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Bulletin N° 310 | Janvier 2011

 

 

KURDISTAN D’IRAK : CAMPAGNE DE GRANDE AMPLEUR CONTRE l’EXCISION

Depuis quelques années, des ONG – kurdes et étrangères – mènent, avec le soutien du Gouvernement Régional kurde, une campagne contre l’excision, pratiquée dans les régions les plus méridionales du Kurdistan, alors que cette pratique est inconnue dans le nord et l’ouest du Kurdistan. En même temps qu‘un travail d’information et de prévention, des équipes d’enquêteurs ont sillonné les trois gouvernorats pour connaître les chiffres exacts de cette pratique, ainsi qu’à Kirkouk.

Après un rapport de Human Rights Watch en juin 2010, le Premier Ministre kurde Barham Salih avait publiquement exprimé son opposition à l’excision. Le 11 décembre dernier, une enquête officielle menée par un groupe de médecins sur un échantillon de 5112 femmes, avait établi que 41% étaient excisées. Une ONG, Wadi, avait auparavant mené une enquête dans l’ensemble des régions et avait constaté une baisse des chiffres selon l’âge des femmes. Pour les régions de Sulaïmaniye, Erbil et Garmiyan (Duhok n’étant pas touché), sur 1408 femmes, 72.2 % étaient excisées. Mais parmi ce groupe, on observe que les femmes de moins de 20%, ont 57% d’excisées, tandis que celles de plus de 58 ans en sont à 95.7%, ce qui confirme l’opinion généralement exprimée parmi les Kurdes qu’il s’agit d’une tradition vouée à disparaître de plus en plus. Une enquête récente de l’ONG WADI a eu lieu à Kirkouk – hors Région du Kurdistan, donc –dans des conditions plus difficiles en raison de la situation politique de Kirkouk et du peu d’entente entre le GRK et le gouvernement central.

Kirkouk est aussi considéré comme un laboratoire d’observation intéressant car regroupant d’autres ethnies irakiennes, ce qui permettrait d’évaluer la possibilité que l’excision en Irak ne touche pas que les Kurdes, même si ces derniers sont les seuls à l’admettre publiquement. Sur un total de 1807 personnes, il a été relevé 738 femmes mutilées soit 41%. Si l’on relève le critère de l’appartenance religieuse, on voit que chez les musulmans sunnites chaféites, arabes ou kurdes, cette pratique est bien plus élevée que parmi les chiites. L’ONG reconnaît cependant que les districts kurdes ont toujours été privilégiés par les ONG du fait que les zones arabes ou turkmènes sont trop dangereuses pour ce genre d’exploration et il n’est ainsi pas sûr que l’excision soit un problème ‘kurde’, même si, en comparant le quartier kurde de Rahimawa, à Kirkouk, on arrive à un taux de 65.9% d’excisions contre 17.8% dans le quartier arabe de Key Al Mutanaza. Le quartier turkmène de Yayjy Awsheshly ne présente aucun cas d’excision sur 43 femmes examinées. Par contre, dans la ville de Dubz, dont la population est à la fois kurde, turque et arabe, 66% des femmes examinées – toutes ethnies confondues – étaient excisées. Il sembe donc que cette pratique puisse exister au-delà des régions kurdes, que ce soit par contamination ou même source religieuse – le chaféisme.

Interrogés ou sommés de s’exprimer sur l’excision, les avis des ulémas kurdes divergent, car il n’existe pas de parole claire, pour ou contre, l’excision des femmes dans le Coran ou les hadith. La jurisprudence chaféite la classe dans les obligations religieuses. Mais l’imam de la mosquée Hadji Osman Alaf a déclaré, en décembre 2010, lors d’un sermon en chaire, que ne pas considérer l’excision comme recommandée par le prophète Muhammad était une marque ‘d’ignorance’. L’imam Mala Yassin Hakim Piskandi a, au contraire insisté sur la ‘sunnah’ de cette pratique, c’est-à-dire le fait qu’elle soit ‘recommandée’ mais pas obligatoire selon les trois écoles islamiques, hanbalite, malikite, hanafite. C’est aussi l’avis d’Ali Qaradakhi, Secrétaire général de l’Union internationale des Savants musulmans (IUMS) qui avait récemment écrit, dans un journal local, que l’excision n’était pas obligatoire : « L’excision est une vieille question qui refait surface. Les docteurs musulmans ont des avis divergents à ce sujet. Selon moi, l’opinion la plus pertinente est que l’excision n’est pas nécessaire en islam. » Cette pratique ne rencontre aucun soutien de la part du Gouvernement kurde qui, au contraire, a plusieurs fois exprimé sa désapprobation.

Mais un pas politique concret a été franchi le 25 novembre dernier, quand des représentants du GRK ont, en présence de plusieurs diplomates étrangers, annoncé publiquement leur détermination à lutter contre les crimes d’honneur et l’excision. Une campagne publique d’information a été lancée durant 2 semaines pour alerter la population sur les nuisances et les risques de l’excision, tandis que, dans le même temps, le gouvernement kurde commandait à deux universités britanniques des missions d’étude sur les crimes d’honneur.

L’ONG ‘Stop FGM’ a reconnu et loué les efforts de la Région kurde et son engagement public pour éradiquer les violences contre les femmes. S’opposant à la plupart des ulémas kurdes qui s’accordent à dire que l’excision, si elle n’est pas une obligation est cependant un acte qui va du méritoire à non illicite, le ministre kurde de la Santé avait déjà annoncé, à la fin d’octobre 2010, sa volonté d’interdire l’excision, et a appelé le Comité des Fatwa de la haute Commission religieuse du Kurdistan à condamner sans équivope cette pratique. En 2007, le ministre de la Justice du Kurdistan avait déjà décrété que toute femme pratiquant l’excision devait être arrêtée, jugée et condamnée mais cela avait été suivi de peu d’effet. En 2008 et 2009, les autorités kurdes ont renforcé la législation contre l’excision et se sont engagées à mener ou soutenir des campagnes éducatives pour inciter la population à abandonner ces mutilations. Mais là encore, les actions mises en œuvre étaient restées à l’état de promesses.

En février 2010, 51 ONG avaient mis en œuvre une campagne contre l’excision. Mais même au sein des cercles religieux certains avis divergents : Déjà, en Égypte, l’université religieuse la plus influente du monde sunnite a émis récememnt un avis défavorable sur l’excision en raison des complications qui pouvaient nuire à la santé des femmes. Le Dr. Mustafa Zalmi, un expert kurde reconnu de la Charia formé à Al-Azhar, s’est ouvertement prononcé pour l’interdiction de l’excision. Mustafa Zalmi, qui a enseigné les sciences religieuses à l’université Mustansiriyyah à Bagdad, a publié récemment un livre contre cette pratique et s’est dit prêt à débattre publiquement de cette question avec tout interlocuteur dont la position serait divergente, arguant que l’excision est interdite par le Coran dans pas moins de 11 versets. Autre argument : le fait que les lieux fondateurs de l’islam ne la pratiquent pas, ce qui infirme la thèse de la ‘prescription religieuse’ : « L’excision n’est pratiquée ni à La Mecque ni à Médine, or les Kurdes ont bien reçu l’islam de ces lieux, aussi pourquoi pratique-t-on l’excision au Kurdistan ? »

D’autres autorités religieuses, membres de la Commission des Fatwa appuient Mustafa Zalmi. Ainsi, Mullah Ahmad Shafi’i : « Puisque tous les avis médicaux sont unanimes sur l’excision et que tous les médecins conviennent que l’excision est néfaste pour la santé d’une personne, alors nous prononcerons une fatwa contre cette pratique. »

En août 2010, une enquête du journal kurde Rudaw auprès des jeunes Kurdes célibataires avait montré un changement de mentalité important concernant « l’atout » pour une fille à marier que constituait, aux yeux des générations plus âgées, le fait d’avoir été excisée. Certains jeunes hommes souhaitent en effet épouser une fille non excisée car ils craignent que les relations sexuelles au sein du couple ne soient insatisfaisantes. Une évolution confirmée par la journaliste Runak Faraj Rahim, qui effectue des enquêtes sur les problèmes féminins dans la société kurde, qui y voit le signe d’un accroissement des informations de la population sur cette question.

IRAN : EXÉCUTION D’UN PRISONNIER KURDE À OURMIAH

Un Kurde d'Iran, Hossein Khezri, âgé de 28 ans, a été exécuté par pendaison dans la prison d'Ourmiah, sans que son avocat ou sa famille en aient été avertis. Il avait été condamné à mort pour appartenance au PJAK (branche iranienne du PKK) Il avait été arrêté en 2008, accusé d'avoir participé au meurtre d'un officier de police à Ourmiah en 2005. Après deux et demi de détention, les tortures et les mauvais traitements l'avaient quasiment rendu aveugle. Il avait passé 8 mois en isolement complet, ce qui avait considérablement affecté son état psychique et l'avait amené à deux tentatives de suicide.

Dans une lettre envoyée le 7 novembre 2010 aux ONG de défense des droits de l'homme, Hossein Khezri exposait lui-même son cas et ses conditions de détention. Le 17 novembre, la Cour suprême émettait une note de service à la prison d'Ourmiah ordonnant son exécution, tandis que son avocat se démettait du dossier dans des conditions suspectes. Le 19 novembre Amnesty International lançait un appel urgent aux autorités iraniennes en faveur de Hossein Khezri. Le 6 janvier, son frère et d'autres membres de sa famille ont pu se rendre visite à la prison d'Ourmiah et les autorités ont clairement présenté cela à la famille comme leur dernière visite. Ses parents craignent alors une exécution imminente. Le 13 janvier, sa famille ne peut obtenir aucune autre information. Les autorités leur disent simplement que Hossein Khezri a été envoyé à Téhéran pour l'exécution de sa sentence. Ils craignent alors qu'il n'ait été secrètement exécuté. le 15 janvier, plusieurs sites annoncent sa mort, mais la famille n'a aucune confirmation. La rumeur court seulement qu'un prisonnier a été pendu à Ourmiah, et les mouvements kurdes nomment Hossein Khezri. Le 16 la nouvelle est reprise par les agences de presse kurdes comme peyamner.com.


Lettre de Hossein Khezri, datée du 7 novembre 2010.

Moi, Hossein Khezri, suis un prisonnier politique condamné pour activités menaçant la sécurité nationale par la 10ème Chambre du tribunal révolutionnaire d'Ourmiah. La condamnation a été confirmée par la 10ème Chambre de la Cour d'appel de la province d'Azerbaïdjan occidental et par la 31 ème Chambre de la cour suprême. Je suis condamné à mort. Je vais essayer de montrer les méthodes utilisées durant mes interrogatoires, l'enquête et le procès, malgré les efforts de la Cour pour interdire au peuple d'Iran et à la communauté internationale toute mention de tels agissements, ainsi que leur refus de prendre en compte ma lettre ouverte au département de la Justice ; en dépit de tous leurs efforts, je vais essayer de relater au monde un peu de la situation dans laquelle je me trouve, dans l'espoir que quelqu'un entendra ma voix. Je suis détenu depuis le 31 juillet 2008.

J'ai été arrêté à Kermanshah par la branche Nabi Akram des Sepah (Gardiens de la révolution) et suis resté entre leurs mains 49 jours. Durant cette période, j'ai été soumis à de graves tortures mentales et physiques, dont ce qui suit : 1. Battu plusieurs heures, quotidiennement ; 2. Pressions psychologiques et intimidations durant les interrogatoires; 3. Menaces d'impliquer mon frère, mon beau-frère et ma famille dans des "activités illégales" contre le gouvernement ; 4. Coups de pied sur mes parties génitales, causant des saignements et une enflure pendant 14 jours ; 5. Plaie ouverte à ma jambe droite, de 8 cm de long, résultat de coups de pied durant les interrogatoires, plaie qui est toujours ouverte ; 6. Coups violents portés sur tout le corps avec une matraque pendant 49 jours, causant des contusions et une inflammation de tout le corps.

Selon l'article 38 de la Constitution iranienne, la torture est strictement interdite pour extorquer des aveux et obliger une personne à témoigner, avouer ou prêter serment sous la contrainte est illégal, et tous les aveux obtenus par de telles méthodes sont considérés comme nuls et invalides. Par ailleurs, les mêmes lois déclarent que les contrevenants doivent être poursuivis et condamnés. Maintenant, c'est la question : Qu'en est-il de cette loi ? Comme je l'ai dit auparavant, j'ai été torturé à Kermanshah, au centre de détention, et soumis à des pressions physiques et psychologiques. Pourquoi donc les preuves obtenues dans de telles conditions sont non seulement considérées comme recevables par la Cour, et que ce sont ces preuves là qui ont servi à me condamner si lourdement ?

J'ai été transféré de la prison des Nabi Akram Sepah de Kermanshah à celle de Sepah Al Mahdi d'Ourmiah le 18 septembre 2008. Dans cette nouvelle prison, j'ai été soumis à des pressions psychologiques et de sévères tortures physiques. J'ai encore été transféré au département d'information d'Ourmiah le 6 janvier 2009 et ensuite au quartier général du ministère du Renseignement le 15 février 2009, et à nouveau torturé. Après avoir été transféré à la prison d'Ourmiah le 11 mai 2009 j'ai comparu devant le tribunal pour la première et la dernière fois, à l'une des chambres du Tribunal révolutionnaire d'Ourmiah. Le représentant du ministère du Renseignement était présent au tribunal, aux côtés du procureur d'Ourmiah. Avant le procès on m'a averti que je ne pourrai parler de la torture et qu'il ne m'était pas non plus permis de mentionner une seule des méthodes d'interrogatoire ni ce qui s'était produit durant ces séances. J'ai été aussi menacé afin que je n'indique pas que ma 'confession' avait été obtenue sous la torture.

Avec un tel climat dans ce tribunal, et aussi du fait que l'on ne m'avait donné aucun temps pour préparer une déclaration, ni assez de temps pour exposer mon cas, comment mon avocat aurait-il pu me défendre contre des accusations si graves, en moins de 10 minutes, même si j'étais innocent ? Et voici une autre question : quel était le but de ma présence dans une telle parodie de tribunal, si ce n'est juste pour prouver que j'avais eu un 'procès' et que j'avais été 'condamné' à ce procès ? En dépit des menaces et des pressions, j'ai déclaré au juge à la tête de la 1ère Chambre du tribunal révolutionnaire, qu'en vérité j'avais été torturé et que les aveux n'étaient pas valables puisqu'ils m'avaient été dictés par une sévère contrainte, mentale et physique. Je lui ai dit aussi qu'on m'avait averti de ne pas mentionner la torture ni de me rétracter. Hélas, il a procédé au jugement sans essayer aucunement d'enquêter sur mes plaintes de torture et a rendu sa sentence en 10 minutes. La même sentence a été prononcée par les cours d'appel et le 8 août 2009 a été rendue définitive et l'on m'a envoyé à la prison centrale d'Ourmiah.

Je dois dire qu'entre la première sentence et la cour d'appel, je n'ai pas baissé les bras, et le 27 juillet 2009, deux semaines avant le verdict final, j'ai envoyé une plainte officielle pour traitements inhumains et illégaux au procureur général des tribunaux militaires d'Ourmiah, plainte portée au dossier le 31 décembre 2009. Le 16 février 2009, mon frère a été averti que j'avais porté plainte pour la façon dont j'avais été traité durant mes interrogatoires par les agents de renseignement de la prison d'Al-Mahdi le 7 décembre 2009 et que je voulais un examen médical officiel. Ma plainte auprès du tribunal militaire a été portée devant les tribunaux principaux, et malgré mes plaintes au sujet du comportement des interrogateurs et des officiers de la branch Al-Mahdi des Gardiens de la révolution (Sepah), et les preuves médicales de torture que je leur ai présentées, ainsi que ma demande d'être examiné par un médecin officiel, le procureur de la 8ème Chambre n'a même pas demandé à ce que je sois soumis à un examen médical pour vérifier si je disais ou non la vérité. Le 2 février 2009, juste après avoir envoyé ma plainte et présenté les preuves du médecin légiste, j'ai été emmené au ministère du renseignement sous escorte armée et détenu là-bas trois jours. Durant ces trois jours ils m'ont menacé au sujet de ma plainte, et m'ont demandé pour quelle raison j'osais porter plainte, et me disant que maintenant j'allais devoir être filmé et lire les aveux qu'ils avaient écrits pour moi et nier que j'avais été maltraité d'aucune manière. Ils m'ont dit que si je coopérais, ils pourraient réduire les accusations et la peine. Ces menaces sans fard, et leur essai de créer une réalité factice pour les gens, c'était comme s'ils faisaient du troc avec des vies humaines.

Quand ma famille a appris que j'avais été transféré au ministère du Renseignement, elle a été terrifiée, et alors que mon père cherchait à obtenir une quelconque information, on ne lui fournissait que des réponses confuses et contradictoires. Il a eu si peur que je puisse être exécuté qu'il eut une attaque cardiaque fatale au ministère du Renseignement et a été envoyé à l'hôpital où il est mort, ajoutant ainsi un autre chapitre aux crimes de la République islamique qui cause une telle peur aux parents d'un prisonnier politique, ce qui est pire qu'une exécution réelle. Qui répondra de tels crimes ? 20 jours ne s'étaient pas écoulés depuis la mort de mon père que j'ai été soudain tranféré à la prison de Qazvin. Vous pouvez imaginer mon état d'esprit, surtout après avoir passé des heures menotté et aveuglé sans aucune explication sur ce qui allait arriver. Après des heures dans ces conditions, ils ont mentionné, par hasard, que j'étais transféré dans une autre prison et de ne pas 'm'inquiéter'. Jusqu'à présent, personne n'a donné suite à mes plaintes ou ma demande d'être examiné par un médecin légiste et ils n'ont donné aucun motif pour leur refus de prendre en compte ma plainte.

Le 19 avril 2009, la 104ème Branche du tribunal militaire d'Ourmiah a rendu son jugement : personne, aucun représentant du Renseignement ou des Gardiens de la Révolution ne m'a expliqué quoi que ce soit ; je n'ai passé aucun examen médical et je ne sais toujours pas sur quoi se fonde ma condamnation. Un acte d'accusation émanant du ministère du Renseignement et du tribunal fait de moi, Hossein Khezri, un combattant armé. Je n'avais aucune arme quand on m'a arrêté, ma lutte était seulement politique, et je n'ai jamais porté les armes contre l'Iran. Mais j'ai passé 8 mois en isolement dans différentes cellules, de Nabi Akram à Kermanshah, Al-Mahdi et le ministère du Renseignement à Ourmiah, dans les pires conditions physiques, sauvagement torturé, humilié et constamment menacé. Les 8 mois que j'ai passés au secret ont affecté ma condition psychique à un point tel que j'ai tenté deux fois de me tuer. Je pensais que la mort était de bien loin préférable à cette torture quotidienne et des conditions de vie si inhumaines. Comment est-il possible dans le monde d'aujourd'hui de torturer quelqu'un pendant 8 mois sans lui permettre une seule visite, ou même un contact avec un avocat, pas même par téléphone ?

En conclusion, moi, Hosseïn Khezri, suis un prisonnier politique condamné à mort et gardé au secret de sorte que quand ma lettre ouverte est parvenue au tribunal, la prison a refusé d'identifier mon nom ou mes empreintes digitales, et la lettre elle-même a été confisquée. Le moment de mon exécution ne m'a pas été révélé. Je ne sais si ce sera demain, ou le surlendemain, ou cette nuit, et je ne suis pas admis à recevoir des visites et ne peut même dire à personne que je suis toujours en vie. C'est dans ces conditions que je demande à tous les défenseurs des droits de l'homme et aux organisations concernées par les droits de l'homme et les droits des prisonniers d'accepter ma requête et d'être ma voix pour l'humanité. À partir de maintenant, je vous reconnais tous, officiellement, comme mes avocats et vous demande de m'aider à ce que mon dossier soit porté devant un tribunal juste et équitable, sans secret, et je répondrai ouvertement à toutes vos questions. Enfin je demande au Commissariat de droits de l'homme des Nations Unies de bien vouloir lire, publier et se pencher sur mon dossier.

Respectueusement, Hossein Khezri Prisonnier politique dans les couloirs de la mort, prison centrale d'Ourmiah, cellule 12.

HUMAN RIGHTS WATCH : RAPPORT ANNUEL 2010

L’organisation américaine de défense des droits de l’homme HRW vient de publier son rapport annuel 2010 dont voici des extraits :

TURQUIE

Déjà critiquée pour la lenteur de ses avancées en matière de droits de l'homme, malgré beaucoup de promesses, le bilan demeure "mitigé" pour 2010 : détentions arbitraires, poursuites judiciaires s'apparentant à du harcèlement, condamnations pour "terrorisme" injustifiées, même si l'AKP a pu réformer partiellement la constitution héritée du coup d'État de 1980. Mais l'ONG juge que la fameuse "ouverture" avance à pas de tortue. La Cour constitutionnelle a dissous le parti pro-kurde DTP en décembre 2009 pour "activités séparatistes" et des centaines de membres de ce parti, ainsi que du parti qui lui a succédé, le BDP, sont jugés pour appartenance au KCK (Union des Communautés du Kurdistan), organisation accusée d'être une émanation du PKK.

Même si l'on parle de plus en plus d'un règlement politique du conflit, les accrochages entre armée et guerilla se poursuivent. L'attaque d'un bus à Hakkari a fait 9 victimes civiles, sans que l'on puisse déterminer clairement si les auteurs en sont le PKK ou les forces de sécurité turques. Le PKK est également soupçonné d'être à l'origine du meurtre de 2 imams à Hakkari et Şirnak.

Des exactions anti-kurdes ont eu lieu dans le reste du pays. En juillet 2010, des biens appartenant à des Kurdes vivant dans la province de Bursa, ont été saccagés.

Bien que le débat soit de plus en plus ouvert en Turquie, sur des questions autrefois tabous, des personnes font encore l'objet de poursuites pour des prises de position non violentes, déclarations, discours, écrits, manifestations et sont maintenues en détention en attendant leur jugement. Journalistes et éditeurs sont aussi harcelés judiciairement, soit pour "tentative d'influer sur une procédure judiciaire", soit pour "violation du secret de l'instruction", soit pour "propagande terroriste". Le rédacteur du journal Azadiya Welat, Vedat Kursun, a ainsi été condamné à 166 ans de prison en mai 2010 pour 103 délits de "propagande terroriste" et "appartenance au PKK". Toujours emprisonné, il attend son jugement en appel.

L'accès à certains sites Internet est toujours interdit, par exemple YouTube. Des journaux pro-kurdes ou de gauche sont sujets à des fermetures arbitraires. En 2010, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la Turquie à plusieurs reprises pour viol de la liberté d'expression, par exemple pour avoir usé de sa loi Anti-terreur aux fins d'interdire la publication de périodiques.

Cette loi Anti-terreur sert encore pour poursuivre des manifestants pro-PKK de la même façon que s'il s'agissait de combattants en armes. Beaucoup d'entre eux sont longuement détenus en attendant leur jugement et sont ensuite condamnés à de lourdes peines. Cette loi a seulement été amendée en juillet dernier de sorte que les mineurs y soient soustraits. Des centaines de responsables et de militants du parti pro-kurde DTP et son successeur le BDP (qui comprend 20 députés) ont été poursuivis en justice cette année, par exemple pour leurs liens avec l'Union des communautés kurdes (KCK), une organisation accusée de dépendre du PKK. En octobre 2010, 7 maires, plusieurs avocats et un défenseur des droits de l'homme figuraient parmi les 151 responsables et militants jugés à Diyarbakir pour séparatisme et appartenance à KCK. Les maires ont déjà passé 10 mois en détention, 53 autres accusés 18 mois, tandis que dans tout le pays, près de 1000 membres du DTP ou du BDP, suspectés de faire partie de KCK sont eux aussi en détention provisoire.

Muharrem Erbey, vice-président de l'Association des droits de l'homme et président de la branche de Diyarbakir, arrêté en décembre 2009, pour appartenance au KCK, est lui aussi toujours en détention. Vetha Aydin, présidente de la branche de Siirt pour cette même association, a été arrêtée en mars pour le même chef d'accusation et est aussi toujours emprisonnée au moment de la rédaction de ce rapport.

Les violences policières restent un problème, surtout lors des manifestations et des arrestations qui s'ensuivent. La torture et les mauvais traitements en détention ont décru. Les gendarmes ont abattu au moins 9 contrebandiers dans les zones frontalières de Van, Şirnak et Urfa. Actuellement, un colonel en retraite, des gardiens de village et des informateurs sont en jugement pour le meurtre de 20 personnes entre 1993 et 1995 à Cizre.


IRAN

Entre emprisonnements pour délits d'opinion et exécutions, rien ne s'est amélioré, pas plus que le traitement réservé aux prisonniers. En 2010, Farzad Kamangar, Ali Heidarian, Farhad Vakili, Shirin Alam Holi et Mehdi Eslamian ont été pendus le 9 mai 2010 à la prison d'Evin, Téhéran, sans que leurs avocats ni leurs familles aient été informés. 16 autres Kurdes sont condamnés à mort, accusés d'appartenance à un mouvement armé.

L'Iran continue de persécuter ses minorités, qu'elle soient religieuses, comme les Baha'i ou les Yarsans, ou même les sunnites, ou ethniques, comme les Kurdes, les Arabes, les Azéris ou les Balutches.


KURDISTAN D'IRAK

L'excision des filles est répandue, et en novembre 2010 un rapport du ministre de la Santé au Kurdistan donnait le chiffre de 41% des femmes et filles kurdes à avoir été mutilées. Le 6 juillet 2010, l'Union des docteurs de la loi musulmans du Kurdistan, par sa haute commission des fatwa, a déclaré que l'islam ne prescrit pas cette pratique, mais n'a pas appelé à son interdiction. La commission parlementaire des droits de la femme au Kurdistan a pu faire passer un projet de loi sur les violences familiales en y incluant l'excision et le ministre de la Santé a annoncé des plans pour informer le public sur les conséquences négatives de cette pratique. Mais le gouvernement n'a pas encore interdit l'excision, pas plus qu'une campagne réelle pour l'éradiquer n'a été initiée.

Le 4 mai, des inconnus ont enlevé, torturé et tué Sardasht Osman, un étudiant de 23 ans, qui écrivait pour des journaux en free-lance. Sa famille, ses amis et d'autres journalistes accusent les partis au pouvoir d'être à l'origine du meurtre en raison des articles critiques dont Sardasht Osman était l'auteur. De nombreuses plaintes de journalistes visent les forces de sécurité kurdes pour harcèlement, intimidation, menaces, arrestations et agressions de journalistes. Des responsables politiques ont poursuivi des journaux en justice après avoir été mis en cause dans la presse.


SYRIE

Aucun changement n'a été observé dans les pratiques répressives de la Syrie. Les mêmes violations ont lieu contre les militants politiques, les défenseurs des droits de l'homme ; des sites Internet sont censurés, des blogueurs emprisonnés ou empêchés de sortir du territoire. L'État d'urgence décrété en 1963 est toujours en vigueur, permettant aux forces de sécurité d'arrêter des personnes sans mandat et de les détenir au secret pour de longues périodes. La Cour suprême de sécurité condamne dans des tribunaux d'exception des Kurdes et des islamistes sans qu'il y ait procès régulier. Des dizaines de militants kurdes ont été ainsi condamnés à des peines de prison en 2010, la plupart membre du PYD, une branche syrienne du PKK, mais pas seulement.

En avril 2010, 4 membres du parti Yekitî (qui ne prône pas la lutte armée), Yasha Wader, Dilghesh Mamo, Ahmad Darwish, et Nazmi Mohammad ont été condamnés à 5 ans de prison pour avoir tenté "d'amputer le territoire syrien". Trois autres hauts responsables de Yekitî, Hassan Saleh, Muhammad Mustapha, et Ma`ruf Mulla Ahmad sont actuellement poursuivi pour les mêmes chefs d'accusation. En juin 2010, un juge militaire a condamné Mahmud Safo, membre du Parti kurde de gauche, à un an de prison pour "incitation à des conflits sectaires " et appartenance à une organisation interdite".

En mars, les services de renseignements militaires d'Alep ont emprisonné `Abdel Hafez `Abdel Rahman, qui appartenait à la direction d'une association (interdite) pour les droits de l'homme, MAF (“droits” en kurde) avec un autre militant de cette association, Nadera `Abdo. Les services secrets ont relâché `Abdo alors que `Abdel Rahman était jugé pour des actions visant à amputer le territoire syrien. Il est libéré sous caution depuis septembre. Son procès est en cours. En avril 2010, les autorités ont enfin relâché sous caution l'écrivain et homme politique Ahmad Mustafa Ben Mohammad (connu sous le nom de Pir Rostem), qui avait été arrêté en novembre 2009 pour des articles publiés sur l'Internet (ainsi qu'une autre fois, en mars 2008). Les militants continuent de se voir refuser de sortir du pays. Ainsi Radeef Mustapha, à la tête du Comité kurde des droits de l'homme.

Par ailleurs, toutes les associations de défense des droits de l'homme sont interdites en Syrie, le gouvernement refusant systématiquement d'agréer leur enregistrement. La politique syrienne est particulièrement sévère concernant les discriminations contre les Kurdes, qui sont en Syrie la plus grande minorité non-arabe. Parmi eux, plus de 300 000 kurdes sont privés arbitrairement de nationalité. L'expression de l'identité kurde est interdite ainsi que l'enseignement du kurde dans les écoles. En mars 2010, les forces de sécurité ont tiré sur des Kurdes qui célébraient leur Nouvel An dans la ville de Raqqa, afin de les disperser, faisant au moins un mort. En juillet, 9 Kurdes accusés d'avoir participé aux célébrations de Raqqa ont été condamnés à 4 mois de prison pour "incitation aux conflits sectaires".

CULTURE : « MANDOO » PREMIÈRE FICTION DU RÉALISATEUR EBRAHIMI SAEEDI

Dans son film Mandoo, qui est sa première œuvre de fiction, le réalisateur Ebrahim Saeedi, un Kurde iranien né à Mahabad, se penche sur le sort des Kurdes après la chute de Saddam, en 2004. Mandoo raconte en effet l’histoire de Kurdes ayant fui l’Iran pour l’Irak en 1979, après la révolution islamique et les persécutions du nouveau régime et qui ont dû vivre des décennies dans des camps de réfugiés contrôlés par le parti Baath. Ils décident, après 2003, de retourner dans leur lieu d’origine. Dans le même temps, une cousine, Shihan (jouée par Rojan Mehemed) revient de Suède après 20 ans d’exil, où elle exerce la profession de médecin. Loin d’encourager le reste de sa famille à retourner en Iran, elle tente de les persuader d’émigrer en Suède. Elle se heurte en cela à l’avis de son cousin Shaho, qui souhaite accomplir la promesse qu’il a faite à son père mourant, celui de le ramener dans son village natal pour y mourir.

Le film se présente donc comme un road movie sur les routes d’Iran. Ebrahim Saeedi avait auparavant évoqué le destin de ces Kurdes cantonnés dans des camps au sud de l’Irak au moyen de documentaires. La découverte de fosses communes dans cette même zone lui avait aussi inspiré le tournage de ‘Toutes mes mères’ en 2009.

S’exprimant sur son identité de Kurde, Ebrahim Saeedi relie son expérience personnelle à l’intrigue du film : « Je ne me considère pas comme appartenant à un lieu particulier. Oui, je suis Kurde et je livre un point de vue sur ces gens, parce que je suis lié à eux, et que mes personnages sont issus de ce peuple. Durant les quatre décennies durant lesquelles j’ai vécu au Kurdistan iranien et irakien, je suis passé, personnellement, au travers de maintes crises, tous les hauts et des bas que les Kurdes ont connus, et c’est la raison pour laquelle j’ai voulu raconter cette histoire. » De l’avis du réalisateur, la chute de Saddam n’a pas entraîné pour les Kurdes le contrôle de leur destinée. « Cela valait-il la peine, pour les Kurdes, de passer par tant de situations de crise ? Ce que je peux dire, c’est qu’aucune de ces crises n’a été initiée par les Kurdes eux-mêmes. Il y a toujours eu un tiers à l’origine des problèmes que les Kurdes ont eu à subir. La famille que je filme, même dans un voyage pacifique, doit faire face continuellement à des crises qui ne sont pas de son fait. »

Ce voyage est ainsi une illustration symbolique de l’histoire du peuple kurde : la famille, en route, doit se garder d’individus tentant, par la ruse, de les détourner de leur chemin, ou bien doit se soumettre aux interrogatoires de soldats. Sur la question de l’avenir des Kurdes, Ebrahimi se garde de faire preuve d’une confiance trop optimiste : « Il y a une crainte constante à laquelle les Kurdes sont confrontés : « Quel sera l’avenir ? Que va-t-il apporter ? » L’Histoire s’est, jusqu’ici, constamment répétée. Dès qu’une opportunité s’offrait aux Kurdes, ils étaient poignardés dans le dos avant même de pouvoir la saisir et se retrouvaient seuls. À cause du passé, les Kurdes envisagent tout ce qui les entoure avec un point d’interrogation. » Pour la même raison, selon Saeedi, le peuple kurde a essentiellement soif de paix.

Mandoo a été présenté dans plusieurs festivals internationaux comme celui de Dubaï en décembre dernier ou celui de Locarno cet été.

Par ailleurs, on apprenait, le 3 janvier 2011, la mort d’un acteur renommé en Israël, Josef Shiloach, qui a succombé au cancer à l’âge de 69 ans. Né au Kurdistan d’Irak en 1941, Shiloach avait émigré avec sa famille en Israël à l’âge de 9 ans. Sa carrière d’acteur avait débuté en 1964 et il n’avait cessé de tourner depuis, la plupart du temps dans un répertoire comique, soit dans des films israéliens, soit dans des shows télévisés. Entre les années 1980 et 1990, il avait aussi tourné dans des productions comme Rambo 3, Mummy Lives, où il jouait aux côté de Tony Curtis.

Josef Shiloach avait souvent joué de son origine pour peaufiner un personnage de juif ‘persan’ s’exprimant avec un force accent. Parti avec toute sa famille, de son Kurdistan natal, pour atterrir dans un camp au sud de Tel-Aviv, il avait connu la pauvreté et avait dû travailler très tôt, au lieu d’étudier. C’est en travaillant comme homme de ménage dans une salle de cinéma qu’il avait eu la passion du 7ème art et l’ambition de devenir acteur. Josef Shiloach sortit ainsi parmi les premiers de la plus prestigieuse école de cinéma du pays, Beit Tzvi. C’est alors qu’il put surmonter, selon lui, le sentiment d’exclusion qu’il avait connu dans son enfance, quand les autres enfants allaient à l’école.

Cette précoce expérience de l’injustice a sans doute été aussi à l’origine de son engagement contre l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Dans les années 1980, il quitta même Israël pour vivre un certain temps à Paris, ne souhaitant pas rentrer dans son pays tant que la paix ne serait pas instaurée. Il ne rentra qu’en 1991, après que la conférence de Madrid ait initié une phase de négociations diplomatiques entre Israël et ses voisins arabes.