35 personnes, toutes de sexe masculin, dont 17 adolescents, ont été tuées, une autre blessée et deux sont sortis indemnes d'une attaque aérienne de l'aviation militaire turque sur le groupe, qui avait passé la frontière entre la Turquie et l'Irak pour contrebande, et s'en retournait en Turquie, dans les environs de Gülyazı (Bujeh) et d'Ortasu (Roboski), villages du district d'Uludere (Qileban) de la province de Şırnak, le 28 décembre 2011 entre 21h 30 et 22 h 30.
L’armée a d’abord prétendu qu’il s’agissait d’un groupe de combattants du PKK : « La zone où se sont produits les faits est celle de Sinat-Haftanin, située dans le nord de l'Irak, qui n'abrite pas de population civile et où se trouvent des bases de l'organisation terroriste", c'est-à-dire le PKK, a indiqué l'état-major des armées, ajoutant que des drones avaient signalé dans la nuit « un mouvement vers notre frontière ». Mais très vite il s’est avéré que les victimes étaient toutes des habitants de villages environnants, principalement celui de Roboski, qui passaient la frontière avec un chargement et des mules. Il s’agit pour la plupart d’adolescents, âgés de 12 à 20 ans.
Embarrassé, le gouvernement turc a tardé à sortir de son silence, tandis que les images des corps ensanglantés et des villageois en pleurs les ramenant dans leurs maisons, sur des ânes, sans qu’aucun secours armé ou civil n’intervienne, faisaient le tour des media kurdes, et puis internationaux. Les premières déclarations faisant état d’une bavure émanent, non du gouvernement, mais du porte-parole du parti AKP : « Selon les premières informations que nous avons reçues, ces gens étaient des contrebandiers et non des terroristes », a déclaré à Ankara Hüseyin Celik, vice-président du Parti de la justice et du développement (AKP). « Au nom de mon parti, je souhaite exprimer notre consternation, notre tristesse pour la mort de 35 de nos citoyens. S'il y a une erreur, une bavure, soyez rassurés, l'affaire ne sera pas enterrée. La Turquie est un Etat de droit. »
Selahattin Demirtas, chef du parti kurde BDP (Parti pour la paix et la démocratie), a dénoncé immédiatement un « massacre et le BDP a organisé une manifestation qui a réuni plus de 2.000 personnes à Istanbul, et a dégénéré en heurts entre jeunes Kurdes et policiers. Pour finir, le Premier Ministre Tayip Erdogan a reconnu qu’il s’agissait d’une « erreur » de l’armée et a présenté « ses regrets» aux familles des victimes. Malgré cela, aucun représentant du gouvernement, ni même du gouvernorat de Şirnak, ou bien de l’armée n’étaient présents aux funérailles des victimes, auxquelles assistaient, entre autres, le maire de Diyarbakır, Osman Baydemir, les maires d'autres districts et provinces, le président du parti Selahattin Demirtaş, le vice-président du BDP et député de Şırnak, Hasip Kaplan, d'autres députés du BDP, le député indépendant Ahmet Türk, et le député CHP d'Istanbul Sezgin Tanrıkulu.
Une commission d’enquête formée de plusieurs ONG turques et kurdes, dont l'IHD, MAZLUMDER, la Confédération des syndicats de la fonction publique (KESK), l'Association médicale turque (TTB), la Fondation des droits de l'homme en Turquie (HRFT), l'Association contemporaine des avocats (ÇHD), l'Assemblée de la paix en Turquie et l'Union générale des syndicats de travailleurs (DİSK Genel İş), s’est très vite rendue sur place, pour interroger les familles et les survivants, d’abord à l’hôpital d’Uludere, où se trouvait les corps, et puis dans les villages au moment des funérailles à Bujeh et Roboski. Ils ont recueilli les témoignages des deux survivants, l’un, Hacî Encü, à l’hôpital d’Uludere, le 29 décembre, et l’autre, Servet Encuu à son domicile, le 30.
« Le 28 décembre 2011 à 16 h 00, nous avons traversé la frontière de l'Irak avec un groupe de 40 à 50 personnes et un même nombre de mules pour y ramener de l'essence et de la nourriture. Nous n'avons pas informé le QG de la gendarmerie, intentionnellement, mais ils savaient déjà que nous allions et venions. Notre but était de ramener de l'essence et du sucre. En fait, déjà en route, nous avons entendu le bruit des drones mais nous avons continué, comme d’habitude. À 19 heures, nous avons commencé de revenir, après avoir chargé les mules. À 21 heures, nous étions proches de la frontière. Nous avons atteint le plateau de notre village. D'abord, il y a eu des fusées éclairantes, et puis des tirs d'obus. Nous avons laissé le chargement de l'autre côté de la frontière. Immédiatement après, les avions sont arrivés et ont commencé de bombarder. Nous étions deux groupes : il y avait une distance de 300-400 mètres entre le groupe de devant et celui de l'arrière. Tout de suite après, il y eu les salves aériennes. Il n'y avait pas d'autre chemin pour passer de l'autre côté de la frontière parce que les soldats tenaient notre plateau. C'est avec le premier bombardement aérien que le groupe d'une vingtaine de personnes qui se trouvait sur le point-zéro de la frontière a été anéanti. Tout de suite, nous avons pris la fuite. Les bombes ont commencé de pleuvoir sur ceux qui étaient entre les rochers. Le groupe dont je faisais partie comprenait 6 personnes dont 3 ont survécu. Nous étions habillés en civil, personne n'avait d'armes. Deux d'entre nous sont entrés dans le ruisseau, avec 3 mules. Après avoir attendu une heure, nous nous sommes réfugiés sous une roche et nous ne pouvions rien savoir de nos amis. Entre 23 h et 23 h 30, nous avons compris que les villageois venaient, aux bruits et aux lumières. Les soldats ont commencé de quitter le plateau qu'ils tenaient quand les paysans se sont mis à hurler. Nous faisons ce travail depuis longtemps. Deux d'entre nous étaient mariés, les autres étaient étudiants ou écoliers. Personne ne m'a convoqué pour que je donne mon témoignage. Après les événements, je n'ai vu aucun soldat. Les autres survivants sont Davut Encü (22 ans) et Servet Encü (blessé, à l'hôpital de Şırnak ). »
Servet Encü interrogé après les funérailles le 30 décembre, confirme les propos de son camarade :
« Nos pères, nos grands-pères ont fait aussi ce métier (contrebande). Nous le faisons aussi. Il n’y a pas d'usine. Nous gagnons de quoi vivre avec ce travail. Tout le monde dans ce village, sur cette frontière, fait ce métier. La nuit de l'incident, 7 ou 8 personnes de 2 ou 3 villages chacun, sur cette frontière, ont fait ce travail, ce qui fait en tout presque 40 personnes, avec nos mules, et nous avons franchi la frontière d'environ 2 kilomètres. Là, nous avons acheté de l'essence, du sucre et de la nourriture des Irakiens. Nous ne sommes pas allés à Haftanin ni Sinat. Au retour, les soldats nous ont stoppés. Ils le font à chaque fois, mais ils nous donnent toujours la permission de passer. Cette fois, ils ne l'ont pas fait. Ils nous ont fait attendre à la frontière. Et finalement, ils ont jeté leurs bombes sur nous.
37 personnes, dont des étudiants, âgés de 10 à 20 ans, ont été abattus pour un travail qui leur rapportait 50, 60 ou 100 lires turques (100 lires turques = 42, 5 euros). Selam Encü, l'un des morts, était étudiant ingénieur. Şivan avait 15 ans, Orhan 10, Mehmet avait 11 ans. Personne n'était du PKK. Le PKK ne trafique pas de l'essence avec 40 ou 50 mules. Les soldats qui nous ont arrêtés à la frontière ne nous ont pas dit un mot. Après l'incident, aucun officiel militaire n'est venu nous aider. Après le bombardement, plusieurs blessés ont gelé à mort sur le sol car personne ne s'est montré pour leur porter secours. Nous sommes 3 survivants sur 38. Ils ne m'ont pas vu parce que je me suis caché en m'enterrant sous la neige. Avant, les soldats nous arrêtaient un moment et puis nous donnaient la permission de passer. Cette fois, ils ne nous ont pas laissés et nous ont encerclés. Les soldats sont partis avec leurs voitures dès que les bombardements ont commencé. Si je n'avais pas survécu, les corps auraient pu attendre 2 ou 3 jours. Nous formions 3 groupes distincts, l'un à la frontière et deux loin d'elle. Nous avons pensé partir et laisser notre chargement quand ils nous ont stoppés. Après le bombardement, j'ai marché environ 100 mètres et j'ai demandé de l'aide par téléphone. Après 2-3 heures, ils sont venus au secours. Aucun soldat ou aucune autorité n'est venue, ce sont juste nos gens qui sont venus. Nous avions quitté le village à 17 heures, et à 21 h 30 nous avons gagné la frontière. À 21 h 40, il y a eu le bombardement. Le premier groupe nous a informés que les soldats avaient pris des mesures. Nous avons pensé laisser notre chargement et repasser la frontière à cause du froid. Nous sommes restés où nous étions. Alors que nous attendions de voir si les soldats nous laisseraient passer ou si nous pouvions trouver un autre moyen de passer, nous avons été bombardés en deux groupes séparés. Nous avons été bombardés séparément. 4 avions sont venus et nous ont bombardés plus d'une heure. Les explosions m'ont fait voler dans les airs, et puis je suis retombé et je me suis retrouvé enfoui dans la neige. Nous faisions ce travail comme nous avions l'habitude de le faire. Jusqu'ici il n'y avait eu aucun affrontement sur ce parcours. Jusqu'à aujourd'hui, quand les soldats nous attrapaient, ils tuaient nos mules, brûlaient les selles et les biens que nous ramenions. Cette fois, ils nous ont tirés dessus. J'ai vu des blessés mourir en perdant leur sang, et ni les forces de sécurité ni une ambulance ne venait. »
Les soupçons d’une attaque préméditée ont été très vite exprimés par les villageois. L’un d’eux, ayant choisi de garder l’anonymat, raconte:
« Deux jours avant l'incident il y a eu un affrontement au carrefour de la route pour Uludere. Les soldats ont dit à des amis qui achetaient les biens que nous ramenons du commerce frontalier et qui sont vendus dans les boutiques : « Cette nuit, c'est la dernière fois. Vous ne pourrez plus faire ce travail désormais. » »
Quant au chef du village de Roboski, il nie toute confusion possible des contrebandiers avec le PKK, de la part des soldats :
« Nous faisons ce commerce frontalier sur ce trajet, je veux dire ce travail, depuis que les Anglais ont tracé la frontière. Les soldats et les officiels de l'État savent que nous faisons de la contrebande. Je crois que cet incident vient d'un mouvement comme Ergenekon ou Balyoz parce que cela survient juste après que Bülent Arınç a dit qu'ils devaient donner des droits aux Kurdes. De plus, les villages alentour votent BDP (le parti kurde). Je crois que c'est pour ça que cet incident est arrivé. La région n'est pas sur le parcours du PKK parce que ce côté-ci de l'Irak est plat. Il n'est pas possible d'attaquer la Turquie par surprise de ce côté-là. Celui qui approcherait par ce côté serait remarqué par les soldats turcs. Jusqu'à présent il n'y a eu aucun affrontement sur ce parcours. En général, durant une opération, le chef du village et les gardiens de village temporaires sont avertis afin qu'ils empêchent les contrebandiers d'aller et de venir dans la région. »
La liste de plusieurs victimes, les plus jeunes, et les motifs de leur contrebande a été rédigée par le frère d’un de l’un de d’elles, Welat Encü, et envoyée à plusieurs journaux (source http://yollar.blog.lemonde.fr/):
Serhat Encü, 17 ans. Son père, étant trop âgé pour travailler ne pouvait financer les études de ses enfants. Serhat voulait envoyer de l’argent à deux de ses aînés qui sont étudiants.
Cemal Encü, 16 ans. Élève en dernière année au lycée, il voulait payer ses frais de scolarité et de cantine.
Amza Encü, 21 ans. Venant de terminer son service militaire, il voulait soutenir financièrement sa famille.
Serafettin Encü, 16 ans. Élève en dernière année au lycée. Orphelin de mère, il voulait gagner lui-même son argent de poche.
Bedran Encü, 14 ans, Élève au collège. Étant l’aîné de sa fratrie, son père l’avait chargé de subvenir aux besoins de ses cadets.
Sivan Encü, 16 ans. Son père ayant quitté le foyer familial, il voulait aider sa mère restée seule.
Aslan Encü, 17 ans. Il y a six ans son frère a été blessé par une mine et il voulait aider à payer les frais nécessités par son traitement. Son père est trop âgé pour travailler.
Calal Encü, 18 ans, ne voulait pas « par fierté », recevoir de l’argent de poche de son père ou de ses aînés.
Hüseyin Encü, 19 ans. Il était le fils aîné de la famille et devait partir cette année pour son service militaire. Son père avait des dettes et Hüseyin voulait l’aider à les rembourser. Selam
Encü, 22 ans, venait de terminer l’université. Il devait passer un examen et voulait financer son voyage.
Fadil Encü, 19 ans. C’était l’aîné de la famille et il a voulu accompagner ses frères dans cette expédition.
En dehors de la presse kurde et internationale, les media turcs n’ont que très mollement réagi, les voix les plus nationalistes, dont celle de Devlet Bahçeli (MHP), avançant même qu’il valait mieux commettre cette bavure que de laisser courir des terroristes.
Un des rares journaux turcs à s‘être indigné et à prendre publiquement à parti le Premier Ministre est le journal Taraf, avec un éditorial virulent de son rédacteur en chef, Ahmet Altan :
« Si tu te mets à diriger pendant dix ans un Etat sans l'avoir au préalable nettoyé de son poison, si tu tournes le dos à ton peuple pour accéder aux plus hautes fonctions, si tu deviens un complice de cet Etat, ce poison finira par couler dans tes veines. Tu seras empoisonné. Tu deviendras un élément corrompu d'un Etat infecté. Et tu commenceras à menacer, à mentir, à éluder, à calomnier. Et quand cet Etat que tu crois diriger bombardera sous tes ordres le peuple, tu défendras l'Etat. Tu ne formuleras même pas d'excuses.
Sous ton gouvernement, cet Etat a déchiqueté 35 enfants de ce pays. Soit c'est l'Etat que tu diriges qui t'a tendu un piège soit c'est toi qui les as fait sciemment tuer. C'est lequel ? On a cru que tu avais été piégé mais en préférant défendre ceux qui ont bombardé, cacher la vérité à ton peuple, dénaturer les faits, tu nous as expliqués que tu n'avais pas été trompé. Alors rends-compte des enfants tués. Au lieu de t'agiter pour dire que l'Etat n'a pas bombardé son peuple, dis-nous comment l'Etat a bombardé le peuple. Qui a donné l'ordre de tuer ? Pourquoi ? Tu dis avoir été briefé par ton général de brigade, est-ce qu'il est venu à l'esprit de ton général de brigade de demander à la caserne qui se trouve là-bas s'il y a des contrebandiers dans les parages ? S'il ne l'a pas fait, pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Pourquoi n'a-t-il pas pris ses dispositions avant le commencement des bombardements ? Tu lui as demandé à ton général de brigade ?
Tu étais un homme du peuple quand tu as pris le pouvoir, tu te dressais contre les agissements de l'Etat, tu parlais avec ton peuple, tu lui demandais conseil, tu faisais la lumière sur les crimes de l'Etat, maintenant que tu es devenu un flagorneur de cet Etat, tu ne parles qu'avec tes agents, tes généraux, ton brigadier. (...) Explique-nous pourquoi vous avez tué ces enfants. Pourquoi ne vous êtes vous même pas excusés ? (...) Si ces morts étaient des Turcs, aurais-tu parlé de la sorte ? Tu as parlé comme cela car tu considères le militaire supérieur au civil, le Turc supérieur au Kurde. Honte sur toi, regarde-toi, tu étais le héros du peuple, tu es devenu le jouet de l'Etat. (...) Valait-il la peine de s'humilier ainsi pour accéder au palais présidentiel ? D'absorber le poison de l'Etat ? Tu as vu, toi aussi tu as fini par être empoisonné ». (blog http://sami-kilic.blogspot.com/)
Alors que les troupes américaines venaient tout juste de se retirer complètement d’Irak, le 19 décembre, trois des gardes du corps d’un des deux vices-présidents irakiens, Tareq al-Hashimi, étaient arrêtés et accusés d’activités terroristes. Le Premier Ministre Nuri Al-Maliki demandait le même jour qu’un autre haut responsable politique sunnite, pour son adjoint, Saleh Al-Mutlak, soit démis de ses fonctions, tandis qu’Al-Hashimi et le reste de ses gardes étaient interdit de sortir du territoire. Le porte-parole de la Sécurité de Bagdad, le général en chef Qassim Atta, a indiqué que la nuit précédente, Tariq Al-Hashimi avait été intercepté alors qu’il s’apprêtait à prendre un vol pour la ville kurde de Suleïmanieh, où il se rendait pour rencontrer le président Jalal Talabani. Sa voiture personnelle a été confisquée par les services secrets de la Défense irakienne. Le vice-président n’a pu prendre son vol que grâce à l’intervention personnelle de Jalal Talabani.
La Sécurité irakienne soupçonne Tarek Al-Hashimi d’avoir commandité l’attentat à la voiture piégée contre le parlement qui, en novembre dernier, avait fait une victime et blessé trois autres membres parlementaires, dont un Kurde. Les deux politiciens appartiennent au bloc rival de Maliki, celui d’al-Iraqiya, dont les 82 députés viennent tout juste d’entamer un boycott au parlement irakien pour protester contre « une monopolisation du pouvoir » par le Premier Ministre. Saleh Al-Mutlak, plusieurs fois accusé par ses détracteurs de soutenir en secret l’ex-Parti Baath, a répliqué sur sa propre chaîne de télévision, Babiliyah, que Nuri Al-Maliki était « pire que Saddam Husseïn ». Ce dernier n’a cessé de réaffirmer sa détermination à mener jusqu’au bout le processus judiciaire, et a indiqué, par le biais de son porte-parole qu’aucune « médiation » (probablement kurde) ne le dissuaderait de mettre le vice-président irakien en état d’arrestation et qu’ils lui avaient donné 48 h pour prouver l’innocence de ses gardes du corps.
Les « confessions » des gardes du corps de Tarek Al-Hashimi, retransmises sur des chaînes télévisées, sont dénoncées par le camp des Arabes sunnites comme une machination ourdie par le Premier Ministre chiite pour abattre ses puissants rivaux d’Al Iraqiyya qui boycottent actuellement le parlement et le gouvernement de coalition.
Quant à l’accusé, il a fait savoir, dans une conférence de presse donnée à Erbil, qu’il était « prêt à être jugé » à condition que son procès ait lieu au Kurdistan d’Irak, où il a trouvé refuge, et non en Irak même, dominé par les chiites. En plus du transfert de son dossier au Kurdistan, Tarek Al Hashimi réclame également la présence de représentants de la Ligue arabe pour veiller sur la régularité de l’enquête et des interrogatoires.
La riposte de Nouri Al-Maliki ne s’est pas fait attendre. Dès le lendemain de la conférence de presse d’Al Hasimi, le 21 décembre, il s’adressait au Gouvernement régional du Kurdistan pour qu’ils remettent le vice-président sunnite à la Justice irakienne, et rejetait tout rôle de la Ligue arabe dans cette affaire qu’il qualifiait de « criminelle ». Alors que le dernier convoi de soldats américains avait quitté l’Irak, le gouvernement américain, face à cette crise inattendue, a exprimé son « inquiétude au sujet de ces développements et a exhorté « toutes les parties à oeuvrer pour résoudre leurs divergences de façon pacifique, à travers le dialogue, de façon respectueuse de l'Etat de droit et du processus politique démocratique ».
Avec la « fuite » d’Al Hashimi au Kudistan, plus que le président de l‘Irak, Jalal Talabani, c’est le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, qui se trouve dans une position clef dans cette médiation, puisque c’est sous sa « protection » que Tarek Al Ashimi s’est placé en réclamant d’être jugé à Erbil, et Nouri Al Maliki ne s’y est pas trompé quand il a sommé les Kurdes de faire face à leur « responsabilité » en lui livrant le vice-président. De même, n’ayant plus en Irak qu’une présence diplomatique, les Etats-Unis ont besoin plus que jamais de la médiation kurde entre les sunnites et les chiites irakiens.
Massoud Barzani a lancé très vite un appel allant dans le sens du dialogue et de l’apaisement, en proposant qu’une « conférence nationale » se tienne afin de résoudre la crise politique et d’éviter une aggravation des conflits. Mais Nouri Al Maliki a rejeté cette proposition, qu’il juge « inappropriée » et le porte-parole du Premier Ministre, Ali Al-Mussawi, a même jugé « insultant » pour les proches des victimes de l’attentat cette proposition de conférence générale entre les politiciens irakiens.
De son côté, la porte-parole d’Al Hashimi, Maysoun al Damalouji, a assuré que le vice-président prouverait son innocence, en ajoutant que toute cette affaire n’était qu’un « jeu politique » de la part de Maliki.
Les relations, très tendues entre Maliki et le gouvernement kurde, avaient pourtant vu l’amorce d’un compromis, depuis que le Premier Ministre irakien s’était engagé, par écrit, à un partenariat dans la direction politique de l’Irak et à travailler à un accord sur la gestion des revenus pétroliers kurdes. Mais le refus des Kurdes de livrer Tarek Al Hashimi aux chiites n’a fait qu’envenimer les rapports entre Erbil et Bagdad. Le 23 décembre, Fuad Hussein, chef du cabinet de la présidence kurde, a clairement fait savoir que le Gouvernement régional du Kurdistan ne renverrait pas Tarek Al Hashimi à Bagdad, qualifié d’ « invité » : Mais il a ajouté : « Nous sommes prêts à organiser un procès régulier pour Hashimi dans la Région du Kurdistan, si les autorités judiciaires irakiennes l’acceptent. »
Secondant les Kurdes dans leur tentative d’apaisement, les Américains insistent également sur la reprise du dialogue entre les camps rivaux. Selon la chaîne arabe Al-Hurra, Joe Biden, le vice-président des Etats-Unis a personnellement appelé Maliki à cet effet, mais sans succès apparent. Il a aussi joint au téléphone le président du Kurdistan, Massoud Barzani, pour discuter de la situation et réitérer le soutien américain à un processus de dialogue entre les leaders irakiens.
Premiers effets de ce bras de fer ? Quelques jours plus tard, les attentats se sont multipliés à Bagdad, surtout dans les zones chiites, faisant plus de 50 victimes et près de 200 blessés, ce qui peut laisser craindre une reprise de la guerre civile en Irak, alors que les troupes américaines ne sont plus sur le terrain. Le 26 décembre, c’était au tour du groupe parlementaire Al-Iraqiya de rejeter l’invitation du Conseil des ministres d’une réunion des principaux leaders politiques encore en place à Bagdad pour résoudre la crise. Motif de ce refus : le fait que les parlementaires sunnites aient été mandés par le gouvernement et non par le groupe des députés chiites de la liste Al Dawa : « Nous ne sommes pas des employés du gouvernement » a ainsi résumé un député d’Al Iraqiya.
Pour finir, le parti chiite religieux d’Al Sadr a appelé à des élections anticipées, appel relayé par Massoud Barzani comme un moyen de débloquer la situation, au moins sur le plan politique. S’exprimant sur Al-Jazeera, le président du Kurdistan a estimé que l’Irak connaissait sa crise la plus dangereuse depuis la chute de l’ancien régime et que le fédéralisme était la seule solution pour la survie de l’Irak, alors que de plus en plus de voix sunnites s’élèvent pour réclamer un statut identique à celui dont jouissent les Kurdes dans 3 provinces.
S’invitant soudainement dans le conflit, la Turquie, qui poursuit plus que jamais sa politique d’interventionnisme au Moyen-Orient, a annoncé le 26 décembre qu’elle ne « s’opposerait pas » à la venue de Tarek Al Hashimi sur son territoire, annonce qui, jusqu’ici a eu peu de succès, même du côté sunnite. Mais il est probable que le gouvernement d’Erdogan surveille attentivement le regain de pouvoir que la situation donne au Kurdistan d’Irak, comme le fait remarquer Gala Riani, analyste à l’IHS Global Insight, qui reprennent ainsi leur position de « faiseur de rois », un peu amoindrie devant l’autoritarisme croissant de Maliki et la concentration des pouvoirs dans sa main. De plus, l’appui américain qui attend d’eux qu’ils aident à résoudre la crise leur permet de renforcer leurs demandes envers le pouvoir de Bagdad, tout en essayant de mettre fin à la crise, dans un statut d’arbitre.
Une émeute a soudainement éclaté, le 3 décembre, dans la ville de Zakho, après qu’un imam ait fustigé les « boutiques d’alcool » et les « centres de massage chinois » lors de son sermon du vendredi. Au sortir de la mosquée, un groupe d’agitateurs a appelé à la destruction de ces boutiques et a commencé d’attaquer et de brûler des échoppes d’alcool, un commerce principalement exercé par les chrétiens et les yézidis. Un centre de massage et quatre hôtels ont été également pris pour cible.
Prises de court, les forces de sécurité ont cependant gardé leur sang-froid, évitant en cela de répéter les erreurs de Suleïmanieh quand, au printemps dernier, des tirs avaient été échangés dans les manifestations. Les quartiers en proie aux émeutes et au pillage ont été circonscrits et les blessés figurent majoritairement parmi les policiers, sans qu’aucune mort ne soit à déplorer.
Très vite, les images diffusées sur le web, venant de téléphones portables appartenant aux pillards eux-mêmes, montraient une foule des plus disparates, où à côté d’adultes entonnant des slogans religieux, on peut voir de très jeunes adolescents en profiter pour se servir dans les boutiques d’alcool, ce qui laisse fortement douter de leur motivation religieuse.
Dans la soirée, les attaques se sont portées sur la ville de Sumaili, à 15 km de Duhok, où vivent 200 familles chrétiennes, au village de Shiuz (180 familles chrétiennes), et dans la ville de Deraluk, où la police est finalement intervenue.
De l’avis de la majorité des media et de la population, il s’agissait plus d’une émeute visant les deux partis au pouvoir, le PDK et l’UPK, pour des raisons plus sociales et politiques que confessionnelles, même si des groupuscules islamistes réclament régulièrement du gouvernement qu’il interdise la vente d’acool. La riposte a été immédiate et a visé plusieurs locaux de l’Union islamique du Kurdistan (KIU), immédiatement mise en cause par des membres ou sympathisants du Parti démocratique du Kurdistan, tandis que plusieurs membres et dirigeants du parti islamiste étaient arrêtés. Le KIU a vu brûler plusieurs de ses locaux à Zakho, Duhok, Simel et Erbil, en « représailles » par une foule en colère. Il a alors publié un communiqué condamnant à la fois les émeutes de Zakho (et niant en être l’instigateur) et les attaques contre ses bureaux. Le ministre de l’Intérieur a, dans la soirée, émis un communiqué dans lequel il condamnait toutes les violences commises et promettaient qu’elles feraient l’objet de poursuites judiciaires.
Dès le lendemain, le président du Kurdistan, Massoud Barzani, se tendait à Zakho et condamnait les troubles de la veille, qu’il estimait « prémédités ».
« Je condamne ces actes illégaux. J’appelle le peuple de la Région du Kurdistan à préserver nos traditions de coexistence religieuse et ethnique. J’ai ordonné la création d’une commission qui enquêtera sur ces troubles, et que les responsables soient traduits en justice. »
« Protéger l’harmonie entre les communautés kurdes n’est pas de la seule responsabilité du gouvernement du Kurdistan, c’est de la responsabilité de tous et nous ne permettrons à personne de menacer cette harmonie » a,pour sa part, déclaré le chef de la police de Duhok, Ahmed Doski.
Le 5 décembre, on pouvait craindre une propagation des émeutes, quand à Suleïmanieh, un centre de massage asiatique était brûlé par des manifestants inconnus, sans faire de blessés. Le maire de Suleïmanieh, une ville fréquemment en proie à une agitation sociale et politique, contrairement à Zakho ou Duhok, Zana Hamasalih, a accusé des « saboteurs » d’être à l’origine de l’incident.
Malgré cet incident, les autres gouvernorats, celui d’Erbil et celui de Ninive, assuraient qu’il ne s’agissait que d’agitations locales et ne craignaient pas une contamination. Le gouverneur d’Erbil a même indiqué n’avoir pris aucune mesure particulière de sécurité, et que la situation était « stable ».
L’origine des troubles a suscité nombre de versions et de commentaires dans les media kurdes et pami les observateurs politiques. Les uns y voient surtout une agitation sociale, les autres cherchent une instigation étrangère, rappelant le soutien du GRK à la révolution syrienne ou bien ses conflits récurrents avec le gouvernement de Bagdad. Quant à l’imam dont le prêche a déclenché les émeutes, il a nié toute responsabilité dans ces attaques. Convoqué par la commission d’enquête et s’exprimant aussi dans la presse, Mala Ismaïl Osman Sindî s’est défendu en disant qu’il n’était pas le seul, ni le premier religieux à protester publiquement contre les centres de massage chinois (qui semblent rencontrer un certain succès au Kurdistan) : « Tout le monde en parle, et je suis peut-être le dernier à avoir abordé cette question. J’ai seulement dit qu’au lieu de centres de massages, on devrait construire des mosquées. »
Un habitant de Zakho, qui assistait au prêche, rapporte au journal Rudaw qu’ « après que le mollah a parlé des centres de massage, un homme s’est levé et a crié : « Puisqu’il y a des choses ‘haram’ à Zakho, nous ne devons pas les accepter et nous devons les détruire. » Omar Sindî a confirmé la scène : « Mais je lui ai dit que s’il partait attaquer les centres avant que le sermon soit terminé, sa prière ne serait pas acceptée par Dieu. Cette personne est membre du KIU. »
Le PDK et le KIU n’ont ainsi cessé de s’accuser mutuellement d’être à l’origine des violences, le PDK s’en servant comme prétexte pour mettre à sac les locaux du KIU, et ce dernier pour nuire à l’image de gouvernement et de la Région, ou bien servant des intérêts étrangers. Mais tous sont unanimes pour douter qu’un seul sermon par un mollah sans grande envergure de Zakho ait pu spontanément embraser toute une foule devenue soudainement extrémiste.
Le vendredi suivant celui de l’émeute, (le vendredi étant un jour de prêche religieux et traditionnellement choisi pour les manifestations et les protestations au Moyen-Orient) aucun trouble n’est survenu dans toute la Région, même si la police de la province de Duhok a été mise en état d’alerte.
Quant aux chrétiens de Zakho, ils se disent peu effrayés par une possible répétition des attaques, insistant sur la longue cohabitation amicale avec les musulmans kurdes, la plupart y voyant une menée de partis politiques opposés au gouvernement. Dans une interview donnée le 15 décembre, au journal Rudaw, Amir Goka, député chrétien à la tête du bloc du Conseil national des Chaldéens et des Assyriens au Parlement d’Erbil, expliquait que ces attaques restaient totalement inexplicables et imprévisibles pour les habitants de Zakho, musulmans, yézidis et chrétiens et qu’il songeait, lui aussi, à une attaque plannifiée, pour porter atteinte à la réputation de tolérance religieuse de la Région du Kurdistan.
Commentant les événements, Mahmoud Osman, député indépendant à la tête de la coalition kurde au parlement de Bagdad (coalition qui rassemble aussi bien la liste majoritire de l’Alliance du Kurdistan que le KIU) y voit les agissements d’États voisins désireux d’ébranler la stabilité politique du Kurdistan : « Je soupçonne des milieux étrangers, comme l’Iran, la Syrie et la Turquie, qui ne sont pas amis de la Région du Kurdistan, et qui ne reconnaissent rien de ce qui se nomme le peuple kurde, d’être derrière les récents incidents qui se sont produits à Zakho et Duhok. » a déclaré le deputé au journal Aswat al Iraq. « Il se peut que ces États aient interféré, afin de miner la situation dans la Région du Kurdistan. »
Un citoyen israélien, Drory Yeoshua s’attache à promouvoir activement la musique de son pays d’origine, le Kurdistan, et présente les traditions judéo-kurdes au sommet du Centre communautaire juif et à la Congrégation des artistes en résidence, ce mois-ci. Son programme comprend aussi bien de la musique et des danses kurdes, qu’une initiation à la cuisine traditionnelle du Kurdistan, allant de la soupe aux kubbeh, dans un souci de ne pas hiérarchiser les traits culturels entre eux :
« Certains diront que ces psaumes, ces mélodies, ces mets et ses danses représentent une « proto-culture », qui n’a rien à avoir avec la culture des livres et des romans. Mais pour moi il n’y a pas de petite et de grande cultures. La bonne question est de demander : « Qu’est-ce qui fait s’épanouir votre âme ? Quand vous entendez des psaumes kurdes, quand vous mangez de la nourriture persane, quand vous lisez un roman syrien ? Votre âme est là où vous la sentez s’émouvoir. »
Yehoshua pense que cette croyance en des cultures supérieures et inférieures creuse davantage le fossé entre les juifs issus des cultures musulmanes et ceux venus des sociétés occidentale ou ashkenazes. Il a aussi pour but de redonner l’estime d’eux-mêmes aux juifs venus du monde musulman.
« Les cultures « musulmanes » ont été beaucoup critiquées au commencement de cet État. Ma famille, par exemple, a eu du mal à montrer sa culture en public. Mais avec l’aide de Dieu, les choses changent en Israël. »
Drory Yehoshua est ainsi particulièrement attaché au maqam Husseïni, qui vient du Kurdistan. Ces mélodies sur lesquelles sont chantés les psaumes des juifs kurdes sont en fait le produit d’un mélange de cultures et de chants entre juifs et musulmans du Kurdistan. « Nous pouvons trouver tristes la plupart de ces musiques presque toutes ces musiques, mais elles ont un effet très intéressant. Une mélodie peut alourdir le cœur et attrister profondément et puis… une minute après vous vous retrouvez à danser et sauter. »
Résidant à Jérusalem il enseigne à l’institut Shalom Hartman Institute et au Memizrach Shemesh, un centre d’études et d’actions sociales, qui se consacre au patrimoine sépharades (juifs originaires d’Espagne, venus de Méditerranée et d’Afrique du Nord) et mizrachis (juifs « orientaux » principalement d’Irak et du Kurdistan), ainsi que dans une synagogue de Jérusalem. Son père a émigré du Kurdistan en 1952 et sa mère née à Jérusalem, est issue dune famille de juifs kurdes arrivés en Palestine en 1928. « Je suis né dans un environnement kurde où toutes les familles formaient comme une tribu. Aujourd’hui, cela fait partie de mon identité juive : Je suis un juif kurde. »
Environ 450 000 Israéliens se définissent ainsi comme juifs kurdes, selon Drory Yeoshua, qui précise que cette identité est mouvante, car elle se fonde sur un ressenti personnel.