Dès le début du mois, les attaques de l’Iran sur des villages kurdes des provinces d’Erbil et de Suleimanieh, en bordure de frontières, ont contraint les habitants d’une vingtaine de localités à fuir leurs foyers. Mais faisant état de la présence de bases du PJAK, la branche iranienne du PKK, en guerre contre Téhéran, le gouvernement a répliqué qu’il se réservait le droit d’ « attaquer et de détruire les bases terroristes dans les zones frontalières », en accusant même directement le président kurde de soutenir et d’abriter volontairement les forces du PJAK sur son sol.
De son côté, le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzanî, a condamné ces attaques. Une délégation de dix députés du Kurdistan d’Irak s’est rendue au village de Choman, à 10 kilomètres de la frontière iranienne, particulièrement éprouvé par les bombardements et a, dans un rapport public, fait état de routes aménagées par les forces iraniennes à l’intérieur du territoire irakien, dans les zones qu’ils avaient pilonnées. Le 18 juillet, un haut responsable des Gardiens de la Révolution iraniens, Delavar Ranjbarzadeh, annonçait « contrôler totalement » trois camps de la guerilla du PJAK ainsi que la région environnante, près de Serdesht, alors que des opérations militaires étaient toujours en cours. Ranjbarzadeh a également affirmé que leur objectif était d’éradiquer totalement les bases du PJAK.
En dehors des pertes civiles, le bilan des belligérants est imprécis et varie bien évidemment selon les sources. Le journal irakien Aswat Al-Iraq a publié l’estimation d’une source militaire irakienne, indiquant qu’une trentaine de soldats iraniens pouvaient avoir trouvé la mort dans les combats. L’Iran, lui, n’a reconnu que la perte d’un membre des Gardiens de la Révolution, trois blessés dans ces mêmes rangs, tandis qu’un « grand nombre » de membres du PJAK aurait été tué, dont un commandant du camp de Merwan. De son côté, le PJAK a déclaré à l’AFP que les Iraniens avaient subi de lourdes pertes près de Panjwin, dans la province de Suleimanieh, entre 150 et 200 tués et blessés, et ne reconnaissait que 4 blessés et 7 morts dans ses rangs.
Les autorités kurdes ont annoncé que le 20 juillet, deux villageois de la région de Choman avaient été arrêtés par les troupes iraniennes et que leurs troupeaux avaient été saisis par les militaires et 11 familles ont dû fuir les combats. Mamand Mami Xali, qui commande les Peshmergas kurdes dans la zone a indiqué que les Iraniens avaient pénétré au moins d’un kilomètre à l’intérieur du Kurdistan d’Irak. Dans un autre village, près de Qaladize (province de Suleymanieh) un homme a été blessé le même jour et l’école endommagée. Le village a dû être complètement évacué. Mamand Mami Xali a aussi fait état de bombardements que l’on pouvait entendre à Haj Omran, dans la montagne de Kodo, à 250 kilomètres au nord-est d’Erbil, ainsi que dans d’autres districts, et d’un déploiement de « forces importantes avec des chars et de l’artillerie ».
D’autres villageois ont confirmé ce que la délégation des députés kurdes avait dénoncé : la construction de routes et de bases militaires, qui laissent présager un début d’occupation de ces zones frontalières. En tout, c’est près de 200 familles kurdes vivant sur la frontière qui ont été déplacées pour des raisons de sécurité et installées dans des campements provisoires. Bernard Douglas, le porte-parole de l’Office international des migrations (OIM), a indiqué que ces familles avaient surtout besoin « d’abris et d’eau », et que l’OIM les avait munis en lits et tentes et kit de purification pour l’eau, fournie, elle, par les autorités kurdes. « Ces familles ne pourront pas survivre longtemps sans aide (...) Beaucoup ont abandonné leurs cultures et leurs troupeaux».
La tension politique au parlement turc, après le boycott des députés kurdes élus protestant contre l’emprisonnement de deux des leurs, a eu pour conséquence une recrudescence des affrontements armés et une surenchère politique de la part du BDP.
Le 8 juillet, un accrochage entre l’armée et le PKK tuait un soldat turc et en blessait trois autres, dans la région de Pülümür. Le 11 juillet, deux autres soldats tombaient aux mains de la guerilla kurde, ainsi qu’un civil travaillant pour le ministère de la Santé, non lors d’une opération militaire, mais d’un barrage de route. Des témoins ont affirmé avoir vu des militants kurdes armés arrêter les véhicules, retrouvés abandonnés par leurs occupants. Le 15 juillet, 13 soldats turcs et 7 combattants du PKK ont perdu la vie dans un combat près de Silvan, dans la province de Diyarbakir, ce qui en fait l’affrontement le plus meurtrier depuis 3 ans entre l’armée et les Kurdes, déclenchant une série de « condoléances » de la part de la Maison Blanche et des Etats-Unis.
Le Premier Ministre Tayip Erdogan a annulé ses rendez-vous pour tenir une réunion de crise, avec les plus hauts gradés de l’armée, des forces de sécurité et le ministre de l’Intérieur, Beşir Atalay. De son côté, Cenil Çiçek, le président du Parlement, s’en est pris violemment aux élus kurdes (qui ont annoncé le boycott des séances) en leur demandant de « choisir leur camp », entre, selon lui, la « démocratie, la paix et la liberté » et « le sang, la haine et la barbarie ». Mais Selattin Demirtaş, tout en déplorant les victimes, a dénoncé l’absence de règlement politique de la question kurde, alors que les 36 députés du BDP refusaient de prêter serment au Parlement tant que leurs camarades resteraient emprisonnés.
Le 12 juillet, le CHP, qui refusait aussi de siéger, pour les mêmes raisons, a accepté que ses députés prêtent serment et a même lancé un appel conjointement avec l’AKP au reste des députés poursuivant le boycott, soit les Kurdes. Or, le même jour, le BDP a tenu, lui aussi, une session parlementaire, mais … à Diyarbakir, la capitale du Kurdistan de Turquie, défiant ainsi Ankara, appelant toujours à la libération des députés emprisonnés et réclamant des changements constitutionnels. En l’absence de réponse de la part du gouvernement, le BDP a déclaré que ce parlement de Diyarbakir continuerait de siéger jusqu’à ce que leurs revendications soient acceptées.
Le 15 juillet, cette même « Assemblée du Kurdistan » a proclamé une « autonomie démocratique pour une résolution pacifique de la question kurde ». À cela, la réponse judiciaire ne s’est pas faite attendre et un acte d’accusation a été émis contre les auteurs de cette initiative politique, alors que les 13 soldats turcs tués au combat contribuaient à l’échauffement de l’opinion publique, et faisaient craindre des affrontements entre Kurdes et Turcs dans les villes où les deux groupes se côtoient.
C’est ainsi qu’à Istanbul, lors d’un festival international de jazz, la chanteuse kurde Aynur Dogan n’a pu se produire sur scène, devant un public survolté pour qui ses chansons kurdes étaient une « provocation » après la mort de ces soldats. La chanteuse a dû interrompre son tour de chant, tandis qu’une partie de la salle reprenait l’hymne national turc. L’incident a fait le tour de la presse turque, ainsi que les journaux étrangers, qui l’ont tous jugé inquiétant, comme étant le signe d’une dégradation des relations entre les deux peuples dans le pays, surtout de la part d’un public perçu comme ouvert, jusqu’ici, aux autres cultures. « Ceux-là peuvent être considérés comme le public turc le plus sophistiqué – celui d’un concert de jazz. Ils savaient que quelqu’un allait chanter en kurde et ils ne pouvaient le tolérer. Cela montre la profondeur des blessures, pas seulement chez les Turcs, mais je pense, aussi chez les Kurdes » a commenté Soli Özel, éditorialiste politique du quotidien Haberturk. Selon lui, cet incident est le signe d’une polarisation croissante entre Kurdes et Turcs, en ajoutant que même au plus dur de la guerre, dans les années 1990, il n’y avait pas eu de propagation inter-ethnique des hostilités dans les villes de l’ouest, mais qu’à présent que des millions de Kurdes s’y sont réfugiés, les tensions ont aussi été exportées des régions kurdes. Seli Özel souligne la situation dangereuse à laquelle doit faire face l’AKP : « D’un côté, l’AKP tente d’intégrer les Kurdes dans le système économique, ce qui fait qu’ils y sont plus présents, et que cela créé du ressentiment chez les Turcs qui occupent déjà une position dans ce système. D’un autre côté, comme les Kurdes sont de plus en plus éduqués et peuplent de plus en plus les villes de l’ouest et du sud, ils peuvent exprimer leur colère avec plus de force. »
Des jeunes Turcs ont ainsi opéré des raids d’intimidation dans un bidonville d’Istanbul où vivent majoritairement des Kurdes refugiés depuis deux décennies. Ertugrul Kurkçu, un député turc du BDP a également émis les mêmes pronostics, du côté kurde, en parlant des jeunes générations issues de la guerre, dont les familles ont été déplacés, tuées ou traumatisées de diverses façons par le conflit : « Leur hostilité envers l’État actuel est même plus farouche que chez la génération précédente. Ils ne sont pas enragés sans raison. Ils vivent dans une atmosphère très sauvage, pas seulement en raison des conditions de vie physiques, mais aussi mentales, avec plus aucun respect pour le gouvernement, mais aussi envers la société. »
En juillet dernier, le leader kurde Meşal Temo (Meshaal Tammo), récemement libéré de prison, donnait une interview par téléphone au site KurdWatch, dont voici de larges extraits :
Q : Des manifestations contre le régime ont lieu en Syrie depuis la mi-mars. Plus de 1500 personnes ont été tuées et environ 10 000 arrêtées. Où en est la Syrie ?
Tammo : Le nombre réel de tués et de prisonniers pourrait être plus élevé. Nous avons affaire à un État policier. Le nombre de victimes de ces agressions par l'État n'est pas rendu public. Il y a un nombre incalculable de personnes disparues et je crains que beaucoup d'entre elles soient mortes. Nous savons que ce régime riposte par des charniers – et après sa chute, nous sommes sûrs de découvrir des faits nouveaux et effroyables sur la façon dont cet État policier fonctionne. Mais indépendamment de ce qui se passe, la majeure partie de la population a pris sa décision. Ils veulent la liberté et ils parviendront à l'obtenir. Le régime peut tuer, peut emprisonner par milliers, il peut livrer les villes au pillage, il peut tout raser. Mais il ne pourra plus jamais empêcher la population de décider d'un changement de régime.
Q: Pendant longtemps on n'entendait rien de la part des partis d'opposition de ce pays. C'est seulement ces deux dernières semaines qu'ils ont commencé de s'organiser. Pourquoi ?
Tammo : Nous ne devons pas oublier que le régime syrien a combattu ces partis dissidents durant les 45 dernières années. Il a privé l'opposition de toute liberté de mouvement. Jusqu'à présent, l'opposition syrienne a toujours agi dans l'illégalité et pour leurs actions, ses membres ont été persécutés et arrêtés. Cette opposition n'a aucune expérience concernant des activités légales. Nous vivons dans un pays où un seul parti a la parole et où la diversité des opinions est supprimée. Les partis d'opposition ont subi de nombreux revers. Beaucoup de ses membres ont été en prison durant des années ou ont dû quitter le pays. Dans de telles conditions, l'action de la dissidence était difficile. C'est pour cela que l'opposition est très affaiblie. Ce n'est que maintenant que ses membres apprennent à communiquer entre eux. Ce n'est que maintenant que le peuple commence à apprendre à exprimer ses opinions et à respecter des opinions différentes. C'est pour cela qu'il a fallu un moment avant que l'opposition en vienne à se réorganiser. Dans le même temps, il y a ici une génération nouvelle de la société syrienne qui ne partage pas les mêmes craintes que la vieille génération. Ces jeunes gens bâtiront la Syrie nouvelle.
Q: Les partis d'opposition ne sont pas seulement faibles, mais divisés. Ces dernières semaines, il y a eu diverses rencontres dans le pays et à l'étranger, à Antalya ou d'autres lieux, que plusieurs partis d'opposition en Syrie ont boycottées. Le 27 juin, une coalition de 8 partis arabes et 5 partis kurdes a été formée, mais d'autres groupes, comme ceux de la Déclaration de Damas, ont gardé leurs distances avec cette alliance. Et finalement, vous-même, avec d'autres personnalités, avez fondé un comité pour organiser une conférence nationale. Comment cette opposition désunie peut-elle se rassembler ?
Tammo: Tout cela est vrai. Néanmoins, toutes ces rencontres et les formations de ces groupes sont nécessaires et appropriés à l'actualité. Nous devons savoir qui peut agir et qui ne le peut pas, et nous devons aussi envisager à quoi ressemblera la Syrie nouvelle après le changement de régime. Nous avons besoin d'une nouvelle constitution. Nous avons besoin de redéfinir nos relations extérieures, et bien plus encore. Toute l'opposition travaille dans cette direction. Il est possible que certains groupes aient des problèmes avec d'autres, mais une chose les rassemble tous : le désir d'être libre. La coalition que j'ai formée, avec d'autres, devrait être une préparation pour une conférence de salut national. Cette conférence devrait être une alternative au régime. Dans notre coalition, les partis ne sont guère représentés : ce sont plutôt des jeunes gens, qui mènent la révolution syrienne. C'est pourquoi je crois que nous pouvons rassembler plusieurs groupes d'opposition. Tous, certainement, n'y prendront pas part, mais les plus importants le feront, dont plusieurs partis kurdes, des groupes issus de la Déclaration de Damas et beaucoup d'autres. Ensemble, nous ferons avancer la révolution. Ce qui nous unit est le fait que nous ne voulons pas traiter avec ce régime et que nous nous voyons comme une alternative au gouvernement en place. Nous voulons des discussions ouvertes entre nous, sur la nouvelle Syrie. Une Syrie civile et démocratique doit être bâtie, dans laquelle les différentes ethnies obtiendront leurs droits. Nos réunions sont ouvertes à tous ceux qui partagent ces buts. Les sessions n'auront pas lieu en secret. Chacun devra pouvoir prendre part à la discussion.
Q: En dehors des jeunes activistes, la plupart des partis d'opposition n'ont pas demandé, jusqu'à présent, la démission du régime. Comment voulez-vous amener ces gens autour d'une même table si la fin de ce régime est l'un de vos principaux objectifs ?
Tammo : Chaque jour, ceux qui demandent la démission du régime sont de plus en plus nombreux. Plus ce gouvernement assassine et emprisonne de gens, plus les partis d'opposition et les Syriens en dehors des organisations politiques vont demander la démission de ce gouvernement. Les gens croient de plus en plus que ce gouvernement a perdu toute légitimité. Il n'y a presque plus personne à vouloir traiter avec ce régime.
Q: Y a-t-il déjà des plans pour la période après-Bashar ? L'opposition syrienne travaille-t-elle sur des concepts tels qu'une nouvelle constitution ou de nouvelles lois sur les partis ou les organisations ?
Tammo: Sur ce point, toute l'opposition est unie : Il doit y avoir une nouvelle constitution. Cette constitution doit refléter la diversité culturelle du peuple syrien. Des lois doivent être créées pour les partis, le vote, la presse, et ainsi de suite. Ce sont les bases d'un État civil moderne. Je crois que ces groupes qui veulent un État moderne, civil et démocratique l'emporteront. Le premier pas dans cette direction est une nouvelle constitution.
Q: Comment l'opposition syrienne voit-elle la relation entre l'État et la Religion ?
Tammo : Que cela nous plaise ou non, la majeure partie de la société syrienne est religieuse. Religieuse, mais pas radicale. Les succès d'Erdoğan ont plus influencé la population que tout le reste. Les gens et les groupes avec lesquels nous voulons organiser la conférence de salut national aimeraient montrer que leur religion est ouverte aux idées et notions différentes. Nous voulons une constitution nouvelle et progressiste. La religion doit jouer un rôle subordonné.
Q: L'Europe et les USA ont été réticents à parler de sanctions contre la Syrie. Pourquoi ?
Tammo : Ils craignent qu'après un changement de régime, le chaos surgisse. Ils craignent une guerre civile et d'autres troubles. Le gouvernement syrien a nourri beaucoup de ces peurs et a même répandu la propagande que tout le Moyen-Orient sombrerait dans le chaos et le gouvernement de Bachar Al-Assad tombait. Plus le temps passe, plus l'Occident arrive à la conclusion qu'un changement de régime contribuerait non seulement à la stabilité de la Syrie mais à celle de toute la région. Les critiques contre le régime vont dans le même sens.
Q : Que doivent faire les Européens et les Américains dans la situation actuelle ?
Tammo : Ils peuvent faire beaucoup. Ils peuvent imposer un embargo économique et exercer de plus grandes pressions politiques. Ils peuvent soutenir l'opposition. Nous ne voulons pas d'intervention militaire de l'étranger. Nous résoudrons nos problèmes par nous-mêmes. Mais les Américains et les Européens peuvent, avec une évaluation correcte de la situation, une parole claire et des sanctions sans équivoque, contribuer à une situation où le régime ne tuera plus des personnes aveuglément.
Q : Si un changement de régime survient, quelles seront les relations avec Israël ? Comment sera gérée la question du Golan ? On entend souvent dans l'opposition que la Syrie a servi les intérêts d'Israël et n'ont pas tiré une fois sur le Golan en 40 ans. Est-ce que cela veut dire que l'opposition veut mener une guerre pour le Golan ?
Tammo : Non. L'opposition actuelle veut la paix et la question du Golan doit aussi être résolue pacifiquement. Il doit y avoir un traité de paix respecté internationalement. Nous ne voulons plus exploiter ce conflit à des fins de propagande pour nous détourner de nos problèmes réels. Nous voulons résoudre sincèrement les problèmes internes de la Syrie.
Q : La Turquie, surtout le Premier Ministre Erdoğan, exerce les plus lourdes pressions sur la Syrie, actuellement. Des voix arguent que la Turquie pourrait établir une zone de sûreté pour les réfugiés syriens le long de la frontière syrienne commune. Qu'en dit l'opposition ?
Tammo: La Turquie a ses propres intérêts et veut jouer un rôle nouveau et important au Moyen-Orient. Elle veut devenir une puissance dans la région ; c'est aussi pour cela qu'elle prend nettement position. Le gouvernement turc ne veut pas répéter les erreurs du passé et s'est rangé aux côtés de la population syrienne. Dans le même temps, nous réalisons que la Turquie s'est engagée plus fortement avant les élections qu'après. Nous espérons que cet engagement en faveur de la population s'accentue. Nous partageons une frontière d'approximativement 800 km avec la Turquie et quand vous prenez cela en considération, il est très compréhensible que les événements récents en Syrie doivent avoir aussi une importance en Turquie. Les Kurdes vivent de part et d'autre de la frontière turco-syrienne ; le gouvernement turc ne veut pas de problèmes supplémentaires. La Turquie veut aussi jouer un rôle dans cette phase de transition pour cette même raison. Concernant une zone de sûreté, sans une résolution des Nations Unies, une telle chose est difficile à appliquer. Une telle zone de sûreté ne peut être un effort unilatéral du gouvernement turc. Elle doit être soutenue par la communauté internationale. Nous espérons, cependant, que les choses n'iront pas aussi loin et que le peuple abattra le régime avant.
Q : Pendant plus de trois mois, les forces de sécurité syriennes ont tué des manifestants. À Hama on a même craint une répétition des événements de 1982. Combien de temps cela peut-il durer ? Est-ce que l'on arrivera à une guerre civile ?
Tammo : Les événements de Hama ne se répéteront pas. Nous vivons à une époque différente. Aujourd'hui, c'est dans dans toute la Syrie, et pas dans une seule ville que le peuple est sur les barricades. Une autre question est centrale : Combien de temps les militaires syriens participeront-ils à l'assassinat de manifestants pacifiques ? Des soldats ont déjà quitté l'armée et ne veulent plus ouvrir le feu sur la population. Si cela continue, l'armée se désintégrera. En ce moment, il y a des manifestations dans les 14 provinces. L'armée peut tuer 10, 20 personnes chaque jour et en arrêter 200, mais elle ne réduira pas le peuple au silence de cette façon.
Q : Quel rôle a joué, dans la révolution, la grève de la faim des prisonniers en mars 2011 dans la prison de ʿAdra, à laquelle vous avez participé ?
Tammo: Cette grève de la faim a servi certainement de déclencheur aux manifestations nationales. La situation politique était telle qu'il suffisait d'une étincelle pour que la population exprime son mécontentement. Nous étions conscients de cela et nous voulions y prendre part. Quand nous avons commencé la grève de la faim, nous n'avions qu'un but : inciter le peuple à se soulever contre le régime.
Q : Les partis d'opposition en place ne semblent guère enclins à jouer un rôle dans les manifestations. Ce sont plutôt les jeunes qui se mobilisent sur Internet. Qu'est-ce qui retient ces partis ?
Tammo : Nous ne devons pas oublier que beaucoup de ces jeunes activistes sont aussi membres des partis d'opposition en place. Il est vrai, cependant, que ces partis ne jouent pas un rôle de meneur. Les partis doivent se mobiliser avec plus de force pour la révolution. Nous devons travailler à cela. Les jeunes qui mènent la révolution ont des réseaux efficaces et sont bien organisés. Ils sont très motivés, travaillent de façon très professionnelle et savent exactement ce qu'ils veulent. Ils ont décidé que ce régime devait s'en aller, et c'est ce à quoi ils s'emploient.
Q : Jusqu'à présent, on supposait que les forces d'opposition les mieux organisées étaient les partis kurdes et qu'ils joueraient un rôle important dans la chute du régime. Dans la réalité, c'est loin d'être le cas. Vous-même n'avez pas appelé à participer aux manifestations. Pourquoi ?
Tammo : C'est malheureusement vrai. L'opposition kurde était le meilleur groupe d'opposants en Syrie et était très active dans le cadre de partis politiques. Dès le début de la révolution, les partis kurdes pouvaient avoir un rôle important, mais ils ont manqué cette occasion. D'un côté, le régime s'est comporté très habilement avec les Kurdes, et d'un autre côté, plusieurs responsables de partis kurdes ont contribué à la faiblesse de l'opposition kurde. Plusieurs partis kurdes n'ont pas encore de position claire vis-à-vis du régime. Certains ont encore le sentiment qu'il serait préférable, en finale, de négocier avec le régime. Cela affaiblit naturellement les manifestations dans les régions kurdes et a, pour conséquence, un nombre moindre de Kurdes dans les rues. Cela ne veut pas dire que les Kurdes n'obtiendront pas leurs droits dans la Syrie nouvelle. La jeunesse kurde a participé activement et a rendu un service important à toute la révolution syrienne. Nous – le Mouvement du Futur, le Parti kurde de la liberté en Syrie (Azadî) et le Parti de l'union kurde en Syrie (Yekitî) – avons participé aux manifestations dès le début et nous serons toujours là dans l'avenir. Nos jeunes membres manifestent tout comme les jeunes membres des autres partis et les protestataires indépendants. Comme partout en Syrie, nous avons en conscience pris la décision que les jeunes gens devaient prendre en charge l'organisation des manifestations. Le Mouvement du Futur, Azadî et Yekitî ont déjà organisé des manifestations en Syrie à une époque où personne n'osait protester en public. Nous sommes heureux que nos jeunes gens jouent maintenant un rôle important.
Q : Est-ce que l'opposition kurde, ainsi que l'opposition arabe, se cachent derrière ces jeunes gens ? Vous voulez façonner l'avenir de ce pays, mais vous tardez dans une phase critique de la révolution, laissant toutes les responsabilités aux jeunes gens. Est-ce que ce n'est pas contradictoire ?
Tammo : Pour nous, en tant que Mouvement du Futur, ce n'est pas une contradiction. Nous participons aux manifestations. Les 3 partis que j'ai cités pourraient, sans plus attendre, faire une déclaration et appeler le peuple à manifester. Nous ne le faisons pas parce que nous voulons que nos jeunes gens deviennent actifs et prennent leurs décisions indépendamment de nous. Nous leur témoignons du respect.
Q : Le Mouvement du Futur s'est retiré lui-même du groupe des 12 partis parce qu'il était d'avis que les autres partis étaient trop hésitants à soutenir la révolution. En quoi le Mouvement du Futur agit-il maintenant différemment de ces partis ?
Tammo : Nous avons quitté le groupe en raison de la position de certains partis vis-à-vis du régime. Ils voulaient rencontrer le gouvernement et mener des négociations. Nous avons refusé de le faire, et dit simplement : "Vous ne pouvez parler avec un régime qui tue sa propre population". L'idée d'entamer des pourparlers avec le gouvernement est encore régulièrement avancée par certains partis kurdes. Nous avons des idées politiques différentes. Nous ne pouvons travailler qu'avec les groupes qui refusent toute rencontre avec le gouvernement. Toutes nos actions doivent tendre à la chute du régime. Nous le disons ouvertement. Nous avons la même position à cet égard que les jeunes dans les rues. La plupart des partis kurdes n'ont pas cette position. Il y a des divergences politiques. En ce moment, nous autres Kurdes, les partis et d'autres groupes sociaux, devons jouer un rôle important dans cette phase significative de la révolution. Nous ne pourrons le faire que si nous adoptons une position cohérente et nous engageons plus fortement dans la révolution. Nous œuvrons pour atteindre ce but. À côté, nous sommes actifs au niveau syrien. Nous avons à nous affirmer en tant que Kurdes et défendre nos intérêts en tant que peuple distinct. Aujourd'hui, un chemin vers le futur est ouvert.
Q: Est-ce que la position de ces partis kurdes est affaiblie du fait qu'ils ne participent pas activement aux manifestations et par conséquent à la révolution ?
Tammo : Bien sûr que leur position en est affaiblie. Si leur position est faible, c'est que plusieurs partis kurdes n'ont pas encore adopté une ligne claire envers le régime. Non seulement ils ne soutiennent pas la révolution mais ils agissent même contre elle.
Q : Comment cela se fait-il qu'on a tiré sur les manifestants dans toute la Syrie à l'exception des régions kurdes ?
Tammo : Le régime a déjà connu une expérience avec nous. Quand on a tiré sur des manifestants dans les régions kurdes en 2004, des centaines de milliers de Kurdes sont descendus dans la rue, à Damas comme à Alep. Le meurtre de manifestants soude la population. Le gouvernement sait très bien que si un Kurde est tué dans une manifestation en région kurde, des centaines de milliers de Kurdes s'empareront de la rue. Aussi fragmentés et affaiblis que peuvent être ces groupes, dans une telle situation, les Kurdes se tiendront les coudes. C'est la raison pour laquelle les forces de sécurité n'interviennent pas dans les manifestations en régions kurdes. Ils veulent éviter cela par tous les moyens.
Le 2 juillet, s’est tenue à Bakou, capitale de la république d’Azerbaïdjan, une conférence de presse au nom de la communauté kurde du pays, afin d’alerter l’opinion sur les menaces d’acculturation et de disparition qui pèsent sur leur communauté.
Tahir Suleymanov, rédacteur du journal « Diplomat » a lu devant les journalistes et le public présents, un appel rédigé au nom des Kurdes, à l’adresse du président azéri Ilham Aliyev. Dans cet appel, il insistait sur le besoin qu’ont les Kurdes, comme tous les autres groupes ethniques vivant dans le pays, d’avoir des écoles où l’on enseigne en kurde, ainsi que des programmes télévisés ou des pièces de théâtre dans leur langue maternelle, afin de préserver « leur identité nationale ».
Tahir Suleymanov a également pointé l’absence de représentant kurde parmi les 125 députés du parlement de Bakou.
Des media russes, également présents, ont souligné que jusqu’ici, les revendications des Kurdes d’Azerbaïdjan ne s’étaient jamais fait entendre, cette communauté préférant, au contraire, ne pas mettre en avant ses origines, « par prudence ». Cette méfiance peut s’expliquer par les liens politiques entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, les Kurdes étant plutôt vus comme proches des Arméniens, et le confit du Haut-Karabagh a exacerbé les tensions nationalistes de part et d’autre. Aussi l’agence russe Regnum a émis l’hypothèse que l’initiative de Tahir Suleymanov devait être soutenue par le PKK, bien que le parlement azéri ait toujours refusé, malgré l’insistance d’Ankara, de désigner officiellement l’organisation kurde comme « terroriste ».
Les Kurdes vivant en Azerbaïdjan sont estimés à environ 70 000, soit moins de 1% de la population de cette république. Une entité territoriale autonome, le « Kurdistan rouge » avait vu le jour entre 1923 et 1930, sous l’impulsion des Soviets. Elle comprenait des régions situées actuellement en Azerbaïdjan entre le Nagorny-Karabakh et des zones frontalières avec l’Arménie occidental et l’Iran. Mais à la fin des années 1930, la majeure partie des Kurdes de Transcaucasie furent déportés, sur ordre de Staline, au Kazakhstan, où vit encore une communauté kurde, beaucoup plus active et plus visible sur le plan culturel.
Les 9 et 10 juillet s’est tenu pour la première fois à Paris (Sèvres) le huitième « Festival Bedir Khan », sous le thème « « la culture est l’identité des nations », et le but d’établir des ponts culturels entre les Français et les Kurdes, entre le Kurdistan et Paris. Autour de tables-rondes se déroulant sur deux jours, intellectuels kurdes et français, chercheurs, écrivains, éditeurs ont débattu à la fois de l’apport des Bedir Khan dans l’essor et la défense de la culture kurde, mais aussi de questions contemporaines comme la situation du journalismes et des media au Kurdistan. Durant tout le temps des débats, une exposition d’artistes kurdes s’est aussi déroulée, avec des calligraphie et peintures de Namiq Ali Qadir, Burhan Sabir, Hemin Jameel et Mohammed Fatah. Enfin une « Foire du livre kurde » présentait toutes les maisons d’édition du Kurdistan et leurs publications.
L’ouverture du festival s’est faite d’abord en musique, avec l’hymne des Bedir Khan joué par les artistes Jamal Abdul et Anwer Qeredaghi. Puis les discours d’inauguration se sont succédés, avec Mme Khaman Asaad, représentante du KRG(Gouvernement régional Kurde) en France, M. Hamid Boubakir, l’organisateur du 8ème festival à Paris, le maire de Sèvres. M. Hamid Hussein a parlé au nom de l’Union des écrivains kurdes. M. Kendal nezan, président de l’Institut kurde à Paris, a ensuite pris la parole, ainsi qu’un représentant du Parti socialiste français. Un documentaire intitulé "C’est le Kurdistan" produit et réalisé par Hawraz Muhammad, a ensuite été projeté, montrant la réalité des intellectuels au Kurdistan depuis le soulèvement à nos jours.
Après un « déjeuner kurde », la première table-ronde, modérée par Najat Abdullah et Luai Jaff ont retracé le rôle des Badirkhan dans la promotion du journalisme kurde, avec les participations des écrivains et intellectuels kurdes Malmisanij, Mahmoud Lewendi, Dara Bilek, Ahmed Kardam, Ahmed Demirhan.
La seconde table-ronde, modéré par Barzan Faraj, avait pour thème « Journalisme et medias aujourd’hui au Kurdistan, et réunissait les intellectuels et chercheurs Hamid Badirkha, Abdullah Keskin, éditeur de la maison Avesta, Ibrahim Seydo Aydogan, Michael Thévenin, Karwan Anwar, Umed Ali, Behat Hesib Qeredaghi, Bengin Haco, Hassan Yasin.
La seconde journée démarrait avec un documentaire intitulé "Danielle Mitterrand au Kurdistan", de Hawre Aziz et Star Muhamad Amin. Puis une tableau-ronde avait pour thème « l’Expérience des écrivains kurdes » modérée par Halkawt Hakem et Ibrahim Seydo Aydogan, professeurs de kurde à l’INALCO. Les participants étaient Mustapha Saleh Karim, Mihemed Mukri, Sherzad Hesen, Ehmed Mihemed Ismail, Fawaz Hussain, Firat Ceweri et Muhsin Kizilkaya.
La seconde table-ronde de la matinée était consacrée aux « Orientalistes français au Kurdistan », animée par Olivier Rouault, Nazand Begikhani, Jammy James, Ephrem Isa Yusif et Najat Abdullah. La troisième table-ronde, présidée par Malmisanîj avait pour thème « Kurdistan « une fenêtre sur le monde », avec la participation, notamment de M. Adnan Mufti, président du parlement kurde d’Erbil, Hosham Dawood, directeur de l’IFPO à Erbil.
La dernière table-ronde a débattu de la position des femmes dans la société kurde. Les débats étaient présidés par Mme Khaman Asaad, représentante du KRG(Gouvernement régional Kurde) en France. Enfin la soirée s’est conclu en poésie et musique avec les artistes Omar Dizeyi, Anwer Qeredaghi, Adnan et Rojda du groupe « Koma Zozan » et Diyari Qeredaghi, avant la cloture du colloque par Mme Khaman Asaad et Azad Hamad Sharif, le coordonateur de la manifestation.
La famille Bedir Khan est une de ces grandes familles kurdes qui ont consacré leur vie à l’indépendance du Kurdistan. Avant-gardistes dans l’essor des revendications politiques kurdes, ils ont été à l’initiative d’écoles et autres institutions académiques. Mais le rôle prédominant de la famille est celui du journalisme, avec la fondation des premiers journaux kurdes, Kurdistan (1898), Harwar et Ronahî dans les années 1930, Roja Nû et Stêr.
Quant à la maison d’édition Badirkhan, elle a été fondée à Erbil, capitale du Kurdistan d’Irak, le 22 octobre 2000 par Hamid Abubakir Ahmed, journaliste et directeur de publication. Le premier festival « Bedir Khan » a eu lieu en avril 2004 à Suleimanieh ; en 2005, il était à Duhok et en 2006 à Erbil. Puis il a commencé de tourner hors de la Région du Kurdistan, en commençant par Berlin en 2007, Le Caire en 2008, Athènes en 2009 et Washington en 2010. Ce fut, cette année, le tour de Paris.