Danielle Mitterrand, ancienne Première Dame de France et Présidente de la Fondation France-Libertés, est décédée dans la nuit du lundi 21 au mardi 22 novembre, à l'Hôpital Européen Georges Pompidou où elle avait été admise vendredi 18 novembre pour des problèmes pulmonaires.
Née le 29 octobre 1924, engagée dans la Résistance dès l'âge de 17 ans, elle avait consacré sa vie d'abord aux combats de la Gauche aux côtés de François Mitterrand, puis à partir de l'élection de ce dernier en mai 1981 à la défense des droits de l'homme en France et à travers le monde. Mettant à profit sa notoriété et sa position de Première Dame, elle a pris la défense des groupes et des peuples victimes des dictatures, des injustices de l'Histoire et de la Realpolitik.
Dès 1982 elle a joué un rôle actif pour la cause kurde en soutenant la création de l'Institut kurde de Paris pour sensibiliser l'opinion publique et "éveiller les consciences". Elle a ensuite envoyé des observateurs aux procès des militants kurdes persécutés par la junte militaire turque des années 1980, dénoncé les campagnes génocidaires menées de 1986 à 1990 par le régime de Saddam Hussein contre les Kurdes en Irak, défendu les Kurdes d'Iran lors de l'assassinat de leur leader, Dr. Abdul Rahman Ghassemlou en juillet 1989 à Vienne par le régime iranien.
Après une visite très médiatisée dans les camps des réfugiés kurdes irakiens de Mardin, Diyarbekir et Muş au Kurdistan de Turquie, rescapés des gazages, elle a convaincu les autorités françaises d'en accueillir un millier à l'occasion du bicentenaire de la Révolution Française. Ensuite, elle n'a pas ménagé sa peine pour sensibiliser les Grands de ce monde à venir en aide au peuple kurde. À cette fin, elle a multiplié des voyages à Moscou, à Washington, à Bonn, organisé avec l'Institut kurde et sa fondation France-Libertés, des conférences, des colloques pour sensibiliser l'opinion publique internationale à la tragédie kurde. Ses efforts ont beaucoup contribué à la création en juin 1991 d'une "zone de protection" pour les quelque 2 millions de Kurdes fuyant vers les frontières de l'Iran et de la Turquie au lendemain de la première Guerre du Golfe.
En mai 1995, elle se rendit auprès des réfugiés en franchissant "clandestinement" la frontière irano-irakienne et leur apporta une aide matérielle substantielle. Plusieurs centaines de milliers de manuels scolaires imprimés en kurde à l’imprimerie nationale française furent acheminés au Kurdistan irakien et plus de 20 000 instituteurs français embauchés et payés par France-Liberté pour assurer la rentrée scolaire de 1991.
En juillet 1992 elle a inauguré l'Assemblée nationale du Kurdistan fraîchement élue. Lors de ce séjour, sur la route de la ville martyre de Halabja, son convoi fut victime d'un attentat des services irakiens faisant plusieurs morts parmi les peshmergas chargés de sa protection. En 1994, lors de l'arrestation d'une dizaine de députés kurdes démocratiquement élus du Parti de la Démocratie (DEP) en Turquie, elle prit leur défense en créant un Comité international pour leur libération (CILDEKT) et mena une vaste campagne international pour sensibiliser l'opinion à leur sort.
Considérée comme « la mère des Kurdes », Danielle Mitterrand s'est rendue à deux autres reprises au Kurdistan irakien, en 2002 et en 2009 où elle fut accueillie avec tous les honneurs et surtout beaucoup d'affection et de reconnaissance. Dans chaque ville kurde, des écoles et des rues portent son nom.
La disparition de Danielle Mitterrand a suscité beaucoup d’émotion dans l’ensemble du Kurdistan et dans la communauté kurde à travers le monde. Les média lui ont consacré une très large place. Le Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak a proclamé le 23 novembre journée de deuil dans toute la Région. « Danielle Mitterrand représente pour les Kurdes la solidarité avec la cause kurde pendant ses jours les plus difficiles », a déclaré à l'AFP le chef du gouvernement du Kurdistan irakien, Barham Salih. « Elle a soutenu les droits de l'Homme au Kurdistan et était l'une des rares voix à défendre le peuple kurde et à s'élever contre l'injustice qu'il subissait », a-t-il souligné. « Danielle Mitterrand était un vrai défenseur des droits des Kurdes partout dans le monde ».
Plusieurs centaines de Kurdes venus spontanément de toute l’Europe, des représentants du Gouvernement ou du Parlement du Kurdistan et de tous les partis politiques kurdes se sont rendus à Cluny pour les obsèques. Le célèbre chanteur kurde Şivan Perwer a chanté à cette occasion une élégie qu’il venait de composer pour la « Mère des Kurdes » et qui a fait pleurer l’assistance, tandis que le pianiste argentin Miguel Angel Estrella a accompagné au piano l’émouvante cérémonie qui s’est déroulée dans la cour millénaire de l’abbaye de Cluny.
En France, toute la classe politique a rendu hommage au courage et au parcours exemplaire de la Première Dame. Les chaînes de télévision lui ont consacré des émissions spéciales. Dans la presse écrite, Libération a publié un dossier de cinq pages à l‘intérieur, tandis que Paris-Match en faisait sa Une suivie d’un reportage photos d’une vingtaine de pages (voir Revue de presse). Le jeudi 24 novembre à 13 heures, à l’appel de la Mairie de Paris, plusieurs milliers de Parisiens de toutes origines, dont de très nombreux Kurdes, se sont rassemblés sur le Pont des Arts pour rendre hommage à celle qui, à travers le monde, a incarné une haute image de la France patrie des droits de l’homme.
L’intellectuel et homme politique de renom Ismet Chérif Vanly est mort à Lausanne le 9 novembre, quelques jours avant son 87ème anniversaire.
Il était né le 21 novembre 1924. Son père était originaire de Van et sa mère de Diyarbakir, mais sa famille se réfugia en Syrie et il grandit à Damas avant de partir au Liban, puis en France, aux Etats-Unis et en Suisse, étudier le droit et la philosophie. Il passa sa thèse à l’université de Lausanne, en juriprudence ainsi qu’une maîtrise d’histoire à l’université de Genf, et enseigna les sciences politiques et sociales.
Parlant le francais, l’anglais, l’arabe et le kurde, il joua un rôle actif dans le mouvement de libération kurde. Il fut ainsi le fondateur, avec Nureddin Zaza de l’Association des étudiants kurdes d’Europe, en 1949, et plus tard du Comité des études kurdes à la Sorbonne. Entre 1961 et 1975, il devint le principal représentant en Europe de la résistance kurde irakienne du général Barzani. À ce titre, il porta la question kurde devant l’ONU, publiant des brochures et de nombreux articles dans la presse internationale, jouant ainsi un rôle éminent dans la médiatisation de la cause kurde en Europe.
Ses activités en ont fait une cible privilégiée pour le régime irakien, dont les émissaires ont, en 1976, attenté à sa vie, à son domicile de Lausanne. Munis de passeports diplomatiques irakiens, les auteurs de l’attentat ont pu quitter la Suisse. Grièvement blessé, Ismet Cherif Vanly a pu survivre à l’attentat, avec cependant des séquelles, qui ont amoindri son élocution.
Historien érudit et polémiste redouté, Ismet Cherif Vanly a publié de nombreux ouvrages sur les Kurdes. Parmi eux, sa thèse de doctorat, « Le Kurdistan irakien, entité nationale, étude de la révolution de 1961 » (éd. De La Baconnière, 1970), qui reste une référence incontournable sur la résistance kurde irakienne de 1961-1970 ; ses contributions sur le Kurdistan irakien et les Kurdes de Syrie, dans l’ouvrage collectif « Les Kurdes et le Kurdistan », publié en 1977 à Paris, chez Maspero, et traduit dans une dizaine de langues, son étude sur la dictature du Baath en Syrie, « Le problème kurde en Syrie. Plan pour le génocide d’une minorité nationale » en 1968, édité par le Comité des droits des Kurdes en Europe…
À côté de ces travaux, Ismet Cherif Vanly est resté un militant engagé de la cause kurde. Fondateur du Comité pour les droits des Kurdes en Europe, l’un des co-fondateurs de l’Institut kurde de Paris en 1983, de l’association des juristes kurdes en Europe en 1985, il rejoignit au début des années 1990, la mouvance du PKK, et il rejoignit en 1995 le Parlement kurde en exil (PKWD) qui devint en 1999, le Congrès national du Kurdistan )KNK) dont il fut le président jusqu’en 2003.
Depuis une dizaine d’années, il s’était progressivement retiré de la scène politique en raison notamment de sa santé fragile. En septembre dernier, il fut victime d’une hémorragie cérébrale et hospitalisé au CHU de Lausanne où il est décédé le 9 novembre. Son vœu d’être enterré à Diyarbakir au cœur du Kurdistan de Turquie n’a pu être exaucé faute d’agrément des autorités turques. Le président Barzani avait proposé le rapatriement de sa dépouille au Kurdistan irakien, mais sa famille a préféré qu’il soit enterré dans cette ville de Lausanne où il avait élu domicile depuis 1949 et qu’il aimait tant.
Les obsèques, célébrées le 16 novembre, ont rassemblé des personnalités de toutes les régions du Kurdistan, dont le président de l’Institut kurde, Kendal Nezan, le président du Congrès national kurde, le président du PJAK kurde iranien, l’ambassadeur d’Irak en Suisse, le représentant du Gouvernement du Kurdistan en Suisse et une foule de plus de 250 Kurdes venus de plusieurs pays d’Europe, ainsi que des amis suisses de la famille. Le président irakien Jalal Talabani et le président du Kurdistan, Massoud Barzani, avaient tenu à envoyer des messages rendant hommage à la contribution éminente d’Ismet Cherif Vanly à la cause kurde. Pressentant sa fin prohaine, Ismet Cherif Vanly avait, début 2011, légué ses archives, soit plus de 3500 documents, en sept langues, à la Bibliothèque cantonale universitaire de la Riponne à Lausanne.
Une nouvelle vague d’arrestations en Turquie a frappé, ce mois-ci, principalement les milieux intellectuels, journalistiques et du monde de l’édition.
Parmi les inculpés, la figure emblématique de l’éditeur Ragip Zarakolu, accusé « d’appartenance à une organisation terroriste ». Âgé de 63 ans, Ragip Zarakolu aura connu, tout au long de sa carrière d’éditeur et de militant pour les droits de l’homme, les foudres des régimes successifs à la tête de la Turquie. Ayant fondé les éditions Belge, Ragip Zarakolu a été régulièrement condamné, durant 40 ans, pour avoir publié les livres de prisonniers politiques, des ouvrages sur le génocide arménien, la question kurde, ou sur Chypre.
L’arrestation de Ragip Zarakolu est à replacer dans un coup de filet très vaste, incluant aussi des universitaires, sous le prétexte de démanteler l’Union des communautés kurdes (KCK), organisation politique interdite, que le gouvernement accuse d’être la branche politique du PKK. Déjà, en octobre, une centaine de personnes avaient été arrêtées pour appartenance au KCK, dont le propre fils de Ragip Zarakou, Deniz et un professeur de sciences politiques à l’université de Marmara membre du BDP, Büsra Ersanli, que l’historien spécialiste de la Turquie, Étienne Copeaux, présente comme « l’une des premières à s’être attaquée au sujet extrêmement sensible de la fabrication d’un récit historique entièrement tourné vers la glorification du peuple turc ».
La procédure lancée contre le KCK en avril 2009 a jusqu’ici permis 8000 garde à vue et 4000 inculpations, l’emprisonnement de 5 députés, 10 maires, 30 conseillers municipaux, de nombreux membres et sympathisants du parti kurde BDP, qui se trouve ainsi décimé dans sa représentation politique. Le caractère abusif des actes d’accusation est dénoncé comme une tentative d’éradiquer la société civile kurde de ses militants, même pacifistes, quitte, pour cela, à encourager la reprise de la guerre.
Plus de 4500 membres du BDP ont été ainsi arrêtés au cours de ces six derniers mois et parmi eux, plus de 1600 personnes ont été emprisonnées. Selon l’éditorialiste Ahmet Insel, « Le premier ministre a adopté une stratégie d’éreintement du PKK, juste après les élections municipales de 2009, frustré de ne pas être sorti vainqueur contre le BDP. Depuis lors, les mentors et les partisans de cette stratégie mènent un bombardement de propagande (…) Elle vise à nettoyer le champ politique de tous les « Kurdes hypocrites » et de ceux qui les soutiennent. La police, la justice et les médias y travaillent main dans la main ».
Hors de Turquie, les milieux universitaires et les chercheurs spécialistes de la Turquie s’émeuvent de cette situations et se regroupent en comité de défense et de soutien des inculpés. Ils tentent aussi d’alerter l’opinion publique. Ainsi les chercheurs Hamit Bozarslan, Cengiz Cagla, Yves Déloye, Vincent Duclert, Diana Gonzalez et Ferhat Taylan ont créé, le 21 novembre, le Groupe international de travail « Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie », qui a pour but « la défense des libertés académiques en Turquie » et « veut opposer des principes simples et communs à une situation intolérable de menaces et d’arrestations de nos collègues » :
« Dans un moment où, par une remarquable opération de marketing, on promeut la démocratie turque comme un modèle pour le monde arabe, cette dernière vague d’arrestations révèle une fois pour toutes le mode de fonctionnement du pouvoir AKP : réduire à néant le mouvement politique kurde, inculper les intellectuels de Turquie qui travaillent à l’arrêt des combats à l’est du pays, s’emparer de l’appareil d’Etat pour écarter toute opposition, intimider l’ensemble des médias, et se draper pour finir dans le drapeau de la démocratie pour mieux égarer des opinions européennes complaisantes. En somme, c’est une démocratie "bonne pour l’Orient" qu’on essaie de nous vendre ici. Nous dénonçons cette stratégie qui vise à terroriser la société turque au nom de la lutte contre le terrorisme. Un journaliste d’investigation n’est pas un terroriste, un universitaire engagé n’est pas un criminel, un éditeur indépendant n’est pas un traître. Ces hommes et ces femmes sont l’honneur de la Turquie. Nous appelons la communauté à faire pression sur le gouvernement turc pour la libération des prisonniers d’opinion. Nous demandons aux Etats européens de sortir de l’angélisme et de regarder l’histoire en face. » (Le Monde).
Un des journalistes arrêtés, Dogan Yurdakul, explique, dans une lettre écrite de sa prison, traduite et publiée sur le blog « Au fil du Bosphore » du journaliste uu Monde Guillaume Perrier :
« Jadis dans ce pays, on utilisait le communisme comme prétexte contre les journalistes de l'opposition et on les envoyait en prison. La guerre froide finie, aujourd'hui on les arrête en prétendant qu'ils sont « terroristes ». C'est-à-dire qu'en un demi-siècle, il n'y a eu aucune évolution concernant la démocratie et la liberté d'expression. En Turquie, actuellement, beaucoup de journalistes craignent qu'une équipe policière du contre-terrorisme vienne frapper à leurs portes au petit matin. (…) Un récent changement dans le code de la procédure pénale (CMUK) a donné un nouveau pouvoir aux procureurs investis de compétences spéciales et leur permet de restreindre les preuves à la défense. Après nos arrestations, le procureur chargé de nous poursuivre dans cette affaire a fait une déclaration publique dans les médias dans laquelle il précisait que nous n'étions pas « arrêtés pour nos activités journalistiques mais pour d'autres crimes dont il détenait les preuves qu'il tenait secrètes ». Le premier ministre, Monsieur Erdoğan, a tenu les mêmes propos lorsqu'on lui a posé une question concernant cette affaire au parlement Européen. »
Arrêté en mars dernier avec Soner Yalçin et six autres journalistes d'Oda TV, Dogan Yurdakul est détenu dans la même cellule que les deux journalistes Nedim Sener et Ahmet Sik. Dogan Yurdakul enquête et a écrit sur l’État profond en Turquie, Nedim Şener sur le meurtre du journaliste arménien Hrant Dink, de même Ahmet Şık, dont le livre « Imam ordusu » (L'Armée de l'Imam) a été interdit avant même sa parution.
La société américaine Exxon Mobil a signé le 11 novembre un contrat avec le Gouvernement régional du Kurdistan, ce qui marque une étape importante dans la politique énergétique du Kurdistan et de son bras de fer avec Bagdad, sur cette question.
En signant avec le GRK, Exxon prend ainsi le risque de devoir renoncer à d’autres accords, devant être conclu, cette fois avec l’Irak, dont ceux concernant les riches champs pétroliers de Qurna. Abdul Mahdy Al Amidi, le directeur des contrats du ministère du Pétrole irakien a indiqué à l’agence Reuters que son gouvernement avait écrit à trois reprises à Exxon, le mois dernier, pour les avertir des conséquences qu’un contrat signé avec le GRK aurait sur les autres contrats irakiens.
Jusqu’ici, la Maison Blanche n’a cessé de mettre en garde les sociétés américaines afin de les dissuader de passer des accords directement avec Erbil, sans l’aval de Bagdad. Si les raisons invoquées concernent les mesures de rétorsion que le gouvernement central peut adopter ensuite envers les sociétés étrangères auant passé outre, on peut y voir aussi la volonté politique des Etats-Unis de ne pas encourager une gestion indépendante des Kurdes de leurs propres ressources pétrolières.
D’un autre côté, des observateurs font remarquer qu’un conflit avec la puissante société Exxon ne serait peut-être pas profitable au Premier Ministre Nuri Maliki, qui fait face à plusieurs frondes politiques internes que cela viennent des Kurdes, des sunnites ou des chiites eux-mêmes. De plus, l’annonce de l’accord vient une semaine après une visite du Premier ministre du Kurdistan, Barham Salih, qui a rencontré à la fois des responsables américains et irakiens, ce qui peut faire penser à une médiation américaine.
Une des raisons de cet assouplissement de la politique des Etats-Unis à l’égard des contrats passés avec le GRK est que tous les accords concernant le forage dans les régions irakiennes sont encore en suspens et ce depuis un an. Les compagnies d’exploitation pétrolière pourraient être ainsi tentées de prendre le risque de jouer la carte kurde, celle-ci s’avérant plus rapidement rentable. Les conditions offertes par le Kurdistan ne diffèrent pas des contrats signés avec l’Irak, mais le facteur de risque concernant l’instabilité politique et la sécurité joue évidemment en faveur du Kurdistan, qui a signé 40 accords depuis la chute de Saddam Hussein, Exxon étant son plus gros client.
Les experts notent par ailleurs que jamais l’intérêt des investisseurs pour les ressources kurdes n’a été aussi grand. Selon les estimations de plusieurs instituts et compagnies américaines, le Kurdistan pourrait figurer dans les 10 premiers sites de réserves pétrolières mondiales. Parmi les facteurs jouant contre le Kurdistan, son conflit avec Bagdad qui refuse toujours de reconnaître comme valides les contrats passés sans son accord. L’autre handicap est l’insuffisance des infrastructures.
Le 12 novembre, le vice-premier ministre Hussein Al-Sharistani, qui a en charge les questions énergétiques après avoir été ministre du Pétrole dans l’ancien cabinet, a annoncé que la société Exxon avait éte mise en demeure de choisir entre les contrats kurdes et l’accord déjà existant concernant le pétrole du gisement de Qurna-Ouest, un des plus importants de l’Irak.
Le 13 novembre, le ministre kurde des ressources naturelles, Ashti Hawrami, répliquait dans une conférence de presse donnée à Erbil que le contrat passé avec Exxon était une « bonne nouvelle », non seulement pour la Région du Kurdistan, mais pour tout l’Irak. Il a indiqué aussi que l’accord avait été signé le mois dernier, le 18 octobre 2011 et concernait six puits. Le ministre a répondu ne pas savoir si Exxon allait installer des bureaux au Kurdistan ou dirigerait les opérations de son siège de Bagdad. Pour sa part, la Maison Blanche a refusé d’indiquer si elle avait donné son feu vert à la société Exxon pour la signature de l’accord. Mais selon plusieurs sources, dont des sources diplomatiques, jamais des négociations d’une telle ampleur n’auraient été possible sans l’aval, voire le soutien, de Washington.
Le 17 novembre, Ashti Hawrami et Hussein Al-Sharistani étaient attendus tous deux à une conférence à Istanbul, mais le ministre irakien a refusé de répondre aux questions des journalistes concernant une rencontre avec Ashti Hawrami. Par contre, le Dr. Roj Nouri Shawis, un des vice-premier ministre d’Irak a déclaré à Reuters que son gouvernement se montrait assez optimiste sur une conciliation prochaine entre Erbil et Bagdad et qu’il ne croyait pas à une annulation des contrats passés entre Exxon et l’Irak.
Le 22 novembre, à l’occasion d’une visite à Tokyo, le ministre irakien du Pétrole, Abdul Karim Luabi a déclaré avoir écrit, ainsi que le Premier Ministre Maliki à la société Exxon et qu’ils attendaient toujours une réponse. Le ministre n’a pas révélé la teneur des lettres mais le 23 novembre, c’était au tour de Sharistani d’annoncer que son gouvernement envisageait la possibilité de sanctions et allait en infomer Exxon avant toute annonce publique de la société américaine. Hussein Al-Sharistani a par ailleurs nié que le gouvernement des Etats-Unis ait apporté son soutien aux Kurdes, en affirmant que Washington n’était pas au courant des négociations, et que si cela avait été le cas, Exxon aurait été « obligé » de demander l’approbation préalable du gouvernement irakien. Mais le département d’État américain a, lui, indiqué avoir « averti » Exxon comme d’autres firmes sur les risques encourus, sans vouloir préciser si des entretiens particuliers avaient eu lieu à ce sujet.
L’affaire a pris évidemment une tournure politique qui va bien au-delà des simples questions énergétiques, alors que les Etats-Unis se préparent à retirer toutes leurs troupes d’Irak. Jafar Atay, directeur à Manar Energy Consulting, spécialiste du secteur irakien, juge que si l’accord peut être jugé comme un ferment de divisions en Irak ou bien un pont entre Erbil et Bagdad, selon que la situation évolue vers l’apaisement ou la dissension. Altay prévoit aussi une longue bataille juridique entre l’Irak et Exxon si des contrats étaient annulés. « Il se peut qu’Exxon parie sur le long terme. Shahristani est le « faucon » de ce cabinet, aussi Exxon espère peut-être qu’il finira par le quitter et que d’autres contrats pourront être signés. Ils voient qu’actuellement, les meilleurs conditions sont offertes par le Kurdistan. »
Qurna-Ouest n’a pas en effet une bonne réputation concernant les retours sur investissement dans les milieux pétroliers ce qui a pu décidé Exxon à choisir la carte kurde. Mais Exxon s’est refusé à tout commentaire duant tout le mois. Le 28 novembre, le ministre du Pétrole irakien annonçait que les trois lettres envoyées par son gouvernement à la société étaient restées sans réponse, et que Bagdad allait écrire une quatrième fois. Le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, a, pour sa part, affirmé que Nuri Maliki avait été mis au courant de la signature de l’accord avec Exxon.
Le 2 novembre, dans la province sunnite de Salahaddin, lors d’une rencontre avec des chefs de tribus locaux, le président du parlement irakien, Osama Al-Nujaifi, s’adressant au gouvernement irakien, a réclamé l’autonomie pour les provinces sunnites de Sal ahaddin, Anbar et Diyala, avant de la proclamer dès le lendemain.
Si la constitution irakienne prévoit que des provinces puissent obtenir une autonomie, et même, en s’unissant, devenir une Région fédérale, à l’instar du Kurdistan, ce processus ne peut se faire que par un référendum dans chaque province concernée. Mais Osama Al-Nujafi accuse l’État irakien de violer lui-même la constitution en ne respectant pas l’équilibre entre les pouvoirs du gouvernement central et ceux des gouvernorats, sans détailler en quoi consistent ces violations.
La capitale de Salahaddin, Tikirt, étant la ville d’origine de Saddam Hussein et toute la province un ancien bastion du Baath, la fronde des Tikriti apparaît surtout comme un défi de nostalgiques d’un régime où ils avaient la première place, à la fois en tant que Baathistes et en tant que sunnites. Ainsi, quelques jours plus tard, l’autre province sunnite d’Anbar menaçait de proclamer à son tout l’autnomie si le gouvernement ne libérait pas 615 anciens membres du Baath, arrêtés récemment pour complot, sur ordre du Premier Ministre Nuri Maliki. Ce dernier a affirmé que les informations qu’il a pu obtenir sur cette conspiration en cours lui venaient du tout nouveau leader temporaire de la Lybie, Mahmoud Jibril. Les rebelles lybiens auraient en effet découvert des documents indiquant que le défunt dictateur Muammar Khadafi soutenait des anciens membres du Baath afin de renverser l’actuel gouvernement d’Irak.
Naturellement, l’annonce a déclenché une vague de critiques de la part du parti au pouvoir comme d’autres partis d’opposition, tel le bloc sunnite Al-Iraqiyya et le mouvement sadriste radical chiite. Le Premier Ministre irakien a rappelé qu’un conseil provincial n’avait pas les pouvoirs de décider de l’aunomie de sa province. Qu’une demande officielle devait être envoyée au gouvernement et au parlement avant de suivre les procédures prévues par la constitution. Pour autant, Nuri Al-Maliki ne s’est pas prononcé comme hostile à une telle démarche, mais a ajouté que cette annonce ne semble être qu’un coup médiatique.
Les chiites sont eux-mêmes divisés sur cette question, certains ne voyant pas d’un mauvais œil l’occasion de s’émanciper à leur tour du pouvoir central. Ainsi, Jawad Al-Jabbouri, un membre du mouvement sadriste a rappelé que cette requête n’avait, en soi, rien de contraire à la constitution.
Ce n’est pas la première fois qu’Osama Al-Nujaifi brandit cette menace. En juillet dernier, lors d’une interview sur la chaîne Al-Hurra, il avait déclaré à un journaliste américain que les sunnites se sentaient comme des citoyens de seconde zone et qu’ils pourraient, à la longue, envisager de se séparer des chiites.
La province de la Diyala n’a pas tardé à suivre le mouvement et 17 membres sur les 19 de son conseil provincial ont menacé à son tour le gouvernement central de déclarer son autonomie si leurs demandes n’étaient pas acceptées, notamment la fin des opérations militaires menées par des « unités étrangères » à ses districts, le terme « unités étrangères » étant une façon de dénoncer à mots couverts la présence des peshermags kurdes dans certaines zones de la province, lesquelles, peuplées en majorité de Kurdes, sont concernées par l’article 140 prévoyant une référendum sur leur rattachement à la Région du Kurdistan. Le conseil de la Diyala demande également la libération des détenus arrêtés pour ‘conspiration’, ainsi que l’arrêt des transfert de prisonniers et de suspects en détention dans d’autres parties du pays, ceci pour éviter les évasions et les soudoiements.
Mais ces initiatives ne font pas l’unanimité parmi les sunnites irakiens, qui oscillent entre la nostalgie d’un ancien Irak centralisé, mais où ils dominaient politiquement, et le refus de la nouvelle domination chiite – plus conforme à la démographie – dans les territoires arabes irakiens. À Fallujah, dans la province d’Anbar, des centaines de personnes ont manifesté contre la création d’une Région sunnite en Irak, à l’image de la Région du Kurdistan et pour dénoncer toute « partition » de l’Irak, au nom des intérêts nationaux. L’organisateur de cette manifestation réclame aussi la remise en liberté de plusieurs centaines de détenus sunnites, en général accusé d’être d’anciens baathistes, encore plus ou moins actifs dans la rébellion.
Le 6 novembre, le gouvernement irakien réduisait le budget prévu pour 2012 de la province de la Diyala, passant de 248 à 148 milliards de dinars irakiens. Les protestations des responsables locaux ne se sont pas faites attendre, la plupart y voyant une mesure de rétorsion aux menaces d’autonomie brandies par le conseil provincial.
Dans le même temps, la question de Kirkouk qui divise Kurdes et Arabes est toujours pendante. et le prochain départ des troupes américaines, qui s’interposaient plus ou moins discrètement entre les forces de l’armée irakienne et les Peshmergas, inquiètent la population comme les autorités. Le président de l’Irak, le Kurde Jalal Talabani, a présenté en début de mois un plan pour redessiner les districts compris dans la province de Kirkouk, l’actuel découpage datant de Saddam Hussein. Le plan présidentiel consiste, en fait, à revenir aux frontières intérieures de 1968, avant que le Baath ait fait en sorte de diviser des régions ethniquement homogènes, surtout kurdes et syriaques, pour les répartir entre des provinces à majorité arabe, comme Mossoul et la Diyala.
Sans surprise, le vice-président du conseil provincial de Kirkouk, un Kurde lui aussi, a approuvé ce plan, indiquant qu’il était une étape vers la normalisation et le retour des régions kurdes « confisquées » par le Baath. Sans surprise non plus, la proposition de Jalal Talabani a été désapprouvée par la liste sunnite Al-Iraqiyya, principal rival politique des Kurdes à Kirkouk, qui y voit un moyen d’aggraver les tensions, surtout au moment du retrait américain. D’autres, comme Najat Houssein, un Turkmène siégeant au conseil provincial, inclinerait davantage vers la formation d’une Région autonome, à partir de la province de Kirkouk : Les éléments kurdes à Kirkouk insistent pour annexer Kirkouk à la Région du Kurdistan, ce qui est rejeté par les Turkmènes, tandis que les Arabes de Kirkouk insistent sur « le besoin de résoudre les problèmes actuels qui minent l’Irak au lieu de proposer des projets qui serviraient les citoyens ».
Le 9 novembre, Hüseyin Aygün, un député CHP (parti kémaliste) de Tunceli (Dersim), déclare que les lourds massacres de sa région, en 1937 et 1938, pour écraser la révolte de Seyid Riza, n’ont pu être perpétrés à l’insu de Mustafa Kemal et de son gouvernement, contrairement à ce qu’affirmait, jusqu’ici, l’historiographie « officielle », alors même que Sabiha Gökçen, la propre fille adoptive d'Atatürk, qui fut aussi première femme pilote de l'armée turque, avait elle-même pris part aux opérations militaires et bombarda la région.
L’actuel Premier Ministre au pouvoir, peu suspect, comme son parti, l’AKP de sympathies pro-kémaslistes a sauté sur l’occasion pour embarrasser son principal rival, le CHP. S’adressant publiquement au président du CHP, Kemal Kılıçdaroğlu, un alévi de Dersim, Recep Tayyip Erdoğan lui a demandé de reconnaître à son tour le rôle de Kemal Atatürk dans les massacres de Dersim : « C’est une opportunité en or pour le CHP d’affronter cette tragédie, car son leader est un membre de la communauté de Tünçeli. Vous êtes de Tünçeli, pourquoi fuyez-vous ? » À cela, Kemal Kılıçdaroğlu a répliqué sur le même ton : « Oui je suis de Tünçeli et je suis un fils de cette nation (turque NDLR). Actuellement je suis le président du CHP et j’en suis fier. Si Dieu le veut, je serai aussi bientôt le premier ministre. »
Kemal Kılıçdaroğlu est en effet originaire de Nazimiye, et sa propre famille a été décimée par les massacres et les déportations. Le chef du Parti kémaliste a rappelé à cette occasion que jamais l’AKP n’avait remporté un seul siège à Dersim-Tunceli, en dénoncant comme une « insulte » la soudaine volonté du Premier Ministre de parler aux noms des Dersimis, tous de religion alévie et qui nourrissent une grande défiance à l’égard des partis islamistes.
Devant à la fois apaiser la tempête interne à son propre parti (un groupe de députés a demandé l'exclusion d'Aygün) et faire front devant la polémique relayée par la presse, Kemal Kılıçdaroğlu a voulu contre-attaquer en se posant en défenseur de « l’héritage kémaliste », menacé de « destruction », selon lui, par les menées de l’AKP. Mais cela n’a pas empêché le chef du gouvernement de continuer sur cette lancée et, le 22 novembre, Recep Tayyip Erdoğan, lors d’une réunion de son groupe parlementaire a annoncé son intention d’ouvrir prochainement au public des archives sur la répression du Dersim, qui établiraient sans ambiguité le rôle prédominant du gouvernement de l’époque dans les massacres.
Le jour suivant, 23 novembre, le Premier Ministre allait jusqu’à faire des excuses publiques, au nom de la République de Turquie, pour des actes de répression qui ont fait près de 14 000 victimes selon l’État turc (entre 30 et 50 000 selon les historiens) civils ou combattants confondus, sur une période de 4 ans : « S'il y a des excuses à présenter au nom de l'Etat, alors je présente mes excuses ».
Les journaux proches du gouvernement AKP, comme Sabah ou Zaman, ou bien hostiles au nationalisme, comme Radikal, se sont lancés eux aussi dans le débat historique et ont publié des documents des documents et des archives prouvant les dires de Hüseyin Aygün, tandis que des ouvrages consacrés à la question connaissaient un regain de succès en librairie.
Beaucoup de voix d’opposants ou des journalistes, comme Pinar Ogunc de Radikal, relèvent le manque de cohérence de la part de l’AKP, qui a fait interdire un documentaire filmé sur le Dersim. Le député CHP à l’origine du débat, Hüseyin Aygün, accuse le gouvernement AKP de n’avoir rien fait, par ailleurs, pour améliorer les conditions de vie des Alévis dans cette région. Mais la plupart des éditorialistes et commentateurs politiques, comme Mehmet Ali Birand (Hürriyet, Kanal D) ont fait immédiatement le lien avec le génocide arménien en se demandant si la reconnaissance de « l’incident le plus tragique de notre histoire récente », comme le Premier Ministre a qualifié les massacres du Dersim sera un jour suivie de la reconnaissance d’un « incident » tout aussi tragique, bien que moins récent, à savoir le génocide des Arméniens et des Syriaques en 1915-1916.