Le 3 mars 2011, le parlement turc avait approuvé à l’unanimité la date du 12 juin pour la tenue des élections législatives. L’année dernière, une loi avait été votée qui apportait certaines modifications au dispositif électoral, dans un souci de s’aligner sur les normes européennes : l’âge minimum requis des candidats à la députation est passé de 30 à 25 ans ; les urnes, jusqu’ici en bois, ont été remplacées par des urnes en plastique, transparentes et incassables ; le modèle des bulletins de vote a changé et les enveloppes ont une couleur différente selon le type d’élections. Alors que dans les précédentes campagnes, toutes activités militantes devaient cesser à la nuit, une prolongation de 2 heures après le coucher du soleil a été décrétée.
Une des réformes les plus notables est que l’usage d’une langue autre que le turc n’est plus pénalisé lors des campagnes électorales ce qui, bien sûr, est un geste en direction de l’électorat kurde. La loi prévoit également une peine de 3 à 5 ans de prison pour tout agissement en vue d’empêcher un citoyen de voter mais l’efficacité de cet article et son application réelle dans des régions éloignées des métropoles et en butte aux pouvoirs locaux reste à démontrer.
Le nombre des députés a également été modifié selon les données fournies par le dernier recensement. La mégapole d'Istanbul disposera ainsi de 15 sièges parlementaires supplémentaires, de 3 à Ankara, de 2 à Izmir et d’un député pour les provinces d’Antalya, Diyarbakir, Van et Şirnak.
Sans surprise, le Premier Ministre et son parti, l’AKP, ont remporté une troisième victoire aux législatives, ce qui fait de Recep Tayip Erdogan le premier chef de gouvernement turc à remporter 3 élections parlementaires de suite en augmentant à chaque fois son score. Par ailleurs, le règlement interne de l’AKP limite à trois le nombre de mandats parlementaires à ses membres. Pour 73 d’entre eux, ce sera donc leur dernière victoire électorale.
Quatre partis vont donc siéger à la Grande Assemblée nationale turque : Le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, qui va pouvoir former un nouveau gouvernement en ayant obtenu un peu plus de 50% des voix ; le Parti républicain du peuple (CHP), le Parti du mouvement nationaliste (MHP) et le parti pro-kurde pour la Paix et la démocratie (BDP).
N’ayant pas, cependant, avec 327 députés, obtenu les deux-tiers des sièges qui lui auraient permis de modifier la constitution de 1982 sans référendum, l’AKP manque également à 3 voix près, du nombre de sièges nécessaires pour proposer des changements constitutionnels par référendum il se voit obligé de prévoir de futures alliances parlementaires pour imposer d’autres réformes.
Le second parti au parlement est le CHP, Parti républicain du peuple, dont la ligne oscille entre une gauche laïque et kémaliste et un populisme nationaliste la rapprochant des mouvements d’extrême-droite, surtout sous la direction de son ancien président, le très controversé Deniz Baykal. Avec la nomination à ce poste de Kemal Kılıçdaroğlu, qui a fait campagne sur le thème de « l’ouverture » en direction des Kurdes, le parti remonte à 25.9 % et 135 sièges, tandis que le MHP, parti d’extrême-droite obtient 13%, ce qui lui permet de passer la barre des 10% de voix nécessaires pour siéger au parlement avec 53 sièges.
Ce même seuil empêchant régulièrement les députés des partis pro-kurdes d’obtenir des sièges, cette fois, les candidats du BDP avaient choisi de se présenter en « indépendants » pour ne pas être soumis à cette règle. C’est ainsi que Leyla Zana a effectué son retour en tant que député, vingt ans après son éviction de cet même parlement. Autre fait marquant dans les candidatures pro-BDP : l’élection à Mardin d’Erol Dora, un député chrétien syriaque, le premier élu de sa communauté depuis l’avènement de la république turque.
La représentation féminine est passée de 46 à 78 femmes élues, dont 44 appartiennent à l’AKP, 20 au CHP, 3 au MHP et 11 pour le BDP.
Le bon score du BDP (passé de 20 à 36 sièges), qui aurait pu amorcer un début de dialogue politique autour de la question kurde en Turquie, en lui permettant d’avoir une représentation parlementaire de poids, n’a pas empêché un de ses élus, Hatip Dicle, de voir son élection annulée par décision du Haut Conseil des élections, sous prétexte d’une condamnation antérieure de 20 mois de prison pour « propagande terroriste ».
Hatip Dicle est actuellement en détention préventive pour une autre affaire et cette élection devait lui octroyer une immunité parlementaire. Mais le Haut Conseil des élections a justifié sa décision en arguant que la condamnation avait été maintenue par la Cour d'appel seulement quatre jours avant les élections, après la confirmation des listes de candidats pour le scrutin.
Hatip Dicle, âgé de 57 ans, avait fait partie des premiers élus d’un parti kurde à remporter un siège au parlement, en 1991. Il avait été arrêté en 1994 après l'interdiction de leur parti « pour liens avec le PKK », et a passé 10 ans en prison. En 2010, il a de nouveau été emprisonné, dans le cadre d'une enquête portant sur des « branches urbaines du PKK ».
Son siège, du fait de son statut d’indépendant, n’est pas revenu à un candidat BDP mais à Oya Eronat, de l’AKP. Réagissant rapidement, les élus issus du BDP ont décidé de boycotter le parlement. Par ailleurs, cinq autres élus du BDP sont toujours derrière les barreaux en attente de leur jugement.
Dans le même temps deux députés du CHP, le journaliste Mustafa Balbay et le professeur Mehmet Haberal restent en détention en temps que suspects dans l’affaire Ergenekon, malgré les appels de leur parti à leur libération.
Un député du MHP, le général à la retraite Engin Alan, est de même accusé d’avoir pris part à une tentative de subversion et a été élu alors qu’il est toujours emprisonné.
L’annonce de l’annulation du mandat de Hatip Dicle a déclenché immédiatement une vague de protestations dans les villes kurdes et de l’ouest du pays. Près de 2.000 personnes ont ainsi participé à un sit-in à Diyarbakir. À Istanbul, un millier de manifestants se sont heurtés aux forces de l’ordre.
Le Congrès pour une société démocratique (DTK), plateforme d'associations et de mouvements kurdes, a appelé les 35 élus issus du BDP à boycotter le Parlement :
« Les députés doivent déclarer leur position ouvertement, conformément à leur précédente décision de ne pas aller au Parlement si même un seul d'entre eux est manquant. »
Le président du DTK, Ahmet Türk, a parlé d’une « décision visant à mener la Turquie au chaos (...) pour pousser notre peuple vers un climat de conflit. L'Etat, le gouvernement et la justice essaient de bloquer nos efforts pour créer un socle politique démocratique en vue d'une résolution du conflit kurde, qui dure depuis 1984 en Turquie.» (Agence Anatolie).
Le 23 juin, les 35 élus du BDP annonçaient leur décision de ne pas siéger, tant que Hatip Dicle ne sera pas réintégré dans son mandat : « Nous n'irons pas au Parlement tant que le gouvernement et le Parlement n'auront pas pris de mesures concrètes pour remédier à cette injustice et offrir des opportunités pour une résolution en ouvrant la voie à des politiques démocratiques », a déclaré le député Sefarettin Elçi, lors d’une conférence de presse tenue à Diyarbakir.
Le 26 juin, un tribunal turc rejetait également les demandes de libération de deux députés kurdes élus, Gulser Yildirim et Ibrahim Ayhan, accusés de faire partie de la branche « urbaine » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Sur les trente-six militants kurdes élus aux législatives, trois restent donc emprisonnés, la justice turque refusant d’accorder l’immunité parlementaire en ce qui concerne les accusations de « terrorisme ».
Le 29 juin, la première séance du tout nouveau parlement et le serment des élus ont donc été boycottés à la fois par le CHP et le BDP, les élus kurdes réclamant la libération des députés emprisonnés et la réintégration de Hatip Dicle, tandis que le président du CHP, Kemal Kiliçdaroglu déclarait refuser la prestation de serment tant que deux de ses députés, eux aussi emprisonnés, ne seraient pas à même d’y participer.
Résultats des législatives par parti :
Parti pour la justice et le développement (AKP) : 21 442 528 voix soit 49,83 %, 327 sièges (perd 14 sièges).
Parti républicain du peuple (CHP) : 11 131 371 voix, soit 25,98 %, 135 sièges (gagne 23 sièges)
Parti du Mouvement nationaliste (MHP) : 5 580 415 voix, soit 13,01, 53 sièges (en perd 18).
Indépendants (BDP) : 2,819,917 voix, soit 6.57 %, 35 (36) sièges (gagne 8 sièges).
Résultats dans les provinces à majorité ou forte population kurde:
Provinces remportées par l’AKP :
Gaziantep : 61.85% ; Adiyaman : 67.38% ; Urfa : 64.80% ; Malatya : 68.48% ; Erzincan : 57.39% ; Elazig : 67.35% ; Bingöl : 67.5% ; Agri : 47.54% ; Bitlis : 50.62% ; Siirt : 48.09%.
Provinces remportées par les indépendants issus du BDP :
Diyarbakir : 62.08% ; Mardin : 61.11% ; Şirnak : 72.87% ; Batman : 51.84% ; Van : 49.64% ; Hakkari : 79.87% Muş (44.34 %).
Province remportée par le CHP :
Tunceli : 56.21%.
La répression sanglante des manifestations n’a pas cessé en Syrie, provoquant un afflux de réfugiés à la frontière turque en début de mois. Dans le même temps, le gouvernement syrien relâchait plus de 450 prisonniers politiques, dont des Kurdes.
Cela n’a pas empêché les manifestations de se poursuivre. Dans les régions kurdes, plus de 8000 personnes ont défilé le 3 juin, dont 3000 dans la seule ville de Qamichlo, portant des drapeaux syriens, réclamant la chute du président Bachar Al Assad et clamant leur soutien à la ville de Jisr al Choughour, dans l’ouest du pays, où avait lieu au même moment une opération militaire de répression, ainsi qu’à la ville de Deraa, au sud du pays, qui a subi les plus dures exactions de la part des forces de l’ordre.
Dans la ville kurde d’Amude, plus de 4000 personnes ont aussi manifesté, ainsi que 1000 à Ras al Ayn, entonnant les mêmes slogans de soutien à la ville de Jisr al Choughour et brandissant des banderoles interpellant le président syrien : « Bashar, sors de nos vies ».
50 figures de l’opposition syrienne ont par ailleurs envoyé une déclaration à l’agence Reuters, annonçant la formation d’un gouvernement de salut national. Parmi les signataires figurait l’opposant politique kurde Mashal Temo.
Mais parallèlement aux vétérans des partis politiques kurdes syriens, des mouvements de jeunesse, plus ou moins organisés, se font jour et donnent le sentiment d’avoir leur propre calendrier, voire de mener le jeu plus avant que leurs aînés, qu’ils n’hésitent pas à critiquer. Ainsi, Ciwan Yusuf, porte-parole de la Coalition de Jeunesse Sawa a déclaré que la « faiblesse » des partis politiques kurdes –dont certains auraient tenté de dissuader les jeunes de prendre part aux manifestations– a été un des facteurs propices à l’éclosion de multiples mouvements de jeunesse kurdes.
Dans un entretien accordé au journal kurde Rudaw, Ciwan Yûsuf mentionne quatre groupes militants de jeunes Kurdes pour la seule ville de Qamishlo : les Jeunesses révolutionnaires, la Société civile Cizre, l’Accord des jeunes Kurdes et Sawa : « Ces groupes étaient déjà actifs dans le passé, surtout dans le domaine de la culture. Mais quand la révolution a commencé en Syrie, nous avons fait un pas en avant et avons même changé notre nom pour la Coalition Sawa de la Jeunesse. »
Les jeunes Kurdes de Syrie attendaient, semblent-ils, depuis longtemps, une occasion de manifester au grand jour, mais par peur des représailles du régime, se cantonnaient à des actions culturelles. Aujourd’hui, leur impatience de passer à une action politique les pousse à utiliser leurs propres associations et mouvements au lieu de se rallier aux partis politiques, qu’ils jugent trop hésitants et manquant de coordination : « Nous savions tous qu’un jour la Syrie pourrait changer. C’est pourquoi nous avions déjà formé des groupes organisés. »
Jusqu’ici, en effet, les partis kurdes syriens n’ont pas adopté de ligne politique claire et unanime sur les révoltes syriennes. Selon les accusations de Ciwan Yûsuf, ils ont même tenté de freiner les actions des mouvements de jeunesse : « Pour nous, à Sawa, il était clair dès le début que nous sommes une partie de ce processus politique et de ce mouvement de rue, tout en n’appartenant à aucun mouvement politique. Mais les partis politiques s’opposent les uns aux autres et divisent nos mouvements. Ils nous soutiennent dans leurs communiqués officiels mais leurs actes prouvent tout le contraire. » Seuls quelques partis kurdes seraient en phase avec ces mouvements de jeunesse : le Parti de la liberté, l’Union des partis kurdes et le mouvement du Futur. « Ceux-là ont participé aux manifestations avec nous, ils travaillent avec nous et depuis le début leur attitude envers nous est bien meilleure que celle des autres partis. »
D’autres mouvements de jeunes Kurdes sont actifs non seulement dans le reste des villes kurdes, à Amude, Afrin, mais aussi Damas et Alep. Barzan Bahram, un écrivain kurde de Syrie, confirme le rôle prépondérant qu’a joué la jeunesse kurde par rapport à ses aînés : « Depuis le début de la révolution syrienne, les jeunes travaillent étroitement tous ensemble. Ils veulent s’unir et parler au nom des Kurdes de Syrie. » Barzan Bahram reconnaît lui aussi que les partis kurdes de Syrie ont tendance à vouloir diviser les rangs des jeunes activistes en fonction de leurs propres désaccords politiques, mais minimise les effets de cette rivalité : « La principale raison (de ce manque de cohésion) est la dictature du régime syrien. Malgré cela, nous travaillons très bien ensemble. »
Cependant, les tiraillements se font toujours sentir entre les différentes factions, surtout quand il s’agit de prendre part à des actions concrètes. Fawzi Shingar, un autre leader kurde, fondateur du parti Wifaq, reconnaît, confirmant ainsi les propos de Ciwan Yûsuf, que des efforts avaient été faits pour unifier les douze partis kurdes dans un front commun, mais « après que les forces de sécurité syriennes ont empiré la situation, des partis kurdes comme le Parti de la Liberté, l’Union des partis kurdes de Syrie et le mouvement du Futur, ont rejoint les manifestants et ont rallié leur volonté de renverser le régime.
Le même se dit méfiant envers les tentatives de pourparlers du régime et de son invitation lancée aux partis kurdes. Selon lui, une telle rencontre ne peut avoir lieu tant que certaines conditions ne seront pas remplies : « Ils doivent retirer tous les tanks des rues et les responsables syriens doivent venir s’excuser à la télévision auprès de tout le peuple syrien pour tous ceux qu’ils ont fait mourir. Ils doivent aussi expliquer où en sont leurs propositions de réformes et ce qu’ils ont réalisé jusque-là. Cela fait 45 ans que le régime parle de réformes mais rien n’a été fait. »
Selon Fawzi Shingar, la jeunesse kurde qui manifeste dans les rues a, désormais, plus d’influence sur le cours des événements que les partis politiques traditionnels : « Les autres partis et nous-mêmes avons participé aux manifestations, mais eux qui ont commencé et qui continuent aujourd’hui sont les jeunes. Je crois aussi que les partis politiques kurdes cesseront bientôt d’être politiquement divisés. À la fin, ils entonneront tous les mêmes slogans. »
Paradoxalement, il se peut que ce soit la politisation de longue date de la communauté kurde en Syrie, et l’habitude d’agir dans le cadre de mouvements organisés, qui paralyse son action par rapport aux révoltes spontanées et sans leaders réels de la « rue arabe » : « Les partis ne sont pas capables de contrôler la situation et la population ne peut agir séparément de ces partis. Ceux qui sont actifs actuellement agissent au hasard, sans avoir rien planifié et jusqu’ici, la politique du gouvernement a été d’observer une certaine neutralité dans les régions kurdes, afin de ne pas avoir à les attaquer. »
La réticence des partis kurdes à se radicaliser s’explique aussi par le fait qu’ils ne croient pas à un effondrement rapide du régime, contrairement à ce qui s’est produit en Tunisie et en Égypte. « Le régime résistera. L’État syrien soutient le Baath depuis 45 ans. Mais nous espérons que la situation ne devienne pas aussi violente qu’en Lybie. Nous espérons que le régime laisse un conseil provisoire gouverner le pays pour 6 mois, jusqu’à ce que des élections aient lieu pour élire un nouveau président et un nouveau parlement. »
Une autre raison d’hésiter à engager une résistance violente est l’inertie de la communauté internationale qui n’a, jusqu’ici, que « condamné » verbalement la Syrie pour la répression sanglante des manifestations.
Quant à l’influence ou l’action des partis kurdes hors de la Syrie, comme celle du PKK ou les partis du Kurdistan d’Irak, elles ne peuvent être que limitées et dépendent de leur propre agenda et alliances politiques. Abdullah Öcalan, dont le parti a longtemps bénéficié de la protection syrienne, a appelé les leaders kurdes de Syrie à négocier avec le gouvernement. De même le parti de Massoud Barzani, président du Kurdistan d’Irak, est tenu par des relations diplomatiques complexes et tendues avec ses voisins, et ne peut guère aller plus loin qu’à un vague appel à l’apaisement et à la démocratie.
Mais la réticence ou la « prudence » des activistes politiques plus âgés peut s’expliquer par des années d’expériences décevantes ou négatives dès que, dans l’histoire kurde, il a fallu compter sur la solidarité des mouvements arabes et leur reconnaissance de la spécificité kurde. Les partis politiques craignent que les revendications des Kurdes ne soient pas pris en compte ou oubliées par le reste des opposants syriens ; d’où une impression de confusion et d’hésitation dans les prises de paroles et les décisions de l’opposition kurde.
Ainsi, la conférence tenue à Antalya, en Turquie, par des représentants de l’opposition syrienne, politiciens, intellectuels, journalistes, a parfois été annoncée comme boycottée par les partis kurdes, en raison de la politique turque concernant ses propres Kurdes, alors que certains représentants ou militants éminents de ces mêmes partis ont indiqué qu’ils se rendraient tout de même à Antalya, mais en leur nom propre. Mais les mêmes partis kurdes se sont plaint de n’avoir pas été invités, ni que leur propre déclaration et revendication ait été prise en compte par la plate-forme d’opposition. D’autres voix avaient critiqué le fait que les Kurdes ne soient pas d’emblée qualifiés de « second groupe ethnique en Syrie ».
Mais selon Fawzi Shingar, le problème majeur est l’absence d’unité des voix kurdes, qui affaiblit leur poids au sein des groupes politiques dissidents en Syrie : « Le problème avec nous, les Kurdes, est que nous n’avons toujours pas d’agenda commun. Nous n’avons aucun papier à présenter à l’opposition syrienne pas plus qu’au gouvernement… Il est capital que les partis et les intellectuels kurdes entament des discussions et forment un conseil. Sinon, nous aurons des problèmes. »
Mais certains observateurs, comme le professeur Radhwan Badini, lui-même Kurde originaire de Syrie et qui enseigne à l’université de Salaheddin d’Erbil, juge que cette rencontre d’Antalya est, malgré tout, un pas « historique », puisque dans une déclaration finale, les droits des Kurdes, comme ceux des Assyriens ont été ouvertement évoqués comme « égaux » à celui des Arabes. Abu Sabir, un leader du Parti uni démocratique kurde, a reconnu dans un entretien à Rudaw, que le fait que l’Union des partis kurdes de Syrie n’ait pas été invitée à la conférence l’avait rendu suspicieux sur les intentions des mouvements arabes syriens, mais que la déclaration qui a clos la conférence l’avait convaincu.
À l’issue de cette conférence, les différents groupes d’opposition ont formé un comité consultatif et ont appelé le président syrien à démissionner immédiatement et à céder ses pouvoirs à son vice-président, jusqu’à ce qu’une assemblée soit constituée pour garantir une transition démocratique. Ce comité consultatif, qui veut représenter toutes les composantes religieuses et ethniques de la Syrie, compte 31 membres et 4 de ses sièges sont réservés aux Kurdes.
Quant au gouvernement syrien, il tente toujours, dans sa politique des promesses et des petits gestes, de dissuader ou d’empêcher une coalition kurde qui se joindrait aux mouvements arabes. Selon le journal turc Milliyet, Bachar Al Assad aurait invité les représentants de douze partis kurdes, dont le PKK, pour des pourparlers qui ne concerneraient que les revendications des Kurdes syriens, avec une promesse de réforme et d’amnistie des prisonniers politiques. Le journal Milliyet affirmait que les partis kurdes avaient accepté cette rencontre, ce qui a été formellement démenti le 9 juin par les intéressés, comme l’a annoncé le journal Al-Arabiya.
L’Union démocratique des partis kurdes a ainsi confirmé l’invitation mais a démenti qu’elle a été accepté. Après une réunion des partis kurdes à Qamishlo, ces derniers ont rejeté la rencontre, considérant que les circonstances n’étaient pas « favorables » à de telles négociations. Par ailleurs, elle demande un cessez-le-feu bilatéral, le retrait de l’armée des villes syriennes, et qu’une autonomie des régions kurdes soit accordée, avec une administration séparée.
Le parlement du Kurdistan vient de voter un ensemble de lois ou d’amendements, dans un climat de contestations politiques et sociales et de demandes de réformes né des manifestations de Suleimanieh au printemps dernier. Parmi les lois nouvellement votées, celle condamnant l’excision a été saluée par de nombreuses ONG, kurdes ou internationales.
Depuis qu’en 2007 et 2008, des enquêtes de terrain, conduites par des équipes allemandes et kurdes (WADI) avaient conclu à un pourcentage de près de 77% d’excision dans certaines régions du Kurdistan d’Irak (principalement celles de Suleimanieh et de Germiyan), de nombreuses campagnes avaient été lancées, avec l’appui du gouvernement de la Région du Kurdistan, pour informer la population des méfaits de cette pratique. Les autorités religieuses locales avaient aussi été fortement incitées à la condamner.
La loi prévoit maintenant des peines d’emprisonnement allant de 3 à 6 ans de prison et une amende d’un million de dinars irakiens pour toute personne incitant à l’excision, ainsi que des peines de 5 à 6 ans de prison et 5 millions de dinars d’amende pour les personnes la pratiquant et 3 ans d’interdiction d’exercer la médecine au cas où du personnel médical serait reconnu coupable.
La même loi interdit dorénavant l’usage de la dot, les mariages forcés, les mariages arrangés lorsque l’âge de la jeune fille et celui du mari sont disproportionnés, ainsi que la prostitution forcée (la légalité même de la prostitution étant débattue au sein des milieux politiques et associatifs kurdes).
Mais si les ONG saluent cette interdiction, son application et son efficacité sur le terrain restent encore à démontrer. Le ministre de la Santé, Taher Hawrami a déclaré que les autorités lanceraient une campagne d’affichage pour informer sur les nouvelles dispositions législatives, en ajoutant que les cercles religieux devaient s’impliquer davantage pour faire reculer l’excision : « Les gens ont besoin d’une meilleure compréhension de la religion pour abandonner cette pratique. »
D’autres questions liées à la situation des femmes et à l’évolution des mœurs restent en suspens, comme la protection sociale des divorcées, souvent sans ressource et dépendant alors totalement de leur famille, comme l’explique Payman Abdul Karim, un député : « Quand une femme est divorcée, elle n’a nulle part où aller et est souvent maltraitée. »
D’autres réformes qui vont être proposées au Parlement sont une réponse assez large aux manifestations du printemps dernier dans la province de Suleimanieh, qui avaient laissé s’exprimer une vague de contestation sociale et politique, parfois meurtrière. Le président Massoud Barzani avait alors promis un ensemble de réformes qui aplaniraient les inégalités sociales et une forme de népotisme reproché à une classe politique trop souvent compromise avec les milieux d’affaires.
Le plan de réformes, prévu pour être mis en place le 15 juillet, va de mesures visant à améliorer la santé publique, l’alimentation, l’énergie, les infrastructures routières, le logement à une plus grande transparence dans les marchés publiques, notamment la vente de terrains à bas prix pour des projets d’investissement : ces terrains acquis à bas prix auraient été détournés de leur destination et revendus avec une plus-value conséquente. Sans attendre ces mesures, le président Barzani, qui supervise les projets agraires a déjà mis fin à 118 contrats et réclame la restitution de plus de 10 000 ares de terres.
Dans un premier temps, ce plan de réformes n’avait semblé être prévu que pour les provinces de Duhok et d’Erbil, ce qui avait suscité des critiques parmi la population de Suleimanieh. Il est possible que l’implantation de telles réformes et la restitution de terres ou de bâtiments soient plus délicate à imposer, de la part de Massoud Barzani, dans une province tenue par l’UPK et où, de surcroît, l’opposition ne porte guère le PDK dans son cœur. Cependant, un représentant de la commission anti-corruption a affirmé que les enquêtes se poursuivaient, et que près de 10 000 ares seraient réclamées dans la province de Suleimanieh. La commission d’enquête doit aussi examiner un projet d’hôtel et un autre concernant un établissement hospitalier, dans la ville même de Suleimanieh. Les directeurs de plusieurs bureaux gouvernementaux de la ville ont confirmé au journal Rudaw qu’ils avaient déjà fait l’objet d’inspection de la part de cette commission. Le chef du département de tourisme de Suleimanieh a indiqué que deux projets avaient déjà été annulés et que 70 étaient actuellement examinés. Pour sa part, Muhammad Hadji, directeur du bureau des contrats de la municipalité de Suleimanieh a fait état de 60 projets « en cours d’examen ». Les projets non avalisés par la commission sont tous annulés.
Des projets pour encourager le tourisme doivent aussi voir le jour. Sur la question de la corruption, une commission parlementaire doit également présenter un projet de loi visant à garantir une plus grande transparence dans les budgets, les marchés publics et la législation.
La mise en place d’un fonds de solidarité sociale voit aussi le jour, visant à assurer la subsistance des chômeurs, des personnes à faible revenu ou bien invalides. Quant au secteur de la Santé publique, il doit faire l’objet d’une profonde réorganisation.
La Justice est aussi un secteur très critiqué par l’opinion publique, qui lui reproche d’être sous l’influence des partis au pouvoir. De nouvelles lois devraient donner plus d’indépendance aux juges et de moyens pour juger les dossiers de corruption.
D’autres mesures semblent plus anecdotiques, mais vont dans le sens d’une plus grande proximité des membres du gouvernement ou du Parlement avec la population. Ainsi, le 14 juin, un décret présidentiel a interdit de rouler dans des véhicules aux vitres teintées et a imposé à tous les membres du gouvernement ainsi qu’aux députés de mettre leurs voitures en conformité avec cette nouvelle réglementation, « afin que tous les passagers d’une voiture soient visibles ». Les responsables et membres des partis politiques ont été également invités à s’y conformer, de même que les simples citoyens, policiers et agents de circulation.
Jusqu'au 14 juillet, « Notes from Afghanistan », une exposition des photos de Ghazal Sotoudeh se tient à la Galerie Mourlot de New York, exposition qui tournera peut-être ensuite à Londres et Paris.
Ghazal Sotoudeh est née à Téhéran en 1981, d'un père kurde emprisonné et exécuté par le régime des mollahs. Elle a fui l'Iran en 1983, dans les bras de sa mère et sur un cheval, et a grandi à Paris. Interrogée sur son histoire et la question de ses origines, Ghazal Sotoudeh répond à une interview de Scott Bohlinger sur le site Iranian.com . Elle y raconte ainsi comment elle est venue à la photo, en faisant la connaissance de Reza, alors qu'elle travaillait pour un cabinet d'avocats, après avoir étudié le piano, la littérature, la philosophie, et finalement le droit.
« Je travaillais comme stagiaire dans un cabinet d'avocats il y a 8 ans. Un jour, j'ai vu un dossier avec le nom de mon père dessus. Cela m'a causé un choc, parce que mon père a été exécuté alors que ma mère et moi fuyions le pays, 2 ans après la révolution. J'avais 3 ans et je ne l'ai jamais connu. C'était très étrange.
Je me retrouvais là, 20 ans après, dans ce cabinet français d'avocats, avec le prénom de mon père dansant sur un dossier jaune. J'ai questionné la secrétaire sur ce dossier et elle a répondu : "Oh, c'est juste un photographe iranien." Et ce fut tout !
Je suis rentrée chez moi et j'ai téléphoné à ma mère pour raconter ce que je pensais être une histoire incroyable : "Hé, tu sais, il y a un photographe avec le nom de Papa et il vit à Paris !" Et alors, elle a dit : "Je pense qu'il était aussi avec nous en prison !" (ma mère était une prisonnière politique sous le régime du Shah, de 1977 à 1979, tandis que mon père a été détenu de 1973 à 1979. Elle avait 17 ans quand elle a été arrêtée). » Je me suis dit : « La vie est bizarre, comme toujours. » Mais là encore, ce fut tout.
Deux mois plus tard, par une journée ensoleillée, je me promenais par hasard avec mon petit cousin au parc du Luxembourg et je ne savais pas que ce photographe faisait actuellement la clôture de son exposition itinérante. J'étais très timide et intimidée, mais je ne pouvais pas prétendre ne pas le connaître. Il était là, à signer des autographes ; je me suis alors approchée et me suis présentée. Je lui ai finalement demandé s'il connaissait mon père. Ses yeux se sont mis à briller et c'est comme ça que j'ai commencé à travailler avec lui.
Questionnée sur sa triple identité, iranienne, kurde, française, et les sentiments que cela lui inspire dans son travail, Ghazal Sotoudeh s’explique :
« Je sens seulement que j'ai de la chance en dépit de toutes les difficultés qu'il y a à concilier tous les fils de ces identités. C'est très difficile de grandir en tant qu'iranienne à Paris, très difficile d'être considérée comme une iranienne en Iran… En plus de cela, mon beau-père est kurde, et il a ainsi ajouté à mon identité mêlée de belles histoires venues de son propre bagage culturel. Il m'a fallu quelques efforts pour me sentir bien avec tout ça, mais finalement, je vois combien je suis chanceuse de pouvoir discerner ce qui est bon ou mauvais dans la culture occidentale et non occidentale.
Les Kurdes, en Iran, ont été, dans le passé, une force incroyable contre les dictatures (celle du Shah et l'actuelle) et ils le sont toujours. Ce qui est intéressant, c'est que c'est la seule minorité "ethnique" dans ce cas-là. Bien sûr, c'est lié à leur situation géographique, totalement écartelée entre cinq pays, et étant capables de nouer des alliances avec les Kurdes de l'autre côté des frontières, ils ont eu un formidable potentiel de déstabilisation du gouvernement central de Téhéran. Même si, parfois, c'est ce combat contre le régime qui a amené les leaders politiques kurdes à se trouver des amis du mauvais côté, les Kurdes d'Iran ont combattu le régime avec un dévouement incroyable et beaucoup de dignité. Je suis très fière du passé de ma famille, mais je me sens aussi très attristé par la façon dont la politique a détruit chacun de ses membres à jamais, et je ne parle pas seulement des morts.
Mes tantes ont été les premières femmes exécutées en Iran, sur les ordres de Khalkhali. C'étaient des infirmières, pas du tout engagées politiquement, seulement et simplement des infirmières. Je sais que beaucoup de Kurdes d'Iran ont, d'une façon ou d'une autre, les mêmes histoires dans leurs armoires. C'est pourquoi ils restent une force d'opposition importante : parce qu'ils ont eu beaucoup de pertes au combat et qu'ils ne l'ont jamais oublié et ne pourront jamais l'oublier. Un autre point intéressant est que chaque Kurde d'Iran se sent avant tout iranien. Mais cela ne les empêche pas de se battre vraiment pour la préservation de leur héritage culturel, et surtout pour enseigner le kurde à l'école. »