Chaque année, la façon dont le Newroz ou Nouvel An des Kurdes est accepté ou non par les autorités turques est un indicateur assez sûr de la façon dont la question kurde est ou sera gérée par le gouvernement, qui alterne, depuis 2000, les périodes d’ouverture et de répression. L’année 2011 et le début de l’année 2012 ayant vu une aggravation des manquements aux droits de l’homme et une aggravation des violences armées et des intimidations policières et judiciaires à l’encontre des élus et militants politiques kurdes, des intellectuels, des journalistes et des universitaires, c’est sans surprise que ce Newroz 2012 s’est déroulé plus comme un bras de fer entre le gouvernement et la population kurde que comme l’arrivée festive du printemps.
Cette année, la célébration a en effet été « limitée » par le gouverneur de Diyarbakir à la date du 21 mars, qui tombait un mercredi, alors que les municipalités et les organisations kurdes, avaient, pour la plupart, prévu d’organiser les concerts et les rassemblements le 18 mars, un dimanche qui est jour férié. Mais les autorités turques, affirmant que le jour du Newroz est uniquement le 21 mars, ont pris prétexte de ce décalage pour interdire les manifestations antérieures. Or, le Newroz étant le jour précis de l’équinoxe du printemps, il peut tomber le 20 ou le 21 mars selon les années, dans tous les pays où il a valeur de fête officielle, que ce soit en Iran, au Kurdistan d’Irak, en Géorgie et dans nombre de pays du Caucase et d’Asie centrale. Quant aux vacances et festivités de printemps, elles peuvent durer bien plus longtemps, allant de une à trois semaines au Kurdistan d’Irak ou en Iran. Mais l’interdiction a été maintenue de la part des autorités locales, tandis que le parti du BDP maintenait son programme.
Des violences ont donc éclaté, sans surprise. À Diyarbakir, la police a fait usage de grenades lacrymogènes et de canons à eau contre des groupes de manifestants, brandissant le drapeau kurde qui voulaient se rendre sur l’esplanade de la ville, près des remparts, sans pouvoir arrêter le cortège, gros de 5 000 personnes, selon les correspondants de l’AFP sur place. Plusieurs affrontements ont eu lieu dans les quartiers alentour, des cocktails Molotov étant lancés sur les policiers. À Istanbul, des groupes de militants kurdes bloqués par la police alors qu'ils se dirigeaient vers la place de Kazlicesme, où le Parti pour la paix et la démocratie (BDP, principale formation kurde de Turquie) avait prévu d'organiser les célébrations, ont érigé des barricades et jeté des pierres sur les policiers. Un groupe de députés BDP a été dispersé avec des lacrymogènes et des canons à eau. Le gouverneur d’Istanbul, Hüseyin Avni Mutlu, a fait état de 7 blessés dont 2 policiers et de 106 arrestations.
Les heurts se sont poursuivis toute la semaine du Newroz. À Batman, le 20 mars, de violentes altercations entre manifestants et policiers ont fait 15 blessés, dont un touché sérieusement. À Cizre (province de Şirnak) et à Yüksekova, plusieurs policiers ont essuyé des tirs de fusil d’assaut et l’un d’eux, touché gravement, a succombé à l’hôpital. Mais les violences ne se sont pas limitées aux combats de rue et le 21 mars, d’autres policiers ont affronté les combattants du PKK près du mont Cudî (province de Şirnak) : 6 d’entre eux ont été tués et 5 autres blessés. Il s’agissait d’une opération de « nettoyage » des montagnes, menée conjointement par l’armée et la police, avec renforts d’avions de chasse et d’hélicoptères. Les commentateurs politiques ont souligné à cette occasion la place croissante de la police dans des opérations de type militaires qui, jusqu’ici, n’employaient que les soldats et la gendarmerie. Quelques jours plus tard, 15 femmes, toutes combattantes du PKK, à Bitlis, étaient tuées dans un affrontement avec des gardiens de village.
Le bilan de ce printemps consacre ainsi la fin de « l’ouverture » modérée du gouvernement AKP envers la question kurde et annonce plutôt une reprise des stratégies militaires et de la répression policière au Kurdistan de Turquie. L’année 2011 a de toute façon été très mauvaise pour le bilan des droits de l’homme en Turquie. Le bureau de l’Association des droits de l’homme (IHD) pour Diyarbakir a publié, le 2 mars, un rapport sur les violations de ces droits au niveau local. Au cours de l’année 2011, 29. 366 violations des droits de l’homme ont été commises dans les régions kurdes, contre 23. 520 en 2010. Le rapport note un accroissement notable du recours aux armes à feu contre les civils, et une augmentation spectaculaire des arrestations, des pratiques de torture et de traitements inhumains.
Le secrétaire de l’IHD de Diyarbakir, Raci Bilici a qualifié l’année 2011 de « guerre intensive » en lieu et place d’une recherche de solution pacifique au problème kurde. Le climat actuel lui rappelle les années 1990, où les régions kurdes étaient devenues « un camp de concentration » pour les politiciens, journalistes, avocats, étudiants, syndicalistes et défenseurs des droits de l’homme, presque tous derrière les barreaux, quand ils n’étaient pas assassinés. Raci Bilici pointe aussi le recours accru à la torture et aux mauvais traitements dans les prisons. L’État est aussi accusé d’avoir apporté une aide très insuffisante aux victimes et sans abri du tremblement de terre de Van alors que les habitants ont par contre reçu plusieurs aides de la part du Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak.
Les chiffres du rapport de l’IHD font état, pour 2011, de :
– 149 membres des forces de sécurité tués, et de 295 blessés par balles.
– Parmi les combattants du PKK, 169 auraient été tués et 6 blessés.
– Concernant les victimes civiles, 129 personnes ont été tuées et 259 blessés dans des attaques à auteurs inconnus, des exécutions extra-judiciaires et des violences avec armes à feu. Les mines et les attentats à l’explosif ont causé 6 morts et 49 blessés.
– 45 personnes sont mortes et 4 blessés, en raison de la négligence ou de la faute des services de l’État.
– 1917 personnes ont été emprisonnés, 6306 ont été mises en garde à vue.
– 1555 cas de torture ou de traitements inhumains ont été relevés.
– Dans les centres de détention, 1421 cas de violation des droits des prisonniers ont été enregistré. 932 personnes ont été blessées par les policiers lors de manifestations.
– 4496 demandeurs d’asile et immigrants ont été détenus.
– 4 villages ont été brûlés et évacués.
– Enfin, des plaintes ont été lancées au sujet de 1699 personnes disparues et retrouvées dans un total de 111 fosses communes.
L’interminable conflit entre l’Irak et la Région kurde au sujet de l’exploitation du pétrole au Kurdistan d’Irak se poursuit en épousant le climat général des relations politiques et diplomatiques entre Bagdad et Erbil, qui tend lui aussi à s’envenimer. À l’automne dernier, la compagnie américaine Exxon Mobil avait déclenché une vive controverse en annonçant la signature d’un contrat avec le Kurdistan d’Irak pour l'exploration de six gisements pétroliers, sans êtrepassé par Bagdad, comme le réclame depuis toujours le gouvernement central. Ce dernier avait menacé la compagnie Exxon d’annuler le contrat signé entre Exxon et l’Irak concernant le champ pétrolier de Qurna-Ouest (sud).
Les Américains avaient adopté une attitude indécise et prudente, indiquant que les réclamations irakiennes allaient être examinées. À la fin du mois de février, un représentant d'ExxonMobil s’était entretenu avec Hussein Chahristani, actuel Vice-Premier ministre et toujours ministre de l’énergie dont l’attitude intransigeante sur ce dossier n’a pas varié d’un pouce. La société américaine avait assuré le ministre qu’elle ferait part publiquement de sa décision « dans les prochains jours ».
Au début du mois de mars, c’est Total qui annonçait être entré en contact avec les Kurdes au sujet de contrats pétroliers mais Christophe de Margerie, le PDG de la compagnie française, a assuré n’avoir encore rien signé, dans une déclaration faite à la presse, alors qu’il s’était rendu au Koweït pour le 13e Forum international de l'énergie, le 13 mars: « Le Kurdistan fait partie de l'Irak, et beaucoup d'entreprises investissent au Kurdistan irakien, et je ne vois pas pourquoi Total ne pourrait pas le faire, donc nous regardons les opportunités, nous discutons, mais nous n'avons rien conclu encore ». Le dirigeant de Total a par ailleurs indiqué qu’il envisageait aussi de conclure des accords avec des sociétés déjà en possession de permis d'exploration d'hydrocarbures au Kurdistan, afin de participer à leurs projets d’explorations, mais « dans tous les cas, il faut l'accord du gouvernement du Kurdistan ».
Le 15 mars, le président de la Région kurde, Massoud Barzani, a, dans un communiqué sur son site officiel, accusé l’Irak de minimiser la quantité des exportations de pétrole provenant du Kurdistan irakien : « Le Kurdistan exporte 90.000 à 100.000 barils de pétrole par jour depuis le début de l'année, mais Bagdad affirme que les exportations n'atteignent que 65.000 bj par jour et que cela lui occasionne « des pertes financières quotidiennes » (...) Si les affirmations du ministère du Pétrole sont correctes, cela signifie que 25.000 à 35.000 bj sont perdus dans le processus de mise sur le marché (...) Le Kurdistan estime que cette divergence doit faire immédiatement l'objet d'une enquête, au cas où quelqu'un s'attribuerait la différence ». La présidence kurde se plaint aussi que depuis mai 2011 le gouvernement central bloque les paiements aux entreprises pétrolières, et indique que Bagdad doit à la Région kurde plus d'un milliard de dollars de chiffre d'affaires pour 2011, et que pour 2012, « pas le moindre dollar n'a été versé pour les exportations ».
Le même jour, dans un discours prononcé à Erbil, Massoud Barzani a stigmatisé dans des termes cinglants l’attitude du gouvernement irakien envers la réussite des Kurdes : « Les responsables au gouvernement central qui refusent d'accepter ces contrats sont des ratés qui n'arrivent pas à donner à l'Irak ce que nous donnons au Kurdistan. Ils veulent que nous soyons comme eux. Le problème n'est pas que ces contrats violent ou non la Constitution, mais qu'ils ne veulent pas que la région se développe. »
Deux jours plus tard, un porte-parole du gouvernement irakien annonçait que la société Exxon, dans une lettre adressée au ministère irakien du Pétrole, renonçait au contrat passé avec les Kurdes. Mais la nouvelle a été aussitôt démentie par la présidence kurde, par la voix de son Secrétaire général, Fuad Hussein, qui a indiqué à l’AFP que « La compagnie pétrolière ExxonMobil continue de travailler au Kurdistan et n'a fait aucune annonce au gouvernement kurde relative à un gel de ses activités au Kurdistan. Il y a constamment des réunions entre les parties concernées dans la région et les dirigeants du groupe américain. »
Le 20 mars, jour du Newroz, fête nationale et jour de l’An des Kurdes, Massoud Barzani a intensifié ses critiques contre l’Irak, en les dirigeant cette fois plus précisément sur le Premier Ministre Nouri Maliki, accusé, une fois de plus, de vouloir concentrer tous les pouvoirs de l’État dans ses mains et de prendre, notamment, le contrôle de l’armée. Le président kurde a ainsi estimé que les accords d’Erbil qui avaient suivi les élections législatives de 2010, entre les partis sunnites et chiites avaient perdu « toute signification » et que le partenariat entre les deux blocs politiques arabes, sous arbitrage kurde, était « totalement inexistant ».
« On assiste à une tentative de mettre sur pied une armée de 1 million d'âmes dévouées à une seule personne. Où dans le monde une seule et même personne peut-elle être Premier ministre, chef des armées, ministre de la Défense, ministre de l'Intérieur, chef des services secrets et chef du conseil de sécurité nationale ? »
En effet, les postes de ministres de la Défense et de l’Intérieur, assumés en « intérimaire » par Nouri Maliki le temps de s’accorder sur les nominations, sont toujours vacants, et les adversaires du Premier Ministre l’accusent de chercher ainsi à concentrer les pouvoir de la sécurité et de la défense nationale, à l’image de l’ancien raïs Saddam Hussein. Le président kurde a aussi rappelé que la question de Kirkuk et des autres régions devant choisir leur statut par référendum est toujours pendante et que les fonds devant être alloués à la Région kurde pour l’entretien d’une armée de Peshmergas ne lui sont toujours pas octroyés. Revenant enfin sur la question des contrats pétroliers, Massoud Barzani a déclaré qu’aucun des accords passés par la Région avec des sociétés étrangères était anti-constitutionnel et il a répété que la seule raison derrière l’opposition de Bagdad était son refus de voir le Kurdistan « aller de l’avant ».
« Il est temps de dire assez ! La situation actuelle est pour nous inacceptable et j’appelle tous les leaders politiques irakiens à essayer de trouver une solution de toute urgence, autrement nous nous retournerons vers notre peuple pour prendre toutes les décisions qu’il jugerait appropriées » a conclu le leader kurde, dans des termes qui ont été largement interprétés comme une menace à peine voilée de proclamer l’indépendance du Kurdistan.
Une semaine plus tard, le 26 mars, le gouvernement kurde, revenant sur le dossier du pétrole, menaçait de suspendre ses exportations de brut si Bagdad ne réglait pas ses dettes envers la Région. Autre point de litige : le gouvernement central serait sur le point de conclure un accord avec la société BP qui souhaite augmenter la production de pétrole à Kirkouk. La région étant réclamée par les Kurdes, ces derniers jugent « illégal » un tel accord.
Signe que la popularité de Maliki est au plus bas, même si les propos à résonnance séparatistes sont modérément désapprouvés ou jugés irréalistes par la rue irakienne, celle-ci estime justifiés les reproches de Barzani à l’encontre de l’actuel gouvernement. Les habitants de Bagdad se plaignent ainsi du délabrement des infrastructures, des services en eau et en électricité, de la corruption généralisée qui freine tout développement.
La visite de Kofi Annan en Syrie n’ayant donné aucun résultat concret sur le terrain, les manifestations et la violente répression se poursuivent en Syrie, d’autant que le « Printemps syrien » fêtait, ce mois-ci, son premier anniversaire.
À Qamichlo, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), des dizaines de milliers de Kurdes ont défilé pour commémorer un autre anniversaire, celui du 12 mars 2004, quand des affrontements avaient opposé les Kurdes à des milices arabes armées par le Baath et des forces de sécurité, faisant 40 victimes. D’après l’OSDH, les cortèges, qui brandissaient des drapeaux kurdes, ont essuyé des tirs à balles réelles de la part des forces de sécurité et au moins 3 personnes auraient été blessées. Des vidéos mises en lignes sur Internet, montrent des manifestants d’une autre ville kurde, Amoude, ayant pu grimper sur le toit d’un immeuble de la Sécurité, agiter le drapeau kurde et celui de la Syrie avant la prise de pouvoir du Baath. On peut y voir aussi une statue de Hafez al-Assad, le prédécesseur et le père de l’actuel président syrien, jetée du haut du bâtiment, pour être brisée et piétinée par la foule.
Malgré cela, le président de l'OSDH, Rami Abdel Rahmane, indique que le régime syrien reste « prudent vis-à-vis des Kurdes et tente d'éviter tant que possible des heurts avec eux, craignant un affrontement violent ».
Le jour du Newroz étant traditionnellement une occasion de manifester politiquement contre le régime en place, il a été particulièrement célébré cette année par les Kurdes de Syrie, comme de nombreuses vidéos mises en ligne en attestent. À Alep, où vit une très nombreuse population kurde, un rassemblement important a eu lieu aux cris de « Azadî » (liberté en kurde) et « À Dieu, la religion. À tous, la Nation », « Notre révolution syrienne est pour la justice, la dignité et la liberté ». Les manifestants ont aussi scandé « Dégage! » à l'adresse du président Bachar al-Assad, et des : « Pas d'étude et pas d'école jusqu'à la chute du président ! » À Qamichlo, des portraits du dirigeant kurde Machaal Temo, assassiné en octobre dernier ont été brandis au milieu de chants appelant à renverser le régime, de même à Hassaké. Quant à la ville frontalière de Ras Al-Ain, elle a vu elle aussi réapparaître l’ancien drapeau syrien, datant d’avant la prise de pouvoir du Baath en 1963.
Si le pouvoir syrien n’a pas encore réprimé massivement les démonstrations des Kurdes, les assassinats individuels à auteurs inconnus ne cessent cependant pas, ainsi que les arrestations et les tortures d’opposants. Le 25 mars, le corps d’un activiste kurde de Derbassiyeh (Hassaké), Ciwan Khalaf Mohammad Al-Qatna, âgé de 22 ans, a été retrouvé 3 heures après son enlèvement, par 4 hommes masqués, soupçonnés d’appartenir aux services secrets. Ciwan Khalaf, qui étudiait la littérature à l’université d’Alep, était le neveu de Machaal Temo, et l’oppositio kurde accuse l’État d ‘être derrière ces deux meurtres. Un membre de la famille a déclaré au site kurde AkNews que Ciwan Khalaf était un membre actif de l’Organisation des Jeunesses de la révolution syrienne, ainsi que de la Jeunesse libre de Derbassiyeh, et que son enlèvement et son exécution était l’œuvre des forces de sécurité. Il a indiqué que le corps avait été retrouvé mutilé.
L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) a publié « Un monde tortionnaire », rapport sur les pratiques de la torture dans plusieurs pays au cours de l’année 2011». Parmi les pays recensés figure la Turquie. Dans le chapitre consacré à ce pays, il est dit d’emblée qu’« une part substantielle des atteintes aux droits de l’homme commises par les autorités turques est liée au conflit politique les opposant, depuis la création de la République, au peuple kurde. » Se fondant sur les chiffres fournis par l’IHD en Turquie, l’ACAT indique qu’après avoir diminué entre 2004 et 2007, « le recours à la torture et aux mauvais traitements a considérablement augmenté à partir de 2008 » et que « les principales victimes de torture et de mauvais traitements sont les Kurdes. »
Les victimes kurdes de la torture appartiennent ou sont soupçonnées d’appartenir à des organisations accusées d’être affiliées au PKK, comme le parti BDP et l’Union des communautés au Kurdistan. Elles peuvent être aussi arrêtées au cours de manifestations. La plupart d’entre elles sont jugées et condamnées en vertu d’articles de la loi antiterroriste, par exemple les articles 220 et 314 du Code pénal à l’encontre des « groupes ayant l’intention de commettre des crimes contre la sûreté de l’État ou contre l’ordre constitutionnel et son fonctionnement, et de la loi sur les manifestations et les rassemblements publics ». Il est souligné aussi que de nombreux mineurs accusés d’avoir jeté des pierres sur les policiers ou d’avoir participé à une manifestation subissent les mêmes sévices que les adultes, même si le 22 juillet 2010, le Parlement a amendé la loi antiterroriste afin que les adolescents de plus de 15 ans ne soient plus poursuivis et condamnés comme des adultes, dans des délits liés au terrorisme.
Un amendement de la loi sur les pouvoirs et obligations de la police datant de juin 2007 permet aux policiers de recourir aux armes à feu lors de la capture d’un suspect ou lorsqu’ils rencontrent une « résistance ne pouvant être contrée par la force physique ». Dans les faits, ces circonstances sont souvent invoquées « de façon extensive à l’encontre des Kurdes ».
Les actes de brutalité sont maintenant fréquemment perpétrés par les forces de l’ordre dans les véhicules ou dans la rue, depuis que des caméras ont été installées dans les centres de détention. Les commissariats où l’on a le plus recours à la torture en Turquie sont ceux des unités anti-terroristes dans les régions kurdes, comme celles de Diyarbakir ou d’Adana. Dans les centres de détention, beaucoup d’actes de torture et de mauvais traitements sont perpétrés par les gendarmes et les gardiens de prison, principalement contre des prisonniers politiques, enfants ou adultes. Les prisons de Kürkçüler et de Ceyhan à Adana, de Diyarbakir, d’Erzurum et de Konya connaissent le plus grand nombre d’exactions.
Les méthodes de torture se sont modifiées avec une baisse des sévices laissant le plus de traces, falaka, électrochocs, pendaison palestiniennes, pour laisser place à des formes de torture moins visibles, comme « les gifles répétées, la mise à nu, la privation de sommeil et de nourriture, l’arrosage avec de l’eau froide, les menaces de viols, les simulacres d’exécution, l’isolement, l’exposition au froid ainsi qu’à une musique forte et à des hurlements. Les mêmes méthodes sont utilisées sur les enfants. » Concernant les Kurdes, il s’agit principalement de leur extorquer des aveux susceptibles de les faire condamner pour terrorisme. Enfin les femmes kurdes qui ont subi des viols en détention choisissent très fréquemment de se taire par peur des représailles de leur propre famille qui pourrait avoir recours au crime d’honneur.
L’ACAT rappelle que « l’article 90 de la Constitution donne valeur de loi aux conventions internationales, notamment à la Convention contre la torture ratifiée en 1988 » et que « en tant que membre du Conseil de l’Europe, la Turquie est liée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par conséquent, elle est justiciable devant la Cour européenne des droits de l’homme et s’est d’ailleurs déjà fait condamner à plusieurs reprises sur le fondement de l’article 3 de la Convention interdisant la torture. »
Dans sa propre constitution, l’État turc condamne la torture et les mauvais traitements. L’article 94 énonce ainsi : « Un agent public qui effectue, envers une personne, n’importe quel acte incompatible avec la dignité humaine et qui cause à cette personne une souffrance physique ou mentale, affecte la perception de la personne ou sa capacité d’agir sur sa volonté ou qui l’insulte, devra être emprisonné pour une durée de trois à douze ans. » Dans le principe, la peine encourue est de huit à quinze ans si la victime est « un enfant, une personne physiquement ou mentalement incapable de se défendre ou une femme enceinte » ou « un fonctionnaire ou un avocat [visé] en raison de ses fonctions. » Si des violences sexuelles sont pratiquées, la peine est au minimum de dix ans. Dans l’article 95, il est prévu qu’en cas de décès de la victime, la peine peut aller jusqu’à la perpétuité.
Mais un rapport du Comité d’enquête sur les droits de l’homme du Parlement turc, montre qu’entre 2003 et 2008, « aucun des 35 procès intentés contre 431 policiers d’Istanbul pour torture ou mauvais traitements n’a débouché sur une condamnation. » Le plus souvent, les agents poursuivis le sont en vertu de l’article 256 du Code pénal, pour « usage excessif de la force » ou pour « coups et blessures volontaires » (article 86), les peines prévues allant d’un an et demi à quatre ans et demi de prison. Par ailleurs, selon l’article 51 du Code pénal, « toute peine de prison de deux ans ou moins peut être commuée en peine avec sursis. » De plus, la majorité des enquêtes sur les cas de torture sont confiées à la police elle-même et non au procureur. Les policiers, en plus d’entraver les enquêtes, ripostent par des plaintes contre leurs victimes pour « résistance aux forces de sécurité » (article 265) ou pour « diffamation contre la police » (article 125).
Le chanteur kurde Kayhan Kalhor, originaire de Kermanşah et maître du kemençe (vièle) innove dans son nouvel album, « I will not stand alone » (Harmonia Mundi) enregistré en février 2011 à Téhéran, en jouant cette fois du shah-kaman, un kemençe modifié selon ses désirs, avec cinq cordes (au lieu de quatre pour le kemençe) et sept autres cordes, appelées cordes« sympathiques » car leur vibration naît seulement de la résonnance des cinq cordes principales quand elles sont frottées.
L’élaboration de cet instrument a été faite avec le luthier autrichien Peter Biffin. Il est accompagné dans l’album par le santour d'Ali Bahrami Fard.
Sur l’album en lui-même, Kayhan Kalhor a indiqué qu’il évoquait « l'un des moments les plus difficiles de ma vie, quand les ténèbres et la violence ont semblé prendre le dessus » en allusion aux troubles politiques que connaît l’Iran depuis 2008 et Kayhan Kalhor a été lui-même arrêté, au moins à deux reprises.