En Suisse, Sarbast Kori a entamé le 22 novembre une grève de la faim dans la prison de Thum, où il était détenu, pour protester contre sa prochaine extradition. Il a été hospitalisé dix jours après, à Berne, après avoir perdu conscience. Il souffre aussi de traumatismes psychologiques, en partie dus à sa peur de retourner en Syrie.
En Allemagne, le 3 avril 2010, Anwar Daqouri, demandeur d’asile, a été arrêté par la police allemande et transféré en centre d’expulsion, devant être extradé dans un délai de trois mois. Farouk Al-Issa, un autre Kurde de Syrie, a lui aussi été arrêté en Allemagne le 21 juin 2010 et détenu au centre de Hanovre, en attendant d’être extradé. Réfugié en Allemagne depuis 2004, sa demande d’asile a été rejetée.
Jalal Barzanji, poète et journaliste kurde, doit publier prochainement la traduction anglaise du récit de son emprisonnement dans les geôles de Saddam Husseïn, sous le titre The Man in Blue Pyjama : Prison Memoirs in The Form of A Novel.
Une première version écrite en kurde en 2007 a été révisée, remaniée et traduite et paraîtra en avril 201, publié par l’Université of Alberta Press (Canada). « C’est le récit d’une partie de ma vie que j’ai gardé des années dans mon cœur et ma mémoire, Il m’a été un peu dur de revenir à ces souvenirs, car ce sont de mauvais souvenirs. D’un autre côté, je veux mettre ces souvenirs par écrit, je veux partager ce qui arrive aux gens, aux écrivains quand ils écrivent sur la paix, la beauté et le désir humain. Je veux raconter mon histoire, sans porter de jugement. Seulement la vérité que raconte mon cœur. Deuxièmement, je veux montrer le pouvoir des mots et comment, quand j’étais en prison, ils m’ont donné la force de résister. »»
C’est ainsi que l’auteur résume les trois années passées en prison, de 1986 à 1989, pour ses activités littéraires et journalistiques sous le régime de Saddam. Ni la torture ni la privation de liberté ne lui feront d’ailleurs renoncer à écrire et durant trois ans, il va rédiger clandestinement des textes sur du papier passé en fraude. « Si je n’avais pas écrit, j’aurais eu un sentiment de perte. Écrire fait partie de ma vie et de ma spiritualité. » Son emprisonnement n’avait pas surpris Jalal Barzanji, qui s’attendait même à être exécuté : « Le régime était contre la liberté et je réclamais la liberté. Je n’étais pas un adepte de l’idéologie et de la mentalité du régime. Mon fardeau était double : J’étais un écrivain moderne et un Kurde …Je vivais dans la peur car je savais faire quelque chose de dangereux, en parlant de paix, de démocratie, de liberté. »
Un soir de 1986, un groupe de militaires a enfoncé la porte de son domicile et l’a emmené en pyjama, yeux bandés et menotté. Il est resté au secret, dans une petite cellule, durant un temps indéterminé. Il a ensuite été transféré dans une cellule plus grande, partagée avec 15 autres prisonniers. Avec la complicité d’un gardien de la prison, qui lui fournissait clandestinement des morceaux de papiers et un crayon, Jalal Barzanji a continué d’écrire, cette fois des lettres à sa femme, où il raconte en détail sa vie de prisonnier, ainsi que celle des autres.
Barzanji fut gracié au bout de trois ans et relâché, à l’occasion des célébrations de l’anniversaire de Saddam. Tout en restant surveillé, vivant dans la peur, il continue d’écrire. En 1991, après le soulèvement du Kurdistan et le retrait des forces baathistes, on lui demande d’être le rédacteur en chef d’une revue kurde. En 1996, lors du retour très provisoire des forces de Saddam au Kurdistan, il fuit en Turquie avec sa famille et demande un statut de réfugié auprès du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU.
Il parvint à émigrer au Canada en 1998 et s’installe dans la ville d’Edmonton. Là, il aide à fonder l’Association des amitiés kurdo-canadiennes et la Société d’entraide aux immigrés d’Edmonton. En 2007 Barzanji est retenu pour bénéficier d’un fonds alloué par le PEN club du Canada pour soutenir des écrivains en exil ayant fui les persécutions dans leur pays. Cela lui permet de relancer sa carrière d’auteur, cette fois au Canada, et d’achever la première version de The Man in the Blue Pyjamas.
Jalal Barzanji est né dans un petit village en 1953, où, en raison de son éloignement, il n’y avait pas d’école, jusqu’en 1960. L’auteur le décrit cependant comme un lieu paisible au milieu de belles montagnes » et dit que c’est là qu’il a appris la « simplicité et la beauté de la vie », et aussi en écoutant les histoires que les villageois racontaient au coin du feu l’hiver ou sur les toits des maisons l’été. C’est en écoutant qu’il a commencé de rêver à des choses qu’il n’avait jamais vues. Mais cela prit fin quand, une nuit, les forces irakiennes bombardèrent le village et forcèrent ses habitants à fuir. Sa famille émigra à Erbil où, dit-il, c’est là qu’il vit des voitures pour la première fois de sa vie. À l’université, il lut les auteurs étrangers qui lui donnèrent l’envie d’écrire à son tour.
En 1979, il publie son premier recueil de poèmes, Chute de neige au crépuscule. Quant à son deuxième recueil de poésie, Sans chaleur, paru en 1985, il le mena tout droit en prison. Ses autres publications, toutes parues au Kurdistan d’Irak, sont Guerre (1996); Pluie bénie (2002, Kurdish Ministry of Culture); Mémoires sous le vent (2006) et Retour au lieu de ma naissance (2007).