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Bulletin N° 330 | Septembre 2012

 

 

KURDISTAN D’IRAK : ACCORD PARTIEL ENTRE BAGDAD ET ERBIL

Le Kurdistan avait annoncé, en début de mois, qu’il prolongeait l’exportation de son pétrole brut vers l’Irak jusqu’au 15 septembre, date buttoir à laquelle Bagdad devait s'être s’acquitté de ses dettes envers des compagnies pétrolières kurdes. De son côté, l’Irak avait accepté de régler un montant de 560 millions de $US, mais les paiements tardaient à être débloqués. Le 4 septembre, le Premier Ministre irakien affirmait dans un communiqué que les États-Unis avaient demandé aux sociétés créancières de «coopérer» avec le gouvernement central plutôt que de participer au gel des exportations de brut et de gaz. Nouri Maliki indiquait avoir obtenu cette information lors d’une rencontre avec Elizabeth Jones, assistante au Secrétariat d’État pour les affaires du Proche-Orient. Mais le porte-parole du Département d’État n'a pas confirmé, répondant seulement à l’agence Reuters au sujet de l'autre litige, celui des contrats,  que Washington «conseillait» les compagnies américaines au sujet des affaires irakiennes, surtout pour la question des contrats signés avec les Kurdes sans l’accord de Bagdad, mais que ces mêmes compagnies prenaient leur propre décision. 

Le même jour, le gouvernement central irakien laissait entendre qu’il pourrait, à son tour, amputer les paiements qu’il verse à la Région du Kurdistan (17% du budget de l’État selon la constitution), en se remboursant des pertes subies par l’arrêt des exportations, pertes qui s’élèveraient, selon Bagdad, à plus de 3 milliards de $. Ali Al-Moussavi, un conseiller du Premier Ministre irakien a annoncé qu’une délégation du Gouvernement régional du Kurdistan avait reçu un ultimatum d’une semaine pour entamer des négociations ou bien ces 3 milliards seraient déduits du budget des Kurdes. Malgré l’escalade apparente des menaces mutuelles, peu d’observateurs croyaient  à un point de non retour dans les relations entre Erbil et Bagdad. Ainsi, Tony Hayward, le directeur général de Genel Energy estime que l’Irak comme le Kurdistan auraient plus à perdre qu’à gagner en ne résolvant pas leur conflit, et que les enjeux sont trop élevés pour qu’ils ne parviennent pas à un compromis : « Dans un ou deux ans, la capacité de production du Kurdistan se sera accrue à environ un million de barils par jour – c’est trop de pétrole pour que tout soit coupé en raison d’une querelle politique. Donc, d’une façon ou d’une autre, cela sera résolu. » (Reuters).  

Cela dit, le directeur de Genel reconnaît que si, malgré tout, le Kurdistan décidait de geler à nouveau ses exportations vers l’Irak, le pétrole brut que sa compagnie exploite, des champs de Taq Taq et Tawke (respectivement 105 000 et 70 000 barils par jour), pourrait être vendu à des entreprises locales qui paient le baril 60$, soit un prix moins cher que le prix du marché, mais qui serait suffisant pour que la société s’y retrouve.

Si un accord est trouvé entre Erbil et Bagdad, un nouveau gazoduc reliera Taq Taq à Khurmala, le point d’entrée de l’oléoduc Irak-Turquie. Concernant la vente directe du brut et du gaz kurdes à la Turquie, elle se fait pour le moment par camions. On estime ainsi à 15 camions par jour la livraison de pétrole partant de l’usine Khor Mor et convoyé à Mersin (Adana). En retour, les Kurdes reçoivent, toujours par camion, de petites quantité de carburant diesel et de kérosène, un troc qui est considéré plus comme un point de départ « symbolique » d’exportation et d’importation futures entre les deux pays. Le débit du condensat de gaz naturel provenant de Khor Mor se situe autour de 3000 barils par jour, ce qui est de même assez infime, mais est vendu à plus de 100 $ le baril à Mersin.

Alors que la date buttoir du 15 septembre approchait, une fausse alerte a eu lieu le 11 septembre, quand le ministère du Pétrole irakien a annoncé que les Kurdes avaient baissé leur exportation de brut à environ 75 000-80 000 barils par jour, contre un débit de 115 à 120 000 auparavant. Mais il s’avéra que la baisse avait été causée par un incident technique sur le champ pétrolier de Khurmala qui avait nécessité une interruption temporaire du pompage. Pour finir, comme Tony Hayward le prévoyait, un accord a finalement eu lieu le 13 septembre entre l’Irak et le GRK, ce dernier s’engageant à poursuivre les exportations et Bagdad promettant de payer les entreprises créancières du Kurdistan de 857 millions de $ (un trillion de dinars irakiens). L’objectif est d’atteindre les 200 000 barils par jour en provenance du Kurdistan, à la fin de l’année. En attendant, le débit sera de 140 000 barils par jour.

Ce litige pour le moment enterré, restent celui des contrats signés avec les compagnies étrangères et celui de l’exportation de brut en Turquie. Jusqu’ici, malgré la fureur de Hussein Sharistani, le vice-président irakien en charge de l'énergie, et les menaces de rétorsion sur leurs intérêts en Irak, les sociétés qui ont signé avec le GRK ont peu pâti de la situation.

Par ailleurs, une annulation de la plupart des contrats d’exploitation et d’exploration du pétrole irakien serait bien plus dommageable pour Bagdad, en poussant les compagnies « bannies » à investir davantage au Kurdistan d’Irak. Aussi, depuis l’été, les déclarations de possibles signatures de contrats entre des sociétés étrangères et Erbil se multiplient.  Le 22 septembre, des sources proches du GRK laissaient entendre que c'était au tour de Royal Dutch Shell d’envisager de travailler au Kurdistan,. Mais le porte-parole français de Shell a aussitôt démenti que de tels pourparlers avaient commencé, en rappelant qu’ils travaillaient déjà sur trois projets de taille en Irak, où ils figurent parmi les plus importants des investisseurs, tout en ajoutant qu’ils chercheront toujours de « nouvelles opportunités et projets là où ils pourront ajouter de la valeur à l’Irak. »   En octobre 2011, cependant, selon des sources émanant des milieux pétroliers, Shell avait projeté de venir au Kurdistan d’Irak mais avait renoncé en voyant les foudres qu’Exxon avait subi de la part de Sharistani. Il est probable que des compagnies hésitant entre Bagdad et Erbil ou plutôt voulant garder les deux, attendent de voir les véritables mesures prises contre Exxon, Chevron, Total et tous ceux qui ont osé enfreindre l’interdit irakien.

SYRIE : LES RÉGIONS KURDES GÈRENT LEUR «LIBÉRATION» DANS L’INCERTITUDE

Depuis le « retrait » ou le désengagement partiel des forces syriennes dans la plupart des villes kurdes, les habitants jouissent d’une paix précaire mais souffrent aussi de pénuries alimentaires et de carburant, pénuries accrues par l’afflux de réfugiés fuyant les combats d’Alep. Le site kurde Welatê me (notre pays) parle ainsi de longues files d’attente, durant des heures, devant les boulangeries de Kobané, la seule ville qui a été complètement vidée par les forces syriennes et les administrations. Mustafa Juma, secrétaire général du parti kurde Azadî, natif de Kobané, confirme la pénurie alimentaire, surtout en farine, et pointe à la fois les combats entre l’armée syrienne et l’armée de libération (FSA) qui entravent la circulation,mais aussi les check-point du PYD (branche syrienne du PKK) qui dit vouloir ainsi empêcher la pénétration de l’Armée syrienne livre (ASL) dans les zones kurdes. Mustafa Juma accuse ces check-point de prélever de l’argent sur ceux qui amènent de la nourriture en ville, tout en reconnaissant que la fin des combats à Alep améliorerait largement la situation, le plus lourd à supporter, pour cette ville de 350 000 habitants, étant l’afflux des Kurdes d’Alep.

Les problèmes viennent aussi, comme les propos du secrétaire d’Azadî l’illustrent, de la difficultés des partis kurdes à s’entendre entre eux pour l’administration et la gestion des affaires courantes, alors que rien ne les a préparés à ce type de tâches et qu’une certaine mésentente règne entre des mouvements que lie un accord et trop récent pour être véritablement effectif sur le terrain. Ainsi, il n’y a pas encore eu de rentrée scolaire à Kobane, comme le reconnaît Abdulbaqî Yûsuf, membre du Bureau politique du PYD. L’éducation est en principe gérée par le Comité suprême kurde, et ce dernier est débordé et en proie à des querelles internes. Muhammad Musa, le leader du Parti kurde de gauche, juge, lui que la situation à Kobané est assez bonne, moins cependant que celle d’Efrîn, mais que la région de Djéziré est la plus désorganisée. Il confirme, comme Abdul Hakim Bashar, le président du CNL l’avait indiqué en juillet dernier, que les employés locaux des administrations syriennes, au nombre d’environ 150 000, continuent d’être payés, mais que cela cessera sans doute si l’État syrien s’effondre sous les coups de la révolution. (Rudaw).

À Qamishlo, seule ville kurde où le Baath a choisi de se maintenir, l’armée syrienne a arrêté et emprisonné, début septembre, 25 jeunes Kurdes pour « insoumission » c’est-à-dire désertion, ce qui a poussé des centaines de personnes, à descendre dans les rues pour réclamer leur libération. Le Komelên ciwanên Rojavayê Kurdistan (KCRK, Organisation des jeunes Kurdes du Kurdistan occidental) se sont ainsi rassemblés le vendredi qui a suivi les arrestations, devant la mosquée, tandis que des commerçants baissaient leur rideau en signe de solidarité. Certaines de ces arrestations fonctionnent plus comme des kidnappings en vue d’assurer un échange de prisonniers. Ainsi, 3 jeunes Kurdes du village de Girkê Legê ont été emmenés par l’armée syrienne après que des forces kurdes avaient, dans ce même village, capturé 5 soldats. Il y eut alors libération réciproque des otages. À Alep, dans le district de Sheikh Maqsoud, quartier habité par des Kurdes, c’est un bombardement aérien qui a tué une femme, deux de ses enfants et leur jeune cousin, alors qu’ils suivaient un enterrement. Le Conseil national kurde a qualifié cet acte de « criminel ». Jusqu’ici, les forces kurdes du PYD qui tiennent Efrîn n’ont pas eu à affronter l’armée syrienne, et tiennent aussi à distance l’ASL. Il est difficile de savoir si l’attaque a été délibérée ou s’il s’agit d’une bavure de la part de l’armée. Un autre meurtre dont les motivations ne sont pas aisés à débrouiller est celui, survenu le 21 septembre, de Mahmoud Wali Babijani ou « Abu Gandhi », un activiste politique kurde, membre du parti Azadî, fondateur d’un mouvement de jeunesse, et figure éminente du CNK. Il a été abattu par deux hommes masqués roulant à moto, dans la ville de Ras Al-‘Ayn, (province de Hassaké). Neuf mois auparavant, Abu Gandhi avait été enlevé et sévèrement torturé avant d’être relâché. Il avait alors accusé le PYD d'être l'auteur de son enlèvement, ce que ce dernier avait nié. Il faisait l’objet de nombreuses menaces de mort et se cachait la plupart du temps, ne sortant que pour participer à des manifestations. Le 30 septembre, à Qamishlo, a eu lieu un attentat-suicide, le premier de ce genre au Kurdistan, touchant principalement des forces de sécurité syriennes, sans que cette attaque à la voiture piégée ait été revendiquée par une quelconque organisation kurde. Dans une interview accordée le 25 septembre au journal Rudaw, le leader du PYD qui a effectué, le mois dernier, une tournée politique en Europe, réfute les accusations fréquemment portées contre son parti d'être plus un allié qu'un adversaire du régime syrien. Mais selon lui, le gouvernement peut tenir encore 2 ans, en s'appuyant sur ses 170 000 membres des forces de sécurité et des Syriens qui auraient tout à perdre avec la chute de Bachar Al-Assad, notamment les Alaouites qui pourraient vouloir se retrancher dans leur zone montagneuse fortifiée, embryon d'une région politique séparée du reste d ela Syrie. Affirmant que le PYD veut bel et bien la chute de l'État baathiste, Salih Muslim pointe les dangers et les incertitudes que rencontreraient les Kurdes au sein de la nouvelle Syrie, en noircissant un peu au passage, le tableau de l'Irak post-Saddam concernant les Kurdes, au sujet desquels il affirme que leurs droits ne sont pas assurés, et que l'article 140 n'est toujours pas appliqué. Enfin il rappelle l'échec de la conférence du Conseil national syrien au Caire où les délégations kurdes se sont retirées.

La déclaration finale de la première conférence du Conseil national syrien qui avait eu lieu à Tunis en octobre 2011, mentionne bel et bien les Kurdes en tant que « groupe ethnique » devant figurer dans la constitution, aux côtés d'autres minorités comme les Assyro-Chaldéens et que les affaires kurdes, comme celles des Assyro-Chaldéens, devaient être traitées « dans le cadre des affaires générales du pays » et d'une « Syrie unie en tant que peuple et territoire » et enfin, d'assurer les mêmes droits civiques à tous ses citoyens, quelles que soient leur appartenance religieuse ou leur ethnie. Mais en juillet dernier, au Caire, les Kurdes avaient présenté comme « non négociable » la mention d'une « nation kurde » dans la constitution syrienne.

IRAK : TAREQ AL HASHIMI CONDAMNÉ À MORT

S’ajoutant au contentieux sur l’exportation du gaz kurde et à la visite surprise d’Ahmet Davutoğlu à Kirkouk, la condamnation à mort du vice-président Tareq Al-Hashimi, réfugié en Turquie avec sa famille, est devenue tout autant un conflit international qu’un affrontement interne entre deux factions politiques irakiennes.  Le 9 septembre, la cour pénale de Bagdad a condamné à mort par contumace Tareq Al-Hashimi, en fuite depuis des mois et accusé d’avoir organisé une attaque terroriste contre le parlement de Bagdad, en causant la mort de la députée Suhad Al-Khafaji et de l’officier de la Sécurité nationale Talib Balasim.

Le verdict a déclenché l’indignation de son groupe parlementaire, Al-Iraqiyya, tandis qu’une vague d’attentats faisait 88 morts, sans que l’on puisse établir avec certitude un lien avec cette annonce. Loin de faire l’unanimité en Irak, cette sentence a suscité les réserves du Gouvernement régional du Kurdistan, dont le porte-parole, a, le 11 septembre, averti des risques d’aggravation de la crise politique que traverse le pays. Le Premier Ministre de la Région kurde, Nêçirvan Barzanî, a jugé « peu sage » cette condamnation et estimé que le conflit peut être résolu « politiquement, mais pas de cette façon .» Le président de l’Irak lui-même, Jalal Tabani, dont la fonction consiste principalement à assurer une forme de médiation entre les blocs antagonistes du pays a fait part de « sa souffrance » à l’annonce du verdict qui, selon lui, sera un obstacle de plus à la « réconciliation nationale ». Tout en affirmant son attachement à l’indépendance de la Justice, Jalal Talabani a appelé à la tenue d’une conférence nationale pour résoudre tous les conflits actuels, dont le dossier Hashemi.

De son exil turc, Tareq Al-Hashimi a rejeté, de nouveau, les accusations et dénoncé la sentence. Il a réaffirmé qu’il ne retournerait en Irak qu’avec les assurances d’un procès équitable et celle de sa propre protection. Il a fait appel aux Nations Unies pour demander l’établissement d’une cour qui assisterait la cour pénale irakienne, avec l’envoi de juges à Bagdad qui enquêteraient sur son dossier. En plus des accusations de corruption et d’accaparement du pouvoir qu’il a maintes fois portées contre son rival politique le Premier Ministre Nouri Al-Maliki, le vice-président a fait allusion à des manœuvres iraniennes dans cette affaire comme dans d’autres, et a critiqué les États-Unis pour l’aveuglement dont ils font montre concernant l’actuel gouvernement irakien.

De son côté, le Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan a refusé à nouveau l’extradition d’Al-Hashimi, tout comme l’avaient fait les Kurdes quand le vice-président irakien s’était d’abord enfui au Kurdistan d’Irak, et s’est attaqué personnellement à la personne de Nouri Al-Maliki en l’accusant d’enflammer délibérément les « tensions sectaires en Irak ». Tareq Al-Hashimi était vu comme un des principaux adversaires de l'influence iranienne en Irak. 

La liste Al-Iraqiyya comprenant à la fois des députés sunnites et chiites et se présentant comme "laïque", plus qu'un épisode d'une lutte confessionnelle, il s’agit, moins d'un affrontement entre un "axe sunnite" vs "chiite"  que d'un regroupement d'intérêts entre la Turquie-Erbil et l'opposition syrienne, faisant face à un Iran soutenant le Baath syrien et régulièrement accusé par les opposants au Premier Ministre irakien d'avoir opéré une mainmise politique sur l'Irak après le retrait américain en soutenant publiquement Nouri Maliki, notamment depuis le début de son second mandat en 2010.

PARIS : CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR L’IRAN

En hommage au Dr. Sadegh Sharafkandi, Secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan iranien et à ses collaborateurs assassinés en septembre 1992 à Berlin en marge din Congrès de l’Internationale socialiste, l’Institut kurde de Paris a organisé le 14 septembre, à paris, dans la salle Victor Hugo de l’Assemblée nationale, une conférence internationale avec pour thème «L’Iran à l’heure des révoltes arabes».

Le colloque a été ouvert par le député Pouria Amirshahi, secrétaire national à la Coopération et aux Droits de l'homme du Parti socialiste, qui a évoqué la fin d’une période de «deux grandes contre-révolutions», à la fin des années 1970, celle de l’égide de puissances « ultra-conservatrices » comme les gouvernements de Thatcher et Reagan, et celle qui a amené la chute du Shah d’Iran et l‘avènement du régime de Khomeiny, qui a pesé sur les rapports internationaux en favorisant d’abord au Moyen-Orient, et puis dans le monde, l’émergence de groupes religieux radicaux. À l’opposé, cette nouvelle période qui s’ouvre avec les révoltes d’Iran et du monde arabe voit des mouvements qui ne sont pas religieux mais politiques, démocratiques et en lutte contre des injustices sociales, mouvements qui ont consacré « la force des sociétés civiles ».

Pouria Amirshani voit des « possibilités incertaines mais réelles de construire un monde meilleur pour les générations à venir, même si rien n’est écrit. Il y a des deux côtés de la Méditerranée des risques lourds de chocs, de replis nationalistes et identitaires. » Il y a en Iran une volonté profonde de son peuple de s’émanciper dans le domaine politique et celui de la répartition des richesses. La crise syrienne intervient aussi comme un enjeu dans les relations entre la Turquie et l’Iran. Afin de ne pas répéter les erreurs stratégiques qui ont été commises en Lybie, il est nécessaire, pour la Syrie, d’agir en concertation avec les pays riverains, pour éviter une « déflagration de toute la zone ». La Turquie et l’Iran sont les deux grandes puissances régionales non-arabes à travers lesquelles peuvent s’articuler aussi les nouvelles relations Orient-Occident et par là-même la question kurde est aussi une question centrale. « Au-delà même d’un point de vue culturel et géostratégique, il y a un point d’importance majeure à suivre : les acteurs de la société civile kurde. »

La première table ronde était modérée par Hamit Bozarslan, directeur de recherches à l’EHESS, Paris et portait sur « La société iranienne d’aujourd’hui. » Les intervenants en étaient Hashem Ahmadzadeh, professeur associé de Middle East Studies, Université d'Exeter, Grand-Bretagne,  Stéphane Dudoignon et Marie Ladier, chercheurs au CNRS, Gilles Riaux, chercheur à l'IRSEM et Nuri Yesilyurt, Université d'Ankara, Sciences-Politiques.

Pour Hamit Bozarslan, la situation actuelle n’est pas sans analogie avec les années 1980, avec « le recours à une violence massive » et l’embrasement des frontières, cause de « transhumances militaires sur de longues distances ». Autre rappel des années 1980, « deux États se trouvent tout particulièrement sur la brèche, deux pays qui ont connu déjà des guerres communautaires et civiles extrêmement intenses : l’Irak et le Liban, où l’Iran joue un rôle extrêmement important (…) dans l’avenir de ces pays. » Quant à l’espace kurde, il est à nouveau « embrasé » et même si la configuration est très différente de celle des années 1980, il se trouve également « sur la brèche ». « Les mouvements internes sont aussi importants qui interrogent sur la durabilité de ces régimes et sur les possibles dynamiques de changement.

Le régime iranien a assuré en trois temps et trois méthodes différentes sa durabilité. Dans une première phase, par la guerre et la violence qui ont suivi la révolution de 1979, car même si la guerre a été dictée à l’Iran par le régime de Saddam Hussein, elle est devenue, par la suite, un moyen de consolider le pouvoir du clergé et de l’autorité de l’ayatollah Khomeiny. Dans un deuxième temps, le régime de Rafsandjani puis de Khatami ont essayé de sortir de la révolution et de la dynamique révolutionnaire, soit par la bureaucratisation, soit par la réforme. Cette expérience a également montré ses limites. Un troisième temps est venu avec Ahmadinejjad, quand le pouvoir a injecté une dose considérable de messianisme, d’attente de rupture millénariste, pour consolider son autoritarisme.

Mais aujourd’hui, cette « formule magique » qui a bien fonctionné de 2005 à 2009, donne l’impression de s’essouffler.  L’Iran affronte l’année 2012-2013 avec une crise extrêmement grave, voire quatre crises successives : une crise de sens et de légitimité, car la pilule de la fraude électorale de 2009 n’est pas passée ; une crise de légitimité à l’échelle régionale, car aujourd’hui l’opinion publique musulmane considère l’Iran comme faisant partie des bourreaux, notamment en Syrie ; une crise grave des nationalités, au Baloutchistan, au Kurdistan et en Azerbaïdjan ; enfin il y a une crise sociale très grave, dont les effets sont accrus par l’embargo.

L’intervention de Hashim Ahmadzadeh portait sur « les défis ethniques du monde iranien ». Il a d’abord rappelé que, 3 semaines auparavant, un accord avait été signé entre le Parti démocratique du Kurdistan-Iran et d’autres mouvements politiques kurdes, accord appelé « la coopération entre les partis », afin d’harmoniser les revendications de leurs droits en Iran. Bien que la teneur de cette déclaration ne présente aucun élément nouveau, plusieurs personnalités politiques de l’opposition iranienne, notamment dans la diaspora, l’ont condamnée très durement, comme une tentative de « séparatisme ».  En Iran, on accepte généralement que cet État soit une nation, depuis la modernisation du système, en revenant à l’histoire pré-islamique de l’Iran pour trouver une légitimité à l’entité nationale. Et les arguments qui vont à l’encontre de cet accord des Kurdes nient à ces derniers le fait d’être une nation, car il n’y a qu’une nation : l’Iran dont l’intégrité du territoire n’est pas à remettre en question, même si la déclaration des Kurdes ne mentionne jamais le séparatisme. Le discours officiel en Iran parle des minorités non-persanes comme qewm mais les Kurdes ne l’acceptent pas et utilisent netewe qui rejoint étymologiquement la racine de nation, qu’ils considèrent comme plus adaptée pour eux-mêmes. 

L’un des plus grands défis du système iranien contemporain est d'accepter cette différence de « groupes ethniques » qui sont des nations, même si privées de souveraineté nationale. L’une des façons de démocratiser l’Iran est d’accepter ces différences ethniques et que les Kurdes préfèrent se définir eux-mêmes comme une nation.

Stéphane Dudoignon, du CNRS, a parlé des  « relations de l’Iran avec ses marches orientales», à travers « quelques aspects ethno-confessionnels ». L’Iran vit une période où sa frontière orientale se trouve « au centre du débat public». Un islamisme néo-traditionnel, celui de l’École de Deoband, a essaimé de l’Inde du nord jusqu’au Baloutchistan d’Iran, puis au Khorassan, le Golfe et l’Asie centrale et bien qu’assez « médiéval » dans ses aspirations, il se trouve aujourd’hui en tête, dans la République islamique, de la défense d’un parlementarisme le plus ouvert possible, avec, parfois, une approche droits-de-l’hommiste tout à fait étonnante de la part d’un parti pratiquant le taqlid de la jurisprudence islamique pré-moderne. Ce parti a développé en Iran des tendances centripètes et l’on est passé, dans les 30 dernières années, d’une période de revendication de l’autonomie, voire de l’indépendance, à une période  qui est davantage de citoyenneté et de recentralisation, dans laquelle les marches de l’Iran, en particulier ses marches orientales, surtout khorassaniennes et baloutches, jouent, aujourd’hui, un rôle extrêmement important : ainsi, pendant toute l’année 2012, les campagnes dans la presse iranienne régionale de défense de Kak Hassan Aminî, un leader religieux extrêmement important de la région de Sanandadj [Sine, province du Kurdistan], confronté depuis la fin de 2011 à des problèmes juridiques considérables a suscité dans toute la périphérie orientale de l’Iran des campagnes de solidarité considérables.

L’islam sunnite, cette « religion de frontière » en Iran, occupe maintenant une position tout à fait centrale. Il faut aussi la faire remonter dans la continuité à la politique des Britanniques dans la région, de 1917 à 1947, avec leur promotion systématique des écoles religieuses, sunnites en particuliers, comme l’école de Deoband. Ces écoles étaient vues comme d’excellents pare-feu contre l’influence bolchevique puis soviétique en direction des frontières de l’Inde. Rompus aux exercices juridiques, aux techniques de communications modernes, les religieux contemporains sunnites de l’école de Deoband ont pu rapidement s’opposer à l’autorité des chefs tribaux et des propriétaires terriens et apparaître comme des élites alternatives, d’abord à l’échelle de la région, puis de l’Iran dans son entier, au point de s’imposer aujourd’hui comme les porte-paroles les plus actifs de l’écho qui est donné en Iran au Printemps arabe. Contrairement à l’Inde et au Pakistan, l’école de Deoband a bénéficié en Iran de conditions favorables à son expansion dans le sud-est du pays, de la part des Pehlevis comme de la République islamiste, en vue de « tailler en pièces toute tentative d’émergence d’une intelligentsia nationale, laïque ou séculariste ».

Deux figures importantes et intéressantes de prédicateurs, principales figures religieuses de l’école dite de Sarbaz  apparaissent comme les inventeurs d’une «communauté sunnite en gestation» dans tout l’Iran : Mawlawi Abd Al Aziz Mollahzadeh Makkî et son beau-fils et successeur, Mawlawi Abd al Hamid, né en 1947, aujourd’hui le principal porte-parole des sunnites d’Iran, qui se donne le titre de « khatib des sunnites d’Iran ». On voit ainsi l’émergence d’une autorité religieuse politique alternative à prétentions pan-iraniennes, aujourd’hui en tête dans la dénonciation du régime « corrompu et criminel de Bachar Al Assad ce qui permet à un certain nombre de leaders baloutches de penser, par métonymie, à toute autre chose. Le grand avantage des printemps arabes est de permettre d’évoquer un certain nombre de sujets sans avoir l’air d’y toucher. » Depuis un quart de siècle, à partir de la mort de son beau-père, Mollazadeh, en 1987, Mawlawi Abd al Hamid, ce khatib des sunnites et sheikh de l’islam de la ville de Zahedan, principale ville sunnite du sud-est de l’Iran, « occupe une position au centre de la sociabilité politique » dans cette région orientale de l’Iran, élargie au Khorassan depuis 1979, avec l’expansion des madrassas dite deobandi.

Dans leur expansion, les réseaux des madrassas deobandi sont accompagnés, dans l’ensemble de l’Iran, par le réseau d’une organisation missionnaire transnationale : le Tabliqi jama’at fondé dans les années 1920 en Inde pour lutter contre le revivalisme hindou et surtout œuvrer à la réislamisation des tribus. Il est en Iran patronné et administré par la représentation du guide Khamenei qui procède, à la distribution des ressources du Tabliqi Jama’at entre les différents missionnaires, baloutches et autres, de cette organisation.

Un autre réseau transfrontalier extrêmement important, à la fois pour l’unification de la communauté sunnite iranienne et pour la projection de l’influence iranienne hors des frontières, est constitué par les systèmes d’affiliation des voies soufies traditionnelles qui, en particulier ceux de la Naqshbandiyya et de la Qadiriyya restent associés aux tribus baloutches les plus puissantes du Sistan-Baloutchistan, que l’on retrouve souvent derrière les enseignements d’institutions de l’école de Deoband. D’un point de vue théologique, ces connexions entre l’école de Deoband et les voies soufies historiques fournissent une illustration tout à fait parlante de l’extrême adaptabilité du mouvement deobandi en Iran, qui s’est inspiré à la fois de la monarchie pehlevie pour son centralisme, des institutions du chiisme iranien comme la ville de Qom pour permettre à Zahedan d’émerger  en tant que centre religieux sunnite de l’iran, et également de s’allier avec les voies soufies les plus traditionnelles qui constituent aujourd’hui son instrument privilégié de promotion et d’expansion, particulièrement en direction de l’ancien domaine soviétique : provinces orientales de l’Iran, Tadjikistan, Ouzbekistan et même jusqu’au Tatarstan et au Bachkortostan. Contrairement à ce qui se passe pour le monde des madrassas, comme l’école de Deoband dont les centres intellectuels principaux sont à l’est de l’Iran, les pôles intellectuels du soufisme sunnite iranien continuent, eux, d’être clairement situés au Kurdistan. On a donc une double polarité, au sein de laquelle cette articulation école de Deoband et soufisme historique traditionnel contribue à rapprocher ces différentes régions situées aux pôles oriental et occidental de l’Iran.

Un changement extrêmement important a eu lieu en 2007, année proclamée par l’ayatollah Khamenei « année de l’union nationale et confessionnelle », après les campagnes d’attentats  du Joundallah au Baloutchistan. Cela a conduit Téhéran à adopter une ligne neuve dans ses relations avec ses minorités sunnites, surtout baloutches et avec l’ensemble de sa frontière sud-orientale. Les bureaux des représentants du Guide dans les provinces orientales de l’Iran, dirigés au Sistan-Baloutchistan par l’ayatollah Abbas Sayyid Ali Soleïmany, a œuvré à la multiplication des espaces de débats et de discussions (en essayant de les neutraliser). Cette institution a associé à son action un vaste éventail de protagonistes, personnels et institutionnels, placés sous l’autorité directe du Guide.

Depuis 2007, il y a eu multiplication d’initiatives visant à ouvrir le plus possible de débats et de négociations. La situation générale reste marquée par des tensions extrêmement fortes et la répétition de revendications insatisfaites depuis la réélection de Mahmud Ahmadinejjad. Il y a donc à la fois une initiative de la République islamique pour essayer d’ouvrir la discussion et en même temps la structuration de cette communauté sunnite qui essaie, à partir des régions les plus marginales de l’Iran, de proposer une alternative politique cohérente.

Marie Ladier, chercheuse au CNRS, revient sur «la situation politique de l’Iran depuis la réélection frauduleuse de M. Ahmadinajad en 2009». Les Iraniens ont été les premiers à se soulever dans cette région du monde mais ils semblent rester assez à l’écart du soulèvement dans le monde arabe depuis fin 2010 qui peut, pourtant, être interprété comme la conséquence du mouvement iranien. Lors d’une rencontre récente avec des étudiants, Hashemi Rafsandjani qui est le président du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime, a comparé la situation politique actuelle à celle de l’après-guerre Iran-Irak, situation qui, selon lui, était beaucoup plus grave qu’aujourd’hui, avec 50% de baisse du budget et l’ensemble des infrastructures du pays détruites. Mais Rafsandjani sous-estime les difficultés économiques et financières actuelles, liées aux sanctions contre l’Iran, et la gravité de la crise politique. À la fin de la guerre et surtout après la mort de Khomeiny, le système politique iranien a connu une crise, mais il y avait un large consensus parmi les religieux qui ont réussi à sortir de la crise en nommant Khamenei comme Guide de la Révolution.

Aujourd’hui, la situation politique paraît explosive. La république islamique connaît sa plus grande crise politique depuis 1979. Elle est caractérisée par 2deuxaspects : celle de la légitimité du pouvoir, dont a parlé Hamit Bozarslan, après la réélection frauduleuse d’Ahmadinajad. Un autre aspect est le «bras-de-fer» entre le Guide et Mahmud Ahmadinajad, depuis avril 2010, et c’est la première fois qu’un chef de l’exécutif tient tête au Guide dans l’histoire de la république islamique. Jusqu’à la fin de 2009, Mahmud Ahmadinajad avait été soutenu fidèlement par le Guide dont il avait la confiance. Mais je pense que dès le départ, Ahmadinajad avait un projet politique qui allait à l’encontre de celui qu’avait le Guide et ses proches pour la république islamique après l’élection présidentielle de 2009. Or depuis sa réélection il n’a pas hésité à dévoiler ses intentions politiques pour l’Iran, qui est de proposer un autre régime, qui serait celui d’un État islamique mais sans la participation du clergé. Le pacte scellé entre eux a été rompu et le parlement a le feu vert du Guide pour attaquer le gouvernement.

Depuis fin 2009 Ahmadinajad a mis en place une politique démographique qui vise à inverser la baisse récente de la natalité afin que la population iranienne atteigne 150 millions d’habitants dans un horizon proche. Il a aussi mis en place une réforme du système des subventions, qui consiste à supprimer les subventions indirectes pour de nombreux produits et services afin de financer les subventions directes. Depuis décembre 2010, un virement est effectué tous les 2 mois par le gouvernement d’Ahamadinajad, sur le compte de chaque ménage iranien, une somme équivalent de 20 à 40 euros pour chaque membre du ménage. Auparavant les Iraniens recevaient des subventions de manière indirecte sur l’ensemble des produits de consommation et de services et ces aides n’avaient pas de «visage» alors que maintenant il sait qu’il reçoit des aides de l’État. Si tous les économistes sont contre cette réforme en raison de la conjoncture actuelle, cela permet au gouvernement d’Ahmadinajad de constituer une «caisse principale» qui lui donne l’autonomie pour gérer l’ensemble des devises et recettes pétrolières.

D’autres projets sont en chantier : réviser l’histoire de l’Iran dans les manuels scolaires, renforcer l’endoctrinement des jeunes générations, islamiser les sciences sociales et instituer le fait national en donnant la priorité à «l’iranité» , avec un discours nationaliste pour accroître son crédit auprès de la population. Ce bras de fer continue à l’horizon des présidentielles 2013, mais les législatives de 2012 ont déjà mis en évidence que les deux hommes et leurs camps respectifs sont à peu près à égalité, ce qui rend l’avenir encore plus incertain et singulièrement inquiétant.

L’intervention de Gilles Riaux, chercheur à l’INSERM, traitait de «La configuration des rapports entre le centre et la périphérie sous la république islamique» et sur les dynamiques de mobilisation politiques entre centre et périphérie depuis une dizaine d’années. Les Persans représentent moins de la moitié de la population dans cet empire multi-ethnique qu’est l’Iran, et tout au long du XXe siècle le pouvoir central s’est efforcé d’imposer sa domination sur l’ensemble du pays pour mettre fin à «l’Iran des grandes tribus et des provinces». La révolution de 1979 pouvait apparaître comme la consécration de cette politique d’unification nationale menée par les Pehlévis. Le nouveau régime apparaissait alors en mesure d’adopter une attitude plus conciliante envers les groupes ethniques, comme le montre la constitution de la république islamique qui reconnaît la très grande diversité culturelle du pays tout en affirmant la suprématie du persan (article 15). Mais le régime républicain a toujours voulu cantonner cette diversité ethnique à ses expressions les plus conventionnelles et tout ce qui a trait à l’ethnicité a vocation à rester de l’ordre privé et ne doit pas faire l’objet de demandes politiques, lesquelles sont très rapidement et automatiquement assimilées à une opposition au régime iranien.

Depuis la deuxième moitié des années 1990, l’Iran fait face à une certaine «politisation de l‘ethnicité». Le thème des nationalités est devenu très important dans le débat publique sous l’impulsion d’une multiplication des publications traitant de l’identité ethnique et nationale, en persan ou dans d’autres langues. À cette même époque, entrent dans le champs politique des acteurs qui mettent en avant cette appartenance nationale et ne se présentent pas seulement comme Iraniens. En marge de cette politisation de l’ethnicité, des passages à la violence ont été observés dans plusieurs régions périphériques : le Kurdistan, le Baloutchistan. Même si ces passages à la violence doivent être pris en compte, ils restent contenus.

Mais tous ces événements amènent à penser à nouveau la question ethnique, un peu oubliée depuis quelques années, et d’essayer de comprendre comment ces mouvements ethnique sont apparus et comment ils travaillent le système politique. On peut relier ces dynamiques ethniques avec les dynamiques centrales du mouvement politique, notamment celui qui a suivi les élections de 2009, le mouvement vert. On a pu alors observer de très importantes manifestations, les premières depuis la révolution d’Iran et que, dans la territorialisation de ces manifestations, elles ont été beaucoup plus importantes et plus durables dans les villes du plateau persan. Les villes des régions périphériques sont restées un peu plus en retrait dans cette période de mobilisation.

Depuis la fin des années 1990, on assiste à une certaine différenciation de la participation politique des provinces du plateau iranien et celles des régions périphériques, tant dans les votes que dans les manifestations. Sous la république islamique, la participation électorale est considérée comme un élément essentiel de légitimation du régime. Les dignitaires de la république n’ont de cesse de rapporter l’importance des scrutins et de se féliciter du «soutien du peuple». Lors des élections de 1997, qui ont vu Khatami accéder au pouvoir, on a vu qu’il était particulièrement soutenu dans les provinces périphériques, de même pour sa réélection.

En 2005, les candidats réformateurs, qui se sont présentés en ordre dispersé, ne parviennent pas au second tour, mais là encore, ils bénéficient d’un fort soutien dans les régions périphériques : Karroubi termine premier dans la province à majorité lore et obtient de très bons scores dans des provinces périphériques du sud et de l’ouest du pays. Mostafa Mo’in a des scores importants dans les provinces principalement sunnites. Meralizadeh, qui est un turcophone de l’Azerbaïdjan, termine «bon dernier de la compétition électorale mais fera des scores beaucoup plus importants dans le nord-ouest du pays.

Si on regarde le vote des conservateur, on observe qu’en 2005, Ahamadinajad a largement bénéficié d’appuis dans les provinces du centre du pays. Vu la fraude massive, il est plus difficile de tirer des enseignements des élections de 2009. La crise des alignements partisans chez les réformateurs qui les a divisés en 2005, a ouvert la voie a une action autonome des mouvements ethniques, favorisés, au début des années 200, par un contexte général qui leur a permis de monter en puissance, notamment l’affaiblissement des mouvements sociaux qui avait porté les réformateurs au pouvoir. Ces mouvements ethniques ont multiplié les actions de protestation dans les années 2000 : émeutes au Khuzistan, manifestation importantes en Azerbaïdjan en l’honneur de Babak et puis lors de l’affaire des caricatures danoises, ainsi qu’au Baloutchistan. Certaines provinces du pays connaissent un passage à la violence : Baloutchistan, Kurdistan. Cela ne veut pas dire que les provinces du plateau iranien ont été épargnées par les contestations sociales au cours des années 2000 : il y a eu de nombreuses émeutes dans des villes iraniennes, et les redécoupages administratifs ont créé des tensions assez fortes. La campagne «Un million de signatures» pour protester contre les discriminations des femmes a été aussi importante. Mais il y a différence de temporalité et de territorialisation dans ces manifestations entre centre et périphéries.

Un travail important de patrimonialisation des cultures ethniques a été mené sous la république islamique et a influencé la grille de lecture des rapports centre-périphérie. L’accusation de différence de traitement par le régime pehlévi entre le centre et la périphérie s’est reportée sur la république islamique, devenant la cible des militants de causes nationales.Ce discours s’est diffusé dans de nombreux secteurs sociaux : étudiants, enseignants, milieux syndicaux. Ces critiques ont été relayées par des parlementaires. Il faut mettre en parallèle ce discours sur la discrimination des régions périphériques avec la conquête progressive des institutions de la république par les néo-conservateurs, ce qui a amené une approche beaucoup plus sécuritaire des questions ethniques, un usage massif de la répression t un affaiblissement des politiques de développement régional. Par ailleurs les organisations politiques proches d’Ahmadinajad ne cherchent plus trop à s’ancrer politiquement dans ces régions périphériques. Ces mobilisations alternatives dans les régions périphériques, faisant appel à l’identité nationale, compliquent l’unification d’un mécontentement à l’échelle nationale.

M. Nuri Yeşilyurt, qui enseigne les sciences politiques à l’université d’Ankara et est spécialiste des relations interntionales, notamment celles de la Turquie et de ses voisins, a exposé « L'évolution des relations turco-iraniennes, avant et après le printemps arabe ». 

La Turquie et l’Iran, ces deux puissances majeures non-arabes de la région, hormis Israël, ont connu beaucoup de conflits depuis le 16e siècle, où Ottomans et Safavides étaient en « conflit stratégique et idéologique » et cette rivalité est encore d’actualité, même s’il y a eu une période très courte et très exceptionnelle de relations plus favorables. Selon Nuri Yeşilyurt, les événements du Printemps arabe réactivent cette rivalité traditionnelle. L'avant-dernière série de conflits entre la Turquie et l’Iran avait commencé en 1979, lors de la révolution islamique. Pendant la Guerre froide, les deux pays étaient dans le même camp, alliés des États-Unis, et ont joué un rôle très important concernant la politique contre l’URSS au Proche-Orient.

Après 1979, la Turquie est restée une puissance régionale pro-occidentale, laïque et économiquement libérale, alors que le nouveau régime en Iran a redéfini son identité comme étant un pays anti-occidental, islamique et étatique en ce qui concerne l’économie, ce qui a ouvert une nouvelle période de rivalité idéologique et stratégique entre les deux pays. Les années 1990 ont été les pires en ce qui concerne leurs relations, avec des activités de subversion, de part et d’autre. Au contraire, les années 2000 ont vu la « période dorée » des relations bilatérales de ces deux pays. Trois facteurs principaux y ont contribué :  – d’abord, les changements de pouvoir dans les deux pays : Khatami, un réformateur, a été élu président en Iran en 1997 et réélu en 2001. En Turquie, l’AKP, un parti « néo-islamiste », a remporté les élections en 2002 et en 2007. Le gouvernement Khatami a essayé de réduire les tendances radicales de la politique étrangère iranienne et de tendre une perche au monde occidental, dans un temps où l’AKP essayait de réduire les tendances pro-laïques en Turquie et tendait une perche au monde islamique, et d’abord à ses voisins du Proche-Orient. Ces deux pays ont connu un début de convergence idéologique et, dans la décennie 2000-2010, ils ne sont pas intervenus mutuellement dans leurs affaires internes. Ainsi, en 2009, les dirigeants turcs ont décidé de ne faire aucun commentaire sur ce qui se passait en Iran.

Si cette période de relations positives a perduré après la venue d’Ahmadinajad au pouvoir, en 2005, c’est grâce à deux autres facteurs qui ont incité au rapprochement. – le deuxième facteur est la question kurde qui a poussé à une coopération entre les deux pays. Après l’intervention des États-Unis en Irak, en 2003, la Turquie et l’Iran ont commencé de pâtir des actions des militants kurdes. Le PKK, qui avait déclaré un cessez-le-feu en 1999 après l’arrestation d’Öcalan, a recommencé ses attaques contre l’armée turque, en juin 2004.

Dans le même temps, le PJAK, qui a des liens organiques avec le PKK, a initié un conflit armé contre l’Iran. La menace que peut faire peser le PJAK contre l’Iran est bien moindre que celle du PKK contre la Turquie, mais l’Iran a vu les activités du PJAK comme une forme de « conspiration » de la part des États-Unis, et de ce fait, a voulu s’assurer du soutien amical de la Turquie. L’Iran et la Turquie ont ainsi commencé de lutter ensemble contre un ennemi commun et la coopération en matière de sécurité s’est renforcée. Après 2008, ils ont pu tout particulièrement mettre en place des opérations coordonnées contre les militants kurdes dans les montagnes de Qandil, au Kurdistan irakien. Une opération a aussi eu lieu en décembre 2009, au « point zéro » entre la Turquie, l’Iran et l’Irak. – le troisième facteur est lié à l’économie et à la politique énergétique.

L’économie turque était florissante après la crise économique de 2001 et, de ce fait, son secteur énergétique avait besoin de plusieurs sources d’énergie fiables et disponibles. L’Iran devenait ainsi un bon partenaire pour la Turquie puisqu’à l’époque, c’était le seul pays de la région, autre que la Russie, qui pouvait fournir la Turquie en gaz naturel au moyen de gazoducs, source qui représente environ 40% de l’électricité dans ce pays. Pour cette raison, il était très important d’empêcher une dépendance totale envers la Russie concernant l’approvisionnement en gaz naturel. La Turquie a donc commencé d’acheter du gaz naturel à l’Iran mais ce dernier ne pouvait fournir que 20% de ses besoins et le reste a continué d’être fourni par la Russie. L’Iran et la Turquie ont même commencé de rédiger des projets d’accord sur la production de gaz naturel et des projets de transfert du gaz naturel iranien, même si cela n’a pas été concrétisé. Grâce à ces trois facteurs, la Turquie s’est opposée à toute intervention externe qui pourrait déstabiliser l’Iran et leurs relations bilatérales. Une intervention étrangère pouvait aussi donner plus de pouvoir aux séparatistes kurdes et empêcher les exportations iraniennes vers la Turquie. Cela pouvait aussi perturber les routes commerciales entre la Turquie et l’Asie centrale. C’est pourquoi l’État turc a travaillé à trouver une solution diplomatique et a choisi de ne pas se prononcer sur les activités nucléaires iraniennes et a essayé d’être un médiateur. Ainsi, en mai 2010, la déclaration de Téhéran a été signée entre la Turquie, l’Iran et le Brésil. Elle a eu un succès limité parce que l’Occident n’était pas prêt à un compromis sur la question du nucléaire et montrait peu d’enthousiasme à ce que la Turquie jouât ce rôle d’intermédiaire. Cette dernière a maintenu sa neutralité quand elle a voté non à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui comprenait des sanctions contre l’Iran, le 9 juin 2010.

Malgré cela, il y a toujours eu des pics de suspicion et de défiance entre ces pays concernant la politique régionale. D’abord, tous deux soutenaient un Irak uni mais avaient une vision différente sur ce que devait être la composition de son régime. L’Iran soutenait les groupes chiites et leur domination dans le gouvernement, alors que la Turquie tentait de forger un dialogue entre toutes les parties irakiennes, en coordination avec les États-Unis, au moins jusqu’en 2010. Une situation analogue existait au Liban. Deuxièmement, la Turquie et l’Iran soutenaient des parties opposées dans le Caucase : la Turquie soutenait l’Azerbaïdjan et l’Iran, l’Arménie. Troisièmement, même si les deux pays combattaient les rebelles kurdes dans les montagnes de Qandil, l’Iran a toujours vu avec suspicion les opérations transfrontalières de la Turquie contre le Kurdistan irakien, car cela pouvait faire vaciller l’équilibre des pouvoirs entre les deux pays. De plus, l’Iran soutient les partis islamiques au Kurdistan irakien, tandis que la Turquie préfère soutenir les Turkmènes et les Barzanî. Quatrièmement, la Turquie a toujours eu, malgré tout, une suspicion sur le potentiel de l’Iran à se procurer l’arme nucléaire. Enfin, la Turquie restait un allié des États-Unis et un candidat à l’Union européenne. Pendant le Printemps arabe, la Turquie a adopté une politique plus explicitement sunnite, pro-occidentale et agressive au Moyen-Orient, ce qui était un infléchissement important de sa politique précédente de neutralité. Le désaccord porte tout particulièrement sur la Syrie : La Turquie a rompu toute relation avec le régime Assad en 2011, en accord avec l’Occident et les États arabes pro-occidentaux qui soutiennent les rebelles. L’Iran considère que la révolte en Syrie est une conspiration occidentale dirigée contre le maillon le plus fort du bloc anti-israélien de la région. De même, les deux pays ont eu une position divergente dans la crise au Bahrein. En Irak, l’influence de l’Iran augmente chaque jour au sein de la majorité chiite, alors que la Turquie a voulu rester proche des Arabes sunnites et des Kurdes. Aussi, ses liens avec le gouvernement de Maliki se sont détériorés. 

L’acceptation de la Turquie d’un système de boucliers anti-missiles de l’OTAN, en septembre 2011, a une fois de plus démontré l’alliance de la Turquie avec l’Occident et a irrité davantage les décideurs politiques iraniens pour qui ce système vise à protéger Israël. Ces controverses ont affecté plusieurs domaines de coopération entre les deux pays : la coopération en matière de sécurité contre les rebelles kurdes ; les autorités iraniennes ont suspendu les accords d’exemption de visa vieux de 50 ans avec la Turquie, en août 2012, officiellement à cause de la réunion des pays non-alignés à Téhéran, mais officieusement en raison des tensions croissantes entre les deux pays. L’Iran s’est plaint de la Turquie en n’acceptant plus son rôle médiateur dans le dossier nucléaire, dès avant la réunion P5 +1 à Istanbul, en avril 2012. Les responsables des deux pays ont critiqué mutuellement leurs prises de position dans la politique étrangère.

Pour conclure, les relations turco-iraniennes sont entrées dans une phase de conflits et de rivalité à partir du Printemps arabe. Ces relations ont connu beaucoup de hauts et de bas au cours de l’histoire et, à présent, nous sommes dans une nouvelle phase, où les controverses sur la politique régionale vont l’emporter sur tous les autres domaines. Leur niveau de coopération n’est pas encore tombé au plus bas, comme dans les années 1990 – les coopérations économique et énergétique ne sont pas encore affectées. Mais l’avenir de ces relations va être déterminé par la situation en Syrie à long terme, et à court terme, il n’est pas réaliste d’espérer un retour aux années dorées de la décennie précédente.

 

Seconde table ronde, modérée par Kendal Nezan, président de l'Institut kurde de Paris : La Question des peuples non persans. Avec la participation de M. Karim Abdian, du Parti de la solidarité démocratique Al Ahwaz, M. Yussef Azizi,, ancien professeur à l'Université de Téhéran,  M. Nasser Boladei, premier secrétaire du Parti du peuple baloutche, M. Mostafa Hejri, secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan d'Iran et M. Hedayat Soltanzadeh, membre du comité exécutif du Mouvement fédéral démocratique d'Azerbaïdjan.

Introduisant la table ronde, Kendal Nezan explique que, quand on parle dans les media de "l'Iran", c'est presque toujours au sujet du dossier nucléaire, de la sécurité d'Israël, des négociations, etc. mais que les Iraniens eux-mêmes ont très rarement droit à la parole. Ou bien, s'il s'agit de "l'opposition", c'est, en fait l'opposition interne à la république islamique, c'est-à-dire "ceux qui s'opposent sur la meilleure manière d'appliquer les principes de la république islamique" et d'appliquer la domination du chiisme sur l'ensemble de l'Iran. Or, en dehors de cette opposition reconnue, tolérée, de multiples populations ont leurs propres revendications et aspirations qui ne sont pas suffisamment répercutées dans les media et les opinions publiques, et encore moins au niveau des décideurs politiques. L’un des objectifs du présent colloque est de donner la parole à des représentants des peuples minoritaires en Iran qui ont rarement voix au chapitre.

Nasser Boladei, premier secrétaire du Parti du peuple baloutche, rappelle que le Baloutchistan est divisé en 3 pays, l'Afghanistan, l'Iran et le Pakistan, depuis 1839, l'année où les Britanniques ont attaqué la capitale de l'État de Kalat, ce qui a changé radicalement la situation des Baloutches. Une région baloutche existait avant que la Perse ne devienne l'Iran et avant la fondation du Pakistan et de l'Afghanistan. De nombreuses révoltes ont eu lieu dans le Baloutchistan après la conquête et la domination de la dynastie qadjar de Perse, au XIXe siècle, mais elles ont toutes échoué, en raison du jeu politique entre les Anglais et les Persans, et dans cette lutte pour le pouvoir entre deux grandes puissances, les Baloutches n'étaient que de modestes acteurs locaux. 

Ayant gardé leur identité, leur culture et leur langue, les Baloutches essaient de faire valoir leur droit à l'autonomie, non reconnu en Iran où la culture et la langue baloutches sont interdites. À l'école, la langue d'enseignement est le farsî, et de l'école primaire jusqu'à l'université, il y a toute une série d'exclusions et de discriminations, notamment financières, qui visent à écarter les jeunes baloutches du système éducatif. Plus tard, il est très difficile pour un Baloutche de trouver du travail. La semaine dernière, 9 prisonniers baloutches, dont deux adolescents, ont été condamnés à mort, et s'il s'était agi de 9 prisonniers tehranais, ils auraient été défendus par des ONG et des mouvements pour les droits de l'homme. 

Selon Nasser Boladei, les Baloutches sont accusés à tort d'alimenter l'insécurité, alors que ce sont des forces officieuses du régime qui pratiquent des assassinats, et les Baloutches sont constamment sous la menace de ces forces clandestines. Ils sont accusés aussi de terrorisme et de violence armée, mais c'est du fait d'avoir perdu tout espoir de réformes institutionnelles, ou bien du fait de personnes ayant perdu des proches assassinés. On peut craindre que cette violence croissante ne fasse que s'aggraver sur le terrain. Le secrétaire du parti baloutche accuse la "passivité totale" des organisations de défense des droits de l'homme, qui font la sourde oreille face aux persécutions. "On ne cesse de répéter que l'Iran est un seul et même pays, que c'est une nation unie, mais c'est un mythe." Le parti du peuple du Baloutchistan se dit pour un Iran fédéral et milite pour cela avec d'autres partis, comme le Mouvement fédéral azéri, le Parti de la solidarité, le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, le Komala et tous les partis qui composent le Congrès pour un Iran fédéral, mais il est toujours répondu qu'il faut attendre que la démocratie s'installe en Iran, alors que le pays ne fait que tomber de plus en plus bas, dans une situation inquiétante. Officiellement, l'Iran se dit pluri-national, multi-ethnique, respectueux des langues et des différences de cultes. Mais la charia est appliquée de manière toute autre. Ceux qui revendiquent leurs droits, les nationalités, les femmes exigent des changements immédiats et non dans un avenir lointain. Les Iraniens craignent que si le pays devenait une fédération, la situation deviendrait pire que ce qu'a connu la Yougoslavie, mais si l'Iran refuse d'accepter cette pluralité, il se retrouvera dans une situation bien plus grave que celle de la Yougoslavie et de la Syrie. Les revendications des Baloutches sont très proches des revendications du peuple kurde et nous avons l'exemple des Kurdes qui se battent depuis longtemps, et ce que l'on dit à Téhéran sur les Kurdes "incapables de s'entendre, de s'associer et de coopérer" on le dit aussi des Baloutches, de "nature anarchique". Il faut que l'opposition iranienne  repense cette équation, sinon il y a risque de désintégration de l'Iran et toute perspective de démocratisation s'éloignera. Les Baloutches seraient au nombre de 1,7 million en Iran mais les statistiques peuvent varier. Nous pensons qu'il y a 3 à 4 millions de Baloutches en Iran. D'autres estimations font état de plus de 4 millions de Baloutches au Pakistan, dans la province du Baloutchistan mais aussi au Pendjab. Il y en a aussi 2 millions en Afghanistan, par exemple à Kandahar. Des Baloutches vivent dans les pays du Golfe, par exemple à Oman.

M. Hedayat Soltanzadeh, membre du comité exécutif du Mouvement fédéral démocratique d'Azerbaidjan, rappelle qu'avec l'avènement des Pehlévi, la Perse a changé de nom pour devenir "l'Iran", et que la taille actuelle de l'Iran n'est pas du tout la même que celle de l'Empire perse, et qu'il ne s'agit donc plus du tout du même pays. Ce pays est multi-national et il n'existe pas une "nation d'Iran", mais une mosaïque de nations qui n'existaient pas en tant que telles avant la Révolution française. Après l'avènement au pouvoir des Pehlevi, un nouveau système a été instauré avec une unique "nationalité, un système fondé sur l'hégémonie politique des Persans et celle de la langue persane, langue officielle ; les autres langues sont interdites. 

Il y a deux niveaux de discrimination et de répression : la dictature des Pehlévi était une dictature classique, mais avec la révolution islamique est venu un régime totalitaire fondé sur une idéologie, une idéologie aryenne et islamique. La question nationale est devenue intrinsèque au régime et se traduit par des violences quotidiennes contre les peuples non-persans. La cohésion nationale est devenue un problème sérieux en Iran et l'Iran ne sera jamais comme auparavant. Tout changement dans le pouvoir central soulèvera la question de nationalités. Récemment, un tremblement de terre en Azerbaïdjan a causé un tollé car le gouvernement a empêché les services de secours d'aider la population. Des agences de secours centrales sont venues mais elles n'ont pu communiquer avec la population locale. La situation économique est aujourd'hui dégradée ainsi que l'habitat écologique : le lac d'Ourmiah est complètement asséché par les digues et les barrages. Aucun investissement n'a été réalisé en Azerbaïdjan et les Azéris émigrent vers la république d'Azerbaïdjan et Bakou, ainsi qu'à Téhéran et Istanbul. Des Azerbaïdjanais croupissent en prison pour avoir demandé le droit à l'éducation dans leur langue. Dès l'école maternelle, il est interdit de parler azéri. Un système fédéral est nécessaire pour que les peuples vivent ensemble.

M. Mostafa Hejri, secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan d'Iran, a succédé à Abdulrahman Ghassemlou et Sadeq Sherefkandi, tous deux assassinés par le gouvernement iranien (qui a assassiné en tout 162 de ses opposants à l'étranger et pour la seule décennie 90, 151 membres du PDK-I réfugiés au Kurdistan d'Irak), et il commence par évoquer leurs mémoires et leurs parcours politiques. Le terrorisme, intérieur comme à l'étranger, fait partie intégrante de la stratégie du régime iranien et lui permet de se maintenir au pouvoir et les victimes de ce régime ne sont pas seulement iraniennes mais aussi étrangères, par exemple européennes. Au regard de la crise du nucléaire iranien, la lutte contre ce régime n’est pas seulement légitime d’un point de vue moral, mais aussi pour assurer la paix de la région et une stabilité durable, stabilité qui ne doit pas seulement se traduire par une absence de guerres ou de conflits de moyenne intensité, mais par une véritable démocratie, durable, de type européenne. Actuellement, les États dictatoriaux sont les ennemis mortels de leurs propres citoyens. Le Printemps arabe a rappelé cette réalité. Il n’est donc pas étonnant que les plus graves menaces qui pèsent sur ces régimes ne sont pas externes mais internes. Pourtant, l’Iran a la capacité de se transformer en grand pays et de contribuer positivement à la communauté internationale, s’il choisit la démocratie. Mais des millions d’Iraniens, quels que soient leur ethnie ou leur sexe, sont opprimés, de différentes façons. Les Kurdes, les Azéris, les Arabes, les Baloutches, les Turkmènes, et aussi les membres de minorités religieuses, les Bah'ai, les Yarsans, sont opprimés en raison de leur identité nationale, linguistique et religieuse. Pour créer un nouveau système politique en Iran, qui serait réellement démocratique, il faut accepter cette réalité présente. Au Kurdistan d'Iran, l'oppression est institutionnelle et a des répercussions politiques, culturelles, économiques et sociales. On refuse aux Kurdes l'enseignement dans leur langue maternelle, et la préservation de leur culture et le droit à l’auto-détermination. La culture kurde est ainsi constamment menacée. Les arrestations arbitraires et la torture sont monnaie courante, contre les militants des droits de l’homme, des intellectuels, et même contre de simples citoyens.

Le Kurdistan est maintenu en permanence dans un sous-développement économique dans une politique d’État délibérée, induisant l’absence d’éducation et de perspective d’emplois. Cela a pour conséquence une angoisse au sein de la population, qui a une proportion et des effets dramatiques : il y a un taux très élevé de suicides (surtout parmi les femmes), un taux inquiétant de toxicomanie et de nombreux autres maux sociaux. La population du Kurdistan iranien soutient un changement de régime. Le faible nombre de votants provient du boycott de ces simulacres d’élections organisées au Kurdistan. Si des élections libres et régulières avaient lieu, les Kurdes se prononceraient pour une régime fédéral et laïc. En 1979, un référendum avait été organisé pour demander aux Iraniens s’ils appuyaient la création d’une république islamique. Au Kurdistan iranien, ce référendum a été purement et simplement boycotté. Si le régime actuel est persuadé de bénéficier d’une majorité de la population iranienne, pourquoi ne pas organiser des élections libres et équitables en présence d’observateurs internationaux ? La population iranienne, dans toute sa diversité, doit faire advenir un gouvernement démocratique dans ce pays, qui respecterait leurs droits individuels et collectifs.

En 2005, un grand nombre d’organisations politiques représentaint les différentes nationalités de l’Iran ont créé le Congrès pour un Iran fédéral, afin de coordonner notre lutte. Mais ce Congrès a besoin du soutien moral et politique de la communauté internationale. Déjà en 1992, le Dr. Sherefkandi était parti à Berlin pour expliquer aux élites politiques européennes cette vision d’un Iran démocratique et il y a perdu la vie.

M. Yussef Azizi, ancien professeur à l'Université de Téhéran, revient sur les Arabes d'Iran et les requêtes qu'ils avaient fait en 1979 au moment du changement de régime, présentées au gouvernement provisoire : entre autre, figuraient l'autonomie de la région du Khuzistan et le retour à son ancien nom d'Arabistan ; la reconnaissance des Arabes d'Iran comme une nation au sein de la république islamique ; un conseil autonome dans la région arabe qui légiférerait au niveau local ; des tribunaux en langue arabe ; que l'arabe soit la langue officielle de la région autonome, le persan restant la langue officielle de l'Iran ; l'éducation en arabe dès l'école élémentaire ; une université en langue arabe ; la liberté d'expression, de publication et des media en arabe ; priorité d'emploi donnée aux Arabes de cette région ; que des fonds provenant des revenus pétroliers soient alloués pour développer l'agriculture et l'industrie de la région ; que la topographie retrouve ses noms historiques en arabe ; que des jeunes Arabes puissent intégrer l'armée et la police et accéder à des grades élevés, ce qui n'a jamais été le cas.

La situation aujourd'hui : la ville portuaire de Khorramshahr (anc. Mohamerah), qui avait été "le fleuron des ports iraniens" n'a pas encore été entièrement reconstruite, et le chômage et la pauvreté y sont endémiques. De nombreux barrages ont été construits et la déviation des eaux vers Ispahan, Yazd, Kerman, pour des cultures non essentielles (laitues, melons) s'est faite au détriment de la culture du blé  et de l'orge et des paysans arabes. La pollution des eaux industrielles rejetées dans les rivières, la mauvaise qualité de l'atmosphère à Ahwaz et d'autres grandes villes, aggravée par des tempêtes de sable (110 jours par an), l'assèchement des marais causés par les barrages, tout cela donne le tableau d'une catastrophe écologique. L'eau bue par de nombreux résidents n'est pas saine. Ahwaz est l'une des villes les plus polluée au monde. Malgré les revenus pétroliers tirés de la région, la majorité de ses habitants vit dans la pauvreté.  Le peuple arabe peuple le Khuzistan à 70% mais seuls 5% d'entre eux occupent des postes administratifs importants. Les autres postes sont occupés par des Persans. Au cours des 80 dernières années, aucun Arabe n'a occupé le poste de gouverneur de la province. Les Arabe ont été le premier groupe ethnique à avoir été la cible des politiques nationalistes et racistes, dès le milieu du XIXe siècle et ensuite avec l'avènement des Pehlévis au pouvoir. Ce sentiment anti-arabe a commencé de faire partie de la culture, que ce soit dans les classes moyennes et même les moins aisées.

ROME : DÉCÈS DE MIRELLA GALLETTI

Notre amie le Professeur Dr. Mirella Galletti est décédée subitement au début de septembre.

Cette éminente kurdologue, membre active de l’Institut kurde de Paris depuis sa fondation en 1983, est née en 1949 près de Bologne, en Italie. Elle obtint son doctorat en sciences politiques, en 1974, à l’université de Bologne, avec une thèse portant sur  « La structure politique et les valeurs culturelles de la société kurde ». Dès les années 1970, elle voyagea au Moyen-Orient et surtout au Kurdistan, pour y effectuer ses recherches. Quand éclate la guerre en l’Irak et l’Iran, en 1980, elle se trouve précisément à Téhéran. L’année suivante, elle prend une carte de presse et fut une des premières Européennes à interviewer A. Öcalan, en juin 1988, au Liban, alors qu’en septembre, elle rencontre des réfugiés kurdes irakiens ayant fui l’Anfal. À partir des années 1990, elle enseigne l’histoire et la civilisation des Kurdes dans les universités de Bologne et de Trieste, tout en continuant d’effectuer de longs séjours au Kurdistan d’Irak et de participer à des colloques universitaires dans différents pays. Dans les années 2000, elle enseigne successivement le droit des communautés islamiques à l'université Ca' Foscari de Venise et l'histoire des peuples transnationaux de l'Asie occidentale à l'université de Milan-Bicocca. Nommée professeur à l’Université de Naples Orientale, elle y enseigne l'histoire du monde arabe et musulman.

Sa bibliographie est très abondante et porte à la fois sur les Kurdes, leur histoire, leur société et leurs traditions, mais aussi sur les minorités chrétiennes du Moyen-Orient et tout particulièrement ceux d’Irak et du Kurdistan. Elle a aussi publié des ouvrages et des études sur l’Irak et la Syrie. « Connaître et faire connaître les conditions de vie et les difficultés du monde arabe et islamique», observer « avec empathie des cultures différentes, sans préjugés » était ce qu’elle répondait quand on l’interrogeait sur ce qu’elle avait voulu accomplir dans son œuvre et sa carrière.

Ses obsèques ont eu lieu le samedi 8 septembre 2012 à 16 h 30, dans la Basilica dei SS. Apostoli, Piazza Santi Apostoli située non loin du domicile de Mirella. L’église était remplie de parents, d’amis, de collègues, de personnalités du monde scientifique, ainsi que des représentants officiels d’Irak et du Kurdistan. Le Dr. Saywan Barzani, ambassadeur d’Irak en Italie, avec qui Mirella avait tissé des liens de travail et d’amitié, était venu accompagné de tout le personnel de l’ambassade. Étaient aussi présents les ambassadeurs d’Irak auprès du Vatican, des Nations Unies et de la Ligue arabe et leurs collègues, ainsi que Monseigneur Haddad, archevêque grec melkite catholique, qui avait bien connu Mirella et qui a été le seul invité à faire un éloge funèbre.

Monseigneur Haddad a rappelé, de façon éloquente, l’importance de l’œuvre de Mirella, qui contribue, a-t-il répété plusieurs fois, à faire mieux connaître les communautés chrétiennes établies au Moyen-Orient depuis des temps immémoriaux, et qui aspirent à continuer de vivre en paix et en harmonie avec leurs voisins musulmans. Il a non seulement insisté sur la vaste érudition de Mirella mais aussi sur sa bonté et sa générosité.

Joyce Blau, émue par la perte d’une amie de plus de trente ans, représentait l’Institut kurde de Paris et apportait les condoléances attristées de son président et du personnel. Parmi la foule qui entourait la famille de Mirella, ses neveux et nièces, signalons la présence et d’amis de longue date : le Dr. Paola Orsatti, professeur de langue et de littérature persanes à l’université « La Sapienza », à Rome, le professeur Angelo Michele Piemontese, de l’Université de Rome, d’Anna Tordenti, son amie d’enfance, des collègues, Claudio Caprotti, professeur de langues anciennes et collaborateur de Mirella, le professeur Gian-Maria Piccinelli, Président de la  Faculté Jean Monnet de la Seconda Universita degli studi di Napoli où enseignait Mirella, de l’arabisante Isabella Camera d’Afflitto de l’Université La Sapienza et  plusieurs dizaines d’autres collègues et amis dont beaucoup venus de loin, tous bouleversés par la disparition subite de cette femme exceptionnelle. 

Mirella Galletti était une grande amie des Kurdes qu’elle aimait tendrement. Elle laisse une œuvre passionnante et très riche, inestimable pour la kurdologie. Sa présence chaleureuse, amicale, toujours enjouée, manquera à tous les collaborateurs et les membres de l’Institut qui lui organisera une réunion d’hommage le samedi 27 octobre à 16 heures en présence de sa famille.

Bibliographie

  • 1974 : Struttura politica e valori culturali nella società curda, thèse préparée sous la dir. d’Antonio Marazzi. Università degli studi, Bologne.
  • 1975 : «L’ultima rivolta curda in Iraq», in Oriente Moderno LV, 9-10, Rome.
  • 1978 : «Sviluppi del problema curdo negli anni 1975-1978», in Oriente Moderno, anno LVII, 9-10, Rome.
  • 1978 : «Curid e Kurdistan in opere italiane del XIII-XIX secolo», in Oriente Moderno, anno LVIII, 11, Rome.
  • 1987 : «Kurd û Kurdistan la Nusrâwakany Italy da, la saday Sêzdam - Nozdam (Les Kurdes et le Kurdistan dans les textes italiens du XIIIe au XIXe siècle), trad. Jasim Tawfiq, Binkay Hangaw, Stockholm.
  • 1990 : I Curdi nella Storia, Vecchio Faggio Editore, Chieti.
  • 1990 : « Sviluppo del problema curdo negli anni ’80 » in Oriente Moderno, nº1-6, pp. 75-125, Rome ; 7-12. 
  • 1991 : «I Curdi nella il guerra del Golfo», in Oriente Moderno nuova serie, anno X, 1-6, Rome.
  • 1991 : Bollettario 1 (dir) ; Qadrimestrale di scrittura e critica, Associazione culturale Le Avanguardie, Modène.
  • 1993 : «Kurdistan, un mosaico di sei popoli», in ARES, Revue de Politique Intenrationale et Conflits Ethniques, 1.
  • 1993 : Cenni sulla letteratura curda, trad. de «Bâzne», in Almanaco letterario», Edizioni della Lisca, Milan.
  • 1994 : «Kurdistan : I giochi regionali proseguono : I Curdi in Iran, intervista a Mustafa Hijri» in Politica Internazionale nº 3, Rome.
  • 1994 : «La politica italiana verso assiri e curdi» in Storia contemporana nº 3.
  • 1994 : «Kurdistan : A Mosaic of Peoples», in Acta Kurdica,the International Journal of Kurdish & Iranian.
  • 1994 : «Ahmad Khânî ‘Mem û Zîn’ : L’amore per la patria», in In Forma di Parole, 3e série, 2e année, 4, Crocetti Editore.
  • 1994 : «Kurdistan, polveriera dimenticata : un popolo in cerca di una patria sicura. Minoranze in pericolo : gli assio-caldei. ‘Noi, vasi di coccio tra arabi e curdi ?’» , in Mondo e Missione.
  • 1995 : «Italian Policy Toward Assyrians and Kurds», in Journal of the Assyrian Academic Society, vol. IX, 2, Santa Barbara.
  • 1995 : «The Woman’s Role in the Kurdish Society according to European Literature», in Iran-Nameh, 1 (11).
  • 1996 : «Cristiani d’Iraq. Un esodo senza terra promessa», in Mondo e Missioni.
  • 1996 : «La terra di tutti gli olocausti. ‘Quand Hitler seppe quello che Saddam fece ai curdi pianse ?’» in Corriere della Serra, Milan. 2 septembre 1996.
  • 1996 : «Intervista con Abdullahg Hassanzadeh, Segretario Generale del PDK Iran», in Politica Internazionale, anno XXIV, nuova serie, 3-4.
  • 1996 : Favole curde, Campomarzo Editrice, San Lazzaro di Savena.
  • 1999 : I Curdi : un popolo transnazionale, EdUP, Rome.
  • 1999 : «Shakir Hasbak : un intellettuale iracheno ponte tra Arab e Curdi», in Oriente Moderno, XXI, 2-3, Rome.
  • 2002 : Le relazioni tra Italia e Kurdistan, coll. Quaderni di Oriente Moderno, Instituto per l’Oriente, Naples.
  • 2002 : Incontri con la società del Kurdistan, Name, Gênes.
  • 2003 : Cristiani del Kurdistan, Jouvence, Rome.
  • 2005 : «Kirkuk : The Pivot of Balance in Iraq. Past and Present», in Journal of Academic Assyrian Studies, vol. 19, 2.
  • 2007 : «La bataille de Chalderan dans un tableau du XVIe siècle», in Studia Iranica t. 36, Paris. 2007 : «I Curdi da vinti a vincitori ?» in Il Ponte nº 11, Rome.
  • 2007 : «Ufficiale, medici e funzionari in Medici, tra Impero ottoman et Persia», in Oriente Moderno, Rome.
  • 2008 : Kurdistan. Cucina e tradizioni del popolo curdo, Ananke, Turin.
  • 2008 : «Some Catholic Sources on Jazira (1920-1950), Kervan - Rivista Internazionale di Studi afroasiatici.
  • 2009 : «Cuisine and Customs of the Kurds and their Neighbors» in Journal of Assyrian Academic Studies, vol. 23, nº1.
  • 2010 : Le Kurdistan et ses chrétiens, édition du Cerf, Paris.
  • 2010 : Kürt yemek kültürü, Avewsta yayinlari, Istanbul.
  • 2010 : «L’âne dans la société et la culture kurde - passé et présent », in Revue d’Ethnozootechnie, 87.
  • 2011 : «Correspondance between Eugenio Pacelli, Secretary of State and Angelo Giuseppe Roncalli, Apostolic Delegate to Turkey (1935-1939)» in Surdi sull’Oriente Cristiano, 15, Academia Angelica-Costantiniana di Lettere, Aerti e Scienze, Rome.
  • 2011 : Iraq, il Cuore del Mondo, Ambassade d’Iraq en Italie, Rome.
  • 2011 : Iraq, the Heart of the World, Ambassade d’Iraq en Italie, Rome.